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Dans la rue (Bruant)/Pour les Fortifs

La bibliothèque libre.
Ernest Flammarion (Volume IIIp. 29-35).


POUR LES FORTIFS


M’sieu l’ Président d’la république,
Excusez-moi, si j’ vous écris,
Mais, voilà, faut qu’on vous explique
À caus’ des fortifs ed’ Paris…
Qu’on dit qu’on va les fout’ par terre…
C’est pas drôl’ pour le populo,
Et j’ comprends pas que l’ministère
S’ay’ fourré ça dans l’ciboulo…


Au nom des chemineux d’la ville,
Coureurs de ru’s, batteurs d’antifs,
Qui sont des centain’ et des mille…
Faut pas démolir les fortifs !

Les fortifs !… Mais c’est la ballade
Des Pantinois, où chaqu’ lundi
Les ouvriers, en rigolade,
Vont respirer l’air ed’ Bondy
En admirant la bell’ nature…
Et s’allonger sur le gazon,
Sous la fumé’ des trains d’ceinture
Qui leur obscurcit l’horizon…

Au nom des chemineux d’la ville,
Coureurs de ru’s, batteurs d’antifs,
Qui sont des centain’ et des mille…
Faut pas démolir les fortifs !


Les fortifs !… C’est la joi’ des mômes,
Des malheureux p’tits purotains
Qui peuv’nt pas courir dans les chaumes,
Parc’ qu’i’s sont des enfants d’putains ;
Parc’ que jamais leur moman gagne
Assez pour payer les ch’mins d’fer,
Et qu’i’s n’vont pas à la campagne
Mettr’ leur petit cul au grand air…

Au nom des chemineux d’la ville,
Coureurs de ru’s, batteurs d’antifs,
Qui sont des centain’ et des mille…
Faut pas démolir les fortifs !


Les fortifs !… C’est aussi l’asile
Des vaincus, des aînés, des vieux
Qui, n’ayant mêm’ pus d’domicile,
Vienn’nt se coucher… là, sous les cieux…
Et, souvent, dans les nuits sereines,
Su’ l’talus, qui leur sert de pieu,
I’s rêv’nt que c’est la fin d’leurs peines
Et qu’i’s sont partis chez l’bon Dieu…


Au nom des chemineux d’la ville,
Coureurs de ru’s, batteurs d’antifs,
Qui sont des centain’ et des mille…
Faut pas démolir les fortifs !