Dans la rue (Bruant)/Ta Gueule !

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Ernest Flammarion (Volume IIIp. 159-162).


TA GUEULE


Un jour, en correctionnelle,
Mossieu le Président Dupont
Demande comment on l’appelle
À l’accusé qui ne répond.
Alors, le Président, bonhomme,
Reprend : — Voyons, Bibi-la-Peau,
Dites-nous comment l’on vous nomme,

L’ACCUSÉ :
Ta gueule, eh veau !

Le Président eut un sourire…
C’était un réjoui bontemps,
Très amateur du mot pour rire,
Très gai, malgré ses soixante ans :
— Ah ! vraiment ! dit-il, elle est forte !
Mais qu’avez-vous donc dans la peau
Pour vous exprimer de la sorte ?

L’ACCUSÉ :
Ta gueule, eh veau !

Du bout du banc de la défense,
L’avocat, maître Gagnerien,
Criait… réclamait l’indulgence.
Hurlait : — Messieurs, comprenez bien :
Mon client a perdu la tête.
C’est un pauvre bougre… un fourneau…
Il est insolent mais honnête !

L’ACCUSÉ :
Ta gueule, eh veau !

Lors, se levant, le ministère
Public dit à Bibi-la-Peau :
— Je vous conseille de vous taire,
Car c’est vous qui faites le veau…
Et, malgré vos airs de bravache,
On va vous mettre à la raison :

(Au Tribunal : )

Je requiers deux ans de prison…

L’ACCUSÉ :
Ta gueule, eh vache !