Dans le Monde (Rabusson)/03

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Dans le Monde (Rabusson)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 54 (p. 342-401).
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DANS LE MONDE




DERNIÈRE PARTIE[1].




XII.

Les deux hautes portes cochères peintes en vert sombre de l’hôtel Riva étaient closes, au contraire de ce qui avait lieu d’habitude le vendredi, jour de réception de la princesse, où, larges ouvertes pour l’entrée et la sortie des voitures, elles laissaient voir aux passans la grande cour sablée, pleine d’équipages, et le vaste perron dont les marches de pierre étaient sans cesse gravies et descendues par des pieds féminins, quelquefois un peu longs, mais presque toujours minces et de forme patricienne. — Le suisse, interrogé par Trémont, apprit au visiteur que la princesse avait tenu, la semaine précédente, ses dernières assises du vendredi, mais que, néanmoins, elle était chez elle, venant de rentrer.

L’hôtel Riva est célèbre dans toutes les capitales du monde civilisé ; il n’est guère de souverain en rupture de trône, ou de prince héritier voyageant pour son instruction ou son plaisir, qui n’y ait été reçu au milieu d’invités choisis ; on y mange, on y danse, on s’y décolleté en noble compagnie, quoique, là comme ailleurs, les infiltrations de l’argent dans la société s’accusent parfois en taches déplaisantes sur le fond aristocratique des réunions triées. C’est là que se trouvent les colonnes d’Hercule du luxe contemporain ; plus loin, il n’y a rien que la féerie, le rêve et l’absurde. Depuis le vestibule, où se tient en permanence une escouade de laquais poudrés et molletes à ravir, jusqu’à la salle de bains, où se voient des robinets d’argent ciselé ayant authentiquement pleuré sur le corps quasi royal de la Pompadour, tout est riche, éblouissant, splendide,

— trop riche, trop éblouissant, trop splendide pour une femme dont le mari rattache sa filiation à une illustre gens de la république romaine et qui a l’air de prendre au sérieux cette facétie généalogique.

Roger fut reçu dans un petit salon Louis XV. La princesse, ainsi que la plupart des femmes aimant les joyeusetés de la vie parmi les recherches et les conventions du monde, est particulièrement éprise de cette époque, entre toutes aimable par ses élégances débraillées, de même qu’une infinité de mondaines plus chastes ou plus réservées se montrent entichées du Louis XVI, plus pur comme goût et comme reflet de mœurs, plus poétique surtout, grâce au souvenir de celle qui est restée la Reine, connue saint Paul, l’Apôtre, comme Aristote, le Philosophe. La décoration, tout autant que l’ameublement de l’hôtel se ressent forcément de cette prédilection marquée, et les guirlandes, les volutes, les médaillons, tout le fouillis rococo de l’ornemematron surchargée de ce style courtisanesque du règne du La France de Du Barry déshonore les murailles, les corniches, les plafonds d’un grand nombre de pièces de cette demeure princière, qui, pourtant, par ses dimensions, est plutôt un palais de souveraine qu’une bonbonnière à favorite. Donc, la princesse aime le Louis XV, et une de ses prétentions est d’être, elle aussi, du temps. Elle y met tout son art, qui est grand, tout son aplomb, qui est immense, toute sa grâce, qui est réelle, et toute son inconduite, qui est prodigieuse ; s’il manque quelque chose à la restitution du type, la faute n’en est point à elle, mais au travail destructeur des années et des révolutions, qui a brisé le cadre social où pouvaient sans discordance s’épanouir les attraits légers d’une trop légère société. D’ailleurs, toutes les tentatives de pastiche s’exerçant sur les mœurs sont d’avance condamnées, ce qui explique que les grandes dames de la cour impériale, qui, de 1865 à 1870, ont joué au xviiier siècle comme on joue au corbillon, soient restées… Napoléon III.

— Eh bien ! plus trace de cette chute affreuse ? dit la princesse avec son sourire des jours de branle-bas.

Et, tout de suite, elle se mit à être aimable comme lorsqu’elle tenait à plaire, avec cet entrain de coquetterie, cet élan de provocation, cet en-avant du geste et de la tenue, qui disaient son insouciance et son mépris du licite, du convenable, de la pudeur. — Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/350 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/351 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/352 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/353 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/354 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/355 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/356 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/357 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/358 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/359 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/360 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/361 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/362 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/363 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/364 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/365 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/366 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/367 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/368 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/369 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/370 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/371 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/372 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/373 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/374 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/375 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/376 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/377 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/378 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/379 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/380 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/381 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/382 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/383 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/384 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/385 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/386 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/387 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/388 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/389 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/390 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/391 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/392 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/393 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/394 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/395 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/396 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/397 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/398 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/399 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/400 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/401 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/402 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/403 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/404 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/405 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/406 Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/407

  1. Voyez la Révue du 15 octobre et du 1er  novembre.