De Québec à Victoria/Chapitre XXX

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Imprimerie L.-J. Demers & Frère (p. 363-380).

XXX

LA FÊTE DU SOLEIL


Chez les Piegans. — Le dieu-soleil dans l’antiquité. — Son culte chez les Mexicains et les Péruviens. — Légende et Figures de ce culte parmi les sauvages du Nord-Ouest. — Ses rites, ses cérémonies, ses sacrifices.


Les sauvages du Nord-Ouest célèbrent encore, presque tous les ans, la Fête du Soleil, que les Pieds-Noirs appellent Okân.

Que signifie exactement ce mot ? Quelques missionnaires croient qu’il signifie sommeil, et que ce nom a été donné à la fête parce que la femme sacrée, ou la Vestale qui y pontifie, est présumée s’endormir mystérieusement, et avoir pendant son sommeil des visions qu’elle révèle aux sorciers, ou hommes de médecine. Le P. Legal dit que c’est un vieux mot sauvage qui signifierait la Loge par excellence !

Les Anglais ont appelé cette fête la Danse du Soleil (Sun Dance), et ils ont cru qu’elle avait été instituée pour faire des guerriers braves, et n’était qu’un exercice de courage et de force contre la souffrance physique.

Mais tel n’est pas du tout le caractère de la fête. Elle est — ou plutôt elle était — essentiellement religieuse, et les exercices de bravoure n’étaient pas autre chose que des sacrifices sanglants à la divinité.

Aujourd’hui ces fêtes du soleil sont en pleine décadence. J’ai été témoin de l’une d’elles chez les Piégans ; mais ce n’était plus que l’ombre de la fête primitive. Le caractère religieux et symbolique en était à peine visible, et la Grande Loge, qui est vraiment un temple élevé au soleil avait l’apparence d’un cirque vulgaire où l’on exécutait au bruit des tambours des danses plus ou moins burlesques.

Mais ce qui était vraiment pittoresque, c’était l’aspect du camp. Il s’élevait dans une clairière entourée de grands bois, entre la rivière Old Manet la crique Pincher, au confluent des deux rivières. Un grand nombre de tentes, très grandes, les unes toutes blanches, les autres peintes, étaient disséminées dans la clairière ; et les plus éloignées se cachaient à demi dans le feuillage, au bord du bois. Parmi les tentes peintes il y en avait de très curieuses, dont les dessins grossiers représentaient d’énormes bisons, des têtes de buffles, des serpents, de grands oiseaux, ou des monstres plus ou moins imaginaires.

Au centre du camp se dressait la Grande Loge, en feuillage, temple du soleil. Elle mesurait 150 à 200 pieds de circonférence.

La charpente en était formée par une trentaine de gros poteaux, plantés en cercle, joints entre eux par des poutres, et sur lesquels venaient s’appuyer de longs chevrons qui convergeaient et se reliaient à un grand arbre planté au centre de la rotonde. Le tout était recouvert d’un lourd treillis en feuillage.

Au pied du grand arbre étaient attachées deux verges, destinées à fouetter la Vestale, si elle était dénoncée comme impure. J’y remarquai aussi une assiette en porcelaine destinée à recevoir les morceaux de chair sanglants offerts en sacrifice à la divinité. Jadis cette assiette se remplissait ; mais aujourd’hui elle reste vide.

À quelques pieds de l’arbre sacré, une fosse peu profonde, où brûlait un feu de branches sèches. C’est un foyer, et un autel des sacrifices. Les chefs y faisaient allumer leurs calumets par des jeunes gens ; et c’est tout auprès que devaient se placer les sorciers quand ils faisaient des harangues, ou des prédications.

Au fond de la loge, en face de la porte, dans une alcôve en feuillage, tapissée de mousse, deux chefs en grand costume recevaient les visiteurs.

Au sommet du grand arbre sacré qui dominait le temple étaient suspendues toutes les offrandes au dieu-soleil. C’étaient des tentures de couleurs diverses, des fourrures, des plumes, des flèches, des arcs, des tapis, des vêtements, des souliers, et des bottelettes de foin de senteur attachées en croix.

À droite de la porte se tenaient les musiciens, très bariolés de costumes et de tatouages, accroupis autour d’un tambour qu’ils battaient en cadence, et fredonnant un de ces airs monotones qu’on ne saurait noter, qui se composent de trois ou quatre mesures, et dont le ton ne s’élève que lorsque la danse devient animée.

En résumé, cette fête m’a bien désappointé, et, sauf quelques restes des anciens rites, elle a perdu son caractère primitif. Celle que j’ai vue a duré trois jours, et ressemblait à un grand pique-nique de sauvages plutôt qu’à une solennité religieuse. Ce pique-nique n’avait d’entrain que lorsqu’il y avait abondance de thé et de tabac.

Mais jadis il n’en était pas ainsi, et le R. P. Legal a pu assister encore il y a deux ou trois ans à une fête du soleil chez les Gens-du-Sang (Blood Indians) qui se rapprochait beaucoup des cérémonies antiques par la solennité et le symbolisme de ses rites.

Il a eu la bienveillance de nous communiquer les notes prises par lui-même au moment de la fête, et nous y puiserons abondamment dans la description que nous en voulons faire.

Mais auparavant il nous semble intéressant de résumer ici ce qu’a été le culte du soleil dans l’antiquité.

Le témoignage le plus ancien que je puisse citer est le 19e verset du chapitre quatrième du Deutéronome. C’est Moïse qui parle au peuple d’Israël, et qui lui transmet les enseignements du Seigneur :

« De peur que, les yeux levés au ciel, tu ne voies le soleil, la lune et tous les astres du ciel, et que, séduit par l’erreur tu ne les adores, et tu n’offres un culte à des choses que le Seigneur ton Dieu a créées pour servir à toutes les nations qui sont sous le ciel. »

Évidemment, Moïse prévient les Hébreux contre une idolâtrie qui existait déjà, et que l’histoire dénonce chez les peuples de l’antiquité la plus reculée. On en retrouve en effet des traces chez les Égyptiens, les Phéniciens, les Assyriens, les Perses et les Arabes.

Les Grecs adoraient aussi le soleil sous le nom d’Apollon ; et quand ils avaient commis un crime ils n’osaient plus se montrer à sa lumière. C’est pourquoi Phèdre, que son amour incestueux accable de remords, ose à peine lever les yeux vers le soleil, et lui dit avant de se donner la mort :

Noble et brillant auteur d’une triste famille,
Toi, dont ma mère osait se vanter d’être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois !

Au quatrième siècle de l’ère chrétienne, saint Augustin écrivait : « il n’est pas chrétien celui qui prétend que le soleil et la lune méritent non seulement notre amour, mais encore notre culte. »

Les principaux dieux des Mexicains étaient le soleil et la lune, et l’on célébrait à Mexico, à la fin de chaque siècle de 52 ans, une grande Fête de la Lumière.

Ce jour-là, on éteignait tous les feux, et c’est à la cime d’une montagne qu’un feu nouveau devait être créé. Il devait jaillir du frottement de deux morceaux de bois sec sur la poitrine d’un brave, choisi parmi les prisonniers.

Cette opération devait se faire à minuit, et dès que la flamme avait jailli, on se servait du bâton enflammé pour allumer un grand feu au point le plus élevé de la montagne, située à deux lieues de Mexico, afin qu’il pût être aperçu de loin.

À la même heure de la nuit tous les habitants de Mexico et des villes voisines montaient sur les toits, ou au sommet des tours, afin de contempler le premier jet de flamme. En même temps, des courriers venus à la montagne de toutes les parties du pays, s’emparaient de tisons ou de charbons ardents pour distribuer partout le feu nouveau.

Mais chez les Mexicains, comme chez les peuples plus anciens, le sacrifice sanglant était le complément nécessaire des grandes solennités religieuses ou d’ordre surnaturel. Lors donc que le feu nouveau était devenu un immense brasier au sommet de la montagne, les prêtres du Soleil ouvraient la poitrine de la victime, lui arrachaient le cœur, et après quelques cérémonies dont la tradition s’est perdue, le jetaient au feu avec le corps.

Au Pérou, les découvreurs espagnols trouvèrent des temples consacrés au soleil, et de grandes solennités en son honneur. Des sacrifices lui étaient également offerts.

Des chœurs de jeunes filles et de jeunes garçons, vêtus de blanc, chantaient et dansaient dans le temple, et en ornaient les colonnes de guirlandes de fleurs, pendant que l’Inca, prosterné au pied d’un trône sur lequel étincelait le soleil, adressait une prière à ce dieu.

S’il faut en croire Marmontel — dont l’ouvrage est plutôt un roman politique et historique qu’une histoire — les Péruviens avaient des doutes sur la divinité du soleil ; et ils se demandaient s’il n’était pas plutôt le simple ministre d’une cause première, d’une intelligence supérieure à lui. Ce sont les propres paroles qu’il met dans la bouche des Incas, chantant une hymne au soleil, et lui disant en terminant : « Si tu n’obéis, qu’à ta volonté reçois nos vœux reconnaissants ; mais si tu accomplis la loi d’un être invisible et suprême fais passer nos vœux jusqu’à lui. »

D’où venait aux Mexicains, aux Péruviens et même à nos sauvages de l’Ouest ce culte du Soleil ? De l’Inde peut-être. Car les Indous primitifs mettaient au nombre de leurs divinités le ciel, la terre, le soleil, la lune, le feu, et un grand nombre d’autres êtres physiques. Mais le soleil surtout, qu’ils appelaient Sûrya, en tant que lumineux, et Savitri, en tant que force génératrice, était regardé par eux comme le chef des dieux, et les hymnes védiques sont remplies de ses louanges.

Quoi qu’il en soit, la fête du soleil parmi les sauvages du Nord-Ouest remonte à une époque très reculée, et je suis convaincu que leurs ancêtres l’ont importée de l’Asie. Mais quand on leur demande la raison d’être et la signification des rites et des cérémonies de cette grande solennité, ils sont incapables de répondre autrement qu’en disant nos pères faisaient ainsi !

Cependant ils racontent sur l’origine de la fête une légende assez curieuse qui pourrait bien être une allégorie, ayant un sens mystique plus ou moins obscur, et se rattachant au mystère de la Rédemption.

Un jeune homme s’est épris d’une jeune fille, et veut l’épouser. Mais une horrible balafre lui défigure le visage, et on l’appelle le Balafré (Pawaxkew) avec un certain dégout. La jeune fille lui répond qu’elle consentira à devenir son épouse quand cette balafre qui le déguise affreusement aura disparu.

Le jeune homme est désespéré, et il s’exile de son pays. Mais où donc ira-t-il ? Il ira vers les régions du soleil levant, puisque c’est de là que vient la lumière, puisque c’est de là que s’élance le grand astre toujours jeune et toujours beau.

Un jour, l’Étoile du matin (Episohors) l’aperçoit poursuivant sa course aventureuse vers l’Orient. Episohors est le fils du Soleil et de la Lune, et il a le cœur compatissant. Il interroge le jeune Balafré, et quand il a connu la cause de son chagrin il le conduit dans la demeure du Soleil. Là, quatre bains de vapeur successifs font disparaître la malencontreuse balafre, et le nom du jeune homme, devenu presque aussi beau qu’Episohors, est changé. Il ne s’appelle plus Pawaxkew (Balafré) mais Partsopisohors (presque l’Étoile du matin).

Alors le jeune homme qui a recouvré sa beauté primitive veut aller rejoindre l’objet de son amour. Mais avant de s’en séparer Episohors lui enseigne les rites de la grande fête du Soleil, c’est-à-dire du culte dû à ce dieu, et le charge de les apprendre aux hommes. En même temps, en retour du bienfait dont il l’a gratifié, il réclame de Partsopisohors une faveur signalée, que celui-ci promet. Episohors souffle alors sur le jeune homme qui a fermé ses paupières ; et quand celui-ci rouvre les yeux il se retrouve auprès du camp de ses compatriotes.

La jeune fille l’attendait toujours, et ne résista plus à l’union désirée, mais ce mariage fut évidemment mystique ; car à peine était-il célébré, que le jeune époux demanda à l’épouse de fermer les yeux et souffla sur elle. Aussitôt elle fut transportée dans la demeure du Soleil pour y devenir l’épouse d’Episohors, l’Étoile du matin.

Voilà le mythe auquel remonterait l’origine de la Fête du Soleil.

Eh ! bien, il nous semble difficile de ne pas voir la chute de l’homme et sa rédemption figurées par cette histoire.

Le Balafré n’est-il pas une figure de l’homme, avant la venue de Jésus-Christ, souillé, défiguré par la tache originelle, et se tournant vers l’Orient d’où le salut doit lui venir ?

Episohors, fils du Soleil et de la Lune, deux divinités auxquelles un culte était rendu, n’est-ce pas le Christ, fils de Dieu le Père et conçu du Saint-Esprit ? N’est-ce pas Jésus effaçant la tache qui souille l’humanité, guérissant la balafre qui la défigure, et faisant de l’homme racheté presqu’un Dieu (Partsopisohors) ?

Cette femme qui devient successivement l’épouse d’un homme et l’épouse d’un dieu, n’est-ce pas la Vierge bénie qui fut à la fois l’épouse du charpentier de Nazareth et l’épouse du Saint-Esprit ?

Et ce culte du Soleil enseigné par Episohors au Balafré, n’est-ce pas le culte du vrai Dieu, révélé par son divin Fils à l’homme ?

Ce souffle merveilleux enfin qui transforme le Balafré et qui emporte son épouse de la terre dans la demeure du Soleil, auprès d’Episohors, n’a-t-il pas quelque analogie avec le souffle de l’Esprit-Saint qui achève le rachat de l’homme, et qui fait de l’Église, société humaine, l’épouse du Fils de Dieu ?

Évidemment, en pareille matière nous n’affirmons rien, et nous ne faisons que des conjectures, mais on avouera qu’elles ne manquent pas de vraisemblance.

Nous ne pouvons pas entrer dans la description de toutes les cérémonies dont la Fête du Soleil se compose : il faudrait presqu’un volume pour en faire connaître, tous les détails. Ses préparatifs seuls exigeraient plusieurs chapitres, et le R. P. Legal a recueilli là-dessus des indications très curieuses.

Nous ne rappellerons ici que les traits principaux de la fête, ceux qui lui donnent sa physionomie et son caractère.

Et d’abord, elle est toujours l’accomplissement d’un vœu fait par une des femmes de la tribu pour obtenir une grande faveur de la divinité. Autrefois, il était de rigueur que cette femme, qui joue un rôle éminent dans la fête, fût une vierge. Aujourd’hui, une femme mariée est souvent acceptée ; mais elle doit être irréprochable au point de vue des mœurs, et si elle trompait les chefs sous ce rapport elle serait punie avec une extrême rigueur. Autrefois elle eût mérité la mort.

Cette femme, doit avoir dans le voisinage de la Grande Loge, une loge spéciale où s’accomplissent plusieurs des cérémonies du culte. Elle doit jeûner pendant une suite de jours, et offrir, ainsi que les autres membres de sa famille, des sacrifices au Soleil, sous forme de présents.

Une espèce de nourriture sacrée doit être préparée pour la fête. Elle se compose uniquement de langues, au nombre de cent, qui sont lavées, peintes en rouge et en noir par la femme de l’Okân, au milieu d’invocations, de chants, et de cérémonies dont le tambour battant est l’accompagnement obligé. Autrefois on se servait de langues de bison, mais aujourd’hui on emploie toutes sortes de langues  ; et après l’espèce de consécration que je viens de mentionner elles sont séchées, fumées, broyées, et réduites en une sorte de pemmican.

La plus solennelle des cérémonies préparatoires est celle des loges de suerie, et de leur construction.

Elles doivent avoir pour charpente cent tiges de saules plantées en terre, et réunies à leur extrémité supérieure de manière à former une espèce de dôme posé sur le sol. La porte d’entrée est au Levant, et la porte de sortie au Couchant, ce qui n’est pas sans relation avec la marche du Soleil.

Mais ces tiges de saules ne sont pas apportées là sans cérémonie. Dix jeunes gens, appartenant à certaine catégorie d’initiés au mystère sont allés les couper dans le bois voisin, et ils en reviennent en procession, à cheval, marchant de front sur une seule ligne, portant chacun dix tiges, et chantant de leurs voix nasillardes une espèce de chant sacré, qui, suivant le P. Legal, n’est pas sans ressemblance avec l’hymne que nous chantons dans nos églises pendant la procession des Rameaux. Et en arrière de ce cortège, un autre cavalier isolé porte un crâne de buffle destiné à être placé au sommet de la loge de suerie. Ce dernier occupe un des plus hauts grades d’initiation, et se nomme Orkemiw.

Quand il doit y avoir plusieurs loges de suerie, il y a autant de bandes de cavaliers, et la procession prend des proportions grandioses.

Une fois plantées en terre et réunies en faisceau à leur sommet, les tiges de saules sont recouvertes de peaux ou de couvertures, et les Vieillards désignés pour la suerie sont introduits dans la loge par la porte du Levant, pendant que la Vestale (femme de l’Okan) se tient à la porte du Couchant. La vapeur nécessaire à la suerie est produite au moyen de cent pierres chauffées que l’on a placées dans la loge, et sur lesquelles on verse un peu d’eau. Dans toute cette cérémonie le calumet et les herbes odoriférantes jouent un grand rôle.

Les sauvages voient dans la suerie une espèce de purification, et l’on observera sans doute qu’elle rappelle les bains de vapeur auxquels Episohors eut recours pour guérir le Balafré.

Dans toutes ces cérémonies la peinture et le tatouage ne sont pas négligés. La Vestale a les pieds, les poignets et le visage peints en rouge sang de bœuf.

Les Vieux des loges de suerie sont peints en noir, couleur de deuil et de pénitence ; et quatre jeunes gens portant une raie de même couleur autour du visage, et un point également noir sur le milieu du nez, leur apportent dans la loge de suerie la nourriture sacrée. Celui qui la reçoit en offre une parcelle au Soleil, et une autre parcelle à la Terre.

La construction de la Grande Loge, ou Loge du Soleil, est aussi accompagnée de grandes cérémonies, et c’est au sommet que sont suspendues les offrandes à la divinité. Quand ce sont des vêtements ils y sont fixés sur deux bâtons en forme de croix, dont l’un est passé dans les manches, de manière à leur donner l’apparence de crucifiés.

Les offrandes sont précédées d’invocations et de prières, dans lesquelles l’initiateur demande pour l’offrant, longue vie, bonne santé, de grands troupeaux de chevaux, et d’autres biens temporels.

Les tatouages et les costumes de tous ceux qui prennent part aux cérémonies sont des plus variés et des plus pittoresques. Ils portent en outre divers insignes indiquant leur degré d’initiation. Plusieurs portent des bonnets de médecine, ornés de plumes d’aigles, ou de crinières, ou surmontés de cornes de buffles ; et leurs vêtements sont de couleurs criardes, parés de franges de peau d’antilope ou de chevreuil, et brodés de verroteries.

Pendant les jours que dure la fête, il y a des processions, des danses, des cavalcades, des combats simulés, des discours, dans lesquels les guerriers racontent leurs exploits, des fumeries, des distributions de nourriture, de fruits, de thé et de tabac, et beaucoup de chant et de musique. Le cérémonial est d’ailleurs peu varié.

Quelques dévots s’imposent comme sacrifices des jeûnes rigoureux, et passent plusieurs jours sans manger et même sans boire.

Puis viennent les sacrifices sanglants, offerts tantôt en signe de deuil, à l’occasion de la mort d’une personne chère, tantôt en accomplissement d’un vœu pour obtenir une grande faveur de l’Esprit-Bon, ou pour apaiser l’Esprit-Mauvais.

Un des plus dangereux consiste à se couper une phalange d’un doigt. Un autre très douloureux comprend une série d’incisions au moyen desquelles le patient s’enlève de petites lanières de peau sur les bras et les jambes. Un autre encore, en usage chez les Cris, est de se faire une double entaille à l’épaule, d’y passer une petite cheville en bois sous la peau, et d’attacher à cette cheville une longue corde traînant un crâne de buffle par terre jusqu’à ce que ce poids ait déchiré la bande de peau.

Enfin, il y a la danse restée célèbre sous le nom de danse du soleil ; et voici comment le P. Legal l’a vu pratiquer.

Un jeune homme se présente sans autre vêtement qu’un brayet. Il est barbouillé de terre blanche, et il porte une couronne de sauge, et des bracelets de la même plante aux poignets et aux chevilles. C’est une victime ornée pour le sacrifice. Sur un geste d’un initié qui remplit l’office de sacrificateur, il va s’étendre sur un lit de peaux de buffles. Le sacrificateur, armé d’un couteau, lui fait des incisions aux seins, et introduit sous la peau deux chevilles de trois à quatre pouces de longueur. Le patient se retourne et une autre incision semblable est pratiquée en arrière de l’épaule gauche. Alors il se lève, et le sacrificateur suspend un bouclier à la plaie de son épaule, et attache solidement aux chevilles de la poitrine les extrémités d’une longue courroie dont le milieu est fixé au sommet de l’arbre central de la Loge.

La victime s’avance alors jusqu’au pied de cet arbre qui rappelle à la fois l’arbre de perdition et l’arbre du salut, il y appuie sa tête et paraît y prier un instant. Puis, il commence sa danse douloureuse, sautant à gauche, sautant à droite, et tirant successivement sur chacune des cordes pour déchirer la peau qui retient les chevilles. En même temps il secoue violemment le bouclier accroché à son épaule.

Ce supplice dure dix à quinze minutes ; et enfin une exclamation de la foule annonce que les chairs des trois plaies sont déchirées et que le sacrifice sanglant est accompli.

La victime va de nouveau s’étendre sur le lit, et le couteau du sacrificateur enlève les lambeaux de chair qui sont déposés au pied du grand arbre symbolique par le patient lui-même.

C’est là évidemment la partie la plus importante du culte ; et l’histoire atteste qu’il n’y a pas de culte sans sacrifice. Mais le véritable sacrifice est celui du sang, réel ou figuré.

C’est le sang qui pèche ; c’est le sang qui doit expier. Selon la loi, dit saint Paul, on purifie presque tout avec le sang, et les péchés ne sont pas remis sans effusion de sang.

Voilà en résumé le programme ordinaire de la fameuse Fête du Soleil chez nos Sauvages de l’Ouest. On le voit, elle n’a pas pour objet de faire des braves, mais de rendre un culte au soleil, soit qu’on le considère comme un dieu, soit qu’on le regarde comme un ministre du Grand-Esprit.

Je n’ai guère parlé dans ce récit des rites accomplis par les Vestales ou femmes de l’Okân ; c’est qu’ils sont absolument mystérieux, et manquent d’ailleurs d’intérêt.

Elles reçoivent évidemment dans cette grande solennité religieuse une espèce de consécration ; elles font des pénitences, des jeûnes, des prières ; elles ont une part obligée dans certaines cérémonies, soit à la porte du Couchant de la loge de suerie, soit dans la Grande Loge ; elles prétendent avoir des espèces de visions, ou des révélations, qu’elles ne communiquent qu’aux sorciers. Mais tout cela est trop obscur pour nous arrêter plus longtemps.