De l’égalité des races humaines/Chapitre 12

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CHAPITRE XII.

L’évolution intellectuelle de la race noire en Haïti.
Ex fructibus corum cognoscetis eos ;
(Saint-Mathieu, ch. VII, v. 20).

Merses profundo, pulchrior evenit.

(Horace).


Comme je veux donner à la démonstration de la vérité scientifique que je défends ici tout le poids d’une méthode rigoureuse, je me renfermerai toujours en Haïti pour tirer les exemples qui doivent corroborer et justifier les différentes propositions ci-dessus établies. De cette manière, cette seule petite République haïtienne, placée comme une épave brillante dans l’archipel des Antilles, aura suffi pour résoudre la question de l’égalité des races dans toutes ses principales ramifications. On y verra le mulâtre, le griffe, c’est-à-dire les différents types du métissage qui s’effectue du noir au blanc, enfin le noir lui-même, faire preuve de toutes les aptitudes intellectuelles et morales que les Européens ont toujours attribuées, par une exclusion orgueilleuse et téméraire, aux seuls hommes de la race caucasique. Par là prendra fin une théorie qui n’a subsisté si longtemps dans la science, que faute d’être contredite d’une façon positive. En effet, la réfutation pour être valable devait surtout sortir de ceux mêmes qui réclament cette égalité instituée par la nature et revendiquée par la conscience ! Sans doute, l’abbé Grégoire, Schœlcher, Blumenbach, Humboldt, Bory de Saint-Vincent, suivis par un petit nombre d’Européens consciencieux, ont mis leur haute intelligence, ainsi que leur grandeur d’âme au service de la vérité et se sont admirablement évertués a convaincre leurs congénères de la réalité des faits.

Ils ont héroïquement travaillé à rabattre la prétention de l’homme blanc à une supériorité native sur l’homme noir, prétention injustiüable, mais passée à l’état de dogme chez le plus grand nombre des Européens et dirigeant leur conduite générale dans toutes leurs relations avec les fils de l’Afrique. Cependant la raison pure n’a pu, à elle seule, dominer sur les esprits encroûtés, de telle sorte qu’ils revinssent de leurs préjugés sans autre forme de discussion. Aux judicieuses observations de Blumenbach et de l’abbé Grégoire, il fut continuellement fait cette objection rétorsive : les noirs instruits ou d’une intelligence supérieure qu’on cite ça et là ne prouvent aucunement l’aptitude positive de la race éthiopienne au développement supérieur de l’esprit ; ils constituent plutôt des cas exceptionnels dont l’existence confirme d’autant moins les qualités ethniques de leurs congénères, qu’ils ne se manifestent qu’à l’état d’isolement, éparses dans le temps et les lieux, véritables éclairs qui ne rayonnent dans la nuit sombre de l’ignorance nigritique, que pour y faire mieux sentir la profondeur de l’obscurité[1].

Que n’a-t-on pas dit !

Je ne m’occuperai pas de cet argument inepte par lequel on avance que les hommes de la race noire qui ont montré des aptitudes supérieures n’ont pu y parvenir que sous l’influence des blancs, dont le contact serait indispensable à leur développement mental. C’est là un pur paralogisme, à l’aide duquel on érige en règle spéciale un fait d’ordre général. La vérité est que les peuples arriérés ont besoin du contact des peuples avancés pour se développer et progresser ; mais il n’y a nullement lieu de considérer en cela leur qualité ethnique. Les termes pourraient être renversés, c’est-à-dire le peuple arriéré serait de race caucasienne et le peuple avancé aurait une origine éthiopienne, que la vérité générale resterait encore intacte. Pour, preuve, les anciens Grecs allaient puiser la science aux sources égyptiennes, sans qu’on ait jamais songé à leur en faire un titre d’infériorité naturelle vis-à-vis des noirs prêtres de Thèbes qui leur servaient d’instituteurs. C’est donc toujours le point de vue des faits actuels qui domine l’esprit des Européens, quand ils déduisent des règles aussi étranges de certains faits existants. Mais avant de procéder à une généralisation quelconque, la logique la plus élémentaire ne nous impose-t-elle pas l’obligation de passer en revue tous les cas particuliers qui ont pu se constater dans la manifestation d’un phénomène, à travers les temps et les lieux ? Sans plus nous attarder à ces subtilités, passons à l’étude qui fait le principal objet de ce chapitre.

Je veux bien accepter toutes les objections qu’on s’est ingénié à formuler contre les réclamations pourtant si justes de la philanthropie. Mais si, dans une petite nation qui n’a jamais eu la protection d’aucune puissance civilisée ; qui, au contraire, a toujours marché en butte à toutes sortes de difficultés intérieures et extérieures, on voit se manifester l’intelligence de l’homme noir avec tout l’éclat imaginable, s’attaquant à tous les genres et à tous les ordres de connaissances, ne faudra-t-il pas que l’on convienne du fait patent de l’égalité morale et intellectuelle de toutes les races humaines ? La validité d’un tel exemple souffre-t-elle aucune négation ? Nous allons donc voir ce qu’ont pu faire dans les hautes régions de l’esprit les arrière petits-fils des Africains tirés de la Côte-d’Or, du Dahomey, du pays des Aradas, des Mandingues, des Ibos et des Congos, pour être jetés en Haïti couverts de chaînes et maudissant leur destinée ! Peut-être, en constatant les faits, bien des esprits reviendront-ils à une meilleure appreciation de la vérité.

C’est, d’ailleurs, une revue intéressante à faire.

Pour la littérature, citons tout d’abord le nom de Ducas-Hippolyte. Ce jeune écrivain noir, enlevé trop tôt aux lettres haïtiennes, avait fait la meilleure partie de ses études à Paris, comme la plupart de ses compatriotes qui viennent en France compléter les connaissances qu’ils ont déjà acquises en Haïti. De retour dans sa patrie, il fut accueilli par l’admiration et la sympathie générales. C’est qu’il avait les qualités les plus brillantes et remarquables : un esprit ouvert, cultivé et fin ; un charme de diction et une vivacité intellectuelle fort rares, le tout réuni à une exquise urbanité qui en rehaussait l’éclat. Il écrivait correctement, élégamment, tant en prose qu’en vers. Son style facile, mais d’une touche à la fois délicate et savante, saisit, captive l’attention et répand dans toutes ses compositions un je ne sais quoi de fin, de léger, qu’on serait tenté d’approcher de l’atticisme.

Malheureusement, il n’a pas assez vécu pour avoir eu le temps de composer une œuvre de longue haleine ; toutes ses productions consistent en des pièces éparses ou il a déployé un talent prodigieux, mais avec la liberté capricieuse du poète qui n’a pas encore mêlé l’ambition de la gloire au culte de la muse adorée. Brillants essais qui ne font que rendre plus amère la disparition prématurée d’une si belle intelligence !

Ducas-Hippolyte, que l’on peut proposer comme un modèle aux jeunes noirs d’Haïti, n’avait pas seulement des qualités intellectuelles ; il y réunissait, avec l’amour de la liberté, un cœur bien fait, des aspirations élevées et généreuses dont l’ensemble seul forme un esprit vraiment supérieur. Que le lecteur me permette de répéter ici les paroles que j’ai écrites, lors de l’apparition de l’ouvrage publié par M. Frédéric Marcelin dans le but de consacrer la mémoire de l’infortuné poète. M. Frédéric Marcelin est aussi un Haïtien : quarteron de sang, il appartient encore pour un quart à la race noire qu’il a toujours défendue et aimée, comme tous les hommes de sang mêlé que les passions politiques ou un sot orgueil n’ont point aveuglés, en les transformant en faux Yankees.

« Le nom de Ducas-Hippolyte éveille dans tous les esprits des sympathies et des regrets. Ce jeune homme dont l’intelligence précoce ne laissait personne sans admiration, mort plein d`une sève bien riche, a eu ce rare bonheur de ne rencontrer que des éloges dans le cours de sa courte carrière. Cet applaudissement unanime qu’il méritait bien ne s’est pas anéanti devant sa tombe trop tôt ouverte. Enlevé à l’existence dans la fleur de l’âge, n’ayant eu que le temps de jeter quelques essais qui font présager d’un avenir brillant, Ducas-Hippolyte a pourtant laissé un nom immortel ; c’est que chacun de ces essais était un chef-d’œuvre : malgré sa jeunesse, il était déjà un virtuose de la plume. Son style léger, facile, élégant, coloré, savait passer d’un ton à l’autre avec une finesse, une délicatesse de touche d’autant plus admirable que l’art ne s’y laisse jamais voir de prime abord. Ce qui plaît surtout dans les créations de Ducas-Hippolyte, c’est que tout y semble si naturel que le lecteur ne devine rien de tout le précieux travail qu’il a fallu pour ciseler ainsi ces contours gracieux, ces formes capricieuses répandues avec une proportion qui fait soupçonner la main d’un maître.

« Ces qualités du jeune poète expliquent lenthousiasme que réveille ordinairement son nom digne de passer à la postérité avec l`expression admirative de ses contemporains. Sa carrière, pour être courte, n’a pas été moins bien remplie ; et on peut, pour en parler, se servir de ces expres sions du poète latin : Multis ille bonis flebilus occidit[2].

« Voilà les raisons qui justifient l’utilité ou l’à-propos de l’ouvrage de M. F. Marcelin, Ami de Ducas-Hippolyte, ayant vécu avec lui de cette vie de poésie et de dévouement qu’il esquisse si bien dans son livre, M. Marcelin était mieux placé que personne pour vivifier à grands traits la mémoire de celui qui a tant de titres à la sympathie de la jeunesse haïtienne.

« Nous n’entrons pas dans les détails de l’ouvrage de M. Marcelin ; une critique rigoureuse pourrait bien y trouver quelques défauts qui en déparent l’ensemble, quelques faiblesses qui jettent sur le cadre général un décousu regrettable. L’art des transitions n’y est pas toujours ménagé ; les contours et les reliefs en perdent ainsi les teintes variées si nécessaires à une bonne perspective. Cependant des qualités visibles compensent ces défauts qu’on évite peu dans les œuvres humaines. M. Marcelin est jeune ; il ne fait que s’élancer dans la carrière et on peut bien espérer que son talent, mûri par le temps et la réflexion, lui apportera cette habileté et ce faire délicat qui sont les attributs d’un art avancé.

« Dans la première partie de l’ouvrage où il est question de « l’époque » de Ducas-Hippolyte, l’auteur trace le récit de tous les faits intéressants de la politique de Soulouque et de Geffrard. C’est de l’histoire contemporaine, écrite avec le feu d’un écrivain qui a tout vu, qui a participé aux émotions diverses de ces temps, souffrant de l’indignation ou jouissant de la joie qu’amenaient les péripéties des affaires d’alors. Cependant les souvenirs sont trop brûlants sous la plume de notre concitoyen. Il n’a ni l’impartialité ni le recueillement de l’historien qui domine une époque pour la mieux juger. Aussi préférons-nous la deuxième partie où il s’agit des « œuvres » de Ducas-Hippolyte ! Là, M. Marcelin, bien inspiré par son sujet, a eu des touches heureuses ; bien souvent le lecteur, se transformant par la magie de l’écrivain, croit avoir vécu, lui aussi, dans l’intimité de ce jeune poète qui avait à un si haut point le don de se faire non-seulement admirer, mais aimer d’un attachement que n’a pu vaincre la mort, après un intervalle de dix ans.

« Devenu le critique de son ami qui n’est plus, M. Marcelin, animé par le désir d’immortaliser un nom cher à son cœur, a déployé un tact, une adresse admirable pour mettre en relief les qualités indiscutables dont était doué le jeune barde haïtien. Ici, le dévouement a servi l’art et l’a rehaussé de tout l’éclat que le sentiment donne à la pensée. À ce point de vue, M. Marcelin a plus que réussi, et c’était pour il lui l’essentiel ; car quoi qu’on dise des caprices de l’art, l’écrivain a un but vers lequel il tend par-dessus tout ; tous ses efforts ne se réunissent que pour produire certains effets arrêtés dans son esprit. Il s’agissait ici de faire partager son admiration et personne, après avoir lu son volume, ne peut rester indifférent au souvenir de Ducas-Hippolyte. Nous n’avons donc qu’à l’applaudir.

« Néanmoins, en ce moment ou la lutte, si ardente dans le pays, semble ne s’effectuer que dans le monde des idées, il n’est pas inutile que l’on cherche à voir quelles étaient les inclinations politiques de Ducas-Hippolyte. Cela est d’autant plus exigible que M. Marcelin présente le poète comme un type achevé de patriote éclairé, sincère et dévoué, voyant au-dessus des plus chères affections l’avancement du pays pour lequel il était prêt à toutes sortes de sacrifices.

« Ducas-Hippolyte, à la fin du règne de Geffrard est un libéral convaincu ; dans son enthousiasme pour la liberté et le progrès, il était arrivé à vouer un culte à tous les hommes qui, dans le temps, s’en faisaient les interprètes. Il voit tomber Geffrard et entonne un hymne où il glorifie la révolution du 8 mars. Le poète chante le réveil, il chante l’espérance. Mais arrive le général Salnave à Port-au-Prince ! arrive la fin tragique du général Montas ! et son âme s’assombrit ; de sa lyre muette il ne s’échappe plus d’accent. À la place de l’ardeur vient une prostration, un découragement concentré qui le mine insensiblement et le mène au tombeau, en proie à une fièvre ardente où la désillusion et la défaillance réduisent a l’impuissance l’art des plus habiles médecins…

« Quelle leçon pour la génération présente ! En effet, si les idées libérales ont eu une influence si malheureuse sur la destinée de ce jeune homme intelligent, à l’esprit si précoce, au cœur si vivace, c’est qu’il avait mal compris le libéralisme. Dans son élan de poétique patriotisme, il a trop attendu de certains hommes ; et quand il fut trompé dans sa confiance, au lieu d’abandonner ses anciennes idoles pour ne s’attacher qu’aux idées qu’il croyait sincères en elles, il aima mieux douter de tout.

« Fatal attachement ! La politique, quoi qu’on en dise, n’est pas une affaire de cœur et de sympathie personnelle, mais de raisonnement. Ce qu’on doit aimer dans un homme politique, ce n’est pas sa personne, mais bien ses idées ; cet amour des idées doit être entretenu avec un tel esprit de contrôle que l’on soit toujours prêt à condamner l’homme pour le salut des principes qu’on aime. Si Ducas-Hippolyte pensait ainsi, l’affaire Montas, au lieu de porter une atteinte funeste à son patriotisme blessé, l’eût encouragé dans la lutte : il eût pu mépriser les parjures sans être assujetti par cet orgueil malheureux dont parle M. Marcelin, lequel nous empêche de brûler au besoin le dieu que nous avons adoré, quand nous en reconnaissons la fausseté et la trahison. Mais ne condamnons pas le poète. À l’époque où il s’occupait de politique, les choses étaient couvertes d’une ombre qui ne permettait guère à l’esprit novice de bien distinguer la vraie route à suivre. Il a fallu mille leçons sanglantes et terribles pour faire germer la moralité des hommes aux prises avec l’action, en face des idées que l’on préconise.

« Autre est maintenant notre situation. Personne n’est sans expérience. Comme dit l’immortel Gœthe :

« Wer gestern und heut ’in diesen Tagen gelebt hat,
Hat schon Jahre gelebt : so drangen sich alle Geschichten
.

« Oui, celui qui dans les temps actuels a vécu hier et aujourd’hui, a vécu des siècles, tant les évènements se pressent.

« Il nous a été donné de tout voir, de tout comparer. Si jamais Ducas-Hippolyte, avec sa grande âme, avait résisté à cette affection morale qui l’a ravi au pays, à l’époque où il promettait tant de gloire à sa patrie, il pourrait devenir aujourd’hui un vrai libéral, c’est-à-dire il mettrait sa conviction non dans la loyauté ou l’infaillibilité d’un homme, mais dans la vérité même, dans l’immortalité des principes que proclame le libéralisme[3]. »

Dans cette citation un peu longue, ayant peut-être le caractère d’une digression, mais que j’ai préféré faire dans la crainte de me répéter inutilement, on trouve tous les détails propres à faire juger du caractère de Ducas-Hippolyte. Pour moi, j’admire jusqu’à quel point cette nature de l’homme noir qu’on dit complètement abrutie, a pu s’affiner, se transformer et devenir cette belle personnalité intellectuelle et morale, dont l’immortel jeune homme offrait l’exemple. La race capable de produire une telle organisation si fine et délicate, si bien adaptée aux nobles aspirations et aux grandes pensées, a bien le droit d’en être fière. Elle a bien le droit de se croire l’égale de toutes les autres, sans aucune fausse modestie et sans vanterie aucune. Dans ces temps-ci, où l’on voit tant de gens buvant à longs traits la honte et l’humiliation, sans une indignation virile, sans nul souci de la dignité humaine, il est bon de reposer ses regards sur cette belle conscience sereine, dévorée plus tard par la tristesse déprimante, engloutie dans le désespoir, mais planant toujours sur les hauteurs de l’idéal !

Un jeune noir qui est en ce moment à Paris, M. Emmanuel Edouard, écrit admirablement. Maniant la langue française avec un rare talent, tout ce qu’il produit est empreint d’un cachet d’originalité, de finesse et de facile élégance. Aussi peut-on le compter parmi les écrivains du plus bel avenir. Encore qu’il n’ait atteint que sa vingt-sixième année et ne soit venu en France qu’assez tard, il a déjà écrit plusieurs opuscules du plus vif intérêt. Les journaux les plus difficiles de Paris lui ouvrent leurs colonnes. Le Figaro dont la rédaction se compose d’une pépinière d’écrivains d’élite donne la meilleure preuve de l’estime qu’il fait des articles de M. Edouard, en leur accordant parfois l’honneur du premier Paris. Le fait est d’autant plus notable que le journal de M. Francis Magnard, ayant perdu quelque peu de son ancienne importance politique, est devenu, par contre, le plus littéraire des organes de la presse quotidienne de France.

Ce n’est pas seulement en prose que la plume du jeune écrivain s’exerce. Il a également essayé la lyre du poète et, là aussi, il a deviné tous les secrets de l’instrument merveilleux qui est le vers français. Toutes les pensées les plus élevées ou les plus tendres, toutes les émotions les plus délicates du cœur, joie ou tristesse, enthousiasme ou défaillance, y trouvent un accent qui les traduit et les idéalise. Sans doute, on ne découvre dans les poésies de M. Edouard aucune de ces inspirations purement nationales, qui reflètent les images du pays natal ou les premières impressions qui ont agité l’âme du poète. Dans toutes ses compositions il reste toujours européen ; cela est si vrai qu’en le lisant, on ne se rappelle plus qu’on a entre les mains l’œuvre d’un petit-fils d’Africain.

Malgré le charme d’hilarité que l’étranger éprouverait à le voir imiter en ses vers le son du bamboula et décrire l’agilité de la fringante créole, dont « la croupe se recourbe en replis gracieux », le poète noir n’a pas cherché ce genre de succès. Peut-être y aurait-il trouvé des notes admirables de fraîcheur et de coloris, ou son talent poétique se montrerait en plein relief ; mais il n’a pas voulu. Est-ce pudeur ou plutôt est-ce oubli ? Personne ne prononcera. Si toutes les libertés sont respectables, celle du poète est surtout sacrée. La pensée doit être libre comme l’air. Spiritus flat ubi vult.

M. Léo Quesnel, qui soutient d’une manière spéciale et personnelle la thèse de l’inégalité des races humaines, tout en reconnaissant le mérite de notre jeune poète ; lui reproche cette absence de couleur locale que notre critique confond avec le manque d’originalité. En citant une phrase où l’un des Haïtiens les plus intelligents, Geoffrin Lopez, critiquait avec exagération le peu de goût que montrent ses compatriotes pour les études sérieuses, l’écrivain de la Revue politique ajoute en note : « À tout il y a des exceptions. Un jeune Haïtien, M. Emmanuel Edouard, vient de publier chez Dentu les Rimes haïtiennes qui sont empreintes d’une sensibilité profonde ; la facture est harmonieuse. On n’y trouve pas la saveur d’originalité qu’on aurait pu désirer ; mais on le sait, il ne faut pas demander cette qualité aux nègres. M. Emmanuel Edouard n’en a pas moins un talent véritable, fait de tristesse et de facilité[4]. »

Je ne sais jusqu’à quel point on peut rencontrer de l’originalité dans les productions variées de M. Quesnel ; mais il est certainement un original. Aussi, sans faire de son suffrage plus de cas qu’il ne faut, je remarque simplement l’hommage qu’il a été forcé de rendre au talent du poète haïtien. Au surplus, cette saveur d’originalité qu’aurait pu désirer le lecteur français n’est nullement absente du recueil de poésie publié par M. Edouard. Sans le céder en rien pour la facture savante et harmonieuse du vers français qu’il sait tourner merveilleusement, le poète ne se laisse jamais prendre en flagrante imitation d’un maître quelconque de l’art, pas plus Théodore de Banville que Coppée ou Victor Hugo. Ses petites poésies fugitives, où la muse insouciante et légère joue à la désillusion et à l’ennui précoce de la vie, tout en ayant un vague reflet de Musset ou de Byron, sont plutôt faites à la manière spirituelle et délicate des odes d’Horace. Courtes, gentiment ciselées, d’une accortise parfaite dans leur allure, elles font bien l’effet de ces petites compositions poétiques, au mètre varié, que burinait de son fin stylet l’amant de l’inconstante Néère ou de la pétulante Lydie.

Le poète se plaint de l’infidélité de ses maîtresses et dépeint son désespoir avec des accents qu’on dirait sortis d’un cœur à jamais brisé. Tout cela se colore en teinte sombre et prend tous les dehors d’une profonde tristesse. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Ce n’est pas cette tristesse accablante et maladive que l’on trouve dans les poésies de Gilbert, ou même de Millevoye et d’Hégésippe Moreau. Il chante ses douleurs pour se distraire ; sa souffrance parfois vibrante et sincère est le plus souvent un jeu d’artiste. Il la caresse délicatement, en jouissant de ses propres émotions ; il le dit bien :

« … Toutes les souffrances
Que j’éprouve en voyant crouler mes espérances,
Je sais les transformer en vers mélodieux. »


Choisissons plutôt dans la corbeille poétique de M. Emmanuel Edouard quelques bouquets qui feront mieux apprécier son talent que la meilleure analyse.

Il faut prendre, par exemple, la gentille pièce intitulée Étrennes et adressée à Félicie. Elle n’est pas bien longue : douze vers seulement ; mais la touche en est si légère, la facture si élégante qu’elle suffirait seule pour faire pressentir le talent du jeune poète :


ÉTRENNES.

À FÉLICIE.

« Rossignol, je voudrais, à l’heure où tout sommeille,
D’accords mélodieux réjouir ton oreille ;
Cygne, au lieu de chanter aux seuls bords du tombeau,
Je charmerais tes jours de mon chant le plus beau ;

Abeille, on me verrait, sur ta bouche mi-close,
Déposer triomphant les parfums de la rose ;
Luciole, j’irais, d’un vol capricieux,
M’offrir comme flambeau, la nuit, à tes beaux yeux ;

Roi, pour te voir sourire, ô ma trop belle idole,
J’arroserais tes pieds des flots d’or du Pactole ;
Dieu, pour te disputer au sombre esprit du mal,
Oh ! je prodiguerais mon tonnerre fatal !


Notre jeune compatriote excelle dans ce genre où il reste toujours poète. Il ne prend jamais le ton du barde inspiré, ton qui a sans doute sa grandeur, mais qu’il est si difficile de soutenir avec quelque originalité, à côté des superbes et magnifiques coups d’aile d’Hugo. Plus humble, il ne fait que s’amuser dans ces riens adorables qui ont un charme profond et pénétrant, quand l’imagination sait si bien les transformer en mille fantaisies brillantes.

Voici la poésie qui ferme le petit volume de M. Edouard. C’est une postface si élégamment tournée qu’elle donne l’envie de recommencer la lecture du précieux ouvrage que l’on a déjà parcouru sans fatigue, d’un bout à l’autre.


FEMMES ET POÈTES.

AU LECTEUR.

Les femmes ou brunes ou blondes,
Savent, en tout pays, presque sans nul effort,
De certaines mines profondes
Tirer le diamant et l’or.

Chaque fois qu’à ces jeux, experte, incomparable,
Une d’elles se livre, on voit, suivant ses pas,
Quelque poète misérable
Ensorcelé par ses appas,

Tout en la contemplant, le poète ramasse
Le métal précieux que sa petite main
Ne peut pas contenir, et tout ce qu’elle casse
Et jette, pour Jouer, tout le long du chemin.

Quand le jour arrive où la mine
Ne produit plus grand`chose, elle court, en riant,
Chercher une autre mine ou lointaine ou voisine.
Rien ne vaut à ses yeux ce manège charmant.

Le poète alors seul admire les richesses
Qu’il se fit, en suivant les vierges sans soucis,
Fatales, dont il faut redouter les tendresses ;
Il les cache ou, tout fier, les montre à ses amis.

Toutes ces mines que les femmes
Vont ruinant, pour s’amuser,
Ce sont nos cœurs, ce sont nos âmes !
O femme ! de quel prix payons-nous ton baiser !

Ces vers qu’avec amour je regarde et caresse,

De mon cœur, tout vidé, c’est ce qui m’est resté :
Ce livre qu’au hasard vous avez feuilleté
Peut-être avec ennui, lecteur, c’est ma jeunesse.

À part Ducas-Hippolyte et Emmanuel Édouard, on compte en Haïti toute une pléiade de Jeunes poètes dont le front noir est tout aussi gracieusement caressé par la muse que le front blanc du chantre caucasien. Mais ils se croient si peu des Victor Hugo que, le plus souvent, ils sont incapables de surmonter la timidité que l’on éprouve à affronter la rude épreuve de la publicité. La plupart ont pourtant un talent réel et on ne s’aventure aucunement en affirmant que, s’ils avaient le courage d’oser, le plus grand succès couronnerait parfois leurs essais.

Citons, entre autres, M. Tertulien Guilbaud : c’est un esprit distingué, une organisation d’élite.

Ce jeune noir dont le goût littéraire s’est développé dans la meilleure proportion, réunit à une grande pureté de diction des pensées délicates, une expression à la fois claire, précise et gracieuse. Aussi son style est-il un vrai modèle. Ces qualités sont tellement saillantes dans tout ce qu’écrit M. Guilbaud, que tous ses émules, anciens condisciples ou amis de jeunesse, ont toujours fait de lui leur Aristarque écouté.

Jusqu’ici, notre sympathique compatriote ne connaît point l’Europe[5]. Il a fait toutes ses études en Haïti, mais il les a faites complètement, consciencieusement. Un trait distinctif en lui, c’est le besoin de perfection qui ne le laisse jamais tranquille. Il s’en occupe à ce point qu’il travaille constamment, étudiant les maîtres de la langue dans leurs procédés les plus intimes, s’ingéniant toujours à surprendre leurs secrets, afin de s’assimiler tous les moyens à l’aide desquels ils produisent ces effets de style magnifiques qui portent le comble à notre admiration et semblent défier toute imitation. Par cette étude persévérante, soutenue, M. Guilbaud est parvenu à se rendre familiers les tours les plus difficiles et les plus délicats de la phraséologie française qu’il manie avec une parfaite aisance. Il a été le rédacteur en chef d’un journal paraissant à Port de Paix, sa ville natale. Encore bien que cette publication n’ait pas eu une longue durée, elle a suffi pour mettre en évidence toutes les aptitudes du jeune écrivain. Du premier coup, il avait montré avec quelle adresse il sait tenir une plume et quelle ressource il sait en tirer. Merveilleuse, en effet, était la forme de tous ses articles. Tous ceux qui savent apprécier l’art de bien dire, art si précieux et rares eurent l’attention tournée vers cette nouvelle intelligence qui venait de se manifester avec une exubérance harmonieusement tempérée par le travail et l’étude.

Depuis, M. Guilbaud a beaucoup écrit : ce sont des discours ou d’autres compositions littéraires ou brille toujours sa plume si élégante ; mais il n’y a jusqu’ici que ses intimes qui aient le bonheur de jouir du charme exquis de ces diverses productions.

Je l’avoue volontiers, j’ai toujours vu avec un vrai sentiment d’orgueil ce jeune écrivain dont les talents incontestables, l’esprit charmant et fin sont une protestation si éloquente contre la doctrine de linégalité des races humaines. Pour qu’une doctrine tellement ridicule, même comme simple opinion, ait pu se perpétuer au milieu de tant d’hommes décorés du titre de savants, il faut bien qu’ils n’aient jamais eu en présence de tels exemples. Aussi fais-je le vœu que se réalise la décision qui a été prise par les Chambres d’Haïti d’envoyer en Europe M. Guilbaud et M. Magloire, un autre jeune noir dont j’aurai l’occasion de parler[6]. Sans doute, tous ces échantillons de la race noire d’Haïti, dont les apparitions successives et multipliées sont un signe visible de la régénération du sang africain, viendront se perdre dans les flots de l’immense population parisienne où tout le monde s’agite, remue la matière et les idées dans un labeur sans fin. Mais qui sait quelle révolution ne s’accomplirait pas dans l’esprit du monde européen si, de temps à autre, on rencontrait des Noirs tels que ceux-là, si bien faits pour détruire les prétentions que la race caucasique affiche au monopole de l’intelligence et de toutes les aptitudes supérieures ?

On assure, dans les journaux d’Haïti, que M. Guilbaud va publier prochainement un volume de poésies et d’autres travaux littéraires en prose[7]. Qu’il le fasse donc ! En agissant ainsi, il trouvera le meilleur moyen de juger de ses forces et d’apprécier le résultat obtenu dans le travail solitaire du cabinet. La publicité est une grande épreuve ; mais c’est aussi une grande école. Lorsqu’on a les qualités solides que fait briller l’esprit de notre jeune écrivain, on gagne certainement à affronter ces passes difficiles où les faibles succombent, mais d’où sortent les forts avec la palme du triomphe et de la gloire.

Je serais particulièrement heureux d’avoir sous les yeux le recueil de poésies ou les compositions en prose de M. Guilbaud. Ne pouvant choisir, je suis obligé de me contenter de ce qui me tombe sous la main. Ce sont des vers écrits en 1883 et adressés à M. J.-J. Chancy, un autre jeune Haïtien des plus intelligents. Encore que cette poésie ne soit pas très brillante par la facture et donnerait une idée fort insuffisante du talent de M. Guilbaud, dont le faire est vraiment merveilleux dans toutes les pièces ou il veut se montrer artiste, le fond me plaît infiniment. Ce sont les paroles prononcées par Toussaint-Louverture, en 1802, à l’aspect de la flotte française, transportant en Haïti l’expédition Leclerc. Sa qualité supérieure consiste dans la précision et la couleur historique qu’y a répandues le jeune poète. Aucun historien ne présenterait autrement cette grande figure de Toussaint-Louverture, dominant l’Océan, dévorant dans son cœur les angoisses du patriotisme. C’est un tableau saisissant qu’un de nos peintres d’avenir aura un jour à fixer en traits superbes sur sa toile d’artiste.


TOUSSAINT-LOUVERTURE
À l’aspect de la flotte française (1802).

à mon ami J.-J. Chancy.

« Pleurer lorsque tout rit, pleurer lorsque tout chante ;
Comprimer dans son cœur les grands, les fiers élans,
Sentir toujours du fouet la morsure à ses flancs,
Sous la main du bourreau si froidement méchante !

« Pleurer en étouffant jusqu’au moindre sanglot,
— Car du maître la joie en fut empoisonnée, —
De l’esclave africain telle est la destinée
Et, je m’en souviens bien, tel fut aussi mon lot !

« Alors que tout redit la chanson de la vie,
Lui, chante à demi-voix le refrain de la mort ;
Être dégradé, rien, ni vertu ni remord,
N’élève plus la voix dans son âme asservie.

« Qu’est-ce pour lui mourir, lui qui meurt tant de fois
En un jour ?… Dans sa femme aux durs labeurs rivée,
Dont le sein fécondé, sous la rude corvée
Voit tomber son doux fruit non mûri par les mois ;

« Dans sa fille qu’il voit, sous ses yeux avilie,
Perdre aux baisers impurs sa native couleur,
Son sourire divin, comme une exquise fleur,
Sous le souffle brutal chiffonnée et pâlie !

« Jamais la douce voix de la fraternité
Ne vient d’un mot d’espoir consoler sa tristesse ;
Pour lui n’existe point cette suave ivresse,
Ces longs ravissements de la paternité !…

« Le seigneur me tira, comme autrefois Moïse,
De ces bas-fonds impurs où l’esclave croupit ;
Et j’ai pour mission, dans son cœur assoupi,
D`éveiller ces vertus dont la flamme électrise.

« J’ai déjà vu finir les injustes tourments ;
Déjà j’ai vu les miens redresser haut la tête :
Déjà la liberté, leur sublime conquête,
Trouble leur sein ravi de longs frémissements…

« Et quel tyran, frappé d’une étrange démence,
Pense encor retrouver des êtres tout tremblants
Dans un peuple grandi jusqu’au niveau des blancs,
Rêvant un destin grand comme le ciel immense ?…

« Ah ! ce n’est que trop vrai, ces vaisseaux que je vois,
Ces vaisseaux dans leurs flancs ramènent l’Esclavage…
Se peut-il qu’en nos champs du commandeur sauvage
Vienne encore tonner l’épouvantable voix ?

« Se peut-il que du bruit des chaînes que l’on rive
Résonne encor l’écho de nos vallons en fleurs ?
Se peut-il que devant un destin gros de pleurs
Mon esprit flotte, ainsi qu’un navire en dérive ?

« Oh non, Je combattrai. Les despotes m’ont dit :
« Sur votre front pleuvront les faveurs de la France »…
Mais des Noirs dans ma main je tiens la délivrance :
Si je trahis leur droit, je veux être maudit !

« Rangez·vous sous mon bras, nobles fils de l’Afrique !
Dites si vous voyez pâlir notre flambeau
— « Non, ce n’est qu’une éclipse, il renaîtra plus beau ! »…
Oh ! Je sais que grande est leur force numérique,

« Grande aussi leur valeur ! Ces farouches guerriers
Qui savent à les suivre obliger la victoire,
Sans doute, en s’éloignant des rives de la Loire,
À leur patrie ont dit : — « Tressez-nous des lauriers ! »

« Pourtant je ne crains pas, en leur livrant bataille,
De hâter pour les Noirs l’heure du talion,
D’opposer ma poitrine à ces cœurs de lion,
À ces soldats géants de mesurer ma taille !

« J’ai foi dans mon étoile, et je serai vainqueur.
Quand le péril lui jette un défi gros d’orages,
L’homme dont le cœur passe en hauteur les outrages,
Voit sa taille grandir au niveau de son cœur…

« Malheur à qui s`avance en nos gorges profondes !
Dans nos vastes projets, j’ai pour complice… Dieu !
Et je sens bouillonner dans mes veines en feu
Ce pouvoir créateur qui fait surgir des mondes ! »


Plusieurs jeunes noirs tels que Turenne Leconte ; Jean Simon, du Cap-Haïtien, Dantès Dujour, Innocent, M. Pierre fils, du Port-au-Prince, et tant d’autres dont le nom m’échappe, ont publié des essais où se découvre le germe de bien des talents destinés a se développer dans l’avenir ; mais il leur manque encore cette maturité ou bien cette entière floraison de l’esprit qui donne les signes certains auxquels se devinent les qualités de l’arbre ; aussi n’en fais-je mention ici que pour les engager à travailler et à répandre autour d’eux cette émulation généreuse qui pousse aux efforts et développe le mérite. Que chacun d’eux se rappelle qu’une race ne monte, ne grandit que par la vertu, les talents et la science de ceux qui en sont les représentants !

À part la littérature, les noirs d’Haïti se sont exercés dans presque tous les genres de travaux intellectuels ; aussi dans une dizaine d’années, y rencontrera-t-on des spécialistes distingués dans chaque branche de la science. Je passerais volontiers des littérateurs aux juris-consultes, mais il faut avouer que, pour le droit, on ne peut citer beaucoup de noirs haïtiens ayant une vocation sérieuse. Cependant M. Emmanuel Edouard, le jeune et sympathique poète que le lecteur connaît déjà, est un étudiant en droit de la Faculté de Paris, où il prépare actuellement son examen de licence. Cette rareté des noirs haïtiens a l’École de droit est infiniment regrettable ; mais elle ne prouve nullement que létude des lois soit inaccessible à leur intelligence. C’est une simple question de circonstances. La plupart des familles noires qui auraient pu envoyer leurs enfants en France, dans le but d’en faire des avocats ou des juristes, n’ont pas jusqu’ici pensé à l’excellence d’une telle carrière.

C’est ainsi que plusieurs noirs qui ont achevé leurs études classiques à Paris, ayant pu obtenir le diplôme de bachelier ès-lettres, en sont restés là, encore que toutes leurs aspirations dussent les amener à cultiver la science du droit, ou ils remporteraient certainement les mêmes palmes déjà cueillies dans les champs de l’enseignement secondaire. Citons, entre autres, MM. Guillaume Manigat et François Manigat, bacheliers ès-lettres, dont l’intelligence a reçu tout le développement qu’il est logique d’attendre des connaissances classiques. Ils se sont malheureusement arrêtés à cette première étape, sans penser à aborder les études de l’enseignement supérieur. Il est pourtant certain, que leur esprit déjà ouvert à toutes les conceptions, par les études philosophiques qui ferment le programme des lycées, n’éprouverait aucune difficulté à s’assimiler les connaissances nécessaires pour se présenter aux examens de l’École de droit.

Je souhaite que mes compatriotes de la race noire d’Haïti tournent leur activité intellectuelle vers cette branche des connaissances humaines qui est, pour ainsi dire, le couronnement de toutes les autres. La chose est d’autant plus digne de leur ambition, que pour bien posséder la science du droit et en tirer tous les fruits possibles, il faut avoir parcouru toutes les autres sphères de la connaissance, ainsi que l’illustre Lachaud en a pu fournir l’étonnant et magnifique exemple. C’est ce qui découle, d’ailleurs, de la hiérarchisation positive des embranchements scientifiques où la sociologie vient au-dessus de toutes les autres sciences. Or, le droit domine la sociologie elle-même, en lui imprimant une direction constante et générale.

C’est surtout à ceux qui ambitionnent la gloire de conduire les peuples à la réalisation de leur destinée que l’étude du droit est indispensable. Elle seule forme l’éducation de l’esprit, telle qu’on l’attend des vrais hommes d’État ; car elle apprend naturellement, sans qu’on y pense, le respect de la personnalité humaine, la valeur de la liberté individuelle et la nécessité d’un ordre de choses où règne la légalité, base sans laquelle il n’y a aucune sécurité ni pour les personnes, ni pour les intérêts. C’est à l’ombre des ces principes de justice éternelle que les peuples édifient une civilisation solide et accomplissent leur régénération. En leur absence, c’est l’arbitraire qui règne ; et l’arbitraire n’a jamais créé rien qui fut capable de survivre a la force brutale qui l’avait imposé !

Haïti est, selon l’expression un peu forte du docteur Janvier, « un champ d’expérimentation sociologique ». C’est donc là que l’on doit essentiellement se préoccuper de tous les moyens qui concourent au développement intellectuel, moral et physique d’une race. Parmi ces moyens, y en a-t-il de plus salutaires que les mœurs légales, la pratique régulière de la justice distributive qui fait traiter chacun selon son mérite ? Y en a-t-il de meilleurs qu’un régime de liberté pondérée qui laisse aux caractères indépendants toute la faculté de s’affirmer, sans qu’un despotisme inconscient vienne leur imposer un moule commun qui est la négation de toute individualité, l’effacement de toute responsabilité morale et, par conséquent, la mutilation de tout organisme social ? On ne peut concevoir une évolution naturelle, sans que l’énergie organique qui y préside soit dégagée de tout obstacle extérieur ; on ne conçoit pas davantage une évolution sociale sans la liberté. Évoluer, c’est se différencier ; c’est passer d’un état inférieur à un autre plus élevé, par l’action d’une force interne, inhérente à la nature de tout être animé. Dans l’homme qui évolue socialement, cette force interne n’est autre chose que la volonté.

Comment cette volonté persévérante et autonome pourrait-elle jamais se concilier avec la compression systématique qui brise et annule toute activité morale ?… Haïti est « un champ d’expérimentation sociologique » : peut-être vaudrait-il mieux dire observation ! Car en sociologie, les choses ne se passent pas comme dans les sciences naturelles et biologiques, ou l’expérimentateur est un autre que l’expérimenté et opère sur des êtres inférieurs. L’erreur sur les termes, déterminant l’erreur sur les méthodes, est parfois de la plus malheureuse influence sur la logique de l’esprit. Si on veut expérimenter en politique, au lieu d’observer, on tombe immédiatement dans les aberrations phalanstériennes où le niveau égalitaire ne remplace la liberté absente que par les caprices tyranniques de l’organisateur. Qu’il soit un Fourrier ou un Bonaparte, peu importe. En un mot, la méthode biologique, transportée dans le régime politique et administratif d’une société humaine, serait destructive de toute spontanéité, de tout progrès et hautement nuisible à ce besoin d’expansion et de transformation que tout peuple jeune ressent invinciblement à certaine heure de son développement national. Je crois fermement que la race noire d’Haïti est destinée à s’améliorer, à grandir sans cesse en beauté et en intelligence. Tout effort qui tend à son relèvement est pour moi deux fois sacré, parce qu’il répond à mes convictions scientifiques, à mes aspirations politiques et patriotiques. Mais qu’on se le rappelle donc ! Il n’y a de relèvement réel que celui qui s’opère par l’affranchissement de la pensée et la libre manifestation des grands caractères.

« On n’élève pas les âmes sans les affranchir », dit Guizot. Voilà des paroles sur lesquelles je demande qu’on réfléchisse en Haïti, et je le dis avec toute la droiture de mon esprit et toute la sincérité de mon cœur. Or, c’est par l’étude du droit, c’est à l’aide des principes supérieurs qu’elle développe dans l’intelligence avide de lumières, qu’on arrive à se familiariser avec ces idées vraiment civilisatrices.

Le cœur éclate parfois ; alors on se laisse aller à des mouvements irrésistibles. Mais en m’appesantissant sur ce point, je n’ai nullement l’intention de sortir de l’esprit dans lequel cet ouvrage a été conçu, pour faire une course insolite dans un domaine étranger à l’objet de ma thèse. Il faut que les Noirs d’Haïti sachent que ceux qui argumentent contre l’égalité des races ne nient pas seulement l’aptitude de l’Éthiopien à s’occuper des sciences transcendantes ; mais aussi et surtout, ils lui reprochent une incapacité organique de s’élever aux idées du juste et de l’injuste, incapacité qui se traduirait en mépris habituel du droit et des conventions, dans les relations civiles et internationales, et en despotisme systématique, dans les relations politiques. Cette prévention enracinée dans l’esprit des Européens explique bien des procédés sommaires qu’ils emploient au lieu des mesures diplomatiques, toutes les fois qu’ils se trouvent en face d’un peuple qu’ils considèrent comme d’une race inférieure. Aussi leurs historiens ou leurs publicistes manquent-ils rarement de présenter l’argument de l’inégalité des races comme justifiant la conduite irrégulière qu’ils tiennent en pareil cas. Sans doute y a-t-il là une logique fausse, abusive et dont l’inconséquence saute aux yeux ; mais aussi n’est-ce pas une raison pour qu’un tout jeune peuple fasse disparaître complètement de ses mœurs politiques les coutumes qui ne sont souvent que la tare d’une malheureuse hérédité[8].

Certainement, tout le temps que le monde existera et que les opinions pourront s’exprimer librement, la vieille controverse de la liberté et de l’autorité continuera à défrayer les discussions spéculatives ou politiques, sans que l’un des deux principes soit complètement annulé par l’autre. C’est là une antinomie nécessaire et dont résulte la plus grande harmonie sociale ; car les tendances divergentes finissent toujours par se faire équilibre. Mais la philosophie de l’histoire prouve que c’est vers la liberté que penche la balance, à mesure que l’on grandit en civilisation ; aussi bien, chaque fois qu’un recul vers l’autoritarisme despotique se manifeste au sein d’une société grandissante, il s’ensuit fatalement une dépression pénible de l’organisme social qui est comme brisé et endolori.

Que l’on se passionne donc pour le droit, et qu’on s’en occupe plus soucieusement, en l’étudiant avec autant de soin, autant d’assiduité que les autres branches des connaissances humaines ! Je le répète, ce n’est pas le sens juridique qui manque au noir. Comme l’homme de toutes les autres races, il conçoit le juste et l’injuste ; et son esprit est capable de s’ouvrir à toutes les distinctions délicates qui peuvent lui être présentées dans les controverses les plus ardues de la jurisprudence. C’est plutôt la culture, la vulgarisation des notions juridiques qui manquent à ces têtes brûlées, lesquelles voudraient tout ajuster à leurs conceptions ou à leurs volontés, sans se rappeler les tempéraments qu’il faut avoir en face de conceptions ou de volontés tout aussi respectables, étant la manifestation de la personnalité humaine !

Pour preuve, on n’a qu’a nommer les noirs de la République haïtienne qui, sans être venus s’initier aux savantes leçons des Facultés de droit de l’Europe, sont parvenus à une compétence supérieure dans la science qui nous intéresse actuellement.

Je citerai M. Boco, né en Afrique, élevé en Angleterre et naturalisé haïtien depuis une cinquantaine d’années. Il est un exemple frappant de l’aptitude merveilleuse de l’homme noir à s’assimiler des connaissances spéciales dans toutes les sphères intellectuelles. Ayant parcouru tous les degrés de la carrière judiciaire, il est arrivé à présider le tribunal de cassation de la République, poussé par les seuls titres de son savoir qui grandissait avec ses différentes positions.

On pourrait placer tout près de lui un magistrat qui était aussi capable que modeste : c’est feu Desravines, ancien juge au tribunal de cassation de la République, dont la vie s’est éteinte dans le silence, après une carrière des mieux remplies.

Je connais personnellement un magistrat noir du plus beau caractère, c’est M. Delord Étienne, président du tribunal civil du Cap-Haïtien. Avocat au barreau de cette dernière ville, où j’ai exercé pendant plus de cinq ans, j’ai pu apprécier, d’une façon directe et positive, la haute intelligence que ce juge déploie dans la solution de toutes les difficultés doctrinales ou jurisprudentielles qui peuvent se présenter dans les débats qu’il préside.

M. Delord Étienne ne se contente pas de ces connaissances pratiques qui suffisent au juge pour s’orienter à travers les controverses et les argumentations des parties. Il travaille à l’égal des avocats eux-mêmes, remuant les principes de droit et discutant les théories avec une aisance étonnante, quand on pense qu’il n’a jamais eu, de maître et qu’il a dû, en travaillant dans la sphère de la philosophie du droit, se heurter à chaque instant contre des notions de métaphysique qu’il faut élucider avant de continuer. Mais aussi est-il constamment à la tâche, sans fatigue ni dégoût, faisant dix fois plus qu’on ne pourrait lui demander, afin d’être sûr de tenir haut et respecté son caractère de magistrat. C’est peut-être une affaire de vocation ; mais elle est fièrement belle, ainsi agissante et fructueuse. Il m’est bien doux de citer ici, comme exemple, cet homme honorable et intelligent, dont les pareils font a eux seuls la gloire et l’espérance de la race à laquelle ils appartiennent. Puissent ces paroles lui arriver comme une faible compensation de tant d’efforts et de noble constance consacrés à une carrière épineuse, où toutes les joies et toutes les satisfactions se concentrent dans le seul témoignage de la conscience ! On ne peut citer qu’un seul essai tenté par un noir d’Haïti dans le genre historique. C’est la Vie de Pétion écrite par Saladin Lamour. Cette biographie est bien loin d’avoir la perfection de style et la savante disposition qu’on trouve dans l’ouvrage de M. Saint-Rémy, homme de couleur dont j’ai déjà fait mention. Le biographe noir n’avait d’ailleurs pas reçu une instruction classique bien étendue ni bien soignée. Recruté, pour le service militaire a l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, il n’a été mis à même de cultiver et développer son esprit qu’avec la protection de Pétion qui, ayant remarqué sa vive intelligence, le détacha de l’armée et fit soigner son éducation. Or, en ces temps-là, le pays n’avait que rarement des maîtres d’une capacité supérieure. Mais si l’on ne peut citer l’œuvre de Saladin Lamour comme un modèle remarquable au point de vue du talent, on doit la mentionner comme un bel exemple de la reconnaissance qu’un écrivain spirituel a nommée une « vertu noire ». Il avait aussi parcouru la carrière de la magistrature et fut un homme politique d’une tenue irréprochable.

Il faut ajouter, pour les sciences historiques, le nom de M. Dantès Fortunat, jeune noir écrivant parfaitement bien, mais s’occupant exclusivement des études géographiques. C’est une branche du savoir humain qui réclame la réunion de nombreuses connaissances, acquises tant dans les écoles que dans voyages ; mais quand on a l’âge de M. Fortunat et que l’on se sent une vocation décidée, ce ne sont pas les difficultés qui attirent le moins.

À Port-au-Prince, on rencontre plusieurs noirs docteurs en médecine de la Faculté de Paris. M. Coicou, noir aussi, a étudié dans les écoles supérieures de pharmacie de Paris, d’où il est sorti pharmacien de première classe.

Il faut faire une mention particulière de M. Tacite Lamothe. Ce médecin noir, d’une intelligence fort remarquable, est aussi bon clinicien qu’il est entendu dans toutes les questions théoriques, sans lesquelles on tombe forcément dans l’empirisme et procède à l’aveuglette dans une profession où la science ne peut jamais s’élever trop haut. Abonné à toutes les publications médicales de la France, il suit avec attention les progrès de sa science et ne néglige aucun fait digne d’être étudié. Ajoutant à ce travail consciencieux l’habitude de revenir tous les deux ans à Paris, après y avoir couronné ses études, il se tient facilement au courant des nouvelles applications soit de la thérapeutique, soit de la chirurgie.

Tous les émules du docteur Baron, également noir et médecin de la Faculté de Paris, se réunissent à certifier ses belles aptitudes ; mais n’ayant pas l’honneur de le connaître plus particulièrement, je n’en puis faire une appréciation positive. Combien d’autres n’en offrent pas le même exemple ! Mais il est impossible de les nommer tous.

Quant à M. Janvier, il suffirait, à lui seul, pour prouver à quel point l’intelligence de l’homme noir peut s’élever dans les hautes régions de l’esprit.

Envoyé à Paris par le gouvernement haïtien pour continuer les études médicales commencées dans son pays, il a fait preuve d’une application et d’une vivacité de conception qui étonnèrent ses maîtres, dès sa première année scolaire. Sans avoir manqué un seul de ses examens, il fut reçu docteur en médecine de la Faculté de Paris, en 1881. Dans la soutenance de sa thèse, qui se déroule sur la prophylaxie de la phtisie pulmonaire, il déploya une telle érudition et fit preuve d’une si parfaite intelligence du sujet, que la Faculté dut lui décerner une mention honorable.

M. Janvier ne quitta les amphithéâtres de l’École de médecine que pour aller se mettre sur les bancs de l’École libre des sciences politiques, où il obtint les mêmes succès que dans les sciences médicales. Aux époques réglementaires, il s’est présenté aux examens et en est sorti avec un diplôme qui justifie de ses aptitudes dans les sciences administratives. Je crois qu’il suit en ce moment les cours de la section de diplomatie où il aura sûrement les mêmes résultats.

M. Janvier a ce caractère particulier : il semble qu’il voudrait rester toute sa vie à l’école ; pourtant, dans ses écrits, il ne respire que l’action. D’aucuns peuvent y voir la manie des diplômes poussée à une certaine exagération ; mais c’est à un autre point de vue que je considère sa conduite. Il a sans doute pour objectif de prouver, par son exemple, la grande élasticité qu’a le cerveau de l’homme noir et la facilité qu’a son esprit de se plier à tous les genres de connaissances, sans aucune fatigue. Comme telle, son expérience a une haute et incontestable valeur ; et son pays n’a pas à regretter les dépenses faites pour l’entretenir à l’étranger. Au contraire, je voudrais voir le gouvernement d’Haïti appliquer la même mesure en faveur de quantité de jeunes gens noirs qui n’ont pas les moyens suffisants pour se rendre en Europe, mais qui, avantagés comme notre remarquable compatriote, offriraient certainement un résultat notable, en élargissant le champ de l’observation ! Ce vœu est un hommage rendu à l’activité intellectuelle de M. Janvier. Je ne doute nullement qu’il ne fût heureux d’avoir beaucoup plus d’émules noirs dans la carrière studieuse qu’il parcourt si brillamment ; car personne, mieux que lui, ne donne un démenti formel à toutes les doctrines qui tendent à établir une hiérarchie basée sur la différence intellectuelle des races humaines.

À part sa thèse doctorale, M. Janvier a écrit plusieurs ouvrages où il fait toujours preuve de connaissances variées et d’une érudition peu commune.

Il a collaboré, en 1882, à la rédaction d’un petit volume remarquable, précieux et qui doit faire époque. Je veux parler des « Détracteurs de la race noire ». Ce livre qui est une improvisation écrite avec le feu du patriotisme et la confiance imposante qu’inspire la conviction du droit et de la raison, est par-dessus tout une œuvre méritoire ; il fait infiniment d’honneur à tous ceux qui y ont concouru. C’est, avec M. Janvier, MM. Justin Devost, Jules Auguste, Clément Denis et Arthur Bowler, pléiade d’intelligences, où Haïti trouvera les meilleurs ouvriers pour l’œuvre de progrès et de civilisation qu’elle doit réaliser dans l’archipel antillien. Hélas ! Clément Denis ne devait pas vivre longtemps, lui, dont l’esprit pétulant électrisait toute la fière milice dans ce bon combat qu’elle a combattu au nom i de la vérité et de la justice !

Plus tard, vers la fin de la même année, M. Janvier a publié, seul, un volume de plus de six cents pages in-8o, Haïti et ses visiteurs, dont plusieurs journaux parisiens ont parlé en termes fort élogieux. Là, profitant de quelques articles maladroits de M. Cochinat, il entreprit de justifier son pays de toutes les calomnies dont il a été l’objet et dont le principal mobile est ce sot préjugé par lequel on prétend qu’un peuple noir est incapable de se civiliser à l’état indépendant, vu l’infériorité morale et intellectuelle de la race africaine. La leçon fut rude, excessive ; mais la fibre patriotique, mise en branle, montra en M. Janvier un lutteur habile et terrible, se servant de toutes les armes, frappant sans pitié ni mesure l’adversaire éreinté.

Après ce volume, notre intelligent champion a écrit de nombreux articles tant politiques que littéraires dans les divers organes de la presse parisienne. Il a publié une suite de petites brochures d’un style acéré et souvent acerbe, en forme de pamphlet, où il développe des théories que je n’ai pas à analyser ici. Quelle que soit l’opinion que l’on ait de ses idées, il faut admettre qu’il sait les défendre avec adresse et met à leur service autant de talent que d’activité.

M. Janvier n’a que trente ans et c’est déjà un des Haïtiens qui ont le plus écrit. Il ne perd pas une ligne de ses productions et met un soin particulier à les faire rééditer. C’est ainsi qu’il a collectionné tous ses articles publiés dans les différents journaux de Paris, lors de la dernière insurrection haïtienne, en faisant une brochure assez volumineuse intitulée : Les affaires d’Haïti !… Je cite tous ces faits pour mieux mettre en saillie le caractère de mon intéressant compatriote et congénère. C’est qu’il ne travaille pas à la légère, mais vise Surtout à conquérir une situation à laquelle ses capacités lui donnent d’ailleurs droit d’aspirer. Quelle que soit l’appréciation qu’on puisse en faire, j’y trouve la manifestation d’un caractère absolument européen, sachant bien tirer parti de tout : de la réclame comme du travail réel et sérieux. Au point de vue où je me place, il était nécessaire de le faire remarquer. Cet égoïsme intelligent, si je puis ainsi dire, en parlant du tempérament moral de M. Janvier, n’est-il pas purement anglo-saxon ? L’exemple est magnifique ; il prouve que les hommes de toutes les races se ressemblent étonnamment, quand ils se trouvent dans les mêmes conditions de développement intellectuel et agissent dans un but semblable. Disons, pour terminer, que M. Janvier est membre de plusieurs sociétés savantes de Paris ; Société d’anthropologie, Société de législation comparée, Société littéraire internationale, etc. En m’arrêtant à sa brillante personnalité je pourrais facilement me reposer sur la suffisance de mes preuves. Mais il y a toute une pépinière d’hommes noirs d’Haïti qui, sans avoir jamais quitté l’île, n’offrent pas moins un exemple frappant de la riche intelligence de la race éthiopienne, à laquelle un préjugé trop longtemps entretenu refuse toute aptitude supérieure. Il est nécessaire à notre thèse, qu’il en soit fait mention.

Désilius Lamour, d’une intelligence de premier ordre, d’une capacité incontestable, était noir. Cet homme dont la modestie rare faisait ressortir d’autant mieux le grand mérite, ayant travaillé presque seul, avait pu parvenir à la plus haute culture de l’esprit, sans quitter sa ville nataie, la vaillante cité de Jacmel.

Versé dans toutes les questions de droit public et d’économie politique, d’une humeur toujours calme et modérée, il a été l’un de nos parlementaires les plus corrects, ne prenant la parole que pour élucider les questions ou les ramener aux principes de droit constitutionnel qui aident à les bien embrasser. C’était un noble et beau caractère, un vrai modèle de courage civique, incapable de trahir aucun devoir, mais inaccessible aux passions politiques d’un courant quelconque ! En effet, avec son tempérament bien équilibré, cette clairvoyance supérieure qui était en lui le fruit de fortes études consciencieusement dirigées et contrôlées par le bon sens, il a été en Haïti le meilleur échantillon du politique éclairé, sachant se dévouer pour toutes les idées justes et progressives sans y mettre aucun regrettable excès. Calme et digne durant toute sa belle carrière publique, à son bureau de journaliste, au banc du ministère comme à la tribune du Sénat, calme et digne il est tombé, accomplissant héroïquement mais paisiblement son devoir de parlementaire. On ne saurait imaginer une plus belle figure d’homme public. La génération grandissante aura intérêt à l’étudier, lorsqu’après avoir vainement essayé des moyens arbitraires et empiriques, on se sera convaincu que la science et le droit sont les seuls instruments infaillibles pour la réalisation du progrès et de la vraie civilisation.

En nommant Désilius Lamour, si digne de vivre dans la mémoire de tous les Haïtiens, on ne peut oublier le nom de M. Dulciné Jean-Louis, noir aussi, son collaborateur et son émule respectueux. M. Jean-Louis, dans la rédaction du journal « L’Indépendance », a fait preuve du plus grand mérite ; mais son plus beau titre est la production d’une œuvre dont l’utilité est infiniment considérable pour son pays. La Bibliothèque de l’agriculteur haïtien, écrite en plusieurs volumes in-12, est un traité d’agronomie pratique où tous ceux qui s’occupent du travail agricole, en Haïti, trouveront les renseignements techniques les plus profitables. Le style en est clair, correct et précis. En se rappelant combien peu les hommes qui se dédient à la politique pensent à ces questions spéciales, encore qu’elles soient d’une importance capitale, on ne peut assez admirer la belle et consciencieuse publication de M. Jean-Louis.

Mais combien d’autres noirs ne pourrait-on pas nommer, si cette revue ne s’allongeait pas outre mesure ! Il faudrait encore citer MM. Augustin Guillaume et Arteaud, deux hommes d’une instruction solide et d’un esprit fort bien cultivé. Ils sont au nombre de ces pionniers de l’avenir qui doivent montrer la voie du progrès à la génération qui grandit. Ceux qui, comme eux, ont des talents remarquables et des facultés intellectuelles supérieurement développées, ne seront jamais trop nombreux parmi la jeunesse haïtienne.

Aussi, combien ne faut-il pas regretter la mort de Berthaud, avocat intelligent, tribun éloquent, tombé si jeune dans nos discordes civiles, gouffre où disparaissent tant d’Haïtiens, tous pleins d’avenir ! Berthaud, esprit ouvert, amant passionné du juste et du beau, promettait de devenir une des gloires de la race noire, si, échappant à une cruelle destinée, il ne se fût pas éteint, hélas ! comme Brutus à Philippe, dans l’horreur du doute et du désespoir.

Mais pourquoi émettre ces notes douloureuses dans le cours d’une démonstration où il faut tout le calme et toute la sérénité de l’esprit ?

Parlons plutôt de l’un des plus intéressants parmi nos jeunes noirs d’Haïti, de M. Magloire. Intelligence d’élite, égalant tous ceux que l’on connaît déjà, par la vivacité de compréhension qui est spéciale à la race éthiopique, M. Magloire est surtout remarquable par sa grande aptitude pour les sciences mathématiques qu’il mène de front avec l’étude des lettres, des sciences philosophiques et historiques. Ayant achevé ses humanités et fait sa philosophie au lycée de Port-au-Prince, il a continué a travailler sans relâche et complète chaque jour les notions acquises par les travaux de l’école.

M. Robelin, un Français, licencié ès-sciences et professeur de mathématiques au lycée du Cap-Haïtien, m’a constamment parlé des aptitudes supérieures de M. Magloire, qui travaille souvent avec lui et fait preuve d’une vivacité d’esprit peu ordinaire. À cette occasion, M. Robelin dont la science solide et le caractère indépendant sont un titre excellent, m’a communiqué l’observation qu’il a faite bien des fois, soit au Cap-Haïtien, soit à Port-au-Prince, de la grande facilité de conception que montrent la plupart des jeunes lycéens noirs dans les mathématiques, ou ils ne semblent jamais rencontrer de difficultés insurmontables. La confidence ne m’a nullement étonné ; car M. Roulier, Français et licencié ès-sciences aussi, mon ancien professeur de mathématiques, n’avait jamais qu’à se louer des dispositions heureuses de la majeure partie des élèves qui composaient les classes supérieures du lycée du Cap-Haïtien, à l’époque où j’en suivais les cours. M. Magloire, qui est encore bien jeune, poursuivra, sans nul doute, ses études de mathématiques et augmentera ses aptitudes dans cette sphère intellectuelle. Ce sera une action méritoire en faveur de sa race ; elle aidera particulièrement à affirmer que les noirs sont aussi aptes à s’occuper des mathématiques[9] que des lettres, de la philosophie, ou des sciences biologiques. Nous avons déjà montré, appuyé sur la grande autorité d’Auguste Comte, que c’est une conception fausse que celle qui considère les mathématiques comme l’application la plus élevée de l’intelligence, établissant en leur faveur une espèce de prévalence sur d’autres sciences autrement difficiles et complexes. En supposant même qu’on fût autorisé à voir dans l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie et la mécanique analytique, les connaissances où se développe le plus haut degré de l’intelligence, la parfaite aptitude des noirs à l’étude de ces différentes sciences viendrait encore une fois, infirmer la théorie de l’inégalité des races.

Je voudrais m’arrêter ici ; mais il m’est impossible de fermer ce chapitre sans citer un Haïtien des plus remarquables. C’est M. Légitime. En lui, nous avons en présence non-seulement une intelligence, mais encore un tempérament moral profondément intéressant à étudier.

M. Légitime, né d’un ouvrier, comme il en est le plus souvent de nous tous, noirs d’Haïti, avait fait des études, fort incomplètes dans sa première jeunesse. Il dut quitter les classes plus tôt qu’il ne faudrait. Enrôlé dans un des régiments du pays, il commença la carrière militaire avec l’expansion printanière du cœur et de l’esprit, en se passionnant quelque peu pour le métier des armes.

Sous le gouvernement de Gffrard, où l’on était souvent soldat et employé, à la fois, il fut remarqué par sa bonne tenue et placé à la douane de Port-au-Prince, sans cesser son service militaire. Mais à mesure que son âge augmentait, s’augmentait aussi en lui la soif ardente du savoir. Tandis que beaucoup d’autres, à sa place, Européens ou Africains, se seraient contentés de cette demi-éducation avec laquelle on s’acquitte rondement de ses devoirs d’homme du monde, ce noir affamé de lumière se mit à travailler, à piocher, vivant comme un philosophe, méprisant tous les plaisirs faciles de la jeunesse, pour ne s’occuper que de compléter ses connaissances et combler les lacunes de son esprit. C’est ainsi qu’il est parvenu à se frayer le chemin, en surmontant tous les obstacles, et à percer enfin comme une des intelligences les plus cultivées du pays !

J’ai connu M. Légitime en 1872. J e l’ai revu, en 1873, déjà bien changé ; mais quand je l’ai rencontré en 1876, c’était encore un autre homme. Son horizon intellectuel s’ouvrait sans cesse, dans une progression continuelle. Impossible de s’imaginer ce labeur quotidien, assidu, conduit de front avec tous les devoirs d’une famille à entretenir ! Aussi a-t-il fini par maîtriser toutes les difficultés tant de la langue que des notions abstraites de toutes les études qu’il a eu le courage d’embrasser. Aujourd’hui, il fait preuve d’un style élégant et châtié, avec un fond de connaissances solides et variées.

M. Légitime avait déjà publié plusieurs opuscules d’un intérêt restreint ou général ; mais c’est en écrivant, en 1878, sa brochure l’Armée haïtienne, sa nécessité, son rôle, qu’il a pris place parmi nos meilleurs écrivains, tout en montrant une largeur de conception dont n’approche aucun, de ceux qui, avant lui, avaient abordé le même sujet, en Haïti. D’une part, tous ceux qui défendaient l’institution de l’armée, le faisaient avec une aigreur mal déguisée contre le régime parlementaire et les doctrines libérales ; d’autre part, les partisans des principes libéraux voyaient dans l’armée un continuel danger pour les libertés publiques. Il faut avoir suivi toute l’histoire du développement national de la République haïtienne, pour pouvoir se faire une juste idée de l’importante sociologique d’une telle controverse. Il s’agit de deux attractions, entraînant les esprits en sens contraire. Ceux qui veulent suivre les progrès du siècle et se mettre sur la voie des peuples complètement civilisés, tirent d’un côté ; de l’autre, résistent ceux qui veulent retenir le char national dans les ornières du passé, poussant le conservatisme jusqu’à l’outrance. En pareil cas, il n’y a rien de meilleur que les transactions opportunes, à l’aide desquelles on tourne les difficultés et mine les obstacles, sans les heurter de front.

L’intelligent écrivain avec un talent et une hauteur de vue qui planent sur les petites considérations, a fait voir que des deux côtés on a donné dans une erreur d’appréciation, qui ne s’explique que par l’esprit d’exclusion avec lequel on a respectivement traité la question. En une centaine de pages d’un style tantôt soutenu, tantôt léger, mais toujours tempéré par une élégante clarté, la matière est étudiée en maître. Tous les détails techniques sur les différentes armes de l’armée sont examinés avec une compétence indiscutable. Non-seulement il faut avoir été soldat comme M. Légitime, pour s’y entendre à ce point, mais il faut en outre avoir rudement étudié pour en parler avec cette précision et cette aisance.

M. Légitime, se passionnant beaucoup pour les questions qui se rapportent aux sciences politiques et administratives, a publié, depuis cette dernière brochure, plusieurs autres qui traitent des finances, du commerce ou de l’industrie nationale. On annonce la prochaine apparition de deux de ses ouvrages, l’un déjà imprimé concernant sa gestion ministérielle, comme secrétaire d’État de l’Intérieur l’autre beaucoup plus important, intitulé : La politique haïtienne.

N’est-ce pas là un homme digne de la plus haute attention et d’une estime méritée, que celui dont la constance au travail, la force de volonté et la vigueur intellectuelle excellent à ce point ? Je puis m’arrêter à M. Légitime, dans la série de citations que j’ai voulu faire pour montrer que, malgré toutes les théories contraires, les Noirs d’Haïti fournissent la preuve la plus convaincante de l’égalité des races humaines. C’est un fils de ses œuvres, un self made man, comme disent les Américains qui, sous ce rapport, ressemblent plus aux Haïtiens qu’aux Européens. Eh bien, réunissant aux travaux intellectuels tous les détails secondaires pouvant mettre l’intelligence en relief, dans le même temps qu’il étudiait les sciences d’une acquisition plus difficile, il a appris la musique ou y a perfectionné ses connaissances ; il a fait de l’escrime et du dessin, avec des professeurs spéciaux : en sorte qu’on peut encore trouver en lui un homme du monde aux manières les plus distinguées, s’imposant autant par sa tenue correcte que par son savoir laborieusement acquis !

Peut-être, en revenant sur la question de l’évolution des races, aurai-je à citer d’autres noms dignes de figurer dans la liste des noirs les plus remarquablement doués ; cependant, sauf un seul qui plane au-dessus de tout et brille d’un éclat immortel, aucun d’eux n’aura à mes yeux une signification d’aussi haute valeur que celui de M. Légitime. Ce que j’admire en lui, ce n’est pas seulement sa capacité intellectuelle qui, pour sûr, pourrait s’éclipser devant bien d’autres, sans même quitter Haïti ; mais c’est encore sa haute moralité, se traduisant en une persévérance énergique et vraiment rare, le portant à recommencer, âgé de plus de vingt-cinq ans, des travaux qui n’ont d’attrait que dans la première jeunesse. Aussi, son mérite est-il sans égal, et surpasse-t-il même celui du docteur Janvier. Ce dernier, pour développer sa vaste intelligence, a travaillé sous la direction de maîtres éclairés et a fait toutes ses classes : il a continué à Paris, dans un milieu spécialement favorable, son épanouissement intellectuel. M. Légitime, livré à lui-même ; n’a jamais quitté Haïti : le secret de ses brillants succès est donc dans sa propre organisation intellectuelle et morale.

Sans doute, ai-je oublié ou négligé bien des noms tout aussi dignes d’être remarqués ; cependant le nombre des noirs éclairés et cultivés que j’ai offert a l’édification du lecteur suffit amplement, je pense, pour fournir à ma thèse le plus irrésistible argument. Cette considération, réunie à tout ce qui a été précédemment démontré, y porte un tel appui qu’il semble inutile de continuer.

Comment, devant de tels exemples, peut-on soutenir encore que les races humaines sont inégales ? Est-il un seul homme, sain d’esprit et de conscience, capable d’admettre une doctrine si absurde et illogique, en considérant la réalité de tous ces faits d’une éclatante certitude ? On pourrait bien se le demander, et ceux qui ne s’occupent pas assez de ces questions, pour savoir tout ce qu’on a écrit et répété sur l’infériorité native et irrémédiable des noirs, dans les ouvrages les plus importants, dans les revues les plus autorisées, comme dans les discussions des sociétés les plus savantes de l’Europe, pourraient facilement croire que nous nous donnons une peine inutile, en insistant, par tant d’arguments divers, sur la preuve d’un fait dont l’évidence n’a jamais été niée par aucun esprit éclairé et sérieux. Pour avoir le droit de continuer la discussion, pourrai-je jamais mieux faire que de mettre sous les yeux du lecteur les sentences ou les opinions émises sur le fait de l’inégalité des races, par un grand nombre d’hommes regardés généralement comme les grandes voix de la science ou de la philosophie ?



  1. Voyez Carus, Ueber die ungleiche Befœhigung, u. s. w., p. 24-25.
  2. Horace, liv. I, ode XXIV, v. 9.
  3. Le Messager du Nord, no 39, 16 novembre 1878.
  4. Revue politique et littéraire, n° 3, 21 janvier 1882, p. 86.
  5. M. Guilbaud est arrivé à Paris ces jours-ci. Cet ouvrage était déjà sous presse et nous ne pouvons que nous féliciter ici de voir notre intéressant compatriote au sein de la grande cité, centre des sciences et des arts.
  6. Voir la note précédente. M. Guilbaud est venu en Europe par ses propres efforts. Mais, maintenant qu’il est à Paris, le Gouvernement d’Haiti peut-il reculer devant l’obligation de l’y maintenir pendant quelques années, en lui accordant une bourse ? Il serait malheureux de pouvoir même en douter.
  7. C’est pour mettre ce dessein a exécution que M. Guilbaud est maintenant à Paris.
  8. Les représentations extérieures, les vaines parades ne manquent jamais de produire sur lui (le noir) une profonde impression. Celui-là le soumet aisément qui sait en imposer sous ce rapport. Par contre, avec ses semblables ou ses inférieurs, il est plein de vantardise. « Chaque nègre croit avoir le droit de se faire servir par les autres… » (Fr. Muller, Allegemeine Ethnographie.)
    — C’est une organisation également despotique qui règne dans la vie sociale. Le gouvernement est patriarcal, dans certaines régions du Nil, mais en d’autres contrées, par exemple dans l’Afrique centrale et le Dahomey, domine la tyrannie la plus odieuse. La puissance des rois ne connaît point de limite ; ils ont tous les droits et usent avec le plein assentiment de leurs sujets, de l’arbitraire le plus complet. C’est le patriarcat poussé à sa dernière limite : point d’autre droit que la volonté du despote. (Abel Hovelacque, Les races humaines).
    — L’impression la plus saillante que je rapporte de mon voyage et, dans le cours de mon récit, je suis revenu là-dessus, c’est l`état de misère extrême dans lequel vit l’indigène du centre de l’Afrique, misère provenant et de son apathie naturelle et aussi, il faut le dire, de la stérilité du sol. — Il habite de préférence un petit hameau d’une centaine de huttes au maximum : dans un grand village, il lui faudrait obéir à l`autorité tyrannique d’un chef. Son isolement ne lui permet pas à vrai dire, de se défendre contre ses voisins ; mais, pour lui, le grand chef dont il serait l’ESCLAVE est cent fois plus redoutable que ses voisins qui se contenteront de piller ses cultures. (V. Giraud, Deux ans aux lacs de l’Afrique australe, dans la Revue scientifique, n° 15, 11 avril 1885).
  9. Si on voulait sortir d’Haïti, on trouverait beaucoup de noirs, soit des États-Unis, soit des colonies européennes, qui sont des mathématiciens fort distingués. Sans avoir besoin de rappeler l’exemple de Lislet-Geoffroy, on compte en ce moment plusieurs polytechniciens noirs, à Paris. M. Xavier Latortue, jeune noir haïtien, se prépare pour l’École polytechnique où il se présentera bientôt, si l’accès lui en reste ouvert, encore qu’étranger. Son aîné, M. Léon Latortue, est un élève de l’École des mines dont il suit les cours avec succès.