De l’Homme/Section 8/Chapitre 15

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SECTION VIII
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 11 (p. 42-45).
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CHAPITRE XV.

De la variété et simplicité requise dans tous les ouvrages, et surtout dans les ouvrages d’agrément.

Pourquoi desire-t-on tant de variété dans les ouvrages d’agrément ? C’est, dit la Motte, que

L’ennui naquit un jours de l’uniformité.

Des sensations monotones cessent bientôt de faire sur nous une impression vive et agréable. Il n’est point de beaux objets dont à la longue la contemplation ne nous lasse. Le soleil est beau ; et cependant la petite fille, dans l’Oracle, s’écrie : J’ai tant vu le soleil ! Une jolie femme est, pour un jeune amant, un objet encore plus beau que le soleil. Que d’amants, à la longue, s’écrient pareillement, J’ai tant vu ma maîtresse ![1]

La haine de l’ennui, le besoin de sensations agréables nous en fait sans cesse souhaiter de nouvelles. Si l’on desire, en conséquence, et variété dans les détails, et simplicité dans son plan, c’est que les idées en sont plus nettes, plus distinctes, et d’autant plus propres à faire sur nous une impression vive. Les idées difficilement saisies ne sont jamais vivement senties. Un tableau est-il trop chargé de figures ? le plan d’un ouvrage est-il trop compliqué ? il n’excite en nous qu’une impression, si je l’ose dire, émoussée et foible[2]. Telle est la sensation éprouvée à la vue de ces temples gothiques que l’architecte a surchargés de sculpture : l’œil, distrait et fatigué par le grand nombre des ornements, ne s’y fixe point sans recevoir une impression pénible.

Trop de sensations à-la-fois font confusion : leur multiplicité détruit leur effet. À grandeur égale, l’édifice le plus frappant est celui dont mon œeil saisit facilement l’ensemble, et dont chaque partie fait sur moi l’impression la plus nette et la plus distincte. L’architecture noble, simple et majestueuse des Grecs sera, par cette raison, toujours préférée à l’architecture légere, confuse et mal proportionnée des Goths.

Applique-t-on aux ouvrages d’esprit ce que je dis de l’architecture, on sent que, pour faire un grand effet, il faut pareillement qu’ils se développent clairement, qu’ils présentent toujours des idées nettes et distinctes. Aussi la loi de continuité dans les idées, les images et les sentiments, a-t-elle toujours été expressément recommandée par les rhéteurs.



  1. Il est sans doute agréable, disoit le président Hainault, de trouver sa maîtresse au rendez-vous ; mais, lorsqu’elle n’est point nouvelle, il est bien plus agréable encore de s’y rendre et de ne l’y point trouver.
  2. La plan d’Héraclius parut d’abord trop compliqué aux gens du monde ; il exigeoit trop d’attention de leur part. Boileau fait allusion à cette tragédie dans ces vers de son Art poétique :

    Je me ris d’un auteur qui, lent à s’exprimer,
    De ce qu’il veut d’abord ne sait pas m’informer,
    Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
    D’un divertissement me fait une fatigue :
    J’aimerois mieux encor qu’il déclinât son nom.
    Etc. …