De l’Homme/Section 9/Chapitre 12

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SECTION IX
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 11 (p. 190-193).
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CHAPITRE XII.

De la liberté de la presse.

C’est à la contradiction, par conséquent à la liberté de la presse, que les sciences physiques doivent leur perfection. Ôtez cette liberté, que d’erreurs, consacrées par le temps, seront citées comme des axiomes incontestables ! Ce que je dis du physique est applicable au moral et au politique. Veut-on en ce genre s’assurer de la vérité de ses opinions ? il faut les promulguer. C’est à la pierre de touche de la contradiction qu’il faut les éprouver. La presse doit donc être libre : le magistrat qui la gêne s’oppose donc à la perfection de la morale et de la politique ; il peche contre sa nation ; il étouffe jusques dans leurs germes les idées heureuses qu’eût produites cette liberté.

Le prince doit donc aux nations la vérité comme utile, et la liberté de la presse comme moyen de la découvrir. Par-tout où cette liberté est interdite, l’ignorance, comme une nuit profonde, s’étend sur tous les esprits. Alors, en cherchant la vérité, ses amateurs craignent de la découvrir : ils sentent qu’une fois découverte, il faudra, ou la taire, ou la déguiser lâchement, ou s’exposer à la persécution. Tout homme la redoute. S’il est toujours de l’intérêt public de connoître la vérité, il n’est pas toujours de l’intérêt particulier de la dire.

La plupart des gouvernements exhortent encore le citoyen à sa recherche ; mais presque tous le punissent de sa découverte. Peu d’hommes bravent à la longue la haine du puissant par pur amour de l’humanité et de la vérité.

Mais que d’opinions bizarres n’engendreroit point cette liberté ! Qu’importe ? Ces opinions, détruites par la raison aussitôt que produites, n’altéreroient pas la paix des états[1]. La révélation de la vérité ne peut être odieuse qu’à ces imposteurs qui, trop souvent écoutés des princes, leur présentent le peuple éclairé comme factieux, et le peuple abruti comme docile.

Qu’apprend au contraire l’expérience ? que toute nation instruite est sourde aux vaines déclamations du fanatisme, et que l’injustice la révolte. C’est lorsqu’on me dépouille de la propriété de mes biens, de ma vie et de ma liberté, que je m’irrite ; c’est alors que l’esclave s’arme contre le maître. La vérité n’a pour ennemis que les ennemis mêmes du bien public : les méchants s’opposent seuls à sa promulgation.

C’est peu de montrer que la vérité est utile, que l’homme la doit à l’homme, et que la presse doit être libre ; il faut de plus indiquer les maux qu’engendre dans les empires l’indifférence pour la vérité.


  1. S’agit-il de religion ? par quelle raison en défendre l’examen ? Est-elle vraie ? elle peut supporter la preuve de la discussion. Est-elle fausse ? en ce dernier cas, quelle absurdité de protéger une religion dont la morale est pusillanime et cruelle, et le culte à charge à l’état par l’excessive dépense qu’exige l’entretien de ses ministres !