De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/15

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 30-31).


CHAPITRE XV.
Combien il importe d’agir toûjours par le motif du divin amour.

IL ne faut jamais rien faire de mal, ny par quelque autre consideration que ce soit : on peut neanmoins quelquefois pour le service du prochain interrompre une bonne œuvre, ou la changer en une meilleure.

Car par ce moyen on ne cesse pas de bien faire : mais on fait quelque chose de mieux.

Toure œuvre exterieure pour bonne & excellente qu’elle paroisse, ne sert de rien sans la charité : mais toute action faite par le motif de cette vertu, quelque basse & quelque petite qu’elle soit, est toûjours d’un grand mérite.

Aussi Dieu à moins d’égard à ce qu’on fait, qu’à la grandeur de l’amour, avec lequel on le fait.

C’est faire beaucoup que d’aimer beaucoup. C’est faire beaucoup que de bien faire ce qu’on fait.

Quiconque envisage dans ce qu’il fait, non sa propre utilité, mais le bien commun fait une bonne œuvre.

On prend souvent pour charité ce qui n’est que sensualité. Car l’inclination naturelle la volonté propre, l’esperance du gain, l’amour du plaisir & la mollesse s’insinuent par tout.

Celuy dont la charité est pure, sincere & parfaite, ne le cherche en rien ; mais refere toutes choses à l’honneur de Dieu.

Il ne porte envie à personne ; il fait peu d’état de ce qui regarde sa propre satisfaction ; il méprise les biens créez : il ne se réjouit point en luy-même ; Dieu seul fait tout son contentement & tout son bonheur.

S’il voit quelque chose de loüable dans le prochain, il ne luy en donne pas la gloire ; il l’a donne toute à Dieu qui en est l’auteur dans le sein duquel les Saints le reposent éternellement comme dans la source de tout bien.

O qui auroir dans le cœur une étincelle de la véritable charité ! il sçauroit bien-tôt qu’il n’y a rien de plus vain que toutes les choses de la terre.