De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/18

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 35-38).


CHAPITRE XVIII.
Qu’on doit imiter les Saints.

COnsiderez les grands exemples des Peres anciens qui ont été des modéles achevez de la perfection religieuse ; & vous verrez que tout ce que nous faisons aujourd’hui est peu de chose & comme rien en comparaison de ce qu’ils ont fait.

Helas ! que nôtre vie est differente de la leur !

Les Saints qui ont tant aimé Jesus-Christ le servoienr avec ferveur, souffrant pour sa gloire la faim & la soif, la nudité & le froid, des travaux & des fatigues extrêmes. Ils veilloient & jeûnoient sans cesse, toûjours appliquez à l’oraison, toûjours exposez aux persecutions & aux opprobres.

Qui pourroir comprendre la grandeur & la multitude des peines qu’ont enduré les Apôtres, les martyrs, les Confesseurs, les Vierges, & tous ceux generalement qui ont voulu suivre Jesus-Christ ?

Ils ont haï leur vie en ce monde, afin de la conserver pour l’éternité[1].

O que ces premiers Solitaires ont mené une vie pauvre & austére dans le desert ! Qu’ils ont surmonté de longues & facheuses tentations ! Qu’ils ont soûtenu de rudes & de frequentes attaques de l’Ennemi ! Qu’ils ont eu d’assiduité & d’attache à la priere ! Qu’ils ont pratiqué de rigoureuses penitences ? Qu’ils ont fait paroître d’ardeur pour leur avancement spirituel ? Qu’ils ont pris de peine à combattre leurs inclinations vicieuses ? que leurs intentions ont été pures & éloignées de tout interêt dans le service de Dieu ?

Ils donnoient le jour au travail, & la nuit à l’Oraison. Le travail même n’interrompoit point leur entretien avec Dieu.

Ils ne perdoient point de temps ; & les heures qu’ils employoient à la priere, leur paroissoient courtes.

Ils étoient si enyvrez des saintes délices de la Contemplation, qu’ils ne pensoient point à la nourriture du corps.

Ils renonçoient à toutes les dignitez, à tous les honneurs, à tous les biens perissables ; ils oublioient leurs parens & leurs amis ; ils ne vouloient rien avoir de commun avec le monde ; à peine pouvoient-ils se résoudre de prendre les choses necessaires à la vie ; & quelque besoin qu’ils en eussent, ils gemissoient de se voir assujettis à cette necessité.

Ils étoient véritablement denuez des biens de la terre, mais riches en dons du Ciel ; necessiteux au dehors, mais au dedans pleins de graces & de consolations spirituelles ; éloignez du monde, mais unis à Dieu ; meprisables à leurs yeux & aux yeux des hommes, mais dignes de gloire & d’amour devant le Seigneur.

Toute leur vie se passoit dans les exercices d’une vraye humilité, d’une obéissance simple, d’une charité & d’une patience héroïque. Aussi faisoient-ils tous les jours de grands progrès dans la spiritualité, avec le secours des graces extraordinaires, dont le Ciel les favorisoit.

Dieu les a choisis pour servir d’exemple à tous les Religieux ; & leur petit nombre doit avoir plus de force pour nous animer à la ferveur que la multitude des tiédes pour nous porter au relâchement.

O qu’il y avoit au commencement dans tous les Ordres Religieux, qu’il y avoir de ferveur & de zele pour la perfection ! Que l’on y voyoit d’affection à la priere, d’émulation à la vertu, d’exactitude à l’observation des régles, de soûmission aux ordres de l’Obéissance !

Ce qui nous reste des marques de leur pieté, montre bien que c’étoient des Saints. Ils ont toûjours fait la guerre au monde, ils l’ont vaincu & foulé aux pieds.

On compte aujourd’huy pour beaucoup de n’être pas infidéle à la vocation, de ne pas transgresser la Regle, & de porter patiemment le joug de la Religion.

O la negligence ! ô la tiédeur ! En quel état nous voyons nous maintenant réduits ; mais qui en si peu de temps avons tellement degeneré de la vertu de nos Peres, que la vie nous est ennuyeuse : tant nous sommes las de travailler & de souffrir ?

Plût à Dieu qu’après avoir vû tant de beaux exemples, on ne negligeât pas entierement son avancement spirituel.

  1. Joan. 22. 25.