De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/23

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 57-62).


CHAPITRE XXIII.

De la Meditation de la Mort.

COnvertissez vous ; car il vous reste peu de tems à vivre.

L’nomme est aujourd’hui, demain il n’est plus ; & quand on la une fois perdu de vûë, on en perd bien-tôt la memoire.

O aveuglement, ô insensibilité du cœur de l’homme, qui ne pense qu’au present, & ne prévoit point l’avenir !

Dans tous vos desseins, dans toutes vos œuvres, vous devriez vous regarder comme un homme qui doit mourir aujourd’hui.

Si vous aviez la conscience nette, vous ne craindriez guére la mort.

Il vaut bien mieux vous précautionner contre le peché, que contre la mort.

Si aujourd’hui vous n’êtes pas prêt à mourir, comment le serez-vous demain ?

Qui peut s’assûrer du jour de demain ? & que sçavez-vous, si vous vivrez jusques à demain ?

Que nous sert de vivre, & de ne nous pas amender ?

Helas ! une longue vie ne fait souvent qu’augmenter le nombre de nos offenses, au lieu de les diminuer.

Plût à Dieu que nous eussions seulement vécu un jour sans peché !

Plusieurs comptent bien des années depuis leur conversion ; mais le plus souvent il ne paroît pas qu’ils en soient devenus meilleurs.

S’il est douloureux de mourir, il est peut-être plus dangereux de vivre long-tems.

Heureux celui qui pense continuellement à la derniere heure, & qui s’y prepare tous les jours !

Si jamais vous avez vû un homme mourir, souvenez-vous qu’il vous en doit arriver autant.

Le matin, dites en vous-même : je ne verrai pas le soir.

Etant arrivé au soir, ne croyez pas vivre jusqu’au lendemain matin.

Soyez toûjours sur vos gardes, & vivez de sorte, que vous ne soyez jamais surpris de la mort.

Plusieurs meurent subitement, & sans nulle preparation.Car le Fils de l’homme vient lorsqu’on y pense le moins[1].

Quand cette derniere heure sera venuë, vous ferez sur votre conduite passée, bien des réflexions que vous ne faires pas maintenant. Vous commencerez alors à vous repentir d’avoir vécu avec tant de negligence & de lâcheté.

O que celui-là est sage & heureux, qui durant la vie, tâche de se rendre tel qu’il desire de se trouver à la mort !

Car rien n’est capable de lui donner une plus ferme esperance de bien mourir, qu’un parfait mépris du monde, qu’un désir ardent de croître en toute vertu, qu’une exacte régularité, qu’une grande haine de soi-même, & un grand amour de la penitence, qu’une extrême promptitude à obeïr ; qu’une entiere abnégation de sa propre volonté, qu’une genereuse constance à souffrir toutes sortes de peines pour l’amour de Jesus-Christ.

Tandis que vous êtes en une parfaite santé, vous pouvez faire beaucoup de bonnes œuvres : mais durant la maladie, je ne sçai de quoi vous serez capable.

Les maladies ne contribuent guéres à rendre un homme meilleur. Il est rare aussi que ceux qui aiment à courir & à voyager, deviennent de grands Saints.

Ne comptez point trop sur la faveur de vos parens & de vos amis ; ne differez pour quoi que ce soit vôtre conversion. On vous oubliera plûtôt que vous ne pensez.

Il vaut mieux prendre vos seuretez, & vous faire de bonne heure un tresor de merites, que de fonder vos esperances sur la charité de vos amis.

Si maintenant vous n’avez pas soin de vous-même, qui en aura soin à l’avenir ?

Voici un tems fort précieux : un tems propre pour travailler à votre salut, un tems de grace & de reconciliation[2].

Mais que vous l’employez mal, ce tems qui vous est donné pour mériter la vie éternelle !

Il viendra un jour, auquel vous demanderez peut-être à nôtre Seigneur une heure pour vous convertir, & je ne sçai si vous pourrez en obtenir un moment.

Considerez, mon cher frere, qu’il vous est facile de vous sauver d’un grand peril, de vous délivrer d’une extrême inquiétude, si vous vous tenez sur vos gardes, & qu’à toute heure vous croyez mourir.

Tâchez maintenant de vivre si bien, qu’à l’article de la mort, vous ayez plus de sujet de joye, que de crainte.

Apprenez à mourir au monde afin qu’alors vous commenciez à vivre avec Jesus Christ.

Accoûtumez-vous à mépriser les choses de la terre, afin qu’en ce terrible moment rien ne vous empêche d’aller droit au Ciel.

Mortifiez presentement vôtre chair, faites penitence, afin qu’en mourant vous ayez une esperance certaine de vôtre salut.

Ah ! insensé que vous êtes, pourquoi vous promettez-vous de vivre long-tems, vous qui ne pouvez vous répondre seulement d’un jour ?

Combien de gens y ont ils été trompez : combien sont morts subitement par des accidens imprévûs ?

Combien de fois avez-vous oüi dire : un tel a été tué d’un coup d’épée ; un tel s’est noyé ; un autre en tombant s’est rompu le cou : un autre s’est étranglé en mangeant ; un autre en jouant est tombé mort sur la place.

L’un a peri par le feu, l’autre par le fer ; celui ci est mort de peste, celui la a été assassiné par des voleurs. Ainsi finissent tous les hommes, & leur vie passe comme une ombre.

Qui se souviendra de vous après vôtre mort ? qui priera pour vous ?

Faites donc, mon frere, je vous en conjure, faites maintenant tout le bien que vous pouvez faire : car vous ne sçavez quand vous mourrez, ni ce que vous deviendrez quand vous serez mort.

Employez tout vôtre tems à amasser des richesses, que la mort ne vous puisse ôter.

Ne pensez qu’à vôtre salut : ne vous appliquez qu’aux choses de Dieu.

Tâchez de vous faire des amis dans le Ciel, en honorant ceux qui y sont, & en imitant leurs vertus ; afin que quand vous sortirez de ce monde, ils vous reçoivent dans les Tabernacles éternels.

Ne vous regardez sur la terre que comme un passant, ou un étranger, qui n’a rien à démêler avec le monde.

Conservez toûjours une grande liberté de cœur, & mettez vous au dessus de tout ce qui n’est pas Dieu, puisque vous n’ayez point sur la terre de demeure fixe.

Adressez au Ciel vos prieres, vos gemissemens & vos larmes ; afin que vôtre ame dégagée des liens du corps, s’envole dans le sein de Dieu. Ainsi soit-il.

  1. Luc. 12. 40.
  2. 2. Corinth. 6. 2.