Aller au contenu

De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/05

La bibliothèque libre.
Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 130-135).


CHAPITRE V.
Des effets admirables du divin amour.
Le Disciple.

JE vous benis, ô Pere celeste, Pere de mon Seigneur Jesus-Christ, qui avez daigné jetter les yeux sur la créature la plus pauvre, & la plus abjecte qui soit au monde.

O Pere des misericordes, source de toute consolation, je vous rends graces de ce que vous voulez bien quelquefois me consoler, quoique j’en sois tout à fait indigne.

Je ne cesserai jamais de vous benir : je vous louërai dans tous les siécles, vous & vôtre Fils unique, & le Saint Esprit consolateur.

O mon Seigneur, ô mon Dieu qui m’aimez jusques à l’excés, quand il vous plaira de me visiter, toutes les puissances de mon ame en tressailliront de joye. Vous êtes ma gloire, vous êtes la joye de mon cœur, vous êtes mon esperance & mon réfuge dans le tems de l’affliction.

O que j’ai besoin d’être soûtenu & fortifié de vôtre grace ! car je sens bien que je n’ai guéres de vertu, & que l’amour que j’ai pour vous est encore foible.

Visitez moi donc souvent, & apprenez-moi à mener une vie sainte.

Moderez la violence de mes passions : guérissez mon ame de ses affections vicieuses, afin que tout étant sain & parfaitement net dans mon interieur, je n’aye rien qui m’empêche de vous aimer ; que je sois toûjours constant dans l’adversité, toûjours ferme dans votre service.

C’est quelque chose de grand que l’amour ; c’est un bien inestimable. Ce qui de soi est pesant, il le rend leger ; & dans la vicissitude des choses du monde, il demeure toûjours égal.

Il n’y a rien de fâcheux ni de penible pour lui, & il convertit en douceurs les plus grandes amertumes.

L’amour de Jesus est genéreux : il inspire à l’ame de grands desseins, des desirs ardens de la perfection.

Il le porte naturellement en haut, & ne sçauroit s’attacher à rien de vil & de bas.

Il veut être entierement dégagé de toute affection terrestrez afin que jamais ni la passion ne l’aveugle, ni le desir trop ardent de quelque avantage temporel ne l’inquiette, ni la crainte immoderée de quelque peine ne l’abbatte.

Ce divin amour est la chose du monde la plus douce, la plus forte, la plus élevée, la plus étenduë, la plus agréable ; le Ciel & la terre n’ont rien de plus riche, ni de meilleur.

Aussi est-il la plus noble production de l’Esprit de Dieu ; & c’est dans Dieu, comme dans son centre, qu’il se repose.

Celui qui aime, ne sçait ce que c’est que tristesse & que contrainte. Il court, il voir ; & rien ne l’arrête.

Il donne tout pour avoir tout : il possede tout en celui qui est toutes choses, & au-dessus de toutes choses, comme étant l’auteur & la source de tout bien.

Il a moins d’égard au bien qu’il reçoit, qu’à la personne dont il le reçoit, qui lui est plus chere que tous les tresors du monde.

L’amour ne veut point qu’on lui prescrive de bornes : souvent sa ferveur l’emporte à des espéces d’excés.

Quelque lourd que soit le fardeau qu’il porte, il ne le sent point : rien ne lui fait peine : il veut faire même plus qu’il ne peut ; & jamais il ne s’excuse sur la foiblesse, parce qu’il lui semble que rien n’est au dessus de les forces.

Il est en effet capable de tout, & il execute sans peint beaucoup de choses, qui étonnent ceux qui n’ont point d’amour.

Il est vigilant, & ne se laisse point abbattre au sommeil.

On ne le voit ni affoibli par le travail, ni embarrassé par la multitude des affaires, ni troublé par les sujets de crainte qu’on lui peut donner.

Il a l’ardeur & l’activité du feu, qui malgré toute opposition, s’éleve toûjours en haut.

Quiconque est épris d’amour sçait le langage de l’amour. Les sentimens tendres d’une ame qui aime Dieu, sont comme des cris qui percent le Ciel, & vont jusqu’à Dieu, à qui elle dit dans la ferveur de son Oraison.

O mon Dieu, ô mon amour, je suis toute à vous, & vous êtes tout à moi.

Augmentez en moi la charité ; afin que je goute combien il est doux de vous aimer, & de fondre en amour pour vous.

Embrasez mon cœur de cette divine flâme, afin que par un transport de ferveur, je m’éleve au dessus de moi, pour m’unir à vous.

Apprenez-moi le Cantique de l’amour : faites, ô mon bien-aimé, que je vous suive jusques dans le Ciel ; faites que ravie de joye, & brûlant d’amour, je ne cesse de vous loüer jusqu’à la mort.

Faites que je vous aime plus que moi-même ; que j’aime en vous, & pour vous seul, tous ceux qui vous aiment véritablement : selon la loi de la charité parfaite, que vous avez gravée dans nos cœurs.

L’amour est vif, sincere, pieux, doux, complaisant, genereux, patient, fidéle, sage, constant, magnanime, désinteressé.

Car il n’y a point de vrai amour dans une ame arrachée à ses propres interêts. Le pur amour est circonspect, humble, droit, & équitable.

Celui qui aime, haït la mollesse, & l’inconstance : il ne s’arrête point à des bagatelles ; il est toûjours sobre, chaste, ferme, tranquille, attentif à la garde de ses sens.

Il a une entiere soûmission pour ses Superieurs, beaucoup de mépris pour lui-même, de grands sentimens de pieté, & de reconnoissance pour Dieu, en qui seul il se confie, lors même qu’il est dans l’aridité ; parce qu’il sçait qu’on ne peut aimer, & ne pas souffrir.

Celui qui n’est point dans la résolution de tout endurer, & de suivre en tout la volonté de son bien-aimé, ne l’aime pas comme il faut.

Celui qui aime, doit embrasser pour la persone qu’il aime, tout ce qu’il y a de plus rude au monde, & quoi qu’il arrive il ne doit jamais lui manquer de fidélité.