De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/11

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 150-152).


CHAPITRE XI.
Qu’il est necessaire d’examiner, & de regler ses desirs.
Le Maistre.

MOn fils, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre, qui vous out inconnuës jusques à cette heure.

Le Disciple.

Quelles sont-elles, Seigneur ?

Le Maistre.

C’est que vous devez entierement conformer vos inclinations aux miennes, détruire en vous l’amour propre, & n’avoir plus d’autre passion que de faire ma volonté.

Vos desirs sont vifs & ardens, & souvent vous vous y laissez emporter. Mais voyez quel en est le but, si c’est ma gloire, ou vôtre propre satisfaction.

Si c’est moi que vous cherchez, de quelque maniere que je vous traite, vous serez content : mais en vous cherchant vous-même, vous n’aurez que de l’inquiétude & du chagrin.

Gardez-vous donc bien d’executer vos desseins, qu’auparavant vous ne me consultiez ; de crainte que dans la suite vous n’ayez sujet de vous repentir, & que vous ne condamniez tôt ou tard ce qui d’abord vous avoit semblé le meilleur.

Il ne faut pas embrasser aveuglément tout ce qui a quelque apparence de bien, ni rejetter tout ce qui a quelque apparence de mal.

Il est à propos de se moderer quelquefois dans l’execution de ses bons desirs ; de peur que par trop d’empressement l’esprit ne vienne à se dissiper : que par une maniere d’agir trop brusque on ne scandalise le prochain ; & que trouvant de l’opposition au dehors, on ne s’impatiente, & on ne se trouble.

Il faut quelquefois user de violence, dompter fortement ses appetits, & ne se mettre nullement en peine de ce que la chair veut ou ne veut pas ; mais faire tout ce qu’on peut pour l’assujettir à l’esprit, malgré qu’elle en ait.

Il faut la forcer à obéïr, & ne cesser de la maltraiter jusqu’à ce qu’étant soûmise à tout, elle apprenne enfin à se contenter de peu, à ne desirer que les choses les plus communes & les plus simples, & à ne se plaindre jamais de rien.