De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/46

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 236-240).


CHAPITRE XLVI.
Qu’il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu’on est injurié & calomnié.
Le Maistre.

Mon fils, soyez ferme & constant, & esperez tout de moi. Que sont les paroles, que des paroles qui passent ?

Elles frappent l’air, & ne brisent pas les pierres.

Si vous vous sentez coupable, songez qu’il faut que vous travailliez à vous amender : si vous vous jugez innocent, souvenez-vous que vous devez souffrir de bon cœur cette mortification pour l’amour de moi.

Ne vous imaginez pas avoir beaucoup fait, quand vous avez enduré quelque parole de mépris : car il s’en faut bien que vous n’ayez assez de courage pour supporter de rudes tourmens.

Pourquoi pensez-vous qu’une parole un peu aigre vous cause tant de chagrin, si ce n’est parce que vous êtes encore charnel, & que vous apprehendez trop les faux jugemens des hommes ?

Comme vous craignez le mépris, vous ne voulez point qu’on vous reprenne de vos fautes, & jamais vous ne manquez de pretextes pour les excuser.

Entrez plus avant dans votre intérieur, & vous verrez que ce qui y regne davantage, c’est l’esprit du monde, c’est un vain desir de plaire aux hommes beaucoup plus qu’à moi.

Car cette crainte excessive de l’humiliation, & cette honte d’être repris de vos désordres, montrent bien que vous n’êtes, ni vraiment humble, ni tout à fait mort au monde, & qu’à vôtre égard le monde n’est pas encore crucifié.

Mais écoutez ma parole ; & quelque chose qu’on vous puisse dire, vous n’en serez nullement émû.

Quand on diroit contre vous tout ce que l’envie, & la malice la plus noire peuvent inventer de plus injurieux, en quoi tout cela vous pourroit-il nuire, si vous le laissiez passer, & que vous n’en fissiez point d’état ? en perdriez-vous seulement un de vos cheveux ?

Mais un homme qui a le cœur éloigné de moi, & qui ne sçait ce que c’est que la vie intérieure, se trouble aisément pour une legere réprimande.

Au contraire, celui qui met sa confiance en moi, & qui ne se conduit point par son propre sens, ne craindra personne.

Car il sçait bien que je suis son Juge, qu’il n’y a rien de secret pour moi ; que je ne puis ignorer comment la chose s’est passée, & que je connois également celui qui a fait l’injure, & celui qui l’a reçûë.

Il est persuadé que c’est moi, qui lui ai fait naître cette occasion de souffrir, & que j’ai permis qu’elle arrivât ; afin que plusieurs fissent voir ce qu’ils pensoient[1] de ma Providence.

Un jour viendra que je jugerai devant tout le monde, le coupable & l’indolent : mais par un jugement secret, j’ai voulu avant ce tems-là les éprouver l’un & l’autre.

Le témoignage des hommes est souvent trompeur : mais mon jugement est toûjours seur ; il subsistera toûjours, & rien ne le détruira.

Il est ordinairement caché, & peu de gens sont capables de le penetrer : il n’est pourtant jamais faux, ni ne le peut être : quoi que les aveugles volontaires & les insensez y trouvent souvent à redire.

C’est donc à moi qu’il faut s’adresser ; c’est moi qu’on doit consulter, pour pouvoir juger saintement des choses ; & l’on ne sçauroit trop se défier de son propre jugement.

Le juste n’aura jamais de chagrin, quelque mortification que Dieu lui envoye[2], & quoi qu’on parle mal de lui, il ne s’en mettra guére en peine.

Il n’aura point trop de joye non plus si quelqu’un prend son parti, & s’offre de le justifier.

Il songera que c’est moi qui sonde les reins en les cœurs[3] & que j’en use tout autrement que les hommes, qui jugent des choses sur les apparences.

En effet ce qui est loüable aux yeux des hommes, me paroît souvent condamnable.

Le Disciple.

Seigneur, qui de tous les Juges êtes le plus droit, le plus équitable, & le plus patient, qui connoissez la fragilité & la malice de l’homme, soyez mon appui, comme vous êtes mon esperance. Car le témoignage, quoique favorable, de ma conscience, ne suffit pas pour assurer mon repos.

Vous sçavez des choses que je ne sçai pas ; ainsi, lorsqu’on m’a repris, j’ai dû m’humilier, & recevoir doucement la correction.

Que si je ne l’ai pas fait, je vous supplie de me pardonner mon orgüeil, & d’accroître en moi, par vôtre grace, la patience & l’humilité.

J’avouë que vôtre miséricorde infinie m’est beaucoup plus necessaire pour obtenir mon pardon, que le témoignage toûjours suspect de ma conscience, pour calmer mes craintes, & appaiser mes remords.

Car encore que je me croye innocent, je ne le suis pas pour cela[4] ; puisque nul homme sur la terre ne se trouvera parfaitement net devant vous[5], si vous ne lui faites misericorde.

  1. Luc. 2. 25.
  2. Prov. 12. 21.
  3. Psal. 7. 1.
  4. Corinth. 4. 4.
  5. Psal. 142. 2.