De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/49

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 247-253).


CHAPITRE XLIX.
Du desir de la vie éternelle, & de la grandeur des biens que Dieu a promis à ceux qui combattent genereusement en cette vie.
Le Maître.

MOn fils, lorsque vous sentez un ardent desir d’être dégagé des liens du corps, & de me voir sans aucun nuage, dans tout l’éclat de ma gloire, ouvrez vôtre cœur, & étendez-le, pour bien recevoir cette sainte inspiration, qui vous vient du Ciel.

Rendez mille actions de graces à mon infinie bonté, qui vous témoigne tant d’amour, qui vous visite avec tant de douceur, qui vous excite avec tant de charité, qui vous soûtient avec tant de force, de peur que le poids de la nature corrompuë ne vous arrête vers la terre.

Car cette ardeur sainte que vous ressentez, ne vient point de vous, & quelque effort que vous puissiez faire, vous ne l’auriez pas sans moi : c’est un pur effet de la grace dont je vous ai prévenu, c’est un moyen que je vous donne, & que vous devez employer pour croître en toute vertu ; principalement en humilité, pour vous prémunir contre les attaques de vos ennemis, pour vous attacher plus étroitement à moi, & pour me servir avec plus d’affection & de ferveur.

Mon fils, souvent il arrive que le feu est grand, mais il n’est point sans fumée.

Quelques-uns brûlent d’envie d’aller au Ciel : mais ils ont toûjours quelque attachement à la terre, & ne sont jamais tout-à-fait exempts de la contagion de la chair.

De-là vient que dans les choses qu’ils me demandant avec instance, ils n’envisagent pas purement ma gloire.

Vos desirs, qui paroissent si ardens & si empressez, ne sont pas plus purs que les leurs.

Car l’amour propre gâte tout, & il n’y a rien de saint & de parfait ou regne le propre interêt.

Demandez moi, non ce qui vous plaît, & ce qui vous accommode, mais ce qui m’est agréable, & ce qui peut servir à ma gloire.

Si vous êtes sage, vous préfererez toûjours mon inclination à la vôtre. Je sçai quels sont vos souhaits, & j’ai souvent entendu vos gemissemens.

Vous voudriez être déja en possession de la liberté & de la beatitude des enfans de Dieu. Vous soupirez après votre celeste patrie, vous en goûtez même par avance les délices ineffables : mais vous n’y êtes pas encore ; vôtre heure n’est pas venuë ; il ne faut songer maintenant qu’à porter la croix ; c’est ici un tems de guerre, un tems de travail & de souffrance.

Vous voudriez joüir dès à présent du souverain bien ; mais cela est impossible.

C’est moi qui suis ce souverain bien. Attendez-moi, dit le Seigneur, attendez que le regne de Dieu arrive.

Vous avez encore besoin de passer par les souffrances, & il faut que vôtre vertu soit éprouvée en bien des manieres.

Vous recevrez de tems en tems quelques consolations du Ciel : mais vous ne serez jamais pleinement content.

Montrez donc que vous avez du courage, soit à entreprendre, soit à endurer des choses contraires aux inclinations de la nature.

Il faut que par un entier changement, Vous deveniez un homme nouveau[1].

Il faut vous resoudre à faire souvent ce que vous ne voulez pas, & à ne pas faire ce que vous voulez.

Ce que les autres entreprennent leur réüssira ; & ce que vous entreprenez, ne vous réüssira point.

On estimera ce que les autres diront ; & quelque chose que vous disiez, on s’en moquera.

On accordera aux autres tout ce qu’ils demanderont ; & vous aurez beau demander, vous n’obtiendrez rien.

On loüera hautement les autres ; & on ne parlera point de vous.

On donnera aux autres de grands emplois ; & on ne vous jugera capable de rien.

La nature a bien de la peine à supporter tout cela ; & c’est beaucoup qu’elle n’en murmure point.

Ce sont-là pourtant les épreuves ordinaires, où l’on a coûtume de mettre les gens de bien, pour voir s’ils ont appris à se mortifier, & à se vaincre en toute occasion.

Jamais on n’a plus besoin d’être entierement mort à soi-même, que lorsqu’il faut voir & souffrir des choses dont on a beaucoup d’aversion, sur tout si ces choses ne paroissent ni raisonnables, ni utiles.

La crainte qu’on a de choquer une Puissance supérieure, de qui l’on dépend, fait qu’on gémit de se voir contraint à vivre toûjours dans une fâcheuse sujettion, & à renoncer en tout à les propres sentimens.

Mais considerez mon fils que vous tirerez beaucoup de fruit de vos souffrances, qu’elles finiront bien-tôt, & que vôtre récompense sera éternelle : faites là-dessus de serieuses réflexions ; vous y trouverez de grands sujets de consolation, & toutes les croix de cette vie vous sembleront tres-legeres.

Songez que pour vous être fait violence ici-bas en quelque rencontre, vous ferez éternellement vôtre volonté dans le Ciel.

C’est-là en effet que tous vos souhaits seront accomplis ; c’est-là que vous trouverez l’abondance, & la plenitude de tout bien, sans aucune crainte de la perdre.

C’est-là que soûmis à ma volonté, vous ne desirerez rien hors de moi, rien qui ne vous soit commun avec moi.

Alors vous n’aurez personne qui vous resiste, ni qui se plaigne de vous, ni qui trouble vôtre repos, ni qui traverse vos desseins. Il ne vous manquera rien de ce que vous pouvez souhaiter, vous jouirez d’un contentement parfait.

Je vous comblerai de gloire pour les opprobres dont le monde vous aura chargé ; je ferai de vos afflictions la matiere de vos loüanges ; & parce que vous aurez pris ici bas la derniere place, je vous donnerai une des premieres dans mon Royaume éternel.

Là vous verrez de quel mérite est l’humilité, de quelle joye la pénitence est suivie, & quel est enfin le prix de l’obéissance.

Soûmettez-vous donc maintenant à tous les hommes, & n’allez point trop examiner qui a dit ceci, qui a ordonné cela.

Et si quelqu’un a besoin de votre service, pour peu qu’il vous le témoigne, soit superieur, soit inferieur, soit égal, faites de bon cœur & avec une sincere affection ce qu’on demande de vous.

Que les uns recherchent une chose, les autres une autre ; qu’ils mettent leur gloire en ceci, ou en cela, ne leur enviez point les louanges qu’une infinité de gens leur donnent ; réjouissez-vous seulement de vous voir dans le mépris, & foulant aux pieds tout le reste, ne pensez qu’à ce qui est de mon service.

Ce doit être là l’unique matiere de vos soins, afin que vôtre vie & vôtre mort contribuent également à ma gloire[2].

  1. 1. Reg. 10. 6 & 9.
  2. Phil. 1. 20.