De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/56

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 276-279).


CHAPITRE LVI.
De l’abnégation de soi-même, & de l’imitation de Jesus crucifié.
Le Maistre.

MOn fils, plus vous vous haïrez vous-même, plus vous aurez d’union avec moi.

Car comme on n’obtient la paix interieure, qu’en méprisant les biens exterieurs : ainsi l’on ne peut s’attacher à Dieu, qu’en se détachant de soi-même.

Je veux que vous appreniez à vous remettre de tout à ma volonté, sans opposition & sans murmure.

Suivez-moi ; car je suis la Voye, la Verité & la vie[1].

On ne peut marcher où il n’y a point de voye ; on n’est assuré de rien où il n’y a point de verité ; on ne sçauroit vivre où il n’y a point de vie.

Je suis la Voye que vous devez prendre, la Verité que vous devez croire, la Vie que vous devez esperer.

Je suis la Voye sûre, la Verité infaillible, la Vie éternelle.

Je suis la Voye la plus droite, la premiere Verité, la vraye Vie, la Vie bienheureuse, la Vie incréée.

Si vous demeurez dans cette Voye, vous parviendrez à la connoissance de la Verité ; la Verité vous sauvera[2], & vous fera vivre éternellement.

Voulez-vous obtenir la Vie ? gardez mes Commandemens[3].

Voulez-vous connoître la verité ? croyez en moi.

Voulez-vous être parfait ? vendez tout ce que vous avez[4].

Voulez-vous être mon Disciple ? commencez par une entiere abnégation de vous-même.

Voulez-vous gagner la vie bienheureuse ? renoncez aux faux plaisirs de la vie présente.

Voulez-vous être fort élevé dans le Ciel ? humiliez-vous profondément sur la terre.

Voulez-vous enfin regner avec moi ? portez la croix avec moi.

Car le chemin qui conduit à la souveraine beatitude ; & à la véritable lumiere, n’est ouvert qu’aux amateurs de la Croix.

Le Disciple.

O mon Jesus, puisque toute vôtre vie s’est passée dans le travail, dans l’humiliation, & dans l’opprobre, faites qu’à votre imitation, je m’estime heureux d’être méprisé de tout le monde.

Car le serviteur ne doit être plus consideré que son Seigneur, ni le disciple plus que son Maître[5].

Instruisez votre serviteur & à méditer, & à imiter tout ensemble vos œuvres saintes : car c’est dans cet exercice que je dois trouver mon salut & ma perfection.

Tout entretien, toute lecture, qui ne regarde point vôtre vie, ne sçauroient me satisfaire.

Le Maistre.

Mon fils, puisque vous sçavez, & que vous avez lû cout cela, vous serez heureux, si vous le mettez en pratique.

Celui qui sçait, & qui execute mes volontez, c’est celui qui m’aime, & je l’aimerai reciproquement ; je me ferai connoître à lui ; je le ferai asseoir avec moi dans Royaume de mon Pere[6].

Le Disciple.

O mon Sauyeur, daignez accomplir ce que vous me promettez, & rendez moi digne de cette grace.

J’ai reçû la Croix que vous m’avez présentée, je l’ai reçuë de vôtre main ; je la porterai jusques à la mort, selon que vous le voulez.

La vie d’un saint Religieux est certainement une Croix, mais une croix qui conduit au Ciel.

Courage, mes freres, nous avons heureusement commencé ; gardons-nous bien de reculer, & d’abandonner ce que nous avons si saintement entrepris.

Allons tous ensemble où Dieu nous appelle : Jesus sera avec nous.

C’est pour l’amour de Jesus que nous avons pris cette croix : demeurons y toûjours attachez pour l’amour de lui.

Il nous donnera l’exemple, il sera nôtre soûtien & nôtre force, comme il est nôtre modéle.

Voilà nôtre Roi, nôtre Capitaine qui marche devant nous, & qui veut bien combattre pour nous.

Suivons le courageusement ; ne craignons point l’ennemi ; mourons, s’il le faut, dans le combat ; & qu’on ne nous reproche pas que nous ayons été assez lâches pour nous détacher & nous enfuir de la croix.

  1. Matt. 9. 9. ; Joan. 14. 6.
  2. Joan. 8. 32.
  3. Matt. 19. 17.
  4. Matt. 19. 25.
  5. Matt. 23. 24. ; Joan. 13. 16.
  6. Joan. 14. 21. ; Apoc. 3. 21.