De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 4/01

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 294-302).


CHAPITRE I.
Avec quelle reverence il faut recevoir Jesus-Christ ?

O Mon Sauveur, ô Verité éternelle, toutes ces paroles sont de vous, quoiqu’elles n’ayent pas été dites dans le même-tems, ni écrites dans le même lieu.

Comme donc elles sont de vous, & par consequent véritables, je suis obligé de les recevoir toutes avec foi, & avec actions de graces.

Ce sont vos paroles, puisque c’est vous qui les avez dites : mais elles sont véritablement à moi, puisque c’est pour mon instruction & pour mon salut que vous les avez prononcées.

Je les reçois volontiers, comme venant de votre bouche, afin qu’il vous plaise me les graver dans le cœur.

Des paroles si tendres, & qui marquent tant de bonté, m’encouragent d’une part : de l’autre mes ingratitudes m’effrayent, & ma mauvaise conscience ne me permet pas de m’approcher de vos saints Mystéres.

Une invitation si douce m’attire : mais le poids de mes pechez & de mes vices qui sont innombrables, me retient.

Vous desirez que je m’approche de vous avec confiance, si je veux participer à vos dons : vous me commandez de manger ce Pain divin, si je veux vivre à jamais, & obtenir la gloire éternelle.

Venez à moi, dites-vous, venez vous tous, qui étes accablez de peines, & je vous soulagerai[1].

O parole vraiment consolante pour un pecheur pauvre & miserable, que vous invitez à la Communion de vôtre Corps & de vôtre Sang !

Mais qui suis-je, ô mon Seigneur, & mon Dieu, qui suis-je pour oser me présenter devant vous ?

La vaste étenduë des Cieux ne sçauroit vous contenir[2] ; & vous dites : Venez à moi.

D’où vient cet excès de charité ? comment daignez-vous ainsi m’appeller & me souffrir auprès de vous.

De quel front paroîtrai-je en vôtre présence, moi qui ne me sens aucun mérite pour prétendre à cet honneur ?

Comment oserai-je vous recevoir dans mon sein, moi qui à vos yeux ai commis tant de crimes si énormes ?

Les Anges & les Archanges vous reverent, les Justes & les Saints vous craignent ; & vous dites cependant : Venez tous à moi.

Qui le croiroit, si vous ne le disiez vous-même ? si vous n’en faisiez un commandement, qui oseroit y penser ?

Noé, cet homme si saint, fut cent ans à construire une arche, où lui & peu d’autres se devoient sauver du déluge general : & moi en une heure je pourrai me préparer pour recevoir dignement celui qui de rien a créé le monde ?

Moïse vôtre Favori & vôtre Ministre, fit faire d’un bois incorruptible un autre Arche qu’il couvrît de lames d’or, afin d’y mettre les deux Tables de la Loi, que vous lui aviez données ; & moi qui ne suis que corruption, je recevrai hardiment le suprème Législateur, l’Auteur & le Maitre de la vie ?

Salomon le plus sage des Rois d’Israël, employa sept ans à bátir en vôtre honneur un Temple très-magnifique ; & quand il fût achevé, il en celebra la Dédicace huit jours durant, il y offrir plusieurs milliers d’hosties pacifiques, & enfin il commanda que l’Arche d’Alliance y fût portée, au son des trompettes, aux acclamations du peuple, & qu’on la plaçât dans le lieu, qui lui avoit été préparé.

Ec cependant un malheureux comme moi, qui ne sçauroit presque donner une demie heure à l’Oraison, & à qui peut être il n’est jamais arrivé une seule fois d’y bien employer une demie heure tout entiere ; un homme dis-je, si mal disposé, ne craindra point de vous inviter à venir chez lui ?

O mon Dieu, qui pourroit dire ce que ces grands Saints ont fait pour vous plaire ?

Hélas, que ce que je fais est peu de chose ! & que je mets peu de tems à me disposer à la Communion !

Je me trouve rarement bien recüeilli, & encore plus rarement sans aucune distraction.

Je ne devrois cependant avoir aucune pensée profane, & aucune créature ne me devroit occuper l’esprit en votre présence, puisque je suis prêt de recevoir, non pas un Ange, mais le Seigneur même des Anges.

D’ailleurs l’Arche d’Alliance, & tout ce qui étoit dedans, n’avoit rien de comparable ni à vôtre sacré Corps, ni aux qualitez glorieuses dont il est orné. Tous les sacrifices de la Loi ancienne étoient de simples figures de celui de vôtre Corps immolé sur nos Autels, où ces figures se trouvent parfaitement accomplies.

Comment donc, étant si proche de vous, puis-je être si peu épris de vôtre divin amour ? comment apportai-je si peu de soin à me préparer à vos saints Mystéres ; sur tout quand je pense qu’autrefois les Patriarches, les Prophétes, les Rois & les Princes avec tout le peuple, faisoient paroître tant d’ardeur pour vous honorer selon l’ordre & les ceremonies de leur Loi ?

David, ce Prince si religieux, n’eût pas honte de danser publiquement devant l’Arche[3], en reconnoissance des faveurs insignes, que Dieu avoit faites anciennement à ses Peres.

C’est dans cette même vûë qu’il fit faire divers instrumens de musique, & qu’il composa des Pseaumes que tous chantoient avec beaucoup de solemnité, & avec de grandes démonstrations d’allegresse. Lui même inspiré d’en-haut les chantoit souvent sur sa harpe, instruisant ainsi le peuple à louer, à benir, à glorifier tous les jours unaniment leur Seigneur.

Si tout cela se faisoit avec tant de pieté ; si devant l’Arche d’alliance tout retentissoit des louanges de Dieu, quel respect ne dois-je pas avoir, quelle devotion ne doivent pas témoigner tous les Fidéles devant cet auguste Sacrement, ou l’on mange la Chair adorable de Jesus-Christ ?

Plusieurs vont en pelerinage en divers endroits, pour honorer les Reliques de quelque Saint ; ils sont charmez de ce qu’on leur dit des vertus & des grandes actions des Saints ; ils considerent avec admiration les magnifiques Eglises, qu’on a bâties en leur honneur ; ils baisent avec respect leurs Ossemens, enveloppez dans de précieuses étoffes d’or & de soye.

Et vous voilà exposé vous-même à mes yeux sur cet Autel, ô mon Dieu, ô le Saint des Saints, ô le Créateur des hommes, & le Maitre souverain des Anges.

Il y a souvent beaucoup de curiosité dans ces sortes de voyages, où sous couleur de dévotion l’on aime à voir des choses extraordinaires, & qu’on a point encore vûës. Aussi d’ordinaire n’en revient-on pas meilleur qu’on étoit auparavant, surtout quand on ne cherche qu’à courir, sans se mettre en peine de changer de vie.

Mais vous êtes réellement dans la sainte Eucharistie, & vous y êtes tout entier, ó mon Jesus, vrai Dieu & vrai homme, vous y êtes, & quiconque vous y reçoit dignement y est sanctifié & rempli de grace.

Car ce n’est ni curiosité, ni legereté, ni sensualité qui l’attire ; c’est une vive foi, c’est une ferme esperance, c’est un amour pur & sincere.

O Dieu invisible, Créateur du monde, que vous en usez avec nous d’une maniere admirable ! que vôtre conduite est douce, qu’elle est pleine de tendresse à l’égard de vos Elûs qui vivent de vôtre Chair dans le Sacrement !

C’est là sans doute une faveur inestimable, & qu’on ne sçauroit comprendre. Vous vous en servez comme d’un puissant moyen pour gagner le cœur des personnes de pieté.

Car les Justes, qui travaillent continuellement à se corriger & à se perfectionner, ne s’approchent guéres de ce divin Sacrement, qu’ils ne se sentent penetrez de dévotion, & épris de l’amour de la vertu.

O grace merveilleuse, grace connuë des Justes & des Fideles, mais cachée aux Infideles & aux pecheurs !

O ineffable Mystére, dans lequel Dieu comble l’ame, de dons celestes, & lui rend avec la premiere vigueur, toute la beauté que les pechez avoient ternie !

La dévotion qu’on y ressent est souvent si grande, que passant de l’ame au corps, elle le soûtient & le fortifie.

Mais ce qu’il y a de pitoyable, & ce qu’on ne peut assez déplorer, c’est le peu de dévotion, c’est la tiédeur & la negligence que l’on apporte à recevoir Jesus-Christ, l’unique esperance des Elûs, auquel tous les Saints sont redevables de leurs vertus & de leurs mérites.

Il est en effet nôtre sanctification & nôtre rédemption ; il est la consolation des bonnes ames en cette vie, & il fera à jamais leur bonheur à l’autre.

Mais hélas ! une infinité de gens comoissent peu l’excellence de ce Sacrement, qui réjoüit le Ciel, & qui soûtient tout le monde.

O dureté prodigieuse du cœur humain : ô aveuglement étrange, de faire si peu de cas d’un don si précieux, & d’en corrompre tellement l’usage, que par une vicieuse accoûtumance, on vient enfin à en perdre l’estime & le goût !

S’il n’y avoit dans le monde qu’un seul Prêtre qui celebrât, & qu’il n’y eût qu’un seul endroit, où il fût permis de recevoir la sainte Communion, quel empressement n’auroit-on pas pour voir ce lieu si privilegié, pour y voir le Prêtre célebrer les divins Mystéres ?

Maintenant que le sacrifice du Corps & du sang de Jesus-Christ est offert dans tous les quartiers du monde, & par une infinité de Prêtres, n’en doit on pas profiter ? & ne faut-il pas que plus on a de facilité d’y participer, plus on admire l’amour excessif, que Dieu porte aux hommes ?

Je vous rends mille actions de graces, Ô mon Jesus, Prêtre, & Pasteur éternel, pour la bonté que vous ayez de nous donner pour nourriture dans nôtre exil, vôtre Corps & vôtre Sang, & de nous convier vous même à ce banqueť, en nous disanr : Venez à moi vous tous qui êtes dans le travail & dans la souffrance ; venez, car je veux vous soulager, & vous rassasier[4].

  1. Matt. 11. 28.
  2. 3. Reg. 8. 27.
  3. 2. Regem. 6. 14.
  4. Matt. 11. 28.