De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Préface du traducteur

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 9-12).


PREFACE.


LE Livre de l’Imitation de Jesus-Christ est si connu, & si universellement approuvé, qu’il m’a semblé inutile d’en faire l’éloge par une longue Préface. On sçait assez l’estime particuliere qu’en ont témoigné plusieurs grands Saints, & combien ils en ont recommandé la lecture à tous les Fidéles. Ce que j’en puis dire engeneral, c’est qu’il contient en abregé tout ce qu’il y a de plus excellent dans la morale de l’Evangile, & que l’Auteur, quel qu’il soit, qui l’a composé, est celui de tous les Auteurs qui a le mieux possedé la doctrine & l’esprit de Jesus-Christ. Pour peu qu’on le lise, on y apprend le mépris du monde, l’abnegation de soi-même, l’union avec Dieu ; en quoy consiste toute la perfection Chrétienne.

Tous ceux qui en ont l’usage, sçavent beaucoup mieux par leur propre expérience, que par tout ce qu’on leur en peut dire quelles en sont les utilisez. Aussi ne peut-on rien faire de mieux que d’imiter S. Ignace, quí ne laissoit passer aucun jour, sans en lire au moins un Chapitre. Jamais personne n’a observé cette sainte pratique, qu’il n’ait fait en peu de tems de grands progrès dans la Vie spirituelle. Enfin on a éprouvé jusques à cette heure, qu’en l’ouvrant, on trouve toûjours tout ce qu’on peut souhaiter de plus propre, soit pour sa consolation ou pour son instruction.

C’est afin que tout le monde en profitât, qu’on a crû le devoir traduire en toutes sortes de langues : mais je ne sçai s’il y a aucune langue dans laquelle on en ait fait un plus grand nombre de Traduction que dans la nôtre. C’est aussi la seule raison qui pouvoit me détourner de faire encore celle-ci, & de l’ajoûter à tant d’autres : mais j’espere qu’elle ne sera pas entierement inutile aux bonnes Ames, dont les gouts sont differens, & dont les inclinations ne sont pas toûjours semblables. Je prévois même que si maintenant elle est la derniere, elle ne le sera pas toûjours, & qu’il pourra venir en pensée à quelqu’un d’en donner encore quelque nouvelle au public. D’ailleurs le livre de l’Imitation de Jesus-Christ est entre les mains de tout le monde : le débit n’en peut manquer, & on ne sçauroit le rendre trop commun. Quoi qu’il en soit, comme je pardonnerai volontiers à ceux qui travailleront sur le même sujet aprés moy, je ne doute point que ceux qui ont travaillé avant moi ne me pardonnent aussi d’autant plus facilement, que je n’ay jamais prétendu ny me preferer, ny me comparer à personne.

Pour ce qui regarde la maniere de traduire, je n’y ai rien affecté de particulier ; j’ai tâché seulement d’entrer dans la pensée de l’Auteur, & de la rendre le plus fidélement que j’ai pû, sans toutefois m’attacher scrupuleusement aux mots qui ont souvent de l’obscurité, & qu’on ne pourroit faire bien entendre, si l’on ne prenoit un tour un peu different du Latin. La plus grande difficulté de cette Traduction n’est pas ce me semble d’exprimer les pensées sublimes de l’Auteur, mais d’en retenir l’esprit : ses expressions sont simples, naturelles, & sans art, mais toûjours pleines d’une certaine Onction, qu’on ne trouve point ailleurs, & qui fait le caractere de cet admirable Livre. Ce n’est donc point par l’élegance, ny par la grandeur du style qu’il en faut juger ; c’est par une naïveté, qui n’ayant rien de rampant, n’a rien aussi de recherché, ny de pompeux, & qui ne va qu’à inspirer de la devotion. C’est cette simplicité noble & soûtenuë que j’aurois bien voulu imiter : mais si je n’ai pû y parvenir, j’espere que la Grace du Saint-Esprit, & les bonnes dispositions du Lecteur suppléeront à mon défaut.