De l’abolition des droits féodaux et seigneuriaux au Canada/00

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INTRODUCTION.


Nous sommes convaincus que dans une contrée agricole, comme le Canada, il faut rencontrer les besoins de l’agriculture, de la population rurale croissante, chercher à lui assurer une propriété déchargée de tous les entraves que font naître les droits féodaux et Seigneuriaux.

C’est par l’agriculture que la prospérité d’un pays peut augmenter rapidement. C’est la classe industrielle, la classe agricole surtout, qui doit occuper les pensées et les sollicitudes des hommes d’État ; oui, c’est de cette classe que l’on doit s’occuper plus particulièrement si l’on veut faire naître l’aisance, l’abondance et la prospérité au milieu de tous.

Pourquoi avec le sol généralement fertile du Canada la culture a-t-elle fait si peu de progrès ? Les colons manquent-ils d’énergie, sont-ils paresseux ? Les Canadiens aiment le travail, et ils sont laborieux ; le pays renferme des ressources immenses pour l’industrie et le commerce ; mais ce qui manque, ce sont des lois équitables.

L’administration actuelle devrait s’occuper, avec énergie, à donner à l’agriculture de la vie et de l’essor ; mais le système féodal est destructeur de l’énergie, de l’esprit d’entreprise et de l’industrie, il faut donc mettre la cognée à la racine de l’arbre nuisible, et, avec lui, arracher la cause première de l’état d’infériorité agricole et de misère dans lequel languit cette malheureuse contrée. Le système féodal, existant actuellement au Canada ne doit pas subsister sous un gouvernement libéral. La justice réclame, avec l’abolition des droits et des priviléges Seigneuriaux, qu’une juste indemnité soit accordée aux Seigneurs dépossédés des droits qui leur ont été garantis.

Il est vraiment pénible de penser qu’au Canada l’agriculteur est obligé de payer une rente annuelle, de faire moudre son blé au moulin du Seigneur, qui en retient la quatorzième partie, et qui la fait même payer si le censitaire va faire moudre son blé ailleurs qu’au moulin banal ; il est obligé de réparer les grandes routes et les chemins de traverses qui passent sur ses terres, d’en faire de nouveaux en y participant ; il est obligé aux lods et ventes, qui constituent une bonne partie du revenu du Seigneur, lui rapportant la douzième partie de l’acquisition de chaque propriété vendue dans sa Seigneurie, et dont les mutations lui font percevoir, tous les quinze à vingt ans, le douzième de la valeur de toutes les propriétés.

Outre ces charges, le Seigneur a le droit de retrait, ou le privilége de préemption, d’après la plus haute enchère, dans l’espace de quarante jours ; il peut faire couper et prendre, sans indemnité, les bois de construction et les pierres à chaux dans l’enceinte de sa Seigneurie, pour son usage, quelquefois pour l’usage de ses fermiers, et pour l’utilité publique ; il peut s’emparer des terrains à sa commodité pour la construction de moulins ; il peut exiger des corvées ; il perçoit une dîme de tout le poisson pris dans les pêcheries qui sont sur les grèves dans sa Seigneurie, et, enfin, une dîme sur la chasse.

Tels sont les droits oppresseurs et les priviléges particuliers des Seigneurs ; droits qui tyrannisent, qui entravent les progrès de l’agriculture ; droits qui frappent l’homme le plus laborieux et le seul productif de produits nécessaires et indispensables à la nourriture de la Société.

Par la destruction des charges Seigneuriales, quelle énergie ! quelle industrie ! et quelle prospérité n’en seraient pas les heureuses conséquences ! L’agriculture ne craindrait plus d’être vexée, et, par ses progrès, le commerce et toutes les industries, tous les arts utiles acquerraient des améliorations, et l’accroissement rapide de la population serait un résultat assuré de l’état prospère du pays.

Les apôtres des droits Seigneuriaux ont faussement avancé au soutien de leur principe inique, que ces droits avaient pour heureux résultats d’attacher les habitants à leurs propriétés, de les empêcher de les vendre à des spéculateurs qui, une fois les terres du Canada en leur possession, y établiraient un système analogue à celui qui existe en Angleterre et en Irlande.

La tenure Seigneuriale ne peut que produire l’effet contraire. Le grand nombre de propriétaires expropriés par les Seigneurs, qui sont, pour la plupart, les plus grands spéculateurs de terres, et le grand nombre d’habitants qui, chaque année, vendent leurs propriétés pour aller chercher dans les États-Unis, avec la liberté, un sort plus fortuné, démentent évidemment une telle assertion.

Ce n’est pas en imposant des charges injustes, onéreuses, dégradantes, et en lui imposant, en outre, le sacrifice du douzième de toutes les améliorations qu’il a pu faire sur sa propriété, que l’on puisse inspirer à l’homme le désir de demeurer dans cette condition malheureuse. Pour l’attacher à sa propriété, il faut, au contraire, en abolissant tous les entraves qui gênent son industrie, lui fournir la faculté d’y pouvoir trouver en paix, la récompense de son labeur, des moyens d’une existence aisée, et le bonheur pour lui et sa famille, au sein de son pays natal, qui lui est toujours cher, et dont son attachement naturel lui fait un devoir de ne s’en éloigner pour aller chercher fortune ailleurs, que quand la misère lui en fait une loi.

Nous concevons qu’avec des chaînes on pourrait, comme en Russie, lier l’homme à la glèbe ; mais nous disons aussi, « malédiction contre celui qui en aurait seulement la pensée ! »

Depuis plus de seize ans nous avons, plusieurs fois, élevé la voix, sous les noms de Franc Parleur et du Vieux de la Montagne, pour la défense des justes réclamations des Canadiens repoussés, par un éloignement systématique, de l’obtention des terres de la couronne, et tyrannisés par l’oppressive tenure seigneuriale.

Nous nous réjouissons aujourd’hui de voir que déjà, quant à la première réclamation, justice a été rendue par le gouvernement colonial, en se montrant équitable et généreux, par la facilité qu’il donne maintenant aux Canadiens, comme à tout autre Sujet de l’Empire Britannique, de s’établir sur les terres de la couronne gratuitement, ou avec une rétribution presque nominale.

Espérons donc, et nous avons lieu d’espérer, que justice sera également accordée quant à l’abolition des droits féodaux et seigneuriaux, dont l’existence est pour le pays une source de misère et de dépopulation, par les entraves qu’ils apportent au développement de l’agriculture, du commerce, et de tous les arts industriels.

Il est temps que la vérité perce, qu’elle se montre, et qu’elle soit connue.

Les faits prouvent que les Seigneurs au Canada, en usurpant des droits, n’ont pas été les seuls coupables ; ils ont eu pour complices la négligence de l’administration coloniale et la prévarication des Cours de Justice ; mais les malheureux censitaires, eux, en sont les victimes : le Gouvernement leur doit une grande et entière réparation ; c’est-à-dire, l’abolition de tous les droits féodaux et seigneuriaux, au moyen d’une juste indemnité aux Seigneurs.

Il est nécessaire, pour tous les intérêts du pays, de fermer les sources d’oppressions privées, comme publiques, auxquelles la loi peut parvenir ; que les Canadiens puissent être entièrement convaincus qu’ils ne seront plus troublés, vexés, molestés, tyrannisés dans l’occupation de leurs terres qu’ils pourront enfin se livrer librement à toutes les améliorations agricoles et à toutes les entreprises industrielles ; et, pour cela, il faut absolument que l’on détruise les vestiges de la féodalité qui les oppriment et les écrasent encore, au dix-neuvième siècle, sur le sol de la liberté, sur le sol de l’Amérique.