De l’abolition des droits féodaux et seigneuriaux au Canada/04

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CHAPITRE IV.

conclusion


Le seul désir de dévoiler la vérité, de la proclamer, pour la faire reconnaître et adopter pour le bonheur d’une société opprimée et souffrante, nous a mis la plume à la main ; nous protestons donc d’avance, contre toute interprétation malicieuse ; nous n’avons pas voulu nuire au caractère de personne, nous sommes, comme toujours, contre les principes vicieux, et non contre les individus que, néanmoins, les mauvais principes finissent toujours par vicier.

La tenure seigneuriale est une violation du droit naturel ; elle est dégradante et vexatoire, elle décourage l’agriculture, paralyse l’énergie de l’homme et le développement de toutes les industries.

Arrière, tenure infâme ! tu achèves ta carrière en ce pays, tu seras complètement chassée de l’Amérique : au Canada plus de Seigneurs, plus de vassaux, plus de vilains ; plus de corvées à faire, plus de lods et ventes, plus de droit de retrait, plus de cens et rentes, plus de redevances, plus de réserves injustes, plus de distinctions avilissantes, plus de droits de domination et d’oppression, plus de droit de banc double dans l’église, droit d’y trouver la sépulture pour soi et sa famille ; arrière vestiges de la féodalité !

Il faut abroger, pour toujours, cette loi tyrannique, ces restes hideux et dégoutants de la barbarie. Il y a assez longtemps que le peuple souffre l’injustice des lois seigneuriales, le devoir des mandataires du peuple, devoir impérieux ! doit être de se rendre à ses vœux, en faisant disparaître tous ces droits honteux, en détruisant la servitude féodale, en faisant des sujets libres et en préparant leur avenir de prospérité et de bonheur. Le temps d’une réparation complète est enfin venu. L’opinion publique, à laquelle les assemblées délibératives sont responsables, s’est déjà prononcée, et se prononcera encore d’une manière plus formidable, nous n’en doutons pas, encore plus généralement et plus énergiquement dans tout le pays, en faveur de l’abolition des droits féodaux et seigneuriaux.

Qui osera donc s’opposer à l’accomplissement de ce grand acte de justice !

Déjà quelques alarmistes ont sonné le tocsin, et se sont écriés : abolir les droits seigneuriaux c’est perdre la nationalité, c’est attaquer les usages, les lois et la jurisprudence du pays ; c’est ouvrir la porte aux capitalistes qui achèteront les

terres des habitants et en feront des prolétaires. Le servage d’un peuple ne peut être sa nationalité ; et il est un fait incontestable, c’est que la plupart des Seigneurs ont été, et sont encore des spéculateurs de terres plus redoutables que ceux que l’on évoque, comme des fantômes, pour épouvanter. Le cultivateur, déchargé des lourdes charges seigneuriales, trouvant son avantage à garder et à cultiver sa terre à son profit, ne donnera pas de prise aux envahissements des riches. Voit-on aux États-Unis libres, où le sceptre de la féodalité n’existe pas, les propriétaires dans les campagnes devenir la proie des capitalistes, devenir des fermiers par la disparition de la répartition des terres ? Y voit-on le hideux spectacle de maisons, de fermes délabrées, de serfs courbés sous le joug du riche et le servage le plus avilissant ? Non ; il est loin d’en être ainsi. Les cultivateurs Canadiens, déchargés des droits seigneuriaux, pourront prétendre, en grande partie, à toute la prospérité et le bonheur, partages des cultivateurs Américains, et que leurs institutions républicaines leur procurent.

Mais, à entendre les alarmistes, l’abolition des droits seigneuriaux aurait pour conséquence inévitable de jeter le Canada dans l’état déplorable, la misère et les gémissements des fermiers de la Grande-Bretagne, et de la trop malheureuse Irlande, qu’ils doivent particulièrement à l’existence du droit de primogéniture ou d’aînesse, et à toutes les affreuses conséquences dont il est la cause. Assertion fausse, mensongère et absurde ! Une tenure quelconque de propriété sujette à des conditions onéreuses et avilissantes, doit nécessairement être injurieuse au pays où elle existe, répugner aux sentiments de l’homme libre, ne pas s’accorder avec l’esprit de lumières et de civilisation du dix-neuvième siècle, et être, enfin, une source de pauvreté, de misère, d’irritation, de juste aversion, et même d’insurrection et de troubles publics.

Il est évident que l’Acte pour la Commutation des Tenures, la 6e George IV, ch. 59, n’assure aux censitaires aucun des avantages qu’avaient en contemplation ses auteurs. Son seul effet est de transférer aux Seigneurs qui ont des terres incultes et non concédées le droit de propriété aux terres que, par les conditions de leurs concessions, ils étaient obligés de concéder à quiconque le désirerait ; et c’est ce que fait l’Acte, sans aucune condition avantageuse aux censitaires, et sans aucune condition pour assurer l’établissement les terres dont la tenure est commuée. Cet Acte n’accorde aux censitaires aucune facilité quelconque pour alléger les fardeaux auxquels ils sont soumis, excepté pour l’avantage des Seigneurs ; il est inefficace dans ses provisions, qui paraîtraient au premier coup d’œil, les plus importantes et les plus efficaces. L’Acte précité ne contient aucune prévision pour permettre aux censitaires de commuer la tenure de leurs propriétés dans les seigneuries de la Couronne.

La capitulation du pays et les traités assurent aux Canadiens la paisible jouissance de leur religion, de leurs lois et coutumes, il n’appartient donc, légalement, qu’au parlement colonial de législater, avec légalité et connaissance de cause, quant aux changements que réclament la justice et l’état actuel de la civilisation.

Nous en appelons au patriotisme de tous les Canadiens influents, et des censitaires en particulier, pour qu’ils fassent des assemblées publiques, avant l’ouverture du prochain parlement, dans tous les comtés du pays, pour passer d’énergiques résolutions, demandant à la législature, d’une manière définitive et positive, non des réformes et des modifications à la tenure seigneuriale, qui seraient des hors d’œuvre pour changer radicalement, en sort plus heureux, la malheureuse condition les censitaires Canadiens, mais l’abolition entière de tous les droits féodaux et seigneuriaux.

Ces résolutions adressées à la Chambre d’Assemblée, nous croyons fermement, qu’après de telles manifestations, l’attitude du peuple devra infailliblement lui obtenir la réalisation de sa juste demande ; car il sera alors du devoir impérieux du Ministère de faire réussir cette grande mesure de justice et de réparation ; il sera alors du devoir impérieux des mandataires du peuple de ne pas reculer, à moins de trahison, devant cette œuvre d’équité, de progrès, de civilisation et de liberté ; la majorité du parti Anglais, détestant les vestiges de l’esclavage féodal, sa co-opération pour détruire à jamais des droits avilissants ne fera pas défaut, et le Canada, à l’avenir, n’aura plus à souffrir et à gémir des abus et de tous les maux que cause la tenure seigneuriale.

Tous ceux qui mettront la main à cette œuvre de destruction acquerront des titres glorieux, et à toujours mémorables, à la reconnaissance de tout le pays ; titres qui seront inscrits dans les fastes historiques du Canada, et qui seront gravés, en caractères ineffaçables dans tous les cœurs reconnaissants.


FIN.


de l’état déplorable des descendants des anciens naturels du Canada, et du moyen de les civiliser.


Après avoir réclamé contre les droits oppressifs qui tyrannisent les Canadiens dans cette partie de l’Amérique Britannique, nous nous sentons entraînés irrésistiblement, avant de déposer la plume, à jeter un regard philantropique sur le sort déplorable des descendants les anciens naturels du Canada, dont la condition malheureuse, si digne de pitié et d’intérêt, n’a pu, néanmoins, jusqu’à présent, attirer, d’une manière efficace, la sollicitude paternelle du gouvernement colonial.

Notre but n’est point d’entrer dans de longues observations, de représenter le génie et les mœurs des sauvages qui occupent plusieurs territoires au Canada ; mais seulement de faire quelques remarques particulières au sujet des sauvages Montagnais du Saguenay, remarques qui pourront aussi s’appliquer également à la civilisation de tous ces enfants de la nature dans cette contrée.

À leur dénuement, à leur pauvreté et à leur misère, on doit attribuer la diminution sensible des sauvages du Saguenay. Leur détresse est déjà connue du gouvernement ; la députation qui a été envoyée le printemps de l’année dernière, accompagnée de Mr. de La Terrière, représentant du comté de Saguenay au parlement provincial, et de leurs interprètes Messieurs Peter McLeod, Thomas Simard et McLaren, les ont représentées, cette misère et ces souffrances, sous des traits les plus pitoyables, au gouverneur-général Lord Elgin, sous les couleurs les plus vives et les plus attendrissantes.

Il est du devoir du Gouvernement, non pas de leur accorder seulement quelques secours passagers pour soulager leurs maux, mais de s’occuper sérieusement de l’œuvre si chrétienne, si humaine et si méritoire de leur civilisation, en les engageant, en les encourageant à se rendre à la vie sociale, à travailler, en les aidant, à construire des villages et à cultiver la terre.

Les Montagnais se plaignent d’avoir été délaissés du gouvernement, de ce que les établissements des Canadiens au Saguenay nuisent à leurs moyens de subsistance, à leurs pêches et à leurs chasses. Leurs missionnaires seraient les plus dévoués et les plus propres à les mener à abandonner une vie de misère, de fatigues, de famine et de dépopulation, pour jouir des bienfaits de la civilisation.

Ce plan bien conduit ne pourrait que se réaliser. Les Missionnaires catholiques du Canada réussiraient à effectuer ici, ce que les Missionnaires catholiques ont fait au Paraguay, dans l’Orégon, et même au lac Saint Jean, source du Saguenay, avant les affreux ravages que le fléau destructeur de la petite vérole, cet implacable ennemi des enfants de la nature, a fait, à plusieurs reprises, parmi la peuplade que les Pères Jésuites étaient parvenus à y établir et fixer ; cette cruelle maladie détruisit la colonisation des premiers Jésuites au Canada.

De nouveaux Missionnaires pourraient entreprendre également avec succès cette belle et bonne œuvre, si le gouvernement fournissait des moyens pécuniaires et des encouragements.

Le système de colonisation et de civilisation des Sauvages par le Catholicisme, s’est appliqué heureusement dans toute l’étendue du Continent de l’Amérique, au Canada, au Paraguay et autres parties de l’Amérique du Sud, à la Californie, à l’Orégon, et on l’a vu recevoir les plus vastes développements ; dans le Paraguay surtout ses effets ont été admirables.

Il n’y a pas de très-grandes difficultés à surmonter pour la civilisation des Montagnais. Ils sont catholiques, et s’ils conservent encore quelque chose de leur caractère primitif, ils n’ont pas les mœurs cruelles, ordinaires aux Sauvages, et ils sont plus disposés à entrer dans la vie de la civilisation, comme le prouve la demande qu’ils ont faite à l’exécutif d’avoir des terres pour s’y établir et cultiver la terre en peuplades.

Qu’on leur fournisse donc, à ces pauvres Sauvages, de l’aide et des missionnaires, et on verra tomber les arbres des forêts, des maisons se bâtir, des chemins s’ouvrir, une église s’élever, une école établie et fréquentée, des champs s’ensemencer, et des enfants de la nature sortir de leur misère et de leurs souffrances, pour jouir d’une condition heureuse avec des établissements fixes.

Les Sauvages les plus rapprochés des rives du Saint Laurent et de la rivière Saguenay sont éclairés des lumières de la foi ; mais, à cent lieues au-delà, il s’en trouve qui n’ont pas encore été évangélisés ; ils sont d’un caractère doux, et accueillent volontiers les ouvriers apostoliques, par les rapports qu’ils ont avec les autres Sauvages catholiques et les employés canadiens de la compagnie de la Baie d’Hudson.

Les moyens de subsistance pour ces peuplades sont la pêche et la chasse, c’est là leurs ressources et leur unique industrie. Malheur à eux quand le gibier et le poisson viennent à manquer ! Ils sont exposés à périr misérablement au milieu des tourments de la faim.

Les Missionnaires se feraient un devoir, cher à leur cœur, de déployer toute l’influence dont ils jouissent déjà sur une partie de ces sauvages pour les appeler à l’état social, et à concourir, par leur travail, aux progrès de la prospérité du Canada