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De l’abolition des droits féodaux et seigneuriaux au Canada/Texte entier

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DE L’ABOLITION
DES
DROITS FÉODAUX ET SEIGNEURIAUX
AU CANADA,
ET SUR LE MEILLEUR MODE À EMPLOYER POUR
ACCORDER UNE
JUSTE INDEMNITÉ AUX SEIGNEURS.


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Ouvrage dont il est du plus haut intérêt pour les Censitaires de se procurer, pour connaître leurs droits, et pour les réclamer unanimement à la prochaine Session du Parlement Provincial.
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PAR CLÉMENT DUMESNIL.
MONTRÉAL : — IMPRIMÉ PAR J. STARKE et Cie.

1849.

INTRODUCTION.


Nous sommes convaincus que dans une contrée agricole, comme le Canada, il faut rencontrer les besoins de l’agriculture, de la population rurale croissante, chercher à lui assurer une propriété déchargée de tous les entraves que font naître les droits féodaux et Seigneuriaux.

C’est par l’agriculture que la prospérité d’un pays peut augmenter rapidement. C’est la classe industrielle, la classe agricole surtout, qui doit occuper les pensées et les sollicitudes des hommes d’État ; oui, c’est de cette classe que l’on doit s’occuper plus particulièrement si l’on veut faire naître l’aisance, l’abondance et la prospérité au milieu de tous.

Pourquoi avec le sol généralement fertile du Canada la culture a-t-elle fait si peu de progrès ? Les colons manquent-ils d’énergie, sont-ils paresseux ? Les Canadiens aiment le travail, et ils sont laborieux ; le pays renferme des ressources immenses pour l’industrie et le commerce ; mais ce qui manque, ce sont des lois équitables.

L’administration actuelle devrait s’occuper, avec énergie, à donner à l’agriculture de la vie et de l’essor ; mais le système féodal est destructeur de l’énergie, de l’esprit d’entreprise et de l’industrie, il faut donc mettre la cognée à la racine de l’arbre nuisible, et, avec lui, arracher la cause première de l’état d’infériorité agricole et de misère dans lequel languit cette malheureuse contrée. Le système féodal, existant actuellement au Canada ne doit pas subsister sous un gouvernement libéral. La justice réclame, avec l’abolition des droits et des priviléges Seigneuriaux, qu’une juste indemnité soit accordée aux Seigneurs dépossédés des droits qui leur ont été garantis.

Il est vraiment pénible de penser qu’au Canada l’agriculteur est obligé de payer une rente annuelle, de faire moudre son blé au moulin du Seigneur, qui en retient la quatorzième partie, et qui la fait même payer si le censitaire va faire moudre son blé ailleurs qu’au moulin banal ; il est obligé de réparer les grandes routes et les chemins de traverses qui passent sur ses terres, d’en faire de nouveaux en y participant ; il est obligé aux lods et ventes, qui constituent une bonne partie du revenu du Seigneur, lui rapportant la douzième partie de l’acquisition de chaque propriété vendue dans sa Seigneurie, et dont les mutations lui font percevoir, tous les quinze à vingt ans, le douzième de la valeur de toutes les propriétés.

Outre ces charges, le Seigneur a le droit de retrait, ou le privilége de préemption, d’après la plus haute enchère, dans l’espace de quarante jours ; il peut faire couper et prendre, sans indemnité, les bois de construction et les pierres à chaux dans l’enceinte de sa Seigneurie, pour son usage, quelquefois pour l’usage de ses fermiers, et pour l’utilité publique ; il peut s’emparer des terrains à sa commodité pour la construction de moulins ; il peut exiger des corvées ; il perçoit une dîme de tout le poisson pris dans les pêcheries qui sont sur les grèves dans sa Seigneurie, et, enfin, une dîme sur la chasse.

Tels sont les droits oppresseurs et les priviléges particuliers des Seigneurs ; droits qui tyrannisent, qui entravent les progrès de l’agriculture ; droits qui frappent l’homme le plus laborieux et le seul productif de produits nécessaires et indispensables à la nourriture de la Société.

Par la destruction des charges Seigneuriales, quelle énergie ! quelle industrie ! et quelle prospérité n’en seraient pas les heureuses conséquences ! L’agriculture ne craindrait plus d’être vexée, et, par ses progrès, le commerce et toutes les industries, tous les arts utiles acquerraient des améliorations, et l’accroissement rapide de la population serait un résultat assuré de l’état prospère du pays.

Les apôtres des droits Seigneuriaux ont faussement avancé au soutien de leur principe inique, que ces droits avaient pour heureux résultats d’attacher les habitants à leurs propriétés, de les empêcher de les vendre à des spéculateurs qui, une fois les terres du Canada en leur possession, y établiraient un système analogue à celui qui existe en Angleterre et en Irlande.

La tenure Seigneuriale ne peut que produire l’effet contraire. Le grand nombre de propriétaires expropriés par les Seigneurs, qui sont, pour la plupart, les plus grands spéculateurs de terres, et le grand nombre d’habitants qui, chaque année, vendent leurs propriétés pour aller chercher dans les États-Unis, avec la liberté, un sort plus fortuné, démentent évidemment une telle assertion.

Ce n’est pas en imposant des charges injustes, onéreuses, dégradantes, et en lui imposant, en outre, le sacrifice du douzième de toutes les améliorations qu’il a pu faire sur sa propriété, que l’on puisse inspirer à l’homme le désir de demeurer dans cette condition malheureuse. Pour l’attacher à sa propriété, il faut, au contraire, en abolissant tous les entraves qui gênent son industrie, lui fournir la faculté d’y pouvoir trouver en paix, la récompense de son labeur, des moyens d’une existence aisée, et le bonheur pour lui et sa famille, au sein de son pays natal, qui lui est toujours cher, et dont son attachement naturel lui fait un devoir de ne s’en éloigner pour aller chercher fortune ailleurs, que quand la misère lui en fait une loi.

Nous concevons qu’avec des chaînes on pourrait, comme en Russie, lier l’homme à la glèbe ; mais nous disons aussi, « malédiction contre celui qui en aurait seulement la pensée ! »

Depuis plus de seize ans nous avons, plusieurs fois, élevé la voix, sous les noms de Franc Parleur et du Vieux de la Montagne, pour la défense des justes réclamations des Canadiens repoussés, par un éloignement systématique, de l’obtention des terres de la couronne, et tyrannisés par l’oppressive tenure seigneuriale.

Nous nous réjouissons aujourd’hui de voir que déjà, quant à la première réclamation, justice a été rendue par le gouvernement colonial, en se montrant équitable et généreux, par la facilité qu’il donne maintenant aux Canadiens, comme à tout autre Sujet de l’Empire Britannique, de s’établir sur les terres de la couronne gratuitement, ou avec une rétribution presque nominale.

Espérons donc, et nous avons lieu d’espérer, que justice sera également accordée quant à l’abolition des droits féodaux et seigneuriaux, dont l’existence est pour le pays une source de misère et de dépopulation, par les entraves qu’ils apportent au développement de l’agriculture, du commerce, et de tous les arts industriels.

Il est temps que la vérité perce, qu’elle se montre, et qu’elle soit connue.

Les faits prouvent que les Seigneurs au Canada, en usurpant des droits, n’ont pas été les seuls coupables ; ils ont eu pour complices la négligence de l’administration coloniale et la prévarication des Cours de Justice ; mais les malheureux censitaires, eux, en sont les victimes : le Gouvernement leur doit une grande et entière réparation ; c’est-à-dire, l’abolition de tous les droits féodaux et seigneuriaux, au moyen d’une juste indemnité aux Seigneurs.

Il est nécessaire, pour tous les intérêts du pays, de fermer les sources d’oppressions privées, comme publiques, auxquelles la loi peut parvenir ; que les Canadiens puissent être entièrement convaincus qu’ils ne seront plus troublés, vexés, molestés, tyrannisés dans l’occupation de leurs terres qu’ils pourront enfin se livrer librement à toutes les améliorations agricoles et à toutes les entreprises industrielles ; et, pour cela, il faut absolument que l’on détruise les vestiges de la féodalité qui les oppriment et les écrasent encore, au dix-neuvième siècle, sur le sol de la liberté, sur le sol de l’Amérique.




CHAPITRE I.

de l’établissement des droits féodaux et seigneuriaux au canada.


Quoique les terres Seigneuriales aient été concédées par la couronne de France sous le régime féodal au Canada, le Seigneur n’était pas investi de plusieurs droits, de plusieurs priviléges odieux et outrageants qui caractérisaient la tenure féodale en Europe ; nous citerons le droit de jambage, le droit de cuissage, le droit de vie et de mort : droits qui n’ont pu exister qu’à la honte de l’humanité.

Tel est le tableau du système de la colonisation française au Canada : Une vaste étendue de terre était octroyée au Seigneur pour être concédée à d’autres, par une concession absolue à eux et à leurs hoirs à une certaine redevance déterminée. Il ne pouvait pas vendre les terres, il ne pouvait pas refuser de faire un octroi ou une concession, et il ne pouvait obliger personne à prendre un bail pour quelques années. Le but de ces règlements était d’encourager l’émigration sous les conditions les plus favorables. Si le Seigneur eut eu en son pouvoir de vendre, il ne serait devenu qu’un spéculateur, laissant ses terres incultes jusqu’à ce qu’on se fût soumis à ses conditions. Celui qui voulait avoir des terres ne les obtenait pas au gré du Seigneur, mais il y avait droit malgré lui, et pouvait obtenir une concession malgré que le dit Seigneur la lui eût formellement refusée. Le pouvoir accordé au Seigneur n’était que pour des fins publiques.

Il existe une foule de Lois et Édits qui prennent des mesures pour encourager et augmenter la population au Canada ; plusieurs de ces Édits ordonnent la confiscation des Seigneuries non établies, et leur réunion au domaine du Roi. Ces lois présument que les Seigneurs sont à défaut chaque fois que leurs Seigneuries ne sont pas entièrement établies, et qu’ils ont refusé de concéder des terres.

Pour remédier à cet abus, l’Édit du Roi du 6 Juillet 1711, ordonne que le Seigneur sera tenu de concéder telle quantité de terre, à aucun habitant, dans les limites de sa Seigneurie, à titre de redevance, et sans pouvoir exiger pour cela aucune somme d’argent ; et, en cas de refus de la part des Seigneurs, le même Édit autorise le Gouverneur et l’Intendant à concéder les terres requises aux mêmes droits imposés sur les autres terres concédées dans les dites Seigneuries.

Dès l’année 1712, il est stipulé dans les concessions de la couronne, que les Seigneurs concéderont à leurs tenanciers aux cens et rentes, et redevances accoutumés.

L’obligation de concéder aux requérants des terres d’une grandeur convenable, est un trait invariable qu’on remarque dans toutes les concessions de la couronne de France faites après 1663.

Le Seigneur était tenu de concéder des terres dans son fief aux colons, ne se réservant qu’une simple redevance ; il était pareillement tenu de commencer et d’effectuer l’établissement de sa Seigneurie, dans un temps limité, et à défaut de le faire, son fief devait être confisqué au profit de la couronne. Les déclarations du Roi de France, dont la première est de Mars, 1663, immédiatement après la cession à la couronne des droits de la Compagnie de la Nouvelle France, révoque et annule toutes les concessions de terres qui n’étaient pas établies ; et la seconde, du mois de Juin, 1675, révoque toutes les concessions d’une trop grande étendue. Ces Édits furent suivis d’une déclaration du Roi de France, du mois d’Avril, 1676, donnant pouvoir à MM. de Frontenac et Duchesneau d’accorder des concessions de terre à la condition expresse que les dites concessions seraient représentées dans l’année de leur date, pour être confirmées, et seraient défrichées et mises en valeur dans les six années prochaines et consécutives ; autrement, le dit temps passé elles demeureraient nulles. Et l’Arrêt du 6 Juillet, 1711, dans les instructions données aux Gouverneurs, contient l’obligation formelle imposée aux Seigneurs dans les concessions subséquentes de fiefs, de concéder et de défricher les terres dans l’étendue de leurs Seigneuries, sous peine d’être dépouillés de leurs Seigneuries pour les voir réunies aux domaines de la couronne.

Dans les conditions par lesquelles la couronne impose aux Seigneurs l’obligation de concéder des terres aux requérants, on en trouve qui contiennent l’ordre exprès de ne concéder qu’aux cens, rentes et redevances accoutumés.

Quand est désigné le taux auquel chaque concession se fera, comme dans la concession faite au Séminaire de Montréal, de la Seigneurie du Lac des Deux-Montagnes, du 17 Octobre, 1717, il est dit : Vingt sous et un chapon, pour chaque arpent de terre de front sur quarante de profondeur, et six deniers de cens.

Dans l’intervalle qui s’est écoulé entre l’année 1663, que la couronne française est entrée dans la pleine souveraineté du pays, et l’année 1711 que nous venons de citer, plusieurs des Seigneurs avaient violé leur devoir en exigeant des colons, outre la redevance ordinaire, un prix additionnel, comme une considération pour les engager à demander des concessions des terres incultes en roture ; abus qui répugnait aux vues du gouvernement, et ne pouvait que retarder l’établissement du pays. En se conformant aux concessions royales les Seigneurs, qui devaient concéder par lots, en imposant une modique redevance, n’avaient pas le droit d’exiger aucune somme d’argent, comme capital, pour la concession.

Les rentes, redevances et cens, emportaient avec eux le droit de lods et ventes, ou la douzième partie du prix d’achat due au Seigneur pour chaque mutation par vente, ou transport équivalent à vente.

Le droit de Banalité n’a jamais été une conséquence de la tenure Seigneuriale selon la coutume de Paris, qui ne l’admet que comme un droit conventionnel ; mais pour l’avantage des établissements des émigrés, souvent pauvres, un Arrêt du 4 Juin 1686, déclare que le droit de banalité appartient essentiellement au Seigneur, et l’oblige, dans le cours de l’année, à compter de la publication de l’Arrêt, à construire des moulins, en lui donnant le droit de contraindre ses tenanciers à y porter leurs grains pour les faire moudre, et de retenir une certaine partie pour le prix de la mouture, que l’Arrêt du 20 Juin, 1667, portait à la quatorzième du grain moulu au moulin banal.

Telle était la loi du pays lors de la conquête, et elle subsiste encore dans toute sa force d’après les dispositions de la 14e George III.

Ce sont, dans le droit, les seules réclamations du Seigneur contre le tenancier, qui soient sanctionnées par la loi qui régie la tenure Seigneuriale en ce pays, et qui puissent jamais être prises en considération par les arbitres qui pourront être nommés, au sujet d’une indemnité aux Seigneurs, pour estimer la valeur des Seigneuries, d’après leur dernière année de revenus fondés en droit et sur l’équité.

Dans les Seigneuries dont le Roi était le Seigneur immédiat, les taux étaient d’un demi denier par arpent en superficie, et d’un chapon ou dix deniers, au choix du Seigneur, pour chaque arpent de front ; et un sou de cens, équivalent à environ six chelins et quatre deniers, par année, pour trois arpents de front sur trente de profondeur, formant quatre-vingt-dix arpents en superficie.

Cette règle a été bien suivie de 1652 jusqu’en 1663, le taux des cens et rentes a été presque uniforme au Canada ; on ne trouve aucun exemple où l’on ait demandé plus ; néanmoins, on concédait quelquefois à un taux moins élevé.

Avec l’obligation de rendre foi et hommage et quelques réserves, comme de bois de chêne pour la construction des vaisseaux — de donner connaissance au Roi de la découverte de mines, minières et minéraux — de tenir feu et lieu — de défricher ou faire défricher — de laisser faire les chemins pour l’utilité publique — de souffrir l’occupation par la couronne de tous les terrains nécessaires pour construire des forts, des batteries — par la coutume de Paris, la seule redevance pécuniaire due par le Seigneur, ou vassal à la couronne, est le droit de quint, qui est le cinquième du prix de la vente du Fief ou de la Seigneurie à chaque mutation, par vente ou contrat équivalent à vente ; mais non pour succession ou donation en ligne directe. En ce pays on a jamais exigé le droit de relief, lequel dans le cas de succession collatérale, de legs ou donation à des parents en ligne collatérale, ou à des étrangers, exigeait pour la couronne, selon la coutume de Paris, une année des revenus du Fief.

D’après des documents authentiques, le droit de quint a rapporté au Canada, en 38 ans, de 1803 à 1841, un total de £31⁠,⁠778 7 9¾, donnant, année commune, £836 5 5½. Revenu si faible que la couronne ne peut y attacher aucune importance.

Nous devons observer que sur une concession de 90 arpents en superficie, les rentes dans le District de Montréal, s’élevaient à un cinquième de plus que dans les Districts de Québec et des Trois-Rivières, à cause de la qualité supérieure et de la fertilité du sol.

Les taux, en conformité à la loi, ont prévalu jusque vers l’année 1711, où, à cette époque, quelques exceptions rares de conditions et de réserves plus onéreuses pour le tenancier ont commencé à être imposées par les Seigneurs en abusant de leurs droits primitifs.

Mais les changements ont été plus sensibles, et plus généralement introduits après la conquête, en 1759. Depuis cette époque jusqu’à nos jours, les taux des concessions ont été augmentés progressivement par les Seigneurs, sans que le Gouvernement ait songé à réprimer les abus. En insérant des clauses et des stipulations illégales et onéreuses dans les contrats de concession, les Seigneurs ont, depuis lors, diminué la valeur des héritages de leurs censitaires ; ils se sont permis de se réserver le bois de construction et de chauffage pour des usages privés ; aussi des places de moulin, non-seulement pour exercer le droit de banalité, mais au détriment de l’industrie, pour y établir des moulins autres que des moulins à farine.

L’Édit promulgué par le Roi, le 21 Mars 1663, déclare nulles toutes les concessions de terres qui ne seraient pas défrichées après six mois, et donne plein pouvoir au Gouverneur et à l’Intendant de la Colonie de faire une nouvelle distribution des diverses Seigneuries, à condition néanmoins de les défricher et cultiver.

L’Édit du 6 Juillet, 1711, réglant la concession des terres en censive, fixe les conditions auxquelles les Seigneurs sont tenus de les concéder. Il est déclaré dans cet Édit, qu’il y a plusieurs Seigneuries dans la Nouvelle France qui ne sont pas encore habitées, et d’autres où il n’y a encore aucun habitant d’établi pour les mettre en valeur ; et, que plusieurs Seigneurs ont, sous différents prétextes, refusé de concéder des terres aux habitants qui en demandent, dans la vue de pouvoir les vendre, leur imposant en même temps les mêmes droits de redevance qu’aux habitants établis, ce qui est entièrement contraire aux intentions de Sa Majesté, et aux clauses des titres de concession par lesquelles il leur est permis seulement de concéder des terres à titre de redevance ; à quoi, voulant pourvoir, le Roi ordonne que, dans un an de la publication du dit Arrêt, les Seigneurs sont tenus de mettre leurs seigneuries en culture, et d’y placer des habitants, faute de quoi, elles seront réunies au Domaine de la Couronne ; Ordonne aussi, que tous les Seigneurs qui ont des terres à concéder, aient à le faire à titre de redevance, aux personnes qui les leur demanderont, sans exiger d’elles aucune somme d’argent ; et en cas de refus des Seigneurs, permet aux habitants de leur demander les dites terres par sommation, de se pourvoir par-devant l’Intendant du dit pays, à qui Sa Majesté ordonne de concéder les dites terres, aux mêmes droits imposés sur les autres terres concédées dans les dites seigneuries ; lesquels droits seront payés par les nouveaux habitants entre les mains du Receveur du Domaine Royal, sans que les Seigneurs en puissent prétendre aucun sur eux, de quelque nature qu’ils soient.

Cet Arrêt fut suivi d’un autre de la même date, qui annulle toutes les concessions de terres faites aux censitaires qui ne les auront pas mises en valeur ; et sur les certificats des curés et des capitaines de la côte à cet effet, déchoient les habitants de la propriété de leurs terres.

Il est certainement bien clair que, d’après cet Édit, les concessionnaires de la Couronne n’avaient aucun droit d’exiger de bonus ou capital, et devaient concéder aux taux établis suivant les anciennes concessions.

Il est aussi déclaré que Sa Majesté est informée que, nonobstant les Édits et les Arrêts, déjà émanés, les Seigneurs réservent sur leurs domaines de grandes étendues de terres qu’ils vendent en bois debout, au lieu de les concéder simplement à titre de redevance, et que les habitants qui ont ainsi acheté des terres incultes, les vendent à d’autres, faisant ainsi un commerce très préjudiciable à la Colonie ; Sa Majesté ordonne que, dans deux ans, à compter de la publication du dit Arrêt, tous les propriétaires des terres en seigneuries, non encore défrichées, seront tenus de les mettre en valeur et d’y établir des habitants, sinon, le dit temps passé, les dites terres seigneuriales seront réunies au Domaine de Sa Majesté. Fait Sa Majesté très expresses défenses à tous Seigneurs de vendre aucune terre en bois debout, à peine de nullité des contrats de vente, et de restitution, du prix, des dites terres vendues, lesquelles seront pareillement réunies, de plein droit, au Domaine du Roi, et seront les dits Arrêts de 1711 exécutés selon leur forme et teneur.

Ainsi, nous voyons que, quoique le Seigneur fut investi de la propriété absolue du Fief qu’il tenait de la Couronne, il ne le possédait, néanmoins, qu’à la charge d’en promouvoir l’établissement ; il n’avait pas le droit de se créer des domaines particuliers, et souvent de vastes étendues de terres, dont les Seigneurs se sont arrogé le droit ; ils étaient obligés de concéder à simple titre de redevance, sans qu’il fût en leur pouvoir d’imposer légalement au censitaire d’autre charge que cette redevance ; et si les Seigneurs refusaient de concéder suivant le taux imposé par les concessions primitives, les autorités établies étaient autorisées à le faire à leur place ; et comme pénalité, leurs seigneuries étaient confisquées au profit de la Couronne.

Ces Arrêts sont encore actuellement la loi du pays ; il s’ensuit donc que tout sujet de la Reine au Canada a le privilége indubitable d’obtenir aujourd’hui une concession aux mêmes taux.

Les prétentions des Seigneurs n’ont jamais été considérées d’un œil favorable dans la Cour de l’Intendant ; néanmoins, il faut le déclarer, en violation de la loi, elles ont invariablement été accueillies d’une manière partiale et arbitraire dans les cours établies depuis la conquête, et dont, la plupart du temps, les juges étaient Seigneurs eux-mêmes, dans toutes les contestations entre le Seigneur et le censitaire, si l’on n’excepte un jugement isolé, rendu par la cour du Banc du Roi, à Montréal, en 1828.

Avant la conquête, on a généralement suivi la règle établie par la Couronne pour les concessions dont le Roi était le Seigneur immédiat. D’après cette règle, et pour la rendre applicable à toute la Province, le cens est fixé à un sou, pour chaque arpent de front, et les rentes seigneuriales à quarante sous, ou vingt deniers sterling, pour chaque arpent de front sur quarante de profondeur, et un chapon, ou dix deniers sterling, au choix du Seigneur, ou un demi minot de blé, lorsque le cens était payable en nature.

Il y a deux jugements, l’un de l’intendant Begon, du 18 Avril, 1710, et l’autre de l’Intendant Hocquart, du 20 Juillet, 1733, qui confirment, en quelque sorte, ce règlement. Cependant, comme nous l’avons déjà observé, pour le District de Montréal, les cens et rentes étaient plus élevés d’environ un cinquième, par la différence de sol et de climat. L’Édit du 6 Juillet, 1711 est la règle qui doit servir de guide pour décider la question seigneuriale.

Cet Édit indique clairement que l’intention de la législature d’alors était d’obliger les Seigneurs de concéder leurs terres incultes aux habitants, et de les concéder aux taux et redevances accoutumés ; ainsi les Seigneurs n’avaient pas le droit d’exiger de leurs censitaires un taux plus élevé que les cens et rentes établis et fixés avant la conquête. Le taux légal des cens et rentes dans les seigneuries est une matière de fait, qui est constaté par les anciens contrats de concession. Or, il était au pouvoir du censitaire, par l’entremise de l’Intendant, de forcer le Seigneur de lui concéder des terres aux mêmes taux et conditions auxquelles il les avait concédées à d’autres primitivement ; cette même obligation existe toujours, et le censitaire a encore aujourd’hui le droit légal d’en exiger l’accomplissement. L’Édit du 6 Juillet, 1711, est encore en pleine vigueur. Le Seigneur, ne pouvait, sans usurpation, sous aucun prétexte valable, augmenter le taux des cens et rentes, faire de nouvelles réserves, imposer de nouvelles exigences, injustes et oppressives, comme il en existe maintenant dans les seigneuries du pays dont nous donnons les noms.

Il y a au Canada 227 seigneuries, dont 76 dans le District de Montréal : Argenteuil, Beauharnois ou Villechauve, Beaulac, partie de Chambly, Beaujeu ou Lacolle, Belœil, Bellevue, Berthier, Bleury, Bonsecours, Bourchemin, Boucherville, Bourg Marie l’Est, Bourg Marie l’Ouest, Chambly, Chambly continuée, Chateauguay, Chicot et Isle du Pads, Contrecœur, Cournoyer, d’Aillebout, d’Autré, Deléry, De Ramesay, De Ramesay continuée, Du Sable dite la Nouvelle-York, Foucault ou Caldwell’s Manor, Gamache, Gaspé, Guillaudière, Isle Perrot, Isle Bizarre, Isle St. Paul, Isle de Montréal, Isle Jésus, Isle Bouchard, Isle Sainte Thérèse, Isle Saint Pierre, Lac des Deux-Montagnes, Lachenaye ou L’Assomption, Lanoraye, La Prairie de la Magdeleine, La Salle, La Tesserie, La Valtrie, Baronnie de Longueuil, Lussaudière, Mille Isles, Monnoir, Monnoir continuée, Montarville, Nouvelle Longueuil, Noyan, Petite Nation, Repentigny, Rigaud, Rouville, Sabrevois, Ste. Anne de la Pérade, Ste. Anne de la Pérade continuée, Saint Armand, St. Barnabé, St. Charles, St. Charles continuée, St. Denis, St. Denis continuée, St. Denis encore continuée, St. François le Neuf, St. Hyacinthe, St. Ours, St. Sulpice, Soulange, Terrebonne, Trinité et Saint Michel, Varennes, Vaudreuil et Verchères,

On compte 114 seigneuries dans le District de Québec, qui sont : Anse-au-Coq, Anse de l’Étang, Aubert Gallion, Aubin de l’Isle, Côte de Beaupré, Beauport, Beaumont, Bécancour continuée, Bélair ou Écureuils, Belair, Beauvais, partie de St. Jean d’Eschaillons, Berthier ou Bellechasse, Bic, Bonhomme, Bonsecours, Bonsecours divisée, Bourg Louis, Coulange, d’Auteuil, De Maure, St. Augustin, Deschambault, Desplaines ou Belles-Plaines, Duguet, Durantage, St. Vallier, Dutort, Éboulemens, Fossambault, Gaudarville, Gentilly, Le Gouffre, Grand Pabos, Grande Rivière, Grande Valle des Monts, Grondines, Grobois, Hubert, Islet St. Jean, Islet Bonsecours, Islet du Portage, Isle Verte, Isle aux Oies, Isle aux Grues, Isle aux Coudres, Isle Beauregard, Isle Mudaure, Isle d’Orléans, Isle aux Réaux, Isle d’Anticosti, Isle et Islet de Mingan, Jacques Cartier, Jolliet, Kamouraska, Lac Matapediac, Lac Mitis, Lafresnay, Lachevrotière, Lauzon, Lessard, Lessard continuée, St. Pierre les Becquets, Livaudière, Lotbinière, Lepage et Tivierge, Madoueska et Lac Temiscouata, Rivière de la Magdeleine, Maranda Nord-Est, Maranda Sud-Ouest, Matanne, Mitis et Islet St. Barnabé, Martinière, Mille-Vaches, Minjau, Montapeine ou Vitré, Mount Murray, Mount Louis, Murray Bay, Neuville ou Pointe aux Trembles, Notre Dame des Anges, d’Orsainville, Perthuis, Port Neuf ou Cap Santé, Québec divisée en trois seigneuries, Rimouski, Rivière du Loup, Rivière du Sud, Rivière Ouelle, Ste. Anne aux Monts, Ste. Anne de la Pocatière, St. Antoine Tilly, Sainte Croix, St. Denis, St. Denis divisée, St. Étienne, St. Gabriel, St. Giles, St. Ignace, St. Jean Port-Joli, l’Isle à la Peau, St. Joseph, St. Joseph divisée en deux concessions, St. Joseph de la Nouvelle Beauce, Ste. Marie et de Linière de la Nouvelle Beauce, Ste. Marie, St. Michel, St. Michel moitié de Durantage, St. Paul, Sault-au-Matelot, Cité de Québec, Shoolbred, Sillery, Trois Pistoles, Rigaud de Vaudreuil, Vincelot, enfin la seigneurie de Vincennes : de ces seigneuries deux sont maintenant dans le District de Gaspé, ce sont celles de la Grande Rivière et de Shoolbred.

Le nombre de seigneuries dans le District des Trois-Rivières est de 36, comme suit : Antaya, Batiscan, Baie St. Antoine, Bécancour, partie du fief Bruyères, Boucher, Cap de la Magdeleine, Carufel, Champlain, Courval, Dumontier, Dorvilliers, Gatineau, Gatineau, augmentation du fief Robert, Godefroy, Grandpré, Isle Meras, Isle des Plaines, Labadie, Maskinongé, Maskinongé continuée, Maskinongé encore continuée, Nicolet, Niverville, Pierreville, Pointe-du-Lac ou Tonnancour, Rivière David Deguire, Rivière du Loup, Rocquetaillade, Ste. Anne, St. François, St. Jean, St. Jean d’Eschaillons, Ste. Marguerite, St. Maurice, Trois-Rivières et Yamaska ; il y a aussi la seigneurie de la Pointe-à-l’Orignal, qui se trouve dans le Haut-Canada.

Lorsque les conditions des nouvelles concessions furent présentées aux cours de justice, et qu’on s’en plaignait, comme étant un excès des pouvoirs accordés aux Seigneurs, on vit, sur les bancs, des juges prévaricateurs, qui étaient propriétaires de seigneuries, qui connaissaient l’indifférence de la part des officiers publics au soin de qui ces affaires avaient été confiées, qui n’étaient pas ignorants de l’impossibilité d’un appel de leurs décisions, à cause du peu de valeur des propriétés en question, et de l’indigence des propriétaires, soutenir les conditions de ces concessions, en établir la validité, autant que les décisions des cours provinciales peuvent le faire, sans que les Procureurs-Généraux les aient jamais rappelés à l’accomplissement de leurs devoirs.

En interprétant et appliquant la loi comme elle pourrait l’être strictement, on verrait sortir le principe, que les Seigneurs actuels sont tenus de rendre compte des sommes qu’ils ont reçues en sus des taux ordinaires, depuis plus d’un siècle, et dont les seigneuries en répondent ; on trouverait alors, dans presque tous les cas, que bien loin de pouvoir réclamer une indemnité, ce sont les Seigneurs eux-mêmes qui la devraient aux censitaires, qui furent forcés, par la nécessité et l’impuissance, de se prêter aux usurpations des Seigneurs en payant un taux plus élevé que la loi ne l’a établi.

Depuis la conquête jusqu’à ce jour, l’administration coloniale, par une négligence très blâmable, a laissé la loi comme une lettre morte ; mais elle n’est pas abrogée cette loi, elle existe toujours, et si la tenure seigneuriale, malgré nos prévisions que nous croyons des certitudes, n’était pas abolie par le parlement du pays, alors l’administration coloniale, en réparation de sa négligence à mettre en force les lois du Canada au sujet des droits seigneuriaux, comme il y a eu concussion, usurpation, mépris de la loi de la part des Seigneurs, et que la loi y pourvoit, en réunissant les seigneuries au domaine de la couronne, tous les Seigneurs seraient, de droit, expropriés de leurs seigneuries.


CHAPITRE II.

de l’état actuel de la tenure féodale et seigneuriale au canada.


Les prétentions exorbitantes des Seigneurs sont abusives, injustes, nullement fondées sur la loi.

Le système actuel de la tenure seigneuriale est vicieux, il entraîne à sa suite les plus graves inconvénients, l’oppression la plus criante. Les charges et les services imposés au censitaire sont oppressifs par leur nature et par leur multiplicité ; les redevances pécuniaires dont il est chargé l’opprime, tandis que les réserves auxquelles il est forcé par le Seigneur de se soumettre, le privent, comme propriétaire, de la pleine et entière jouissance de ses terres. Il n’est pas véritablement propriétaire, il n’est que tenancier à bail, sous de certaines conditions qui, remplies, lui en assure la possession : possession moins pleine et entière que celle du simple locataire qui, au moyen du loyer qu’il paie est maître absolu chez lui, et qui, s’il fait des améliorations sur la propriété qu’il occupe, est indemnisé par le propriétaire, tandis que toutes les améliorations du censitaire sur la propriété qu’il tient du Seigneur, sont pour augmenter la valeur d’un bien qui, en réalité, semble être au Seigneur, et dont il n’en a que la possession garantie avec des exigences et des restrictions.

Les Seigneurs sont, non-seulement des vampires qui sucent, avec les fruits de la sueur et du travail du cultivateur, une grande partie des revenus du pays, mais ils sont encore la plus grande nuisance que les développements de l’industrie puissent rencontrer.

Le censitaire ne peut augmenter ses ressources et développer les avantages que sa terre ou sa position naturelle peuvent lui offrir ; il est limité au sol qu’il cultive, et forcé de trouver une subsistance précaire dans le produit de ses champs ; les pouvoirs d’eau à sa portée lui sont défendus par les réserves du Seigneur, et son industrie en est paralysée. Dans plusieurs circonstances, le censitaire est exposé à des amendes, pour négligence à remplir de certains services qui sont de pure forme, et qui empire encore sa condition.

Le droit de forcer à passer des titres-nouvels, en contraignant le censitaire à payer les honoraires du notaire et, quelquefois les frais d’arpentage, entraîne les abus les plus révoltants.

Le droit odieux des lods et ventes diminue la valeur de sa propriété, et lui retire l’esprit d’entreprise. Ce droit qui, à chaque mutation, enlève au profit du Seigneur, la douzième partie de la valeur de toutes les propriétés vendues, se prélève sur les améliorations, et impose une taxe illimitée sur le censitaire. Chaque terre change de main à peu près tous les dix-huit ans, terme moyen ; dans ces dix-huit ans le Seigneur reçoit, seulement pour les lods et ventes, le douzième de la valeur de toutes les propriétés dans sa seigneurie.

Le droit de retrait, ou le privilége de préemption, d’après la plus haute enchère, pendant quarante jours, nuit à la vente et à la transmission des propriétés, retire au censitaire la faculté de pouvoir faciliter un parent ou un ami, en lui vendant à bas prix. Les corvées, toujours odieuses de leur nature, comme marque de servitude, dégradent et avilissent les individus.

Ces corvées, et d’autres exigences, ont été souvent illégalement ajoutées aux autres conditions contenues dans les titres primitifs de concession, en passant les titres-nouvels frauduleusement.

Plusieurs Seigneurs de mauvaise foi, pour éluder la loi qui leur défend de vendre des terres incultes, ou de les concéder à rentes en exigeant un bonus additionnel, ont fait des concessions fictives à un agent, ou à un ami qui vend aussitôt la terre et en paie le prix au Seigneur.

Dans quelques seigneuries les Seigneurs sont des accapareurs, des spéculateurs de terres. Des terres sont mises en vente pour le paiement des droits Seigneuriaux, le Seigneur libre de toute concurrence par ses intrigues, achette les plus belles terres pour des sommes qui égalent à peine les arrérages qui lui sont dus, et il fait encore un trafic de ces terres, en les vendant à des prix élevés, ou en les concédant à des conditions infiniment plus onéreuses, s’assurant par là un monopole ruineux pour les censitaires.

On trouve encore des prohibitions, des réserves, et d’autres droits abusifs et usurpés, propres à tenir l’homme dans un état d’asservissement. Il est défendu au censitaire de construire des moulins ; mais le Seigneur se réserve de s’approprier six arpents de terre pour construire des moulins sans indemnité, excepté pour les améliorations ; le droit de prendre tout le bois pins, chênes et les billots ; la pierre, le sable et les matériaux nécessaires pour bâtir, sans payer aucune indemnité ; le droit de changer le cours des ruisseaux et des rivières pour établir des manufactures, quelque dommage que les censitaires puissent en éprouver ; le droit de traverse sur les rivières ; le droit de chasse, le droit de pêche ; enfin, les Seigneurs ont été jusqu’à stipuler que le censitaire pourrait avoir le privilége de prendre sur sa propre terre le bois dont il aurait besoin pour son usage.

Sous le régime du système seigneurial actuel, le droit de propriété du censitaire devient une pure illusion ; comme être moral, il est dégradé ; sa position est celle d’une dépendance continuelle.

La loi accorde au Seigneur pour le recouvrement de ses droits un privilége spécial ; il a sur la propriété de son vassal une préférence sur tous les autres créanciers. Il peut recouvrer, pendant vingt-neuf ans, les arrérages des cens et rentes, qui emportent une hypothèque privilégiée sur la terre par laquelle ils sont dus, de préférence à tous les autres créanciers, même au bailleur de fonds. Il a un privilége pour le recouvrement de ses lods et ventes ; il peut, en outre, intenter une action en justice contre son censitaire pour chacun les droits et charges dus en vertu du titre de concession ; et, quelque modiques que soient les redevances, il peut en obtenir le recouvrement dans les cours en première instance.

La terre étant affectée au paiement des droits Seigneuriaux, il faut un jugement pour que le Seigneur puisse la mettre en vente et se faire payer. Le censitaire est donc exposé à des frais considérables pour une somme qui, de la nature de la dette, aurait formé la matière d’une poursuite dans une cour de jurisdiction inférieure.

On voit dans les archives de la Cour du Banc du Roi que, sur le nombre total des actions intentées dans cette cour dans les trois années 1840, 1, 2, un cinquième des actions a été intenté par les Seigneurs pour le recouvrement des droits et redevances qui provenaient de la Tenure Seigneuriale. Durant la même période de temps, plus du cinquième des ventes judiciaires ont été faites à l’instance des Seigneurs pour mettre leurs jugements à exécution

Les actions intentées aux Termes Supérieurs de la Cour du Banc du Roi, pour le seul district de Montréal, en 1840 et 41, pour des poursuites Seigneuriales, s’élèvent, pour 1840, à 374, et pour 1841, à 411.

Tels sont les affreux résultats de la Tenure Seigneuriale : poursuites, misère, ruine et asservissement, et dont, néanmoins, les partisants, plus ou moins intéressés, les défenseurs osent en proclamer l’excellence.

C’est au Pays entier à se lever, à s’assembler, à passer d’énergiques résolutions, à demander l’abolition des droits Féodaux et Seigneuriaux ; et c’est à la législature à répondre dignement à l’appel du peuple, en portant le coup mortel à une tenure indigne de l’homme qui veut marcher dans les voies de la civilisation. Le temps est arrivé de frapper, de renverser et d’anéantir ces vestiges de la féodalité. Le bien-être des habitants le demandent, la prospérité du Canada le réclame, et la justice le veut.

L’abolition des droits féodaux et seigneuriaux est une mesure d’utilité publique, que réclame également le bien-être des habitants, l’avancement du pays, sa prospérité, la civilisation et l’humanité.

Il est d’une saine, d’une juste politique, d’abolir ces droits honteux ; ils ne conviennent ni à l’esprit du siècle, ni aux besoins de la population, ni à la proximité des États-Unis du Nord ; ce sont des restes des siècles barbares, hostiles aux progrès des institutions morales, justes et libres.

On ne peut s’attendre à voir le Canada faire des progrès dans l’agriculture et les arts industriels, sous l’influence d’un système qui n’est propre qu’à arrêter les principes de liberté, qu’à paralyser le développement de l’énergie de l’homme industrieux, à le placer dans un état de dégradation : cette abolition est d’une nécessité absolue pour améliorer la malheureuse condition des censitaires, et pour promouvoir, avec leur bonheur, la prospérité publique.

D’après des documents authentiques qui sont en notre possession, nous voyons que la seule seigneurie de Beauharnois a rapporté les revenus annuels, en l’année 1826, de 2617 louis, en 1834, de 2,855 louis, en 1835, de 3,748 louis, en 1839, de 8,467 louis, aux dépens des malheureux censitaires ; en 1839 la seigneurie d’Argenteuil a rapporté un revenu de 3,092 louis ; en 1842 la Baronnie de Longueuil, 2,000 louis ; la seigneurie de Léry donne une valeur annuelle de revenus de 1,256 louis. Les seuls moulins banaux de la seigneurie de Saint Hyacinthe rapportent environ 1,650 louis annuellement : ces données sont d’après les rapports faits par les Seigneurs eux-mêmes, ou par leurs agents.

Dans le district de Québec, d’après les premières concessions, les taux et les conditions auxquels les terres ont été concédées en censives sont ainsi : — Dans la seigneurie de la Rivière Ouelle, en 1676, il fut concédé par le Sieur de la Bouteillerie, à Galirau S. Boucher, 200 arpents de terre, dont 5 arpents sur 40, avec la rente de 10 sous pour chaque arpent de front et trois chapons, 95 sous pour le tout.

Pierre T. Casgrain, dans la même seigneurie, a concédé à Léandre Rousselle, le 7 Décembre, 1836, 2 arpents de front sur 40 de profondeur, 80 arpents, à la rente de 5 chelins chaque arpent de front, 10 chelins. Quelle augmentation !

Dans la seigneurie d’Aubert Gallion, il fut concédé 2 arpents de terre de front sur 80 de profondeur, 160 arpents, par George Pozer à Joseph Rodrigue, 28 Janvier, 1832, rente 10 chelins, 4 minots de blé et une corvée à 2s. 6d., donnant 1 louis 12s 6d., le blé évalué à une piastre le minot.

Dans la même seigneurie, le 27 Mai, 1842, il fut concédé à Charles Letourneau 70 arpents de terre en superficie, avec un taux annuel de cens et rentes de 1 louis 17s. 6d. On voit, en comparant les taux et l’étendue des terres, quelle est l’augmentation.

Dans le Fief Grandpré, district des Trois-Rivières, il fut concédé par Conrad Gugy, à Pierre Pépin, le 8 Septembre, 1769, une étendue de terre de 3 arpents de front sur 30 de profondeur, à raison d’une rente de 2 livres, y compris le droit de commune et 3 sous de cens, faisant en tout 63 sous.

La même quantité de terre fut concédée en 1795, par Barthélemy Gugy, à Joseph Lemay, avec une rente de 242 sous. Quel taux progressif !

Dans le même district des Trois-Rivières, la compagnie de la Nouvelle France a concédé à Jean Sauvage, le 28 Juillet 1656, 150 arpents de terre, à raison de 6 deniers pour chaque arpent, 75 sous en tout ; mais on vit en 1814, Josias Wurtele concéder à Joseph Joyale, dans la seigneurie de Ste. Adélaïde, Rivière David, 75 arpents de terre, et lui demander une rente de 3 minots de blé, 5 chelins en argent et 2 jours de corvées, donnant en tout 1 louis 5 chelins.

Les Révérends Pères Jésuites, le 2 Mai, 1667, concédèrent à Benjamin Anseau 80 arpents de terre, avec une rente et des cens annuels s’élevant en totalité à 35 sous 2 deniers.

Dans le district de Montréal, les taux des concessions des seigneuries de Saint Sulpice et du Lac des Deux-Montagnes, n’ont pas varié depuis l’année 1681, d’après les obligations imposées par les titres accordés par la Couronne au Séminaire. Dans l’Isle de Montréal le plus ancien taux était de 3 deniers par arpent, et un chapon par 20 arpents en superficie ; on y a ajouté un demi sou et une peinte de blé par arpent ; mais Mr. de Rouville a concédé, le 28 Juin, 1826, à Jacques Boudry, 90 arpents de terre moyennant une rente de 6 livres et 9 deniers, blé pour 15 livres douze sous et une corvée, 3 livres, faisant en tout 24 livres, 12 sous et 9 deniers ancien cours. Dans la même seigneurie, il y a tels individus par leurs contrats de concession, qui payent maintenant 2 piastres de rente annuelle par chaque arpent en superficie.

Le 28 Mars, 1817, le Général Burton a concédé dans la seigneurie de Lacolle, à Hotchkiss, 112 arpents de terre avec l’ancienne rente de 6 deniers par arpent ; mais dans la seigneurie de Beauharnais, par le Très-Honorable E. Ellice à Robert Broddie, 16 Mars 1840, pour 100 arpents de terre il exigea une rente de 25 chelins et 5 minots de blé, en tout 2 louis 10 chelins par année.

Dans la seigneurie de Monnoir il fut concédé le 23 Juin 1801, par T. Johnson, à Louis Louselle, une terre ne payant que 2 deniers par arpent.

Dans la même seigneurie, le 9 Septembre, 1823, il a été concédé à James McGee, 90 arpents de terre, lui imposant une rente de 5 chelins et un minot de blé pour chaque 30 arpents et 2 sous de cens, faisant en tout 1 louis, 10 chelins et 2 sous.

Dans cette même seigneurie, maintenant au Juge Rolland, le 3 Novembre, 1827, il a été concédé par le dit Juge, à Louis Ostigny, 90 arpents de terre, moyennant 7 livres, un demi-minot de blé pour chaque vingt arpents, plus 2 sous de cens, et, outre la rente, une somme capitale de 900 livres.

Ces citations suffisent, croyons-nous, pour donner une idée des charges progressives que les seigneurs ont imposées aux censitaires en ce pays. Non compris des conditions, des charges, des réserves qui sont introduites dans les contrats de concession, et qui ne sont pas imposées par la loi, comme des réserves de toutes les carrières, rivières et ruisseaux — du droit de changer tous les cours d’eau pour les moulins — du droit de titre-nouvel aux dépens des tenanciers lors de chaque mutation de la seigneurie — du droit de prendre tout le bois, la pierre, et autres matériaux pour les moulins, manoir, chauffage pour le Seigneur et pour ses fermiers, pour autres maisons et améliorations sur le domaine du Seigneur, en outre, pour usages publics, sans indemnité — réserve de toutes les places de moulins, et prohibition de construire aucune espèce de moulin, machine ou manufacture mue par l’eau, sans permission du Seigneur, qui sait fort bien se faire payer quand il accorde cette permission. Réserves de terrain pour bâtir des églises, des écoles et autres fins publiques. Le Seigneur retire au censitaire, donne au public, et honneur au Seigneur ! — du droit de faire augmenter la rente d’un minot de blé à chaque mutation — réserve d’un chemin large de 30 pieds sur le bord des rivières — du droit de pêche — du droit de chasse — d’un chemin de front de 36 pieds, et de terrain pour les autres chemins — et tout ce que savons-nous encore que les Seigneurs exigent des censitaires ; mais il faut en finir — Quand, dans les conditions des concessions des seigneuries, il est dit cependant, d’une manière expresse, que telle concession est faite avec la charge de concéder aux tenanciers aux cens, rentes et redevances accoutumés, sous peine de confiscation des seigneuries.

Il serait trop long de détailler tous les abus, tous les griefs et tous les maux dont les censitaires ont à se plaindre, nous nous contenterons de citer quelques faits et de faire quelques observations.

On a vu dans la Baronnie de Longueuil, des agents spéculateurs et avides, sur la demande de concessions de terres faite par des habitants, exiger d’eux, argent comptant, une certaine somme, et le même jour passer un contrat de vente, tandis que l’agent se passait à lui-même un contrat de concession. Nous ne citerons que le cas du capitaine Cartier qui, sur sa demande d’avoir des terres en concession, fut obligé de payer 4,000 livres ancien cours, à Mr. Busby, agent, pour les avoir encore grevées des charges seigneuriales.

Dans la seigneurie de Léry on a vu, entre autres, François Hyacinthe Rémillard, Louis Rémillard, payer, par l’exigence de l’agent, 12 louis et 10 chelins chaque, pour une terre en bois debout, pour pouvoir tenir un titre de concession. Le Seigneur, ou ses représentants, a refusé d’accorder un titre de concession à Louis Clouette, à moins qu’il ne reçut 2.000 livres, ancien cours, avant la passation du titre de concession ; et il exigea de Michel et d’Antoine Belouin 20 louis pour chacun, avant de leur donner leurs titres.

Dans la seigneurie de Longueuil, les premières concessions ont été faites à raison d’un sou par arpent et d’un chapon pour la concession entière de 90 arpents de terre ; ensuite il a fallu payer une pinte de blé et un sou par arpent ; mais depuis l’année 1811, dans le village de Longueuil, le Seigneur a concédé des lots de 60 pieds de front sur 120 de profondeur, pour le prix de 25 louis argent comptant, et une rente annuelle de 20 chelins ; c’est affreux ! Dans la partie ancienne du village, des emplacements d’une grande étendue ne furent concédés qu’à raison de 2 chelins et six deniers par an, sans aucun capital.

Dans la Côte Sainte Marie, en arrière de la seigneurie de Blainville, les rentes des terres sont de 5 piastres en argent et de 2 minots de blé pour chaque 100 arpents.

Pour parvenir à une augmentation de taux, dans quelques occasions, les Seigneurs forcent les censitaires à payer à des taux plus élevés, en menaçant en même temps ces derniers d’exercer contre eux le droit de retrait, comme il est arrivé dans le cas de Philibert Matte, forgeron, et Mr. Lacroix, Seigneur.

Les réserves des bois de construction faites par le Seigneur sur les terres des censitaires n’auraient jamais dû être tolérées. Par cette clause de la concession, le censitaire n’ayant qu’une possession bien précaire des bois de service, n’avait aucun intérêt à les conserver ; au contraire, il ne voyait de profit certain, quelque médiocre qu’il fût, qu’en détruisant ces bois, et c’est généralement ce qu’il a fait, dans la crainte que le Seigneur ne les exploitât avant lui ; aussi, les bois de construction sont devenus très-rares dans les seigneuries, et la plupart de ces localités ont à supporter un mal presque général, qui n’a pas même pour excuse d’avoir été un avantage, de quelque importance, pour le Seigneur ou pour le censitaire.

Le droit de banalité n’avait pour but que d’assurer au Seigneur de l’emploi pour les moulins qu’il était obligé de bâtir pour l’usage des censitaires. Aujourd’hui, par l’augmentation des établissements et de la population, les moulins des Seigneurs ont autant de grains à moudre qu’ils le peuvent faire. Si les Seigneurs, après l’abolition des droits Seigneuriaux, conservent la possession de leurs moulins, il importe peu que ces propriétés appartiennent à un individu plutôt qu’à un autre, leurs moulins étant bons, et leurs meuniers satisfaisant les habitants, aux mêmes conditions que celles, plus tard, la concurrence de l’établissement probable de nouveaux moulins pourra introduire, les anciens moulins banaux n’auraient pas moins une pratique encourageante.

Les effets des réserves que font les Seigneurs des places de moulins sont des plus nuisibles aux censitaires et à l’industrie du pays.

Dans la seigneurie de Terrebonne, John Watson, pour pouvoir construire une simple tannerie sur la rivière, afin de couper et préparer l’écorce, ce qui lui avait été empêché par le Seigneur Masson, a été forcé de lui payer 10 louis par an, pendant dix ans ; et encore, à l’expiration de ce terme, le dit Seigneur s’est-il réservé le privilége d’imposer de nouvelles conditions.

Que de manufactures n’ont pas été empêchées dans leur établissement ! que d’industries n’ont pas été gênées par les exigences exhorbitantes des Seigneurs pour laisser jouir des places de moulins et de manufactures ! On en a vu même, à quelque prix que ce fût, refuser constamment d’accorder cette jouissance pour un nombre quelconque d’années, et, par ces procédés, se déclarer les ennemis du progrès, des améliorations et de la prospérité du pays.

Le droit exclusif de l’usage, et de la permission des forces d’eau, est très préjudiciable au public, parcequ’il est opposé à l’esprit d’entreprise et d’émulation, qu’excite constamment la concurrence, un des principaux ressorts des améliorations nationales, et que ce droit exclusif paralyse presque complètement l’introduction de manufactures qui demandent le secours de la force motrice que procure l’eau.

Malgré les obligations qui imposent aux Seigneurs de bâtir de bons moulins à l’usage des censitaires, dans plusieurs Seigneuries, les Seigneurs négligent de faire tenir en bon ordre les moulins qu’ils ont, et ils refusent d’en faire construire pour les placer à la commodité des censitaires, qui sont quelquefois obligés de faire plusieurs lieues pour se rendre au moulin banal. Ils sont aussi quelquefois obligés, comme dans la Seigneurie de Ste. Thérèse de Blainville, d’attendre jusqu’à quatorze jours la mouture de leurs grains ; et nonobstant l’impuissance du moulin, ils sont forcés d’y aller ou de payer l’amende.

Non-seulement les Seigneurs n’ont pas voulu concéder des terres, mais il y en a qui se sont distingués par des prétentions étranges. Dans la Seigneurie de Rouville, par exemple, en 1842, le Seigneur a bien déclaré qu’il était prêt à concéder de nouvelles terres, mais aux dernières charges et conditions, et pour plus amples sûreté, se faire donner une hypothèque sur les autres terres appartenant aux censitaires. Les terres qu’il offrait à concéder sont situées sur la montagne de Rouville, peu propres à la culture ; et en sus des rentes et réserves, il exigeait encore une certaine somme pour laquelle il se ferait hypothéquer tous les autres biens des concessionnaires, qu’il déclarerait dans les titres être due pour arrérages de rentes, quoique ces terres n’aient jamais été concédées auparavant ; le tout avec droit d’hypothèque spécial.

Non-seulement les Seigneurs, par esprit d’accaparement et de spéculation, ont fait usage du droit de retrait à leur profit, au détriment des acheteurs, de plus, on a vu en 1837, dans la Seigneurie de Saint Joseph de la Beauce, William Torrance, alors Seigneur, exercer, au préjudice de Joseph Fortier, le retrait conventionnel, non pour son utilité ou profit, mais pour favoriser un de ses amis, à qui il céda le terrain aussitôt après le retrait, pour le même prix que Joseph Fortier l’avait payé.

On a aussi vu des Seigneurs, par eux-mêmes, ou par leurs agents, se livrer honteusement à un système de fraude et d’extorsion, en se rendant aux ventes de terres qui font partie de leurs Fiefs respectifs, pour empêcher de mettre sur ces terres, de les faire monter à leur valeur, en disant qu’ils se proposent de les retraire ; il en résulte que ces terres vendues à vil prix, alors le Seigneur exerce la prérogative dont il est revêtu, et les vend à un prix plus élevé, à des acquéreurs, souvent trouvés d’avance, et avec qui ils ont fait leur marché.

Les lods et ventes sont des plus préjudiciables et nuisibles aux censitaires ; ils sont, non un intérêt légal, mais une usure autorisée par la loi, et dont les limites ne sont pas déterminées. Un lopin de terre coûte, par exemple, 24 louis, le Seigneur reçoit 2 louis, d’après le droit qu’il possède ; maintenant l’acquéreur par son industrie, son travail et son argent, augmente, par les diverses bâtisses qu’il y érige et les améliorations qu’il y fait, la valeur de cette petite étendue de terre à 1,200 louis ; cette propriété passe en d’autres mains, et par une loi, qui est loin d’avoir l’équité pour base, il faudra que le nouveau propriétaire paie, non à l’homme industrieux, mais au Seigneur des lods et ventes de 100 louis, valeur des fruits du travail, de l’industrie et des avances pécuniaires du premier acquéreur.

Mais c’est surtout sur les rentes viagères que les lods et ventes sont odieux, parceque souvent les parents, par la mauvaise coutume canadienne, en faisant donation à leurs enfants, les chargent d’une forte rente, dans la persuation où ils sont de ne jamais l’exiger et de vivre en famille ; mais si les enfants viennent à vendre à la charge de la rente, le Seigneur fait une estimation de tous et chacun les articles de rente, servitudes, &c., pour dix ans ordinairement, quelquefois plus, selon l’âge des donateurs ; et sur le montant de cette estimation il retire les lods et ventes, ainsi que sur le prix convenu en argent ; en sorte que deux ou trois mutations suffisent quelquefois pour que le Seigneur, par ses lods et ventes, perçoive la valeur entière de la propriété.

Un père donne son bien à son fils, à la charge de lui payer pension ; le fils vend la terre à un troisième, enfin la terre est mise au Shérif par le Seigneur qui n’a pas reçu les lods ; le Seigneur reprend la propriété qui ne va pas au montant des lods ; il en résulte que le pauvre donateur, dépouillé de tous ses droits, perd sa pension, et sur ses vieux jours, se trouve dans le chemin avec une partie de sa famille, sans pain et sans force pour gagner sa vie.

Dans les villes et les villages, ces droits sont encore plus onéreux que sur les terres, en ce qu’un emplacement, dans son état primitif, ne vaut que quelques louis, devient par les capitaux qui y sont affectés à valoir des centaines de louis, le propriétaire se trouve retranché d’un douzième de ses déboursés pour enrichir le Seigneur, la valeur des bâtisses excédant toujours de beaucoup, et plusieurs fois, la valeur de l’emplacement ; mais sur les terres concédées en bois debout, il arrive que le cultivateur après avoir travaillé une partie de sa vie, et dépensé de fortes sommes, relativement à ses moyens, pour améliorer sa propriété, se trouve aussi retranché d’un douzième des fruits de ses travaux et de ses dépenses pour enrichir le Seigneur, ce qui ne peut que décourager l’homme industrieux.

Quel est l’homme qui puisse aimer l’injustice d’employer son labeur et son argent pour le profit des autres ? La tenure Seigneuriale ne tend qu’à l’anéantissement de l’industrie ; il est temps d’en finir avec un système dont, depuis longtemps, on sent l’imposition, l’injustice, les abus, les maux, le découragement et l’appauvrissement qu’il entraîne avec lui. Le temps est arrivé que le Canada ne doit plus s’y soumettre, sans employer d’énergiques moyens, par les voies légales, pour la destruction d’une nuisance publique, qui abonde en principes destructeurs de tout esprit d’entreprise et de prospérité.

Le droit de faire prendre des titres-nouvels offre de nombreuses occasions pour exercer la fraude et l’oppression ; c’est une source d’injustices. Les censitaires sont forcés par les Seigneurs, à chaque mutation des Seigneuries, de prendre titre-nouvels ; et, quand ils n’ont pas voulu les prendre, ils ont été poursuivis. Par ces titres, des charges nouvelles et de nouvelles réserves ont été imposées ; et il faut, en outre, que les habitants payant ordinairement dix chelins pour avoir ce titre, quelquefois deux chelins de plus par contrat pour les recherches des vieux titres, et, parfois, encore les honoraires d’un arpenteur. Ce sont des injustices criantes.

Dans la Seigneurie de l’Islet, Michel Bernier fut poursuivi par McCallum, Seigneur d’alors, pour venir passer un titre-nouvel qu’il refusait de prendre, parcequ’il n’était pas semblable à son ancien titre. Le procès, après avoir duré plus d’un an à la Cour Supérieure du Banc du Roi, fut décidé en faveur du censitaire ; par le jugement il n’était tenu qu’à prendre un titre semblable au premier titre de concession ; mais le Seigneur ayant mis le procès en appel, a fait renverser le jugement, et contraignit le censitaire à prendre un titre-nouvel comme il l’entendait. Le malheureux Bernier se trouvant dans l’impossibilité de pouvoir payer les frais de justice, le Seigneur l’a dépouillé de sa terre en la faisant vendre. Ainsi, au sujet d’un seul titre-nouvel, Bernier a été mis sur la paille.

Dans la Seigneurie de Lacolle, les censitaires ne pouvaient obtenir de titres-nouvels qu’en acceptant de payer une augmentation de cinquante pour cent insérée dans ces nouveaux titres, malgré toutes les réclamations contre. C’est une affreuse tyrannie !

Presque partout les Seigneurs abusent de ce droit. À la passation des titres-nouvels, dans la Seigneurie de Beauharnois, par exemple, on s’est plaint généralement de l’exaction de rentes plus élevées, et auxquelles il a fallu se soumettre dans l’impossibilité d’obtenir justice pour améliorer sa condition.

À la fantaisie des Seigneurs, dans les Seigneuries de Léry, de Longueuil et de Laprairie, comme il en a été ailleurs, quand il a plu au Seigneur, les terres ont été chaînées par leurs ordres afin de faire passer des titres-nouvels et exiger que les censitaires payent l’arpenteur et le coût de ces titres.

Presque partout les Seigneurs refusent de concéder des terres avantageusement situées, sous le prétexte que ces terres sont d’un très grand prix, qu’elles devront augmenter de valeur dans quelques années ; et ils ne se décident à les concéder qu’au moyen d’un bonus exigé préalablement.

Dans la Seigneurie de Lacolle, E. Henry a été obligé de payer pour obtenir une concession de deux lots de terre, 25 louis par lot ; Robert Hoyle a payé ce même bonus, et l’augmentation de cinquante pour cent de rente annuelle. James Brisbane a payé 100 louis ; Berry a aussi payé 100 louis. Nous pourrions citer de nombreux cas semblables dans d’autres Seigneuries, mais nous croyons avoir assez mentionné pour faire ressortir le hideux de la conduite de certains Seigneurs et de leurs agents.

Quant aux domaines, quelquefois de très grande étendue de terre, que les Seigneurs se sont réservés, sans droit, non-seulement ils ne veulent pas les concéder, mais encore ils forcent les habitants à entretenir, à leurs propres frais, les clôtures et les cours d’eau.

Dans la Seigneuries de Lanaudière les sucreries s’afferment par les Seigneurs, quoique plusieurs de ces sucreries sont sur des terres occupées par les censitaires. Là, les habitants n’ont jamais pu obtenir de titre d’aucune espèce.

Comment le cultivateur peut-il prospérer lorsqu’il lui faut lutter contre tant d’injustices, de prohibitions et d’obstacles ? La tyrannie et les droits seigneuriaux détruisent l’énergie. L’agriculture dans les chaînes et la souffrance, les arts et le commerce en souffrent nécessairement.

Dans les Seigneuries où les censitaires se livrent à la pêche, les Seigneurs ne se contentent pas des droits dont ils jouissent sur les concessions, ils réclament encore et se font payer le droit sur les grèves, qui consiste à se faire donner une partie du poisson qui se prend sur les rivières. Les travaux des pauvres habitants pour leurs pêcheries sont, quelquefois plus dispendieux que leur profit, après avoir donné, comme il est exigé, jusqu’au tiers du poisson, et, nous a-t-on dit, jusqu’à la moitié ; mais, le plus souvent, un cinquième pour chaque pêche à anguilles ; dans la paroisse de l’Isle-aux-Coudres, le troisième marsouin ; ce n’est guère le moyen d’encourager la pêche.

Les corvées pour le Seigneur sur son propre domaine, ou sur son chemin et ses moulins, sont des restes d’esclavage féodal, par lequel le serf était obligé, comme vassal, de travailler pour son Seigneur durant une certaine partie de son temps ; droit qui répugne aux sentiments de l’homme pénétré de sa dignité, de ses droits, et qui sait apprécier les bienfaits de la liberté.

Quant au droit de foi et hommage qui oblige le vassal de paraître devant le Seigneur à des époques fixes, pour, en sa présence, mettre le genou en terre la tête découverte, sans épée ni éperons, et là prononcer certaines paroles humiliantes, comme c’est une coutume de vasselage, tombée en désuétude en ce pays, nous n’en parlerons pas.

Les abus et les faits que nous avons cités, et que nous pouvons prouver, ayant en main des documents authentiques, n’existent pas seulement dans les Seigneuries qui ont été nommées par nous, partout la loi et le droit ont été foulés aux pieds, l’humanité et tous les principes de justice insultés et outragés par des actes iniques d’une tyrannie dégradante.

Nous nous faisons un plaisir de rapporter un extrait des justes, belles et remarquables paroles des habitants de la Seigneurie de Lanaudière qui, en réponse aux questions qui leur ont été soumises en 1843, par les Commissaires nommés pour s’enquérir de la tenure seigneuriale, s’écrient dans leur noble indignation :

« Nous saisissons, avec plaisir, cette occasion désirée depuis si longtemps, de pouvoir soumettre à un tribunal compétent nos remarques et nos plaintes, convaincus que nous sommes qu’il les écoutera avec bonté, et y donnera toute son attention.

« Elles seront faites avec toute la déférence que votre charge et vos intentions libérales méritent, et que les intérêts de tant d’opprimés demandent.

« Mais des intérêts et des préjugés semblent se rire de la raison humaine, et défier tous les efforts.

« Y a-t-il, en vérité, rien qui répugne plus à la raison et à la vérité, et enfin à toute notion humaine de droit et de justice, que cette division étrange et sacrilége d’une propriété que le Créateur a destinée à tous, parmi un petit nombre seulement ? La brute est contente de son sort, et elle en jouit sans être troublée par les autres bêtes de la même espèce ; mais l’homme ! l’homme seul ravit à son semblable son droit imprescriptible, droit qu’il a reçu directement du Tout-Puissant ; et si l’on savait comment s’y prendre, on lui ravirait aussi l’air et la lumière ; quant à l’eau elle est déjà monopolée autant qu’on l’a pu.

« Il est étonnant, sans doute, que l’on ait introduit sur ce vaste et magnifique continent, où toutes les créatures nageaient dans l’abondance et la profusion de tout ce que produit la nature, et où n’existait aucun des ces motifs de langueur et de destruction, ces horribles systèmes, causes de tant de misères et de malheurs dans les trois autres parties du monde ! Il est étrange que des gouvernements, maîtres de leurs actions, n’aient pu trouver un mode plus équitable, pour ne pas dire rationnel, pour établir le surplus de leur population ! Ce fait prouve un mal, un mal radical que la lumière du 19e siècle devrait certainement dissiper.

« Comment remédier à ce système vicieux sans violer les droits des individus ? Hélas ! violer quoi ! les droits de 150 à 200 personnes ? c’est beaucoup trop en vérité. Que dit l’autre côté de la question ? Comment, d’abord, a-t-on pu obtenir ces droits ? Dans des temps de barbarie, dans les siècles de fer, lorsque la force et le pouvoir faisaient le droit, lorsqu’un homme, s’il avait le malheur d’être né de parents pauvres, était regardé, pour ainsi dire, comme inférieur à la brute, et était certainement plus maltraité. Combien ? Quelles multitudes de ces hommes ont été sacrifiés pour le simple amusement de quelques grands en pouvoir ! Ces multitudes ne sont-elles que des troupeaux ? Non, vous, Messieurs, ni aucun homme réfléchi, vous ne direz pas cela. »

Abandonnons ces justes, mais bien tristes réflexions, que fait malgré lui l’homme qui pense.

CHAPITRE III.

quel est le meilleur mode à employer pour accorder une juste indemnité aux seigneurs ?


Divers plans se présentent pour remédier aux maux affreux et avilissants que la Tenure Seigneuriale entretient au Canada ; mais nous croyons le suivant le plus simple, le plus équitable, le moins dispendieux, offrant le moins d’inconvénients, par conséquent, le plus justement et le plus promptement praticable.

L’abolition de la Tenure Seigneuriale proclamée, dans le cours du mois suivant la promulgation de la loi, il sera procédé aux moyens de constater l’indemnité à accorder aux Seigneurs. Cette indemnité devra être accordée, d’une manière uniforme, selon la valeur des Seigneuries, proportionnellement au capital représenté par leurs revenus respectifs de la dernière année, d’après le papier-terrier, non tels qu’ils sont, mais après avoir réduit les revenus des Seigneurs, qui ont violé les conditions de leurs titres et imposé des exactions, conformément aux Arrêts et Édits des Rois de France, que nous avons cités, qui sont toujours existans, et doivent être mis à exécution. Il ne s’agit pas d’indemniser les Seigneurs des abus qu’ils ont créés, des usurpations qu’ils ont commises, et que le temps n’a pu légitimer.

À cet effet, les arbitres seront nommés, au nombre de cinq, dont quatre, mi-partie par le Seigneur et les censitaires séparément, et le cinquième par le consentement mutuel du Seigneur et des censitaires ; et le montant de la valeur de chaque Seigneurie, déterminée définitivement par ces arbitres, devra être payé au moyen d’une répartition faite, au prorata des valeurs respectives des propriétés des censitaires dans toute l’étendue de la Seigneurie, estimées aussi par les mêmes arbitres, et d’une manière définitive. Les censitaires auront alors à payer de suite, s’ils le pouvaient ; mais, à défaut de le faire, ils seront chargés de payer l’intérêt légal de six pour cent pour leur quote-part, jusqu’à parfait payement du tout, qui ne pourra aller au-delà de quinze années. Par des payements partiels, le capital dû par le censitaire diminuant, les intérêts diminueront toujours à proportion.

À l’échéance des quinze années accordées, le capital sera obligatoire de la part du Seigneur ; mais les intérêts seront exigibles annuellement.

Toutes les estimations faites, de la valeur de chaque Seigneurie, et des valeurs des propriétés des censitaires, seront déposées par les arbitres chez un Notaire de la Seigneurie, qui en prendra acte, en gardera copie, et sera chargé de faire une répartition générale, entre les censitaires, de la somme que chacun d’eux devra payer au Seigneur pour son indemnité ; et telle répartition, l’acte de dépôt et les honoraires des arbitres, seront payés par le Seigneur et les censitaires : le Seigneur pour la moitié et les censitaires pour autant.

Les arbitres feront le dépôt chez le notaire choisi par eux comme représentans des parties intéressées, dans le cours de trois mois, au plus tard, sous peine de perdre leur droit à la rétribution fixée en leur faveur par la Législature.

Les lumières de la raison, et les principes de l’équité, doivent faire rejeter dans l’abîme des ténèbres et de l’oubli les préjugés de l’ignorance, l’influence particulière, la cupidité inique de ceux qui sont intéressés par leur égoïsme, à faire porter à leurs concitoyens le joug de la servitude, en abolissant, pour jamais au Canada, les droits féodaux et Seigneuriaux que le peuple traîne à sa suite sous un dur esclavage.

Le Seigneur a droit à une indemnité pour la concession de ses droits. Les droits Seigneuriaux pour lesquels le Seigneur a droit à une indemnité, sont seulement les cens et rentes tels que la loi les veut, et les lods et ventes. Ces droits sont ceux sur lesquels doit se fonder l’estimation de la valeur d’une Seigneurie. Tous les droits Seigneuriaux doivent être abolis moyennant la valeur estimée de la Seigneurie par les revenus annuels des deux droits précités. Ce qui sera une indemnité juste et suffisante pour l’extinction de tous les droits du Seigneur qui n’ont pas été usurpés par lui.

Ce projet est très équitable, propre à assurer et garantir au Seigneur, s’il fait un placement judicieux, une pleine et entière indemnité pour l’extinction de ses droits. Jusqu’à ce que le payement soit opéré, le Seigneur perçoit l’intérêt légal de ce que lui doit, pour l’indemniser, chaque habitant qui n’est plus libre, après l’époque déterminée, le retarder le payement en payant les intérêts. La loi ne devra avoir aucun effet rétroactif, par conséquent garantir aux Seigneurs tout ce qui pourrait leur être dû par les censitaires d’arrérages pour redevances et droits Seigneuriaux jusqu’au jour de sa promulgation. Ce mode d’indemnité serait également applicable aux Seigneuries tenues en mains-mortes, ou qui appartiennent à des corps auxquels il n’est pas permis d’aliéner. Il est évident qu’on ne peut introduire aucune réforme radicale dans la loi, sans faire souffrir quelques individus, plus ou moins ; mais en même temps il est d’une saine et juste politique l’adopter le plan qui offre le moins d’inconvénients. La plus grande partie des rentes imposées par les Seigneurs étant illégales, on ne pourrait sans injustice obliger les censitaires à leur payer une indemnité pour le rachat d’une rente qu’ils ne doivent que partiellement, et dont la totalité ne peut être considérée, sous aucun point de vue, comme un droit acquis, n’étant le fait qu’une usurpation et un abus ; en conséquence, le capital de la valeur des Seigneuries ne peut être justement représenté qu’en considération des droits Seigneuriaux réduits à la légalité, conformément aux clauses et conditions des contrats primitifs de concessions faites aux Seigneurs par la Couronne. C’est une mesure de justice envers les censitaires dont les Seigneurs n’ont aucun droit de se plaindre ; les Seigneurs devraient se tenir satisfaits de n’être pas inquiétés pour ce qu’ils ont reçu illégalement, et d’avoir encore une indemnité basée sur la plus stricte équité.

Les Seigneurs se sont placés, en violant les conditions de leurs concessions primitives, les Arrêts, Édits et Ordonnances qui régissent la Tenure Seigneuriale, en usurpant des droits illégaux, et en se livrant aux abus les plus criants, dans la situation de voir les autorités exécutives sortir enfin du sommeil léthargique par lequel elles ont laissé violer impunément, jusqu’à ce jour, les anciennes Ordonnances, les Lois Coutumières, et intervenir, en conformité à la loi, pour sévir entre eux, et leur infliger la rigide mais juste peine portée par les Arrêts, Édits et Ordonnances encore en force, en condamnant à la réunion au Domaine de la Couronne, toute Seigneurie dans laquelle la loi n’aurait pas été fidèlement observée.

Maintenant, comme tous les Seigneurs ont, plus ou moins, violé la loi, et se sont écartés, non-seulement de son esprit, mais qu’ils n’ont tenu même aucun compte de sa lettre, sans indemnité, toutes les Seigneuries du Canada seraient, de droit, confisquées et réunies à la Couronne qui, elle, en disposerait généralement et sans indemnité, en faveur des malheureux censitaires qui souffrent, depuis si longtemps, de la négligence du gouvernement, de concussions, de droits violés et de droits usurpés.

Encore une fois, que les Seigneurs se trouvent donc bien heureux d’être indemnisés, plus que justement, même avec générosité.

Les Seigneurs doivent s’attendre à une hostilité continuelle et croissante contre les usurpations, les abus de la Tenure Seigneuriale, et le hideux de l’existence de ces vestiges des siècles barbares. La prudence ordinaire doit leur faire concevoir que toute opposition systématique, au cri général du pays, ne pourrait mener qu’à des suites désastreuses pour eux dans la lutte où ils ne pourraient manquer de succomber honteusement ; tandis qu’eux mêmes montrant un esprit de conciliation et de justice, cette conduite de leur part leur assurera la protection de la Législature, une indemnité équitable de la valeur juste et légale de leurs Seigneuries, comme celle dont nous venons de présenter le plan. La tyrannie de la féodalité a cessé d’exister dans bien des contrées, où les Seigneurs n’ont recueilli que la persécution, pour indemnité de leurs droits oppresseurs abolis.

Quant aux censitaires, ils ne pourront que se réjouir d’une abolition de droits qui, détruits, donneront immédiatement à leurs propriétés, déchargées de lods et ventes, de cens et rentes, de corvées, et de toutes les autres charges, servitudes et réserves Seigneuriales, une augmentation réelle de valeur, même plus élevée que le montant de leur quote-part d’indemnité à payer aux Seigneurs. Alors seulement, véritables propriétaires, et non simples tenanciers, ils pourront se livrer, en paix et sans entraves, à tous les élans de l’esprit d’entreprises industrielles, à toutes les améliorations agricoles que leurs terres peuvent réclamer pour accroître leurs revenus, assurer leur bien-être, donner la vie au commerce et à la prospérité générale.

En vain les cours de justice, mues souvent par des considérations personnelles, n’ont pas, pour la généralité, admis le principe d’un taux uniforme et usité ; en vain ont-elles maintenu le principe, d’après les jugements qu’elles ont rendues, que le Seigneur avait droit de concéder aux taux et conditions dont ils conviendraient avec leurs censitaires ; en vain, enfin, ont-elles refusé de relever les censitaires de ces charges conventionnelles et forcées par les circonstances, leurs jugements étaient en contradiction avec la loi, toujours en force, par conséquent, leurs jugements étaient iniques, la vérité nous impose le devoir de le proclamer à la face du Ciel et à la face du Pays.

Quant à la question des terres non-concédées dans les Seigneuries, dont la population rurale s’est toujours plaint, que plusieurs Seigneurs refusaient absolument à concéder ces terres dans l’espoir spéculateur d’en augmenter la valeur, et d’imposer aux habitants qui désireraient en obtenir, des taux et des conditions plus onéreuses, en exécution des Arrêts, Ordonnances et Édits des Rois de France, qui font la loi encore existante, ces terres doivent nécessairement être réunies au domaine de la Couronne, sans indemnité aucune, pour être concédées libéralement aux colons, comme le sont maintenant les terres de la Couronne.

Et pour ce qui est du droit de quint, en législatant sur l’abolition de la Tenure Seigneuriale, le gouvernement devrait céder et abandonner ces droits sans aucune indemnité ; droits d’ailleurs sans importance par la modicité des revenus qui, comme nous l’avons déjà fait voir, n’ont pas passé, année commune, pendant 38 ans, 836 louis, cinq chelins et cinq pence.

Ce pourrait être considéré comme un acte de justice en faveur des Seigneurs dans l’acte de l’extinction des droits et des priviléges dont ils ont joui.


CHAPITRE IV.

conclusion


Le seul désir de dévoiler la vérité, de la proclamer, pour la faire reconnaître et adopter pour le bonheur d’une société opprimée et souffrante, nous a mis la plume à la main ; nous protestons donc d’avance, contre toute interprétation malicieuse ; nous n’avons pas voulu nuire au caractère de personne, nous sommes, comme toujours, contre les principes vicieux, et non contre les individus que, néanmoins, les mauvais principes finissent toujours par vicier.

La tenure seigneuriale est une violation du droit naturel ; elle est dégradante et vexatoire, elle décourage l’agriculture, paralyse l’énergie de l’homme et le développement de toutes les industries.

Arrière, tenure infâme ! tu achèves ta carrière en ce pays, tu seras complètement chassée de l’Amérique : au Canada plus de Seigneurs, plus de vassaux, plus de vilains ; plus de corvées à faire, plus de lods et ventes, plus de droit de retrait, plus de cens et rentes, plus de redevances, plus de réserves injustes, plus de distinctions avilissantes, plus de droits de domination et d’oppression, plus de droit de banc double dans l’église, droit d’y trouver la sépulture pour soi et sa famille ; arrière vestiges de la féodalité !

Il faut abroger, pour toujours, cette loi tyrannique, ces restes hideux et dégoutants de la barbarie. Il y a assez longtemps que le peuple souffre l’injustice des lois seigneuriales, le devoir des mandataires du peuple, devoir impérieux ! doit être de se rendre à ses vœux, en faisant disparaître tous ces droits honteux, en détruisant la servitude féodale, en faisant des sujets libres et en préparant leur avenir de prospérité et de bonheur. Le temps d’une réparation complète est enfin venu. L’opinion publique, à laquelle les assemblées délibératives sont responsables, s’est déjà prononcée, et se prononcera encore d’une manière plus formidable, nous n’en doutons pas, encore plus généralement et plus énergiquement dans tout le pays, en faveur de l’abolition des droits féodaux et seigneuriaux.

Qui osera donc s’opposer à l’accomplissement de ce grand acte de justice !

Déjà quelques alarmistes ont sonné le tocsin, et se sont écriés : abolir les droits seigneuriaux c’est perdre la nationalité, c’est attaquer les usages, les lois et la jurisprudence du pays ; c’est ouvrir la porte aux capitalistes qui achèteront les

terres des habitants et en feront des prolétaires. Le servage d’un peuple ne peut être sa nationalité ; et il est un fait incontestable, c’est que la plupart des Seigneurs ont été, et sont encore des spéculateurs de terres plus redoutables que ceux que l’on évoque, comme des fantômes, pour épouvanter. Le cultivateur, déchargé des lourdes charges seigneuriales, trouvant son avantage à garder et à cultiver sa terre à son profit, ne donnera pas de prise aux envahissements des riches. Voit-on aux États-Unis libres, où le sceptre de la féodalité n’existe pas, les propriétaires dans les campagnes devenir la proie des capitalistes, devenir des fermiers par la disparition de la répartition des terres ? Y voit-on le hideux spectacle de maisons, de fermes délabrées, de serfs courbés sous le joug du riche et le servage le plus avilissant ? Non ; il est loin d’en être ainsi. Les cultivateurs Canadiens, déchargés des droits seigneuriaux, pourront prétendre, en grande partie, à toute la prospérité et le bonheur, partages des cultivateurs Américains, et que leurs institutions républicaines leur procurent.

Mais, à entendre les alarmistes, l’abolition des droits seigneuriaux aurait pour conséquence inévitable de jeter le Canada dans l’état déplorable, la misère et les gémissements des fermiers de la Grande-Bretagne, et de la trop malheureuse Irlande, qu’ils doivent particulièrement à l’existence du droit de primogéniture ou d’aînesse, et à toutes les affreuses conséquences dont il est la cause. Assertion fausse, mensongère et absurde ! Une tenure quelconque de propriété sujette à des conditions onéreuses et avilissantes, doit nécessairement être injurieuse au pays où elle existe, répugner aux sentiments de l’homme libre, ne pas s’accorder avec l’esprit de lumières et de civilisation du dix-neuvième siècle, et être, enfin, une source de pauvreté, de misère, d’irritation, de juste aversion, et même d’insurrection et de troubles publics.

Il est évident que l’Acte pour la Commutation des Tenures, la 6e George IV, ch. 59, n’assure aux censitaires aucun des avantages qu’avaient en contemplation ses auteurs. Son seul effet est de transférer aux Seigneurs qui ont des terres incultes et non concédées le droit de propriété aux terres que, par les conditions de leurs concessions, ils étaient obligés de concéder à quiconque le désirerait ; et c’est ce que fait l’Acte, sans aucune condition avantageuse aux censitaires, et sans aucune condition pour assurer l’établissement les terres dont la tenure est commuée. Cet Acte n’accorde aux censitaires aucune facilité quelconque pour alléger les fardeaux auxquels ils sont soumis, excepté pour l’avantage des Seigneurs ; il est inefficace dans ses provisions, qui paraîtraient au premier coup d’œil, les plus importantes et les plus efficaces. L’Acte précité ne contient aucune prévision pour permettre aux censitaires de commuer la tenure de leurs propriétés dans les seigneuries de la Couronne.

La capitulation du pays et les traités assurent aux Canadiens la paisible jouissance de leur religion, de leurs lois et coutumes, il n’appartient donc, légalement, qu’au parlement colonial de législater, avec légalité et connaissance de cause, quant aux changements que réclament la justice et l’état actuel de la civilisation.

Nous en appelons au patriotisme de tous les Canadiens influents, et des censitaires en particulier, pour qu’ils fassent des assemblées publiques, avant l’ouverture du prochain parlement, dans tous les comtés du pays, pour passer d’énergiques résolutions, demandant à la législature, d’une manière définitive et positive, non des réformes et des modifications à la tenure seigneuriale, qui seraient des hors d’œuvre pour changer radicalement, en sort plus heureux, la malheureuse condition les censitaires Canadiens, mais l’abolition entière de tous les droits féodaux et seigneuriaux.

Ces résolutions adressées à la Chambre d’Assemblée, nous croyons fermement, qu’après de telles manifestations, l’attitude du peuple devra infailliblement lui obtenir la réalisation de sa juste demande ; car il sera alors du devoir impérieux du Ministère de faire réussir cette grande mesure de justice et de réparation ; il sera alors du devoir impérieux des mandataires du peuple de ne pas reculer, à moins de trahison, devant cette œuvre d’équité, de progrès, de civilisation et de liberté ; la majorité du parti Anglais, détestant les vestiges de l’esclavage féodal, sa co-opération pour détruire à jamais des droits avilissants ne fera pas défaut, et le Canada, à l’avenir, n’aura plus à souffrir et à gémir des abus et de tous les maux que cause la tenure seigneuriale.

Tous ceux qui mettront la main à cette œuvre de destruction acquerront des titres glorieux, et à toujours mémorables, à la reconnaissance de tout le pays ; titres qui seront inscrits dans les fastes historiques du Canada, et qui seront gravés, en caractères ineffaçables dans tous les cœurs reconnaissants.


FIN.


de l’état déplorable des descendants des anciens naturels du Canada, et du moyen de les civiliser.


Après avoir réclamé contre les droits oppressifs qui tyrannisent les Canadiens dans cette partie de l’Amérique Britannique, nous nous sentons entraînés irrésistiblement, avant de déposer la plume, à jeter un regard philantropique sur le sort déplorable des descendants les anciens naturels du Canada, dont la condition malheureuse, si digne de pitié et d’intérêt, n’a pu, néanmoins, jusqu’à présent, attirer, d’une manière efficace, la sollicitude paternelle du gouvernement colonial.

Notre but n’est point d’entrer dans de longues observations, de représenter le génie et les mœurs des sauvages qui occupent plusieurs territoires au Canada ; mais seulement de faire quelques remarques particulières au sujet des sauvages Montagnais du Saguenay, remarques qui pourront aussi s’appliquer également à la civilisation de tous ces enfants de la nature dans cette contrée.

À leur dénuement, à leur pauvreté et à leur misère, on doit attribuer la diminution sensible des sauvages du Saguenay. Leur détresse est déjà connue du gouvernement ; la députation qui a été envoyée le printemps de l’année dernière, accompagnée de Mr. de La Terrière, représentant du comté de Saguenay au parlement provincial, et de leurs interprètes Messieurs Peter McLeod, Thomas Simard et McLaren, les ont représentées, cette misère et ces souffrances, sous des traits les plus pitoyables, au gouverneur-général Lord Elgin, sous les couleurs les plus vives et les plus attendrissantes.

Il est du devoir du Gouvernement, non pas de leur accorder seulement quelques secours passagers pour soulager leurs maux, mais de s’occuper sérieusement de l’œuvre si chrétienne, si humaine et si méritoire de leur civilisation, en les engageant, en les encourageant à se rendre à la vie sociale, à travailler, en les aidant, à construire des villages et à cultiver la terre.

Les Montagnais se plaignent d’avoir été délaissés du gouvernement, de ce que les établissements des Canadiens au Saguenay nuisent à leurs moyens de subsistance, à leurs pêches et à leurs chasses. Leurs missionnaires seraient les plus dévoués et les plus propres à les mener à abandonner une vie de misère, de fatigues, de famine et de dépopulation, pour jouir des bienfaits de la civilisation.

Ce plan bien conduit ne pourrait que se réaliser. Les Missionnaires catholiques du Canada réussiraient à effectuer ici, ce que les Missionnaires catholiques ont fait au Paraguay, dans l’Orégon, et même au lac Saint Jean, source du Saguenay, avant les affreux ravages que le fléau destructeur de la petite vérole, cet implacable ennemi des enfants de la nature, a fait, à plusieurs reprises, parmi la peuplade que les Pères Jésuites étaient parvenus à y établir et fixer ; cette cruelle maladie détruisit la colonisation des premiers Jésuites au Canada.

De nouveaux Missionnaires pourraient entreprendre également avec succès cette belle et bonne œuvre, si le gouvernement fournissait des moyens pécuniaires et des encouragements.

Le système de colonisation et de civilisation des Sauvages par le Catholicisme, s’est appliqué heureusement dans toute l’étendue du Continent de l’Amérique, au Canada, au Paraguay et autres parties de l’Amérique du Sud, à la Californie, à l’Orégon, et on l’a vu recevoir les plus vastes développements ; dans le Paraguay surtout ses effets ont été admirables.

Il n’y a pas de très-grandes difficultés à surmonter pour la civilisation des Montagnais. Ils sont catholiques, et s’ils conservent encore quelque chose de leur caractère primitif, ils n’ont pas les mœurs cruelles, ordinaires aux Sauvages, et ils sont plus disposés à entrer dans la vie de la civilisation, comme le prouve la demande qu’ils ont faite à l’exécutif d’avoir des terres pour s’y établir et cultiver la terre en peuplades.

Qu’on leur fournisse donc, à ces pauvres Sauvages, de l’aide et des missionnaires, et on verra tomber les arbres des forêts, des maisons se bâtir, des chemins s’ouvrir, une église s’élever, une école établie et fréquentée, des champs s’ensemencer, et des enfants de la nature sortir de leur misère et de leurs souffrances, pour jouir d’une condition heureuse avec des établissements fixes.

Les Sauvages les plus rapprochés des rives du Saint Laurent et de la rivière Saguenay sont éclairés des lumières de la foi ; mais, à cent lieues au-delà, il s’en trouve qui n’ont pas encore été évangélisés ; ils sont d’un caractère doux, et accueillent volontiers les ouvriers apostoliques, par les rapports qu’ils ont avec les autres Sauvages catholiques et les employés canadiens de la compagnie de la Baie d’Hudson.

Les moyens de subsistance pour ces peuplades sont la pêche et la chasse, c’est là leurs ressources et leur unique industrie. Malheur à eux quand le gibier et le poisson viennent à manquer ! Ils sont exposés à périr misérablement au milieu des tourments de la faim.

Les Missionnaires se feraient un devoir, cher à leur cœur, de déployer toute l’influence dont ils jouissent déjà sur une partie de ces sauvages pour les appeler à l’état social, et à concourir, par leur travail, aux progrès de la prospérité du Canada


TABLE DES MATIÈRES.


De l’établissement des droits féodaux et seigneuriaux au Canada.
De l’état actuel de la tenure féodale et seigneuriale au Canada.
Quel est le meilleur mode à employer pour accorder une juste indemnité aux Seigneurs.
Conclusion.
  
De l’état déplorable des descendants des anciens naturels du Canada, et du moyen de les civiliser.