De l’inspection des écoles (Législation française)

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De l’inspection des écoles
(législation française)


Le droit de surveillance et d’inspection que notre législation a donné à l’État sur les établissements d’instruction primaire s’étend à toutes les écoles de cet ordre d’enseignement. Mais les attributions conférées par la loi aux personnes chargées d’exercer ce droit, ces personnes elles-mêmes, varient suivant la nature des établissements Inspectés. Nous allons passer en revue les diverses catégories d’établissements scolaires : écoles publiques et libres, pensionnats et externats, écoles laïques et congréganistes, en demandant aux lois et règlements de nous fixer sur l’étendue des attributions des diverses autorités qui sont préposées à leur surveillance. Nous terminerons ce court aperçu par l’indication des sanctions pénales qui assurent l’exercice des droits de l’inspection.

Écoles publiques et Écoles libres. — La distinction à établir, au point de vue de l’inspection, entre les écoles publiques et libres est inscrite dans la loi du 43 mars 1850, art. 21 : « l’inspection des écoles publiques s’exerce conformément aux règlements délibérés par le Conseil supérieur de l’instruction publique. Celle des écoles libres porte sur la morale, l’hygiène et la salubrité. Elle ne peut porter sur l’enseignement que pour vérifier s’il n’est pas contraire à la morale, à la constitution et aux lois. »

En résumé, dans les écoles publiques, tout est soumis au contrôle de l’inspecteur : personnel, discipline, méthodes, enseignement, matériel, etc. Dans les écoles libres, au contraire, l’inspecteur constate seulement que la morale et les lois sont respectées, que la santé des élèves est l’objet de soins convenables. Mais les méthodes sont et doivent demeurer libres ; l’inspecteur ne doit pas s’en préoccuper, pas plus que du mérite des professeurs, puisque leur carrière ne dépend pas de lui, ni des matières enseignées, puisqu’aucun programme n’est prescrit, ni du matériel, puisqu’il appartient en propre au chef d’institution[1].

Dans quelles limites est donc circonscrite l’inspection des écoles libres ? Comment peut-on vérifier si un enseignement ne porte atteinte ni à la morale, ni à la Constitution, ni aux lois ? C’est, la raison l’indique : 1° en interrogeant aux élèves ; 2° en prenant connaissance des livres dont ils se servent ; 3° en examinant les cahiers. Ce point a, d’ailleurs, été parfaitement précisé lors de la discussion de la loi : L’Assemblée législative, après avoir rejeté les mots « et sur l’état de l’enseignement », comme donnant à l’inspection un droit universel et sans limites, adopta les termes de l’article 21 après les explications suivantes fournies par le ministre : « Dans un établissement d’instruction, même pour vérifier seulement si l’enseignement n’est pas contraire à la morale, à la Constitution et aux lois, c’est l’enseignement lui-même qu’il faut voir. Évidemment, on ne peut juger l’enseignement qu’en questionnant les élèves, en voyant les livres, en examinant au besoin jusqu’aux sujets de composition. Nous avons l’occasion de constater aujourd’hui d’assez fréquents abus qui résultent du seul choix de certains sujets de composition. Il faut donc examiner l’enseignement ; mais, après avoir vu l’enseignement, si l’on n’y trouve rien de contraire à la morale, à la Constitution, à la loi, quand même cet enseignement serait très-défectueux, quand même les classes seraient très-faibles, très-retardées, quand même les élèves ne feraient aucun progrès, il n’y aurait pas de sanction à l’observation de ces défauts… »

La circulaire aux recteurs[2] du 10 mai 1851 détermine avec précision les droits de l’inspection dans les écoles libres et indique en même temps dans quelle mesure on peut l’exercer.

« Et d’abord, par égard pour l’autorité qui appartient au chef d’une maison d’éducation, et pour assurer le respect qui lui est dû par les élèves confiés à ses soins, il conviendra que vous vous adressiez personnellement à lui, lorsque vous aurez l’intention de visiter l’établissement qu’il dirige. Je vous recommande, en conséquence, de le prévenir de votre arrivée, et de l’inviter à vous accompagner dans votre visite. S’il était absent, ou s’il refusait de vous accompagner, cette circonstance regrettable ne vous empêcherait pas d’accomplir votre mission dans toute son étendue.

Le premier acte de votre inspection sera l’examen du registre où doivent être inscrits les noms, prénoms, âge, etc… des professeurs et surveillants, conformément à l’article 6 du décret du 20 décembre 1850. Vous vous informerez ensuite du nombre des pensionnaires, demi-pensionnaires et externes. Vous visiterez particulièrement les parties de l’établissement qui sont destinées aux élèves. Cependant vous pourriez, selon le besoin et l’occurrence, demander à voir les autres parties de la maison. Vous observerez si, dans la disposition des lieux ou dans le voisinage de l’établissement, il ne se trouve rien de dangereux pour la moralité ou la santé des enfants ; vous examinerez spécialement si les dortoirs sont suffisamment aérés, et si leurs dimensions sont en rapport avec le nombre des pensionnaires.

Le régime alimentaire intéresse trop directement la santé des enfants pour que vous n’y portiez pas toute votre attention. Vous vérifierez avec soin si la nourriture est convenablement préparée, si elle est saine et suffisante ; mais vous n’oublierez pas la réserve et les ménagements que l’on doit : mettre dans ce genre de recherches, autant pour maintenir la considération des chefs d’établissements, que pour éviter de provoquer, de la part des élèves, des critiques et des plaintes trop faciles quelquefois à se produire.

Vous avez le droit d’assister aux exercices que vous jugerez ’devoir appeler de votre part une surveillance particulière, dans l’intérêt et les limites de la mission qui vous est confiée par la loi, et vous me rendrez compte des observations que vous aurez recueillies. Toutefois, par respect pour la liberté des méthodes, vous vous abstiendrez d’interroger les élèves sur la force et la direction des études, à moins que le chef de l’établissement ne vous en ait exprimé le désir dans le cours même de la visite. Mais vous pourrez toujours, quand vous le jugerez nécessaire, pour les motifs que la loi a définis, vous faire présenter les livres à l’usage des classes, ainsi que les cahiers des élèves.

Quels que soient Les sujets de blâme que vous rencontrerez dans le cours de votre visite, vous ne laisserez rien apercevoir de votre improbation, ni devant les enfants, ni devant les domestiques, ni devant les sous-maîtres. Mais la visite étant terminée, vous adresserez, en particulier, au chef de l’établissement les observations, et, s’il y a lieu, les représentations que vous croirez être de votre devoir.

Si, dans le cours de La visite et par l’examen des livres ou cahiers, vous avez remarqué des choses contraires à la morale, à la constitution et aux lois, vous demanderez au chef de l’établissement les explications nécessaires sur l’introduction de ces livres et la rédaction de ces cahiers. Si les réponses du chef ne vous paraissent pas satisfaisantes et si, d’une autre part, les symptômes que vous auriez vous-même remarqués ou les renseignements qui vous seraient venus d’ailleurs vous donnaient de sérieuses raisons de croire que dans l’établissement existent de dangereux abus, soit parce qu’on y propage des doctrines perverses, soit parce qu’on y tolère des désordres de mœurs, alors vous pourriez interroger les maîtres et surveillants, pour vous éclairer sur le véritable état des choses, et, de plus, soit par vous-même, soit avec le concours du Conseil départemental de l’instruction publique, vous prendriez les moyens d’information, et, au besoin, les mesures de répression prévus par la loi ; vous pourriez en ce cas interroger les élèves eux-mêmes. »

Écoles libres tenant lieu d’écoles publiques. — Toute commune est tenue d’entretenir une ou plusieurs écoles publiques. Mais une commune peut être dispensée de cette obligation par le Conseil départemental, à condition qu’elle pourvoira à l’enseignement primaire gratuit, dans une école libre, de tous les enfants dont les familles sont hors d’état d’y subvenir[3]. Cette disposition parut incomplète au législateur de 1867. Il lui parut qu’en donnant à quelques écoles libres les avantages assurés aux écoles publiques, on devait les soumettre aux règles auxquelles sont assujetties ces dernières, et que l’État avait le devoir de s’assurer si l’enseignement qui y était donné aux enfants répondait réellement à leurs besoins. C’est pour faire cesser cet état de choses qu’on a prescrit que les écoles libres qui tiennent lieu d’écoles publiques, ou qui reçoivent une subvention de la commune, du département ou de l’État, sont soumises à l’inspection, comme les écoles publiques. (Loi du 10 avril 1867. art. 17.)

Pensionnats. — En principe, toutes les écoles primaires sont soumises à l’inspection des autorités scolaires instituées par la loi. Il existe toutefois quelques établissements où les convenances ne permettent pas de laisser les autorités ordinaires remplir leurs fonctions dans toute leur étendue, et comme cependant l’intérêt de la société exige que la surveillance de l’État puisse pénétrer partout et ne reste nulle part désarmée, on a dû choisir des personnes spéciales pour exercer son droit. Ce sont ces exceptions que nous allons examiner.

Disons de suite que toutes les écoles de garçons et les écoles mixtes sont soumises aux autorités ordinaires, et que les exceptions à la règle générale s’appliquent aux seules écoles de filles. Pour ces établissements, la loi du 15 mars 1850 a décidé que tout ce qui se rapportait à la surveillance et à l’inspection des écoles de filles serait l’objet d’un règlement délibéré en Conseil supérieur. Le décret du 31 décembre 1853 a répondu à ce vœu de la loi. L’article 10 tranche la question au sujet des externats qu’il fait rentrer dans la catégorie des écoles ordinaires : « Toutes les écoles communales ou libres, tenues soit par des institutrices laïques, soit par des associations religieuses non cloîtrées ou même cloîtrées, sont soumises, quant à l’inspection et à la surveillance de l’enseignement, en ce qui concerne l’externat, aux autorités instituées par les articles 18 et 20 de la loi du 15 mars 1850. »

Il ne fallait pas laisser d’équivoque sur le sens du mot externat. En effet, plusieurs évêques avaient demandé sous quel régime se trouveraient placées les classes recevant des externes, mais annexées à des pensionnats dirigés par des communautés cloîtrées et en faisant en quelque sorte partie intégrante. Les circulaires adressées aux évêques et aux recteurs, le 26 janvier 1854, lèvent tous les doutes à cet égard : « Par externat on doit entendre les classes situées en dehors de la ligne de clôture, dans lesquelles les élèves sont reçues pour le temps des études. Lorsque les classes sont ouvertes hors de la clôture, et que des parents aussi bien que des maîtres étrangers y entrent librement, elles constituent un externat dans l’acception là moins équivoque de ce mot et sont placées sans conteste sous le régime commun de l’inspection. » Quant à la ligne de clôture elle-même, il n’appartient évidemment pas à l’autorité civile de déterminer les points qui doivent en tracer la direction. Le soin de déterminer les conditions et les limites des règles de clôture appartient à l’autorité diocésaine[4].

Il est donc établi que les internats seuls de jeunes filles sont mis en dehors de la loi commune ; ils font l’objet des articles 11 et 12 du décret :

« Art. 11. Le Préfet délègue, lorsqu’il y a lieu, des dames pour inspecter, aux termes des articles 50 et 53 de la loi du 15 mars 4850, l’intérieur des pensionnats tenus par des institutrices laïques. »

« Art. 12. L’inspection des pensionnats de filles tenus par des associations religieuses cloîtrées ou non cloîtrées est faite, lorsqu’il y a lieu, par des ecclésiastiques nommés par le ministre de l’instruction publique, sur la présentation de l’évêque diocésain. Les rapports constatant les résultats de cette inspection sont transmis directement au ministre. »

Le caractère des rapports que les inspecteurs ecclésiastiques doivent adresser est nettement déterminé par la circulaire précitée du 20 mars 1854 : « Les rapports se borneront à mentionner : 1° si les bâtiments destinés aux élèves sont salubres, si les dortoirs ne contiennent pas plus d’enfants qu’ils ne doivent en recevoir ; 2° si les règles de : l’hygiène sont observées dans l’établissement ; 3° si les livres. mis entre les mains des enfants et les leçons qui leur sont : données ne renferment rien de contraire à la morale, à la Constitution et aux lois. Une copie de tous les rapports adressés au ministre par ces inspecteurs spéciaux sera envoyée par eux à l’évêque diocésain. » Ces ecclésiastiques ne sont nommés que pour un an ; et si l’évêque leur retire leurs pouvoirs, le ministre procède, dans la forme réglementaire, à une nouvelle nomination.

Sanctions pénales. — Pour clore les observations générales que nous avions à présenter au sujet de l’inspection des écoles, il nous reste à dire quelle est la sanction pénale qui consacre ce droit d’inspection :

L’article 22 de la loi de 1850 dispose que tout chef d’établissement, qui se refusera de se soumettre à la surveillance de l’État, sera traduit devant le tribunal correctionnel de l’arrondissement et condamné à une amende de 100 francs à 1,000 francs. En cas de récidive, l’amende sera de 500 francs à 3,000 francs. Si le refus de se soumettre à la surveillance de l’État a donné lieu à deux condamnations dans l’année, la fermeture de l’établissement pourra être ordonnée par le jugement qui prononcera la seconde condamnation. Le procès-verbal des inspecteurs constatant le refus du chef d’établissement fera foi jusqu’à inscription de faux.

Il y a lieu de rapprocher de ces dispositions l’article 80 de la même loi qui rend applicable aux délits prévus ici l’article 463 du code pénal. Cet article permet aux tribunaux d’appliquer à ces délits les circonstances atténuantes, et, par suite, d’abaisser l’amende jusqu’à 16 francs, et même au-dessous de cette somme, dans le cas où les faits incriminés sont déférés pour la première fois à la justice.

Les personnes chargées de l’inspection dressent procès-verbal de toutes les contraventions qu’elles reconnaissent[5], ou du refus de se soumettre à l’inspection. Les procès-verbaux sont adressés au préfet qui les transmet au procureur de la république[6].

Les termes de l’article 22 de la loi de 50 « surveillance de l’État » font dire que la sanction pénale spécialement fixée par le présent article ne s’applique qu’à un refus opposé aux délégués directs de l’État, aux fonctionnaires investis des pouvoirs de l’État, c’est-à-dire, le ministre, le recteur, le préfet, les inspecteurs, et les maires qui sont, dans la commune, les agents du pouvoir exécutif. Quant au refus opposé à la surveillance des personnes qui représentent une influence morale indépendante de l’État (les ministres des cultes, les délégués cantonaux) ce refus constitue seulement une infraction qui, à titre de faute grave, fait tomber leur auteur sous le coup des peines disciplinaires prévues par la Loi. Cette opinion ne nous parait pas suffisamment fondée. Le législateur de 1850 n’a certes pas voulu donner une telle interprétation au texte de l’article 22 et établir une différence entre les fonctionnaires de l’État et ceux qui tiennent leur droit soit du Conseil départemental soit de la nature même de leurs fonctions comme les ministres des cultes. Nous admettons cependant que les agents directs de l’État jouissent seuls du privilége de dresser des procès-verbaux qui fassent foi jusqu’à inscription de faux. C'est là, en effet, la plus grande force probante que l’on puisse donner à un acte de cette nature, celui qui s’inscrit en faux étant soumis à des formalités nombreuses et encourant, s’il succombe, une amende de 300 francs au minimum.

Telles sont les conditions dans lesquelles, s’exercent en France, la surveillance et le contrôle de l’État sur les établissements d’instruction primaire de tout ordre. Cette partie de notre législation scolaire, nos lecteurs l’ont certainement remarqué, est empreinte de la préoccupation constante qu’a eue le législateur de concilier la liberté de l’enseignement et l’indépendance des chefs d’établissements libres avec les droits de haute surveillance dévolus à la société et à ses représentants dans une matière qui touche aussi intimement à la vie morale et intellectuelle de la nation. Dans notre législation scolaire tout entière se retrouve le désir de mettre d’accord ces deux principes : la liberté et le droit de l’État. Nul pays n’a su aussi heureusement tenir entre eux la balance égale, et c’est dans le jeu de ces institutions libérales qu’il faut chercher le secret des progrès importants que, depuis 30 ans, a fait chez nous l’enseignement populaire. Ce n’est pas, à notre avis, un médiocre honneur pour notre pays de devoir au seul exercice d’une liberté sagement réglée des résultats que, malgré la rigueur de lois coercitives, d’autres nations sont loin d’avoir pu obtenir.


  1. Voir Rapport de M. Beugnot, du 6 octobre 1849, et Rapport de M. Jules Simon, du 15 février 1849.
  2. Les recteurs départementaux étaient alors les chefs administratifs de l’instruction primaire. Ces instructions s’adressent aujourd’hui aux inspecteurs d’académie et inspecteurs primaires.
  3. Loi du 15 mars 1850, art. 36. § 4.
  4. Circulaire aux évêques du 20 mars 1854.
  5. Décret du 29 juillet 1850, art. 42.
  6. Arrêté du 3 janvier 1851, art. 5, § 2.