De la baguette divinatoire/Partie 4/Chapitre 1

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CHAPITRE PREMIER.

EXPOSITION DU PRINCIPE DE M. CHEVREUL CONCERNANT UNE CLASSE PARTICULIÈRE DE MOUVEMENTS MUSCULAIRES.

207.Il s’agit maintenant de rapprocher des faits qui sont, disséminés dans les trois premières parties de l’ouvrage, afin d’en montrer l’analogie et de pouvoir en déduire ensuite des conclusions assez intéressantes pour justifier la peine que j’ai prise de les réunir, et le temps que le lecteur a eu la patience de donner à leur développement.

Le principe que j’ai formulé en ces termes dans l’introduction, concernant le développement en nous d’une action musculaire qui n’est pas le produit d’une volonté, mais le résultat d’une pensée qui se porte sur un phénomène du monde extérieur, sans préoccupation de l’action musculaire indispensable à la manifestation du phénomène, va servir de centre de ralliement aux faits disséminés auxquels je fais allusion ; et afin de prévenir toute équivoque et d’éviter une périphrase, je le désignerai dorénavant par l’expression de principe du pendule explorateur. Le mot explorateur, donné par Gerboin au pendule dont je me suis servi, empêchera qu’on ne confonde celui-ci avec le pendule ordinaire.

Ce principe n’est pas une simple conjecture, ni même une induction, mais une proposition déduite de l’observation de plusieurs faits expérimentaux, contrôlés des expériences instituées en conséquence ; de sorte qu’elle n’a acquis pour moi la généralité d’un principe qu’après cette vérification.

208.C’est ce qu’il faut développer, afin que mes explications se montrent ce qu’elles sont réellement, l’expression de la méthode expérimentale, et non pas : des suppositions dénuées de preuves.

Récapitulons les faits.

Témoin d’abord de l’expérience du pendule dit explorateur, exécutée par M. Deleuze, je la reproduis presque aussitôt.

Voilà l’expérience de Fortis, de Ch. Amoretti, répétée.

Je me demande si tel corps fera osciller le pendule de droite à gauche.

Et le mouvement a lieu dans ce sens.

Je me demande si tel corps fera osciller le pendule de gauche à droite.

Et le mouvement a lieu dans ce sens.

209.Voyant le pendule osciller au-dessus de certains corps, je me demande si tel autre corps interposé entre eux ne fera pas cesser le mouvement.

Et le mouvement s’arrête.

210.Qu’ai-je fait ?

J’ai répété des expériences que mes yeux venaient de voir, et j’en ai imaginé qui ont eu la réussite des premières.

Restait à savoir si les nouvelles expériences étaient une preuve de celles qui les avaient précédées, ou si, au fond, elles n’en étaient qu’une simple extension, de sorte qu’elles n’apprenaient rien de nouveau sur la cause qu’on cherchait.

Elles n’en étaient effectivement qu’une simple extension, car elles ne conduisaient à aucune conclusion sur la question fondamentale, celle de savoir si le mouvement du pendule dépendait à la fois de deux causes : d’un corps placé au-dessous de lui et de l’homme qui en tenait le fil entre ses doigts.

Évidemment, que mes expériences eussent été continuées dans la direction dont je parle, sans résoudre préalablement la question de savoir s’il existe réellement des corps dynamiques et des corps adynamiques relativement au pendule, et j’aurais reproduit en 1812, à mon insu, le livre que Gerboin avait fait imprimer quatre ans auparavant.

211.Mais, préoccupé dès cette époque de l’utilité des méthodes et de la nécessité de s’appuyer sur des principes dont la certitude, une fois démontrée, serve de fil conducteur pour découvrir les vérités qu’on cherche, je procédai comme je l’avais déjà fait, et comme j’ai continué à le faire dans mes recherches de chimie[1], de physiologie[2] et de psychologie[3].

212.En réfléchissant à ce qu’il y a d’étrange dans la supposition par laquelle on attribue à des corps inorganiques, comme à des corps vivants, le pouvoir d’agir à distance sur le pendule explorateur ; en réfléchissant à ce qui s’était passé en moi lorsque mes yeux en suivaient les oscillations, j’avais conscience d’une sorte de plaisir causé par la vue des oscillations du pen* dule, et d’une tendance de mon corps à suivre la ligne de mouvement qui captivait mes yeux.

213.Ces réflexions m’ont conduit à l’expérience des yeux fermés, c’est-à-dire à une expérience très-propre à démontrer l’influence de certains corps sur le pendule, si cette influence existait. Évidemment pour moi, dans le cas de l’affirmative, les corps capables de l’exercer devaient agir tout aussi bien lorsque les yeui de l’expérimentateur seraient fermés, que lorsqu’ils étaient ouverts, et, dans les deux cas, les corps doués de la propriété adynamique devaient pareillement, par leur présence, arrêter le mouvement du pendule. Or, le contraire étant arrivé, c’est-à-dire tous les phénomènes attribués à une action des corps s’étant évanouis lorsque mes jeux eurent été bandés, il est impossible d’admettre que, dans le cas où les yeux de l’expérimentateur sont ouverts, les corps exercent une action qu’ils n’exercent plus dans le cas contraire.

214.Quelle objection peut-on me faire ?

Quelle influence la vue pourrait-elle exercer si le mouvement du pendule était produit à la fois par un corps et par un fluide qui serait en nous ?

Évidemment rien.

Suis-je le seul auquel un bandeau sur les yeux ait ôté la faculté d’agir sur le pendule ? Non. Le général [illisible], grand partisan du magnétisme, en présence de MM. Ampère, Ballanche et Dugas-Montbel, traducteur d’Homère, après nous avoir montré le pendule oscillant de droite à gauche et de gauche à droite, suivant le doigt de la main libre qu’il lui présentait, fut stupéfait lorsqu’il eut reconnu son impuissance après que ses yeux avaient cessé de voir les oscillations du pendule.

L’Expérience qui m’avait réussi, répétée par un vrai [illisible] au magnétisme, a donc donné dans les deux cas un même résultat.

Les faits, parfaitement constatés, m’autorisent à [illisible] l’exactitude de ce que j’ai écrit. C’est aux personnes opposées à ma manière de voir qu’il appartient de montrer où est l’inexactitude de mes expériences et l’erreur de mes raisonnements. Quoi qu’elles [illisible], quoi qu’elles disent, elles ne changeront pas les conclusions qui reposent sur de telles bases.

215.J’insiste sur la différence de ces faits avec les [illisible] que j’exécute sous l’influence d’une pensée qui [illisible] volonté.

[illisible] soif : un verre d’eau sur une table frappe mes [illisible] ; j’en approche la main, je l’ouvre, mes doigts s’appliquent sur le verre, ils le pressent, et dès lors je le saisis et le porte à ma bouche ; je l’incline, et, lorsqu’il est vide, je le remets sur la table.

Voilà une suite d’actions dont chacune est l’effet de [illisible] volonté.

Ma volonté a commandé à mes muscles, et mes muscles, sous l’influence immédiate de mes nerfs, ont exécuté tous les mouvements nécessaires à la préhension du verre, à sa translation de la table à ma bouche sans répandre une goutte de l’eau qu’il contenait, à son inclinaison pour le vider, enfin à sa translation de ma bouche à la table.

L’ignorant exécute l’ensemble de ces actions tout aussi bien que le savant. S’il ne se rend pas compte de chacune d’elles comme lui, il a conscience de l’obéissance de son bras et de sa main à sa volonté.

216.Eh bien, dans les actions que je ramène au principe que j’ai posé, rien n’accuse une volonté comme celle qui préside si incontestablement à l’accomplissement des actes précédents.

En effet, lorsque j’ai répété l’expérience dont M. Deleuze m’avait rendu témoin, mon intention, mon désir même de voir le pendule osciller entre mes doigts, n’était point une volonté commandant à mes muscles ; car que celle-ci eût existé en moi, et il n’y avait plus d’expérience. Ma volonté ne pouvait donc être de mettre le pendule en mouvement ; ma volonté était l’exécution d’une expérience propre à mettre un terme à l’incertitude de mon esprit sur la question de savoir si le pendule serait mû ou s’il resterait au repos.

Même état de choses et même résultat, lorsque, pendant les oscillations d’un pendule que je tenais au-dessus du mercure, je me suis demandé si, en interposant entre eux un certain corps, le mouvement cesserait. Cette demande, que je m’adressais, était incompatible avec une volonté qui aurait commandé à mes muscles.

217.J’ai cité la baguette, dans ma Lettre à M. Ampère, comme devant présenter des faits analogues à ceux du pendule, et, conséquemment, susceptibles d’être interprétés de la même manière ; mais ce n’était qu’une induction, car je ne m’étais point encore occupé des sciences occultes. Aujourd’hui que je les ai étudiées, et que les écrits examinés dans les Ie et IIe parties de cet ouvrage me sont familiers, je vais montrer que cette induction peut être parfaitement justifiée.


  1. Recherches sur les corps gras. — Considérations générales sur l’analyse organique. — Recherches chimiques. — Recherches physico-chimiques sur la teinture.
  2. Recherches sur les sens du toucher, du goût et de l’odorat. — Recherches sur les sens de la vue et de l’ouïe.
  3. De la loi du contraste simultané des couleurs. — De l’abstraction considérée comme élément des connaissances humaines dans la recherche de la vérité absolue (inédit).