De la dignité et de l’accroissement des sciences (trad. La Salle)/Livre 2/Chapitre 3
Œuvres de François Bacon, chancelier d’Angleterre, Imprimerie L. N. Frantin ; Ant. Aug. Renouard, libraire, 1799 (an VIII), Tome premier (p. 285-289).
’histoire naturelle, considérée
par rapport à son sujet, se divise en
trois espèces, comme nous l’avons déja
dit ; de même envisagée par rapport à
son usage, elle se divise en deux autres
espèces. Car on l’emploie, ou pour acquérir
la simple connoissance des choses que l’on confie à l’histoire, ou comme
matière première de la philosophie.
Or, cette première espèce qui plaît par
l’agrément des narrations, ou qui aide
par l’utilité des expériences, et qui n’a
en vue qu’un plaisir ou une utilité de
cette espèce, doit être mise fort au-dessous
de celle qui est comme la pépinière
et le mobilier d’une induction véritable
et légitime, et qui donne le premier lait
à la philosophie. Ainsi nous diviserons
de nouveau l’histoire naturelle en narrative
et inductive ; nous plaçons cette
dernière parmi les choses à suppléer ; et
il ne faut pas s’en laisser imposer par les
grands noms des anciens, ni par les gros
volumes des modernes ; car nous n’ignorons
pas que nous possédons une histoire
naturelle, fort ample quant à sa masse,
agréable par sa variété, et d’une exactitude
souvent minutieuse. Cependant, si
vous en ôtez les fables, les remarques
sur l’antiquité, les citations d’auteurs,
les vaines controverses, la philologie,
en un mot, et les ornement, toutes choses fort bonnes pour servir de matière
aux conversations dans les festins, ou
pour amuser les savans durant leurs
veilles, mais qui ne sont nullement propres
pour servir de base à la philosophie ;
ôtez-en, dis-je, toutes ces inutilités,
et vous trouverez que cette histoire
se réduira presque à rien. Oh ! combien
elle est loin de celle que nous embrassons
dans notre pensée. Car, 1.o ces
deux parties de l’histoire naturelle, dont
nous parlions il n’y a qu’un instant,
savoir, celle des préter-générations,
et celle des arts, auxquelles nous attachons
la plus grande importance ; ces
deux parties, dis-je, nous manquent absolument ;
2.o l’histoire qui reste, savoir,
celle des générations, ne remplit
qu’un seul des cinq objets qu’elle devroit
embrasser ; car elle a cinq parties subordonnées
les unes aux autres. La première
est l’histoire des corps célestes,
qui n’embrasse que les purs phénomènes,
abstraction faite de toute opinion
positive. La seconde est celle des météores y compris les comètes[1], et celle
de ce qu’on appelle les régions de l’air.
Car, sur les comètes, les météores ignés,
les vents, les pluies, les tempêtes et autres
phénomènes semblables, nous ne
trouvons point d’histoire qui soit de quelque
prix. La troisième est celle de la
terre et de la mer, (en tant qu’elles sont
des parties intégrantes de l’univers) des
montagnes, des fleuves, des marées,
des sables, des forêts, des isles, enfin
de la figure même des continens et de
leur contour ; mais tous ces détails ne
doivent être que de simples descriptions
qui tiennent plus de l’histoire naturelle
que de la cosmographie. La quatrième est
celle des masses communes de la matière,
que nous appellons les congrégations
majeures, vulgairement appellées élémens.
Car, sur le feu, l’air, l’eau, la
terre, sur leurs natures, leurs mouvemens, leurs opérations, leurs impressions,
nous n’avons pas non plus de
narrations qui forment un corps complet
d’histoire. La cinquième et la dernière,
est celle des assemblages réguliers
de la matière, que nous désignons par
les mots de petites congrégations, et
connus sous le nom d’espèces. C’est
dans cette dernière partie que s’est le
plus signalée l’industrie des écrivains ; de
manière cependant qu’on y trouve plus de
luxe et de choses superflues ; telles que
sont des figures d’animaux et de plantes
dont on les a renflées ; que d’observations
exactes et solides ; ce qui est pourtant ce
qu’on doit rencontrer par-tout dans une
histoire naturelle. En un mot, toute cette
histoire naturelle que nous possédons,
ne répond, ni pour le choix, ni pour l’ensemble,
à ce but dont nous avons parlé ;
savoir, à celui de fonder une philosophie.
Ainsi nous décidons que l’histoire inductive nous manque.
Mais en voilà assez sur l’histoire naturelle.
- ↑ Bacon range ici les comètes parmi les météores, et Sénèque, quinze cents ans auparavant, les regardoit comme des planètes.