De la fièvre puerpérale/Philosophie médicale

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De la fièvre puerpérale devant l’Académie impériale de médecine de Paris
Germer Baillière (p. 73-76).


PHILOSOPHIE MÉDICALE.


DES PRINCIPES DU VITALISME APPLIQUÉS À LA SOLUTION SCIENTIFIQUE DE LA QUESTION DE LA FIÈVRE PUERPÉRALE.


La médecine subsiste depuis longtemps, et elle a découvert des principes et une route par lesquels on est parvenu depuis plusieurs siècles à une infinité de choses dont l’expérience a consacré la vérité.
(Hipp. de Lége.)

La question que nous allons aborder est une des plus importantes entre toutes ; en effet, ce n’est pas simplement de la fièvre puerpérale que nous allons parler, mais de la fièvre en général, c’est-à-dire de la réaction vitale ! Or le dogme de la réaction est un des dogmes principaux de la médecine traditionnelle ; il s’étend à tout et il domine en quelque sorte toutes les branches de la pathologie par la vive lumière qu’il jette sur l’histoire des maladies. Et, d’autre part, ce sera peut-être chose nouvelle, car, à en juger par ce qui se passe autour de nous, voire même dans les régions officielles, on dirait vraiment que bien des médecins méconnaissent ou n’ont jamais connu l’esprit de la médecine.

Qu’est-ce que la fièvre ? Nous allons répondre à cette question par des définitions et des commentaires empruntés aux pères de la science, et aux maîtres les plus autorisés des temps modernes.

Selon Hippocrate : Febris est naturæ instrumentum ; selon Celse : Denique ipse febris (quod maxime mirum videri potest) sape presidio est ; selon Galien : La fièvre est comme le tableau original de l’art de la nature procédant en grand à la guérison des maladies.

Ainsi donc, selon l’esprit ancien, et dans les termes classiques, la fièvre est un effort salutaire, un mouvement de la nature médicatrice.

Les modernes ont adopté et consacré ce principe ; aussi, Sydenham nous dit : Profecto enim est febris ipse naturæ instrumentum quò partes impuras a puris secarnat ; Stoll s’écrie : Igitur febris affectio vitæ conantis mortem avortere. Passons maintenant aux commentateurs, à Barthez, le plus célèbre de tous : « La fièvre, dit-il, est un effort synergique et salutaire ; cet effort consiste dans une réaction générale de l’organisme qui ayant une tendance et un but est, par cela même, une fonction. » Consultons M. Bousquet, un des maîtres les plus savants de l’Académie de médecine ; nous trouverons dans sa Thèse inaugurale cette définition saisissante, frappée au coin de la meilleure philosophie : « La fièvre, comme toute maladie, est une fonction accidentelle qui, semblable à toutes les fonctions, a une durée déterminée et une solution connue qui se manifeste par des signes propres et invariables. » Enfin, laissons parler M. le professeur Cayol, le maître des temps modernes à la Faculté de médecine de Paris, et le seul peut-être qui, depuis Bayle, Pinel, Laënnec, Corvisart et Récamier, ait formé à Paris des esprits assez puissants pour soutenir avec éclat la gloire de la médecine française.

Le corps organisé, dit-il, présente à l’observation médicale deux ordres de fonctions : les fonctions naturelles ou physiologiques et les fonctions accidentelles ou pathologiques ; les unes et les autres tendent, par des procédés divers au même but, qui est la conservation de l’individu.

Ces deux ordres de fonctions dérivent d’une seule et même loi, la loi de la vie, exprimée par le mot force vitale, lorsqu’il s’agit des fonctions naturelles ou physiologiques, et par celui de force médicatrice, lorsqu’on étudie les fonctions accidentelles ou pathologiques qui constituent les maladies.

La réaction pathologique peut être générale ou locale ; lorsque la réaction est aiguë, avec exaltation de la chaleur vitale et de la sensibilité, elle prend le nom de fièvre ou d’inflammation, suivant qu’elle est générale ou locale ; ainsi la fièvre est une réaction générale de l’organisme, comme l’inflammation est une réaction locale de l’organisme ? Donc, l’inflammation est une fièvre locale, comme la fièvre est une inflammation générale ; ces deux mots, fièvre et inflammation, n’expriment ni le mode ni la nature de la réaction, ils expriment seulement sa mesure et son degré d’intensité.

Toute réaction locale peut exciter consécutivement la réaction du cœur et des centres nerveux ; elle devient alors générale. Ainsi, toute inflammation locale, soit interne, soit externe, peut devenir cause de fièvre, avec d’autant plus de facilité que la partie affectée est plus irritable et qu’elle a des sympathies plus actives avec le cœur et les centres nerveux. Il y a donc des fièvres primitivement locales ou symptomatiques.

La réaction générale ou fièvre est aussi provoquée directement par diverses causes spéciales, miasmatiques ou infectieuses, etc., et indépendamment de toute inflammation ou lésion locale préalables ; donc, il y a des fièvres primitivement générales, c’est-à-dire des fièvres primitives ou essentielles.

La fièvre n’est donc pas un être, mais un acte ou une action de l’organisme ; c’est une action provoquée, c’est-à-dire une réaction ; cette réaction a une tendance, un but ; c’est donc une fonction. La fièvre étant dans sa nature un acte vital, il n’est donc pas permis de la confondre avec les altérations ou les lésions matérielles des organes qui n’en sont que les résultats éventuels ou les conséquences. Ainsi donc toutes les altérations physiques ou matérielles des organes (indurations, ramollissements, atrophies, hypertrophies, épanchements, suppurations, dégénérescences de toute espèce) sont des produits d’exhalations, de sécrétions ou d’autres fonctions pathologiques, lesquelles ont leur type dans les fonctions naturelles.

Voilà ce qu’on, entend, en médecine hippocratique, par ce mot fièvre. Si messieurs de l’Académie avaient tant soit peu daigné se remettre au courant de ces choses dogmatiques, la discussion eût été moins nébuleuse, moins tourmentée, moins passionnée, et elle eût incontestablement obtenu un meilleur et plus honorable résultat.

Maintenant que nous avons fait connaître scientifiquement la fièvre en général, donnons la définition de la fièvre puerpérale. Qu’est-ce que la fièvre puerpérale ? C’est une fièvre qui se lie essentiellement et exclusivement aux conditions passagères de la puerpéralité, conditions sur lesquelles nous reviendrons bientôt… C’est ainsi que dans le langage hippocratique, l’adjectif du mot générique fièvre, indique toujours ou la cause, où la nature, ou l’état, ou l’objet, ou le but de la fièvre, et c’est là, sans contredit, un véritable enseignement préalable.