De la fièvre puerpérale/Simplification de la question

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De la fièvre puerpérale devant l’Académie impériale de médecine de Paris
Germer Baillière (p. 76-81).

Simplification de la question.

Simplifier une question, c’est la réduire à ses plus simples éléments et à ses conditions exclusives ; c’est, en ce qui concerne la fièvre puerpérale, indiquer méthodiquement ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas ; c’est la dégager de tous les états morbides qui la précèdent, qui l’accompagnent ou qui la suivent ; en un mot, c’est ne parler que d’elle, en respectant le caractère qui lui est propre.

Réduite à ses véritables et légitimes proportions et ramenée à ses termes classiques, la fièvre puerpérale est un mouvement fébrile essentiel, le plus souvent éphémère, et quelquefois durable, qui se lie primitivement et exclusivement aux phénomènes physiologiques de l’accouchement ; phénomènes qui, dans certaines conditions et principalement sous l’action directe de causes infectieuses, comme les lochies ou le lait altérés, etc., etc., peuvent passer rapidement de l’état physiologique à l’état pathologique.

Dans le premier cas, cette fièvre éphémère des femmes en couches prend le nom de fièvre de lait ; dans le second, on la désigne depuis Willis sous le nom de fièvre puerpérale ; Hippocrate et les anciens la désignent sous le nom de fièvre aiguë des femmes en couches.

Ainsi, la fièvre puerpérale légitime et franche est produite par l’action des lochies ou du lait dont les principes transportés dans le torrent de la circulation altèrent le sang, le décomposent, et produisent ainsi une série de phénomènes dont l’ensemble constitue l’affection puerpérale qui elle-même donne naissance consécutivement à la fièvre puerpérale. Ainsi donc, la fièvre puerpérale est une fièvre essentielle, métastatique laiteuse ou lochide. Telle était l’opinion des anciens, et elle a fait loi depuis Hippocrate jusqu’à Bordeu, et même au delà, car elle était encore en faveur dans les premières années de notre siècle. Nous avons consulté à ce sujet les écrits spéciaux les plus estimés, ceux de Monti, de G. Bauhin, d’Akakia et de Wolf ; nous avons lu et médité le fameux recueil de Spach, intitulé : Gynæciorum sive de mulierum tum communibus, tum gravidarum parientium et puerperarum affectibus et morbis ; recueil précieux qui contient les écrits de Paré, de Plater, de Sylvius, de Roussel, etc., etc. ; enfin nous avons compulsé les savants rapports qui ont été faits sur cette maladie par les membres éminents de la Société de chirurgie, et voici ce que nous avons recueilli.

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Hippocrate et Galien attribuaient la fièvre aiguë des femmes en couches à la suppression des lochies et à leur transport dans la masse du sang ; Arétée, le sévère Arétée, partagea le même sentiment, qui fut aussi celui des médecins grecs et arabes des premiers siècles. Enfin, les médecins du xvie et du xviie siècles, qui firent une étude particulière de la fièvre puerpérale, adoptèrent fidèlement les opinions de leurs prédécesseurs.

Mercatus admet deux formes de fièvre aiguë des femmes en couches ; l’une produite, par la suppression des lochies et dans laquelle il fait entrer les observations rapportées par Hippocrate dans son livre Des épidémies ; l’autre produite par une suppuration qui se fait dans l’utérus. Il attribue à cette dernière les nausées, les douleurs des lombes, et la tuméfaction du ventre. Puis, à la manière des Cnidiens anciens et modernes, il établit des catégories particulières dans lesquelles il s’efforce de classer diverses inflammations abdominales, la diarrhée, la toux, l’hydropisie, l’oedème des cuisses et des jambes, décrivant à plaisir et confondant sous le même nom les accidents, les complications et les suites de la fièvre puerpérales et délayant le tout dans un long commentaire, comme c’était l’usage alors.

Mercuriales, Roderic a Castro, Schenck, Willis, Doublet et Doulcet affirment que la fièvre puerpérale dépend de l’épanchement des lochies ou de la matière laiteuse ; et Solenander qui, dans son Ouvrage intitulé Consilia médicinalia, désigne la fièvre aiguë des femmes en couches sous le nom de fièvre de lait simple ou compliquée ; Solenander affirme lui-même que cette fièvre n’a pas d’autre cause que le transport du lait dans le sang et dans les humeurs.

Enfin, la fièvre aiguë des femmes en couches a été tour à tour désignée sous les noms suivants : de fièvre lochiale, par Rocheus, Bonnacioli et Ryff ; de fièvre laiteuse par Trincavilli ; de fièvre laiteuse, bénigne, inflammatoire ou maligne par Sydenham, Astruc et Le Roy ; de maladie laiteuse par Hecquet ; de dépôts laiteux par Puzos, Levret, Van Swieten, Lamothe et Bordeu ; de diarrhée laiteuse par Bonté ; de miliaire laiteuse par Planchon et Gastelier. Or, tous ces noms, toutes ces dénominations et toutes ces qualifications prouvent assez que les anciens médecins attribuaient d’un consentement unanime, la fièvre aiguë des femmes en couches à une métastase des lochies ou du lait.

C’est donc uniquement par un besoin inexplicable de changement, et par un mouvement irréfléchi, que l’orgueil moderne s’est efforcé de briser ces données magistrales amassées par l’expérience, sous la caution des hommes les plus considérables de la médecine ? C’est donc un devoir, et un devoir impérieux pour nous, de rétablir les faits, de leur rendre leur valeur primitive ; et partant de continuer à donner exclusivement le nom de fièvre puerpérale à la fièvre qui a pour cause le mouvement, le transport et les métastases des lochies et du lait. Nous savons que beaucoup de médecins ne veulent plus croire à ces cheminements des humeurs, à ces transports, à ces métastases des liquides ; mais ont-ils tort ou raison ? Ils ont tort au ban de l’antiquité, et la génération qui monte fera bientôt et promptement justice de leurs dédains et de leur ignorance. « On ne trouve plus de lait dans le sang ni ailleurs !… » disent-ils avec ironie. À cela nous répondrons : Mais sait-on bien ce qu’on trouve dans le sang ? Pendant un temps on a soutenu que les globules du sang pouvaient, chez les femmes enceintes, se transformer directement en pus dans les vaisseaux. Plus tard, M. Andral est revenu lui-même sur cette opinion, qu’il avait lancée ; et, enfin, on a reconnu que ce que l’on avait pris pour des globules de pus dans le sang, n’était que les globules blancs du sang lui-même. Eh bien ! nous demanderons si en cherchant encore et en cherchant bien, sans prévention, sans idée arrêtée d’avance, on ne finirait pas par trouver dans le sang des femmes atteintes de fièvre puerpérale, des globules de lait ou de matière lochiale ; c’est au moins un fait à constater.

Quant à la migration des humeurs et à leur transport d’un lieu sur un autre ; quant au passage des matières de l’utérus dans le péritoine et dans le sang, l’Académie s’est montrée assez attentive, assez patiente, assez conciliante ; M. Guérin a même à ce sujet voulu fixer l’attention sur l’office des trompes de Fallope… Il est vrai que le sarcasme s’est emparé de son idée et que M. Jacquemier a très agréablement plaisanté des trompes de Fallope, auxquelles il a donné malicieusement le surnom de pompes de M. Guérin, ce dont on a beaucoup ri ! Mais, au fond, le sarcasme et le gros rire n’ont rien détruit.

D’autre part, M. Velpeau a déclaré qu’il avait constaté, il y a plus de quarante ans, la présence des matériaux des lochies dans le sang ; et qu’il avait fait observer que lorsqu’il y a du pus dans l’utérus, ce pus ainsi que les matières putrides peuvent être repris par les vaisseaux utérins ; enfin, M. Depaul a parlé de gros flocons albumineux ou albuminoïdes qu’on trouve dans le péritoine, qui sont particuliers à la fièvre puerpérale et n’appartiennent qu’à elle. Or, nous demanderons à M. Depaul si, dans ces gros flocons, il n’y aurait pas trace de lait, et même s’il n’y aurait pas là du lait par flocons.

Dans un excellent et savant résumé que M. le docteur Prosper de Pietra Santa a donné de la doctrine de l’École de Florence (Union médicale, 24 juin 1858), il est dit : que les professeurs Georges Pellizani, Vannoni, Bufalini, regardent la fièvre puerpérale comme étant dans son origine, dans son essence une infection purulente, laquelle infection purulente se fait par les vaisseaux lymphatiques, par les veines utérines, et le plus souvent par la voie directe des trompes de Fallope. M. de Pietra Santa ajoute, en parlant des altérations anatomiques, que la muqueuse des trompes, alors même qu’elle était fortement distendue par le pus, n’offrait aucune trace d’inflammation, et il en tire cette conséquence, que la matière purulente n’est pas engendrée sur place, mais qu’elle est seulement transportée, et par conséquent que, dans l’espèce, les trompes de Fallope peuvent parfaitement absorber du pus dans l’utérus et le déverser dans la cavité péritonéale. Nous croyons qu’il n’y a rien à objecter à ces faits qui viennent, avec la théorie de M. J. Guérin, à l’appui du transport des liquides d’un point de l’économie sur un autre point.

D’autre part, Willis, Doublet, et Bordeu ont trouvé le péritoine et les intestins farcis de lait ; or, leurs observations ne vaudraient-elles pas, par hasard, la peine d’être reprises en considération ? Nous croyons fermement qu’elles offriraient un bien grand intérêt à ceux qui en feraient, en cette circonstance, l’objet de leurs études et de leurs médiations.

Nous admettons volontiers que la matière lochiale ou laiteuse peut exciter sur lieu, primitivement ou consécutivement, des inflammations ou des réactions locales, soit de l’utérus, soit du péritoine, soit de tout autre organe envahi, et que ces fièvres puerpérales locales, autrement dit ces réactions, sont autant de groupes qui compliquent la scène d’une foule d’accidents et d’aggravations ; mais cette concession faite, nous affirmons que la fièvre puerpérale essentielle est tout entière dans le tableau que nous en avons donné, et que tous les états secondaires qu’on voudrait lui rattacher avec effort, sont tout au plus à elle, mais ne sont pas elle.