De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 28

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Chez Antoine Vitté (p. 356-362).

Chapitre 28


de la premiere regle que cét auteur propose, qui est de suivre l’advis d’un bon directeur.

comme rien ne doit estre si inviolable que la verité ; nous devons avoir un extréme soin de la separer du mensonge, avec lequel elle se trouve quelquesfois meslée ; de peur qu’en pensant ne nous attaquer qu’à ce qui doit estre le premier objet de nostre haine, nous n’offensions celle qui doit estre le premier objet de nostre amour. C’est ce qui m’oblige de donner beaucoup d’éloges à la premiere regle que vous establissez icy, puis que je la trouve conforme à la verité que j’adore par tout où je la rencontre, et qu’elle me presente une lumiere capable de dissiper tous les nuages de vos faussetez.

Vous avez grande raison de desirer, que l’on ne se conduise pas sans advis dans une affaire aussi importante, qu’est la frequente participation des mysteres. C’est un ordre estably de Dieu, et dans la nature, et dans la grace, que les choses qui sont moins parfaittes doivent estre sousmises à celles qui le sont plus. C’est cét admirable enchaisnement des causes inferieures avec les superieures, qui compose toute l’harmonie du monde. Et c’est aussi cette mutuelle dépendance des membres entr’eux, qui forme l’une des plus grandes beautez du corps de Jesus-Christ. Les pieds pour bien marcher se doivent laisser conduire par les yeux : et il est tres-important, principalement à ceux qui commencent, de se sousmettre à la direction de ceux que le Saint Esprit a plus esclairez. Ce que Saint Bernard explique divinement, lors qu’il nous enseigne, (...).

C’est pourquoy tous ceux qui ont enseigné particulierement aux ames les moyens d’entrer dans les voyes de Dieu, ont tousjours estably comme l’une des regles les plus importantes, de choisir un homme de bien, dont la lumiere esclaire, nos pas en ce chemin si difficile à tenir à ceux qui n’en connoissent pas encore les divines routes.

Monsieur De Geneve entre les nouveaux, appelle cét advis (...).

Et entre les anciens le grand Saint Basile instruisant un jeune homme qui se vouloit donner à Dieu ; (...).

Que si la direction est utile dans les moindres actions, elle ne peut estre que tres-importante dans la plus importante de toutes, qui est la communion. Aussi le sauveur du monde n’a rien mis davantage en la puissance de ses ministres, que la dispensation de ses mysteres : et il a voulu, que le discernement de tous ceux qui se doivent retirer, ou s’approcher de ce sacrement auguste, dépendist de leur autorité. Cette puissance est enfermée dans le pouvoir de lier et deslier : d’où vient que les peres prennent pour une mesme chose, lier les pecheurs, leur imposer penitence, et les retirer de l’autel : et se servent au contraire indifferemment des termes de deslier, accorder le pardon aux penitens, et les reconcilier à l’autel .

Et pour marquer encore cette puissance, quoy que dans l’antiquité les fidelles receussent l’eucharistie dans leurs mains, et que mesme ils la portassent dans leurs maisons, et dans leurs voyages, ils ne l’alloient pas neantmoins prendre sur l’autel : mais il falloit qu’ils la receussent de la main des prestres, (...), dit Tertullien : ce qu’il rapporte pour un exemple d’une inviolable tradition, quoy qu’il ne s’en trouve rien dans l’escriture. Recevoir ce sacrement de la main des prestres, c’est ne le recevoir que par leur ordre : de sorte, que si celuy, qui se sent coupable de pechez mortels n’est dans la disposition de ne point approcher de l’eucharistie, que selon l’ordonnance de son confesseur, et s’il ne peut souffrir que l’on luy differe la participation de ces mysteres, comme estans encore trop disproportionnez à sa foiblesse, afin de luy procurer une plus parfaitte guerison par les actions de la penitence, il renverse la principale partie de la puissance sacerdotale ; il fait violence au corps et au sang de Jesus-Christ, pour me servir des paroles de Saint Cyprien ; il merite, si nous en croyons Saint Augustin, d’estre à jamais separé de l’autel du ciel, à cause de la desobeïssance, par laquelle il refuse d’estre separé de l’autel de la terre pour quelque temps : (...) ?

Mais apres avoir estably la necessité d’un directeur, il reste à en establir les conditions : car quelque utilité qu’il y ait d’avoir un guide, il vaut mieux neantmoins n’en avoir point, que d’en avoir un qui ne sçache pas, ou qui ne vueille pas nous bien conduire. C’est ce qui a fait dire à Monsieur De Geneve, (...).

Ce que ce saint evesque a tiré de l’evangile, et de ces paroles prophetiques du fils de Dieu, (...) ? Qui expriment égallement la difficulté qu’il y a de trouver un tel directeur, (selon ce que Saint Jean Chrysostome, Saint Gregoire, et Saint Bernard enseignent que ce terme quis , marque une grande rareté,) et enferment en substance les mesmes conditions que Monsieur De Geneve demande. Car personne ne peut estre excellemment fidelle, s’il n’est excellemment bon : ce qui fait que le fils de Dieu appelle bon en ce mesme lieu celuy qu’il appelle fidelle : (...). Et nul ne peut estre excellent en bonté, selon l’evangile, s’il n’est excellent en charité ; et il n’est pas moins clair, que la prudence, dont le fils de Dieu parle, enferme la science que Monsieur De Geneve a jointe, puis que le sens commun nous apprend, qu’il n’y a point de prudence sans science : et qu’ainsi qu’on ne peut estre prudent dans la guerre, si l’on n’y est intelligent : de mesme on ne le sçauroit estre en la conduite des ames, si l’on n’a beaucoup de science de cét art divin : de sorte, que l’une de ces conditions regle l’autre ; et par consequent, s’il doit avoir plenitude de charité, il doit aussi avoir plenitude de science et de prudence, comme ce saint prelat le desire. Ce qui est si veritable, qu’on peut dire que celuy qui est capable de bien conduire une ame, est capable d’en conduire plusieurs : comme celuy qui avoit paru bon conducteur d’une famille, estoit presumé par les apostres capable de conduire toute une eglise, où il y avoit quantité d’ames et de familles à gouverner. Et c’est pourquoy celuy qui a dit, qu’il est plus difficile de gouverner une ame qu’un monde, a rencontré une verité, que l’analogie de la raison et de la foy confirmée par l’autorité des anciens peres, fera confesser à tout homme, qui sçaura quelle difference il y a entre le corps et les ames ; et que l’excellence qu’a la grace de Jesus-Christ par dessus l’ame (qui ne vit que par elle) est incomparablement plus grande, que celle qu’a l’ame par dessus le corps. Ce qui a fait escrire aux deux grands Saints Gregoires avec beaucoup de raison, que la conduite des ames est le plus excellent et le plus difficile de tous les arts.