De la fréquente Communion.../Partie 2, Chapitre 2

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Chez Antoine Vitté (p. 445-462).
Chapitre 2


premier point de la question proposée, contenant la response à toutes les autoritez alleguées par l’auteur contre ceux, qui demeurent quelque temps à faire penitence des pechez mortels, avant que de communier.

vous prononcez comme une decision indubitable, et comme le sentiment de tous les saints, que les pechez mortels ne doivent pas empescher de communier aussi-tost que l’on s’en est confessé : et pour esblouïr les ignorans, vous vous contentez de nommer beaucoup de peres, sans neantmoins alleguer aucunes de leurs paroles, pour appuyer vos fausses maximes de l’autorité de ces grands noms, et les rendre en mesme temps difficiles à refuter par la peine qu’il y auroit de verifier ces citations en l’air de tant de volumes. J’espere neantmoins empescher facilement que cét artifice ne vous reüssisse. Et pour ne point perdre de temps, j’avoüe d’abord, que je ne comprends pas ce que vous pretendez prouver par vostre allegation de Saint Paul I corinth. Ii. comme si toute la preparation, que cét apostre demande pour manger le corps du seigneur, estoit renfermée dans la seule confession : ce qui seroit une manifeste depravation du sens de l’escriture sainte. Car nous apprenons bien de Saint Paul, qu’il faut prendre une extréme soin pour se disposer à la participation de ces saints mysteres, de peur d’y participer à nostre condemnation, et de là nous avons raison d’inferer contre les heretiques de nostre temps, que puis qu’il faut apporter à cette table une conscience pure ; ceux à qui des pechez mortels ont fait perdre la pureté de leur ame, la doivent premierement recouvrer par les moyens instituez par Jesus-Christ, c’est à dire, en s’adressant au tribunal qu’il a establi dans son eglise, pour recevoir par l’entremise des prestres la remission de leurs pechez. Voila de quelle sorte la confession est enfermée dans le commandement que S Paul fait de s’esprouver soy-mesme, avant que de manger ce pain du ciel : mais que ce commandement ne contienne autre chose, c’est ce qui ne se peut soustenir sans ravaller indignement la reverence que l’on doit à ce sacrement auguste, et ce qu’il est aisé de refuter par l’apostre mesme, pour ne rien dire maintenant de tous les peres. Car comme l’auteur du commentaire attribué à Saint Anselme, et avant luy Saint Augustin ont remarqué excellemment, S Paul ne reprend pas les corinthiens de s’estre approchez indignement de l’eucharistie, pour y avoir apporté une conscience chargée de crimes, sans s’estre confessez auparavant ; mais pour n’avoir pas assez bien distingué cette viande sainte des viandes communes, par la reverence particuliere qui luy est deuë. Ce que nous voyons, disent-ils, en ce qu’ayant dit qu’un tel homme mange et boit sa condemnation, il adjouste aussi-tost ces paroles, ne discernans pas le corps du seigneur ; de sorte qu’il est manifeste, que le principal dessein de l’apostre n’est pas, que l’on soit hors de l’estat du peché mortel lors que l’on communie, comme la pluspart des corinthiens estoient sans doute : mais qu’il demande beaucoup davantage ; et qu’outre une plus grande pureté de l’ame, que celle d’estre delivré simplement des pechez mortels, il veut que l’on y apporte une circonspection merveilleuse, et un respect extraordinaire. Et c’est ce qui fait que Saint Bonaventure ne craint point de dire, (...).

Et pour ramener les choses à leur source, comme Saint Paul nous asseure, qu’il a appris de la bouche du seigneur ce qu’il nous enseigne ; toutes ces preparations de l’eucharistie sont renfermées en ce precepte de Jesus-Christ, de celebrer ce mystere en memoire de sa mort. (...). Est-ce là n’obliger les hommes qu’à se confesser pour manger ce corps, et boire ce sang, selon les enseignemens de Jesus-Christ et de Saint Paul, apres avoir tant de fois foulé aux pieds ce mesme sang, par des offenses mortelles ? Mais pour cette heure, c’est assez sur ce sujet. Nous le traitterons plus bas. Passons à vos autres autoritez. (...).

Que n’adjoutez-vous encore Saint Cyprien, Saint Basile, Saint Hierosme, Saint Ambroise, Theodoret, et autant d’autres peres que vous eussiez voulu ? Il vous eust esté aussi aisé d’asseurer, qu’ils sembloient estre de vostre sentiment, comme ceux que vous citez, et les ignorans vous en eussent aussi facilement creu à vostre parole. Est-il possible qu’en des matieres où il s’agit du salut des hommes, l’on se joüe de telle sorte de la simplicité des vivans, et de l’authorité des morts, et que l’on fasse dire aux peres tout ce que l’on veut qu’ils disent, quoy qu’ils n’y ayent jamais pensé, et que mesme ils ayent creu tout le contraire ? Car est-ce dire, qu’apres avoir commis des pechez mortels, il ne faut que se confesser, sans estre plusieurs jours à faire penitence avant la communion, que d’enseigner comme Saint Jean Chrysostome fait par tout, (...).


Est-ce estre de vostre advis, que d’asseurer, comme Saint Augustin fait en cent endroicts, (...) ?


Que si ces deux peres ne disent rien qui ne vous condamne, les deux autres n’ont garde d’estre pour vous, puis que S Anselme, ou plustost Herveus que vous avez pris pour S Anselme, n’est que le perpetuel disciple de S Augustin ; comme Theophylacte de S Chrysostome. Et en effect il me seroit aisé de faire voir, si je l’avois entrepris, que tout ce que l’autheur des commentaires attribuez à Saint Anselme escrit sur le chap. Ii de la premiere aux corinth. Qui est le seul lieu que vous pouvez avoir eu en veuë, n’est presque autre chose, qu’un recueil de divers lieux de Saint Augustin. Mais je me contente de vous remarquer entr’autres choses ; que parlant de ceux qui mangent et qui boivent indignement le corps et le sang de Jesus-Christ, il definit apres Saint Augustin que (...) ;


il rapporte mot à mot les excellentes paroles de l’homelie cinquantiesme de Saint Augustin, où parlant de tous ceux qui se sentent coupables de pechez mortels, il veut qu’ils previennent l’arrest de leur juge, selon cét advertissement de Saint Paul, (...).


Si vous aviez leu ces peres et ces docteurs de vos propres yeux, (comme la profession que vous faites d’instruire les ames, vous y obligeoit) à moins que d’estre frappé de la malediction dont Isaie parle, qui fait qu’en voyant on ne voit pas, oseriez-vous asseurer qu’ils semblent dire des choses, dont ils disent tout le contraire ? Et quand à Theophylacte, je n’y trouve autre chose qui fasse à nostre sujet, sinon qu’ayant dit apres Saint Jean Chrysostome son maistre, que celuy qui reçoit indignement le corps et le sang de Jesus-Christ, se rend aussi coupable que les bourreaux qui respandirent ce mesme sang ; il conclud, qu’il n’en faut approcher qu’avec une conscience nette : qui est le mesme passage que vous avez cité auparavant sous le nom de S Athanase. Nous avons veu la foiblesse de vos conjectures, voyons si vos preuves seront plus fortes. Vous adjoustez pour confirmer vostre opinion, que Nicolas I, Gregoire Vii, le concile de Cologne, et S Isidore l’enseignent formellement. il faut estre bien hardy pour dire des faussetez du mesme ton que l’on prononceroit des oracles. Nicolas I dans le chap. 9 de la responce aux bulgares, qui est le seul endroit que vous pouvez apporter sur ce sujet, ne dit autre chose, sinon qu’il est bon de communier tous les jours, durant le caresme, pourveu que l’ame soit dégagee de toute affection de peché : qui est un degré de vertu plus rare que vous ne pensez, ainsi que je vous l’ay fait voir, en expliquant l’endroit de Gennadius dont cette parole a esté tirée. Mais de plus le pape excepte de cette communion, outre ceux qui par leur faute sont en quelque dissension avec leur prochain, tous ceux qui ayans commis des pechez mortels, ou ne s’en repentent pas, ou ne sont pas encore reconciliés. ce qui fait voir qu’encore qu’un homme ne fust plus dans l’impenitence, et qu’il se fust venu confesser de ses pechez, il se passoit neanmoins du temps avant qu’il fust reconcilié, et admis à la participation de l’eucharistie ; durant lequel il accomplissoit la penitence que le prestre luy avoit enjointe ; comme je vous feray voir plus bas par des preuves indubitables qu’il se pratiquoit du temps de Nicolas I qui vivoit au 9 siecle, et encore long-temps depuis : et que personne en ce temps là, ne pouvoit estre receu à la communion apres des offenses mortelles, qu’il n’eust passé plusieurs jours en penitence pour l’expiation de ses pechez. Trouverez-vous apres cela que le Pape Nicolas I soit formellement de vostre advis. Pour Gregoire Vii, je ne pense pas que vous ayez autre chose à en citer, qu’une lettre à une princesse nommée Mathilde, laquelle il exhorte à communier souvent, où il ne parle en aucune sorte, ny de pechez mortels, ny de confession, ny de contrition. Est-ce enseigner formellement une opinion que de n’en dire pas un seul mot ? Mais de plus, si nous prenons la peine de considerer quelle a esté la vertu de cette excellente princesse, et quelles marques elle a donnees d’une pieté extraordinaire, par les services importans qu’elle a rendus au saint siege dans les troubles de l’eglise ; nous n’aurons pas sujet de trouver estrange, que ce pape luy conseille la frequente communion ; mais seulement de nous estonner, que vous ayez osé vous servir de l’exemple d’une personne si vertueuse, pour prouver que les pechez mortels, dont toutes les personnes de pieté doivent estre exemptes, ne peuvent pas empecher de communier aussi-tost que l’on s’en est confessé. Elle estoit fille de Beatrix, laquelle estoit tante de l’empereur Henry Iv. Les lettres de Gregoire Vii sont pleines des eloges de la mere et de la fille, et il ne se peut lasser de loüer leur zele pour la deffense de l’eglise. Il leur tend ce tesmoignage si advantageux, (...).


Voilà quelle estoit la vertu et la pieté de celle que ce pape exhorte de communier souvent dans l’epistre 47 qui est le seul endroict auquel vous puissiez avoir recours pour prouver ce que vous pretendez. Il remarque qu’elle estoit retenuë par humilité de communier souvent ; ce qui estoit une marque de sa vertu. Il allegue, pour l’y porter, cette parole de Saint Ambroise, (...).


Il la croyoit donc dans un estat tres-pur et digne d’une si frequente communion. Il cite Saint Gregoire Iv (...).


Ce qui nous monstre, que la preparation necessaire pour communier souvent, est de mespriser de tout son cœur le siecle et le monde, et d’offrir à Dieu tous les jours des sacrifices de larmes avant que de luy offrir celuy de son corps et de son sang. Comment est-ce apres cela que vous pretendez vous servir de cette epistre pour porter à la frequente communion ceux dont la vie est toute payenne ; qui sont attachez prodigieusement au monde, et qui ne respirent que les delices ? Et comment en pouvez-vous inferer que Gregoire Vii enseigne formellement, que les pechez mortels n’empeschent point de communier, aussi-tost que l’on s’en est confessé ? Comme si cette lettre portoit à communier ceux qui commettent des pechez mortels, au lieu qu’elle n’y porte qu’une personne qui menoit une vie tres-chrestienne ; et qui par consequent ne commettoit point de pechez mortels, puis qu’ils ne se commettent point, dit Saint Augustin, par tous les bons chrestiens, (...).


Mais pour vous monstrer encore clairement dans l’exemple de la mesme Mathilde, combien Gregoire Vii estoit éloigné du sentiment que vous luy attribuez ; cette princesse estant tombee dans une faute, et s’estant laissee aller à espouser un marquis, nommé Azon, qui estoit son parent au quatriesme degré ; le pape ne luy parle plus de communier, mais seulement de satisfaire à la justice de Dieu, et de travailler au recouvrement de la grace qu’elle avoit perduë, par une penitence qui fust proportionnee à la grandeur de son peché. Tant il est vray, que selon l’esprit de l’eglise, ce n’est point aux pecheurs à penser à la sainte communion, s’ils ne pensent auparavant à expier leurs crimes par des fruits dignes de penitence. Pour revenir à vos autres authoritez. Le concile de Cologne n’est guere cité moins mal à propos. Il enseigne contre les heretiques de ce temps (comme nous dirons du concile de Trente) qu’il ne faut point approcher de l’eucharistie, sans avoir descouvert le fonds de sa conscience au prestre, et sans avoir contrition de son peché : mais je ne trouve point qu’il abolisse la penitence, et qu’il ne veüille pas qu’on prenne quelques jours, pour se purifier par les bonnes œuvres, par les aumosnes, et par les prieres avant que de communier. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que ce concile rapporte en termes exprez, une grande partie de cét excellent passage de Gennadius, touchant les dispositions où il faut estre pour communier souvent. Mais pour ce qui regarde Saint Isidore, il est veritablement difficile de voir, sans estre émeu de douleur et de zele pour la verité, avec quelle hardiesse vous asseurez, qu’il enseigne formellement une chose, dont il enseigne formellement le contraire, et cela dans le seul et unique endroit que vous pouvez alleguer sur cette matiere. Le simple recit de ses paroles fera juger aux moins intelligens, qui de nous deux a raison, et monstrera clairement, que Saint Isidore n’a fait qu’emprunter en ce lieu, les paroles de Saint Augustin de l’epistre 118 que nous avons rapportées dans le chap. 14 de la premiere partie. (...).


Est-ce enseigner formellement, que se reconnoissant coupable de pechez mortels, il ne faut point estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier, que d’enseigner comme fait ce saint ; que l’on ne peut communier, que lors qu’il n’intervient aucun peché mortel ; que tous les pechez qui tuent l’ame, portent avec eux la separation de l’autel ; qu’il faut faire penitence (il ne dit pas seulement qu’il faut confesser son peché, mais qu’il en faut faire penitence) avant que de recevoir ce remede salutaire : et enfin que c’est recevoir indignement le corps de Jesus-Christ, que de le recevoir durant le temps où l’on doit faire penitence ? Ce qui marque clairement qu’apres les offenses mortelles, on doit estre un espace de temps raisonnable, comme Saint Cyprien parle, à se purifier par les bonnes œuvres, avant que d’approcher de l’eucharistie. Pour ce qui regarde les theologiens scholastiques, quand vous les citerez un peu plus distinctement, on taschera de vous respondre ; mais je ne pense pas que vous nous voulussiez obliger de rechercher sur cette matiere, tout ce que les docteurs en ont peu escrire. Je diray seulement, qu’ils demeurent tous d’accord, qu’un confesseur peut obliger son penitent, d’accomplir la penitence qu’il luy aura imposée, avant que de luy donner l’absolution, et par consequent avant que de luy permettre de recevoir l’eucharistie. La derniere de vos autoritez est le concile de Trente, lequel vous entendez aussi peu que les peres que vous alleguez. Cette sainte assemblée destinée particulierement de Dieu, pour estouffer les heresies qui se sont eslevées dans ces derniers siecles ; dans la session 13 de l’eucharistie, pour ruïner l’impieté de Luther, qui enseignoit par des argumens semblables aux vostres, comme je monstreray plus bas, qu’il se falloit d’autant plûtost approcher de l’eucharistie, qu’on sentoit davantage sa conscience chargée de crimes ; monstre premierement, qu’il ne faut recevoir ce sacrement qu’avec une grande reverence, et sainteté ; suivant le precepte de Saint Paul de s’esprouver soy-mesme, avant que de manger ce pain, et boire ce sang. Et en suite, pour renverser une autre erreur de tous les heretiques de ce temps, qui ont voulu abolir la confession, il adjouste que la coustume ecclesiastique declare, que ceux qui se trouveront coupables de pechez mortels ne doivent approcher de l’autel, qu’apres la confession sacramentale. Que fait cela je vous prie à la question dont il s’agit, et par quelle dialectique peut-on conclure ? Le concile veut, que l’on se confesse des pechez mortels avant que de communier ; il ne veut donc pas que l’on prenne quelques jours pour satisfaire à Dieu pour ses crimes par les exercices de la penitence avant que de communier. Qui pourroit comprendre ce raisonnement ? Mais le concile ne le renverse-t’il pas luy-mesme par tous les principes de sa doctrine ? Car demandez à ce concile qu’est-ce que le sacre -ment de penitence, par lequel il veut que tous les pecheurs passent avant que de se presenter à la sainte communion ? Et il vous dira, que ce n’est pas sans raison, que les peres l’ont appellé un baptesme laborieux , parce que la justice divine ne peut souffrir, que nous y soyons renouvellez que par beaucoup de larmes, et de grandes peines. Il vous dira, que ce sacrement est composé de trois parties, dont la derniere, qui est la satisfaction, qui se fait (comme il enseigne en un autre endroit) par les jeusnes, par les aumosnes, par les prieres, et par les autres exercices de la vie spirituelle, a tousjours esté principalement recommandée par l’eglise au peuple fidelle. Il vous dira, que la principale raison pourquoy la confession particuliere de tous les pechez mortels est necessaire de droit divin ; c’est qu’il n’est pas possible que les prestres gardent la justice, et principalement la proportion dans l’imposition des peines pour le chastiment des offenses, s’ils ne les cognoissent en particulier : et de là vous jugerez facilement, si commander qu’apres des pechez mortels, l’on ne passe point au sacrement de l’eucharistie, sans passer par celuy de penitence, c’est ne vouloir pas que l’on accomplisse l’une des principales parties, qui consiste à satisfaire à Dieu par les bonnes œuvres, et pour laquelle la confession mesme a esté instituée par Jesus-Christ, selon la doctrine du mesme concile. Mais nous traitterons en un autre endroit des sentimens de ce concile, touchant la penitence et j’espere vous y faire voir, combien il est esloigné de vostre mauvaise conduite. Cependant nous pouvons remarquer icy, qu’il declare expressément ne vouloir faire autre chose sur ce sujet, que de conserver inviolable -ment la coustume de l’eglise, de sorte qu’il ne nous reste pour decider cette question, que de rechercher la coustume de l’eglise en ces occasions ; et c’est ce que vous nous donnez sujet de faire dans le second des trois points, que nous avons proposé de traitter.