De la fréquente Communion.../Partie 2, Chapitre 3

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Chez Antoine Vitté (p. 462-473).
Chapitre 3


proposition du second point de la question principale ; sçavoir, si ce n’a jamais esté la pratique de l’eglise, comme cét auteur le pretend, que ceux qui se sentent coupables de pechez mortels, fussent plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. que dans les premiers siecles de l’eglise, la penitence publique n’estoit pas seulement pour les crimes enormes et publics.

c’est une ignorance si prodigieuse de soustenir comme vous faites, (...) ; qu’il ne faut que sçavoir lire pour vous confondre, et pour trouver, dans tous les conciles, et dans tous les peres, une infinité de preuves plus claires que le soleil, de ce que vous osez nier avec autant de hardiesse, que d’aveuglement. Mais parce que vous croyez avoir dissipé cette divine nuée de tesmoins sacrez et irreprochables, qui déposent contre vous, dans tous les siecles de l’eglise, et en toutes les regions de la terre ; et avoir rendu leurs depositions inutiles, par ce seul mot : (...) :


il vaut mieux pour retrancher les discours superflus, que nous nous resolvions tout d’un coup, de vous aller attaquer jusques dans vos retranchemens, et que la verité qui est plus forte et plus invincible que l’Hercule des poëtes, aille estouffer ce mensonge grossier, comme le monstre de la fable au milieu de cét antre obscur d’une fausse distinction, où il se retire et se renferme. Et premierement le mot de crimes enormes , dont vous vous servez, n’est propre qu’à tromper les simples, lesquels peuvent s’imaginer aisément, que l’on ne doit entendre par ces paroles, que des crimes extraordinaires, comme seroient les parricides, et ceux que Tertullien appelle des monstres ; et prendre ainsi occasion de se flatter dans leurs pechez, quoy que tres-grands, pour ne les croire pas du nombre de ceux que l’on doit chastier par une penitence publique. Je ne puis toutesfois vous croire si ignorant, ou si hardy, que d’oser nier, que pour le moins les homicides, les adulteres, les fornications, les sacrileges, les parjures, les blasphemes, ne fussent sujets à la penitence publique, et qu’ainsi ceux qui se trouvent coupables de ces crimes, qui ne sont qu’en trop grand nombre à la honte de nostre siecle, ne fissent fort bien, selon l’esprit de l’eglise, et le sentiment des peres, de se retrancher durant plusieurs jours, voire plusieurs mois, de la sainte communion, pour faire durant ce temps penitence de leurs pechez. Le seul exemple de Fabiole est capable de vous convaincre, et de monstrer à tout le monde, combien il est esloigné de la verité, que l’on ne fist penitence publique que pour des crimes enormes. Car Saint Hierosme, qui a fait un eloge de cette dame romaine, comme d’une sainte, rapporte qu’ayant quitté son mary pour cause d’adultere, et s’estant remariée à un autre, dans la creance qu’elle avoit que son premier mariage fust rompu, elle se soumit à la penitence publique pour cette faute, qui venoit plûtost d’erreur et d’imprudence, que de malice, selon le tesmoignage de Saint Hierosme. (...).

Considerez cét exemple, et jugez s’il donne sujet de persuader à tant de fornicateurs, et d’adulteres, qui se rencontrent en ce siecle corrompu, qu’ils n’ont pas besoin de faire penitence avant que de communier. En second lieu, il ne faut pas icy confondre, comme plusieurs font, la penitence publique avec la confession publique. Il n’est point necessaire pour faire penitence publique, de faire devant tout le monde une confession de ses pechez. Jamais la discipline de l’eglise n’a imposé ce joug au commun des penitens, comme elle leur a imposé celuy de la penitence. (...),


et c’estoit au prestre en suitte de reduire le pecheur au nombre des penitens, de le separer de la communion des justes, comme on fait les malades, de ceux qui se portent bien, de luy prescrire les remedes convenables à ses playes, et principalement le temps qu’il devoit demeurer dans l’affliction de la penitence, avant que de pretendre à la joye de la participation des mysteres. Et cependant, faute d’avoir discerné la confession publique, d’avec la penitence publique, et parce qu’encore qu’il soit tres-certain que la confession publique n’a jamais esté dans l’usage ordinaire de l’eglise, il est arrivé neantmoins en quelques rencontres fort rares, qu’elle l’a peu ordonner, ou permettre à quelques grands pecheurs qui avoient peché publiquement, et qui se trouvoient disposez à faire cette sorte de confession ; cela a donné lieu à quelques autheurs, de se persuader que la penitence publique n’estoit que pour les pechez publics. Et quoy que ceux qui depuis peu ont traité plus particulierement ces matieres, comme feu monsieur l’evesque d’Orleans et autres, ayent refuté cette opinion, reconnoissans, que dans les premiers siecles de l’eglise, la penitence publique regardoit les pechez mortels secrets et cachez, aussi bien que les publics : (comme le seul passage de S Ambroise que nous avons rapporté dans la I partie le fait voir clairement) neantmoins le sentiment, contraire est demeuré dans l’esprit de plusieurs, qui se sont accoustumez par un long usage à rejetter les veritez les plus claires, aussi-tost qu’elles ne se trouvent pas conformes à leurs vieilles imaginations. Et comme une erreur est d’ordinaire feconde ; d’autres ne trouvans dans les peres anciens, et principalement dans Tertullien, que la penitence publique en laquelle l’eglise exerceast la puissance de ses clefs ; joignants cette verité à ce faux principe, que la penitence publique n’est que pour les pechez publics, en ont tiré cette fausse conclusion, et qui porte grand prejudice à la doctrine catholique touchant la necessité de l’absolution des prestres pour tous les pechez mortels, qu’en ce temps-là on n’avoit recours à l’eglise que pour des pechez publics. Mais comme il est clair par la lecture de Tertullien (pour ne point parler à cette heure des autres peres) qu’il ne reconnoist point d’autre penitence, que la publique, pour relever les pecheurs de leurs cheutes, ce que monsieur l’evesque d’Orleans a fort bien monstré : il n’est pas moins evident, à qui le lit sans preoccupation d’esprit, qu’il y sousmet toutes sortes de pechez, qui font perdre la grace du baptesme, soit publics, soit particuliers et secrets. Car outre ce qu’il dit contre ceux, que la honte empeschoit de se resoudre à ces exercices de penitence, et la comparaison qu’il apporte de ceux, (...) ;

outre disje que cela monstre assez qu’il n’a pas dessein de parler seulement des pechez publics, qui ne sont pas cachez aux hommes, la seule suitte de son discours fait voir clairement, qu’il propose la penitence, dont il parle, pour remede necessaire à tous les pechez mortels. Apres avoir expliqué dans les six premiers chapitres la penitence des catechumenes ; dans le septiesme, pour passer à celle des baptisez, (...).

Il est certain que cette rage du diable, dont Tertullien parle, contre un homme que le baptesme a arraché de ses mains, est pleinement satisfaite, lors qu’il le peut faire tomber dans quelque peché mortel, puis qu’il retombe par ce moyen sous sa tyrannie, et qu’il luy importe fort peu que ce peché soit public ou secret, spirituel ou corporel, pourveu qu’il le fasse sortir de la liberté des enfans de Dieu, et qu’il le rende son esclave, y ayant mesme raison de croire, que les pechez purement spirituels, et qui se passent dans le secret du cœur, comme l’orgueil, l’envie, l’hypocrisie, et les heresies contre la foy dont cét auteur parle, le contentent en quelque sorte davantage, comme ayant plus de rapport à sa nature et à ses crimes. (...).


Puis que les remedes doivent estre d’aussi grande estenduë que les maux, les artifices par lesquels le diable tasche de nous faire perdre la sainteté de nostre baptesme comprenant toutes sortes de pechez mortels ; il faut que la penitence que Tertullien propose pour remede à ces artifices comprenne aussi toutes sortes de pechez mortels. Outre cela, Tertullien nous enseigne que la premiere porte, qui est celle du baptesme, estant fermée, l’on ne peut plus retourner à Dieu que par la seconde porte, qui est celle de la penitence. Or tous les pechez mortels, mesme secrets, ferment la porte du baptesme, puis qu’ils en font perdre la grace, et par consequent apres avoir commis des pechez mortels, soit publics, soit secrets, on ne pouvoit plus retourner à Dieu que par cette porte de la penitence dont il parle. (...).


Puis que tous les pechez mortels, soit publics, soit cachez, nous font perdre le bien, dont le baptesme nous a donné la possession, n’est-il pas manifeste, que cette penitence qu’il dit en suitte se devoir faire dans le sac, et dans la cendre, dans les larmes, et dans les souspirs, dans les veilles, et dans les jeusnes, avec toutes sortes de sousmissions, et de prosternemens à la face de l’eglise, regarde tous ces pechez ; et qu’ainsi c’est une chose entierement éloignée de la verité, que la penitence publique ne fust que pour les crimes publics ? Mais pour en convaincre tous les esprits équitables ; je les supplie seulement de considerer, que d’une infinité de canons qui condamnent les adulteres ou les fornicateurs à plusieurs années de penitence publique, il ne s’en trouvera pas un, qui ne les y condamne generalement, sans aucune distinction de public, et de secret ; quoy que ces sages legislateurs ne peussent pas ignorer que pour un adultere, ou une fornication dont le public a connoissance, il s’en commet cent, qui demeurent ensevelis dans les tenebres honteuses, que ces crimes recherchent avec tant de soin, pour couvrir leur infamie. Et en effet ; ne voyons-nous pas aujourd’huy que les evesques, n’ayans pas dessein de comprendre les adulteres cachez dans leur cas reservez, ne sont pas si peu judicieux, que de mettre l’adultere en general, comme un crime qu’ils se reservent, mais ils nomment expressément l’adultere public ; c’est à dire (comme ils l’expliquent) celuy qui est prouvé en jugement, ou qui est si connu dans tout le voisinage, qu’il ne se peut couvrir par aucune excuse ? Ce qui nous fait voir que si les anciens evesques eussent esté dans cette mesme prattique, que le relaschement a introduite dans les siecles posterieurs, de ne soûmettre à la penitence publique que les pechez publics, ils se seroient bien gardez d’y soûmettre generalement dans leurs canons, la fornication et l’adultere, qui sont si souvent cachez : mais ils y eussent adjoûté cette clause ; lors qu’ils seroient connus et publics ; ainsi que l’on fait maintenant. Mais en dernier lieu, pour ne point entrer en cette question, que je reserve à un autre temps, et pour m’arrester simplement à ce qui est necessaire à la defence de la verité, que vous voulez obscurcir, par cette distinction de crimes enormes et de penitence publique, dont vous esbloüissez les ignorans ; je vous soustiens formellement, que tous les peres ont creu, que generalement pour tous les pechez mortels, il falloit estre plusieurs jours à faire penitence avant que de communier, qui est ce que vous ne pouvez souffrir. Appellez, ou n’appellez pas cette penitence, publique, ce n’est pas à cette heure dequoy il s’agit : il me suffit de vous convaincre par le tesmoignage des peres, de ce que vous niez si hardiment ; et pour rendre les preuves plus claires, je les reduiray toutes à six ou sept chefs.