De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Épître dédicatoire

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À MESSIRE
GUY CRESCENT
FAGON,
CONSEILLER D’ESTAT ORDINAIRE,
ET
PREMIER MÉDECIN
DU ROY.


MONSIEUR,

Voicy un Ouvrage qui vous est dû absolument. Quand tous les sentimens de reconnoissance, qui m’attachent à vous, ne me l’apprendroient pas, l’occasion qui me l’a fait composer, suffiroit pour m’en convaincre. C’est la guérison d’un malade, redevable de la vie au soin que j’ay toûjours eu de vous étudier. J’avois long-temps regardé comme un probléme s’il convenoit de purger au commencement des maladies : Mais je me déterminay bien-tôt, quand j’appris quelle étoit sur cela vôtre Pratique. Elle me confirma dans la Doctrine d’Hippocrate, qui recommande alors les purgatifs, dés que les humeurs en fougue menacent d’attaquer les principales parties du corps. Je traitois un pleuretique, auquel étoit survenu un transport au cerveau : le mal commençoit, j’en examinay tous les symptomes ; & aprés avoir remarqué des signes de vers, & une fermentation violente d’humeurs, je crûs qu’il falloit chisir un remede contre les vers, lequel fut en même tems purgatif. Je le fis, Monsieur, persuadé qu’on ne pouvoit se tromper avec vos maximes, qui sont les fruits d’une si longue experience, & d’une meditation si profonde. Ce purgatif, pris avant la coction des humeurs, alloit, selon quelques gens entestez, causer la mort à mon malade : mais loin de luy ôter la vie, il la luy rendit, en le délivrant d’un ver plat, long de plus de quatre aulnes. C’est de ce ver, dont je vous presentay l’Estampe il y a plusieurs mois, Monsieur. Je me souviens que vous me fites l’honneur de me dire à ce sujet, qu’en differentes rencontres vous aviez vû des vers semblables : ce qui doit ramener quelques esprits opiniâtres, qui ayant oüy parler de celuy-cy, n’ont pû croire le fait possible. La circonstance de cette guérison est ce qui a donné lieu au Traité que je vous presente : Il ne paroîtra point sans vôtre consentement, Monsieur. Mais j’espere que vous ne me le refuserez pas, quand vous considererez que je ne cherche en cecy que l’avantage du Public ; car c’est-là le principal motif qui peut vous faire agréer un Ouvrage, comme c’est un des principaux motifs de toutes vos actions. En effet, Monsieur, quand je repasse tout ce que vous faites, je n’y trouve rien qui ne soit une preuve de vôtre zele pour l’utilité publique : Si vous travaillez avec tant de constance à l’avancement de la Medecine, c’est que vous ne goutez pas de douceur plus grande que de contribuer au plus grand bien des Citoyens, en perfectionnant un Art qui ne tend qu’à le leur conserver. Si vous éloignez les imposteurs, ces gens sans aveu, qui dans une profession toute charitable, ne songent qu’à contenter leur avarice, c’est que vous souffrez avec douleur que le peuple, incapable de discerner par luy-même la vérité, soit le joüet, ou, pour mieux dire, la victime du mensonge. Si vous employez l’autorité du Souverain, pour empêcher certaines Facultez du Royaume d’accorder indistinctement des degrez à quiconque se presente, c’est que vous ne voulez pas qu’on dresse ainsi des pieges à la vie des hommes, en prodiguant à des ignorans les titres d’une Science, qu’ils ne possedent pas. Si l’on vous voit si attentif à conserver la santé du monde la plus précieuse, & confiée à vos soins pour le bonheur de la France, c’est que vous sçavez qu’en vous acquitant d’un devoir si indispensable, vous assûrez le repos & le Salut de l’Etat. Enfin si vous protegez avec tant de bonté nôtre Compagnie, vôtre vûë est de l’animer à rendre ses Ecoles de jour en jour plus florissantes ; vous vous en êtes expliqué, Monsieur, & c’est le témoignage qu’elle vous a donné elle-même dans ce remercîment solennel, que par son ordre j’ay traduit en nôtre Langue avec tant de plaisir. On peut dire qu’elle remplit avec succés vos intentions : vous voyez qu’elle s’applique uniquement à former des Medecins sages, éclairez, laborieux, & qui envisagent moins leur interest que le soulagement de leurs malades. Aussi, Monsieur, tout son but est de faire des Medecins dignes de vous imiter : Elle ne propose à ses éleves d’autre modele que le desinteressement, la générosité, la droiture, les principes de probité & de Religion, que l’on remarque en toute vôtre conduite. Elle leur remet devant les yeux cette élevation de Genie, cette grandeur d’Ame, cette profondeur d’Erudition si honorables au discernement du Prince, qui les a dignement recompensées en vous au gré de tous ses Peuples. Elle leur presente ces sçavantes Theses, où la délicatesse de vos expressions n’ôte rien à la solidité de vos pensées, & où l’une & l’autre ensemble préscrivent les regles salutaires d’un Art, qui demande tant de circonspection & de prudence. La derniere de ces Theses entr’autres m’a paru si achevée, qu’aprés en avoir cité plusieurs endroits dans mon Livre, je n’ay pû m’empêcher de l’y traduire toute entiere ; non par l’espérance, Monsieur, d’en pouvoir exprimer les beautez, mais par le desir d’en donner au moins une legere idée à ceux à qui le secours des traductions est necessaire. La Faculté enfin n’a d’autre volonté que la vôtre. Elle vous chérit comme un Protecteur, & vous révére comme son Oracle. Ce que je dis d’elle en général, se peut dire en particulier de tous ceux qui la composent, ou si quelqu’un de nous étoit assez malheureux pour meriter une exception, le Corps le désavoueroit, & ne le regarderoit plus comme un de ses membres. Je ne cours point ce risque là, Monsieur, car dans le dessein commun de nous former & de nous regler sur vous, si je n’ay pas le talent des autres pour y parvenir, nul au moins n’a plus de vénération & de déférence que moy pour vos sentimens, & pour vôtre illustre Personne. Je suis avec un profond respect,

MONSIEUR,


Vôtre tres-humble, tres-
obéïssant & tres-obligé
Serviteur, ANDRY.


A Paris ce premier Novembre 1699.



RÉPONSE
DE Mr LE PREMIER MEDECIN.


À Versailles le 24. Novembre 1699.


MONSIEUR,

Si je ne vous invitois pas à donner promptement au Public, l’utile & sçavant Ouvrage, que vous voulez que j’approuve ; non seulement je ne répondrois point au Portrait dont vous me flatez, mais je reconnoîtrois fort mal l’honneur que vous me faites de me l’adresser, en m’opposant à celuy que l’occasion de ce Traité, & la maniere dont il est composé, doivent faire à vôtre jugement & à vôtre érudition. Il n’y a que l’excés des Eloges, dont vôtre Epistre est remplie, qui m’obligeroit à vous prier de la retrancher, si je pouvois m’imaginer que quelqu’un me crût assez vain, pour estre capable de me les attribuer. Je les regarde, Monsieur, comme une de ces idées parfaites, ausquelles on aspire sans y pouvoir atteindre ; & je veux bien donner une preuve du zele que je vous avouë d’avoir pour le bien Public, en souffrant que vous proposiez pour exemple, à ceux qui ont envie d’y contribuer, une copie qui me ressemble si peu. Mais je souhaite en même tems qu’on me connoisse veritablement par l’estime infinie que je fais de vôtre merite, & par la disposition où vous me trouverez toûjours, de vous marquer dans les occasions de le publier, & de vous servir, que je suis assûrément,


MONSIEUR,

Vôtre très-humble & très-
affectionné Serviteur,
FAGON.


Comme cette réponse si digne de la générosité & de la modestie de son illustre Auteur, luy rend avec usure les justes Eloges qu’il refuse, & qu’elle marque en même tems le soin qu’il prend d’encourager ceux qui tâchent de contribuer en quelque chose à l’avantage du Public ; on n’a pas résisté à la tentation de la rapporter icy, pour suppléer à tout ce que les bornes d’une Epistre n’ont pû permettre de dire.