De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 05

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Chapitre V.

Des signes des Vers.



LEs signes, par lesquels on connoît qu’il y a des Vers dans le corps, sont la plûpart des effets que produisent les vers ; mais comme ces effets sont differens des autres, dont nous avons parlé, en ce que ceux-cy servent en même tems de marque, pour découvrir ces mêmes vers ; nous les mettons icy au rang des signes.

Ces signes sont, ou communs, ou particuliers ; les communs conviennent au genre, & les particuliers aux especes ; c’est-à-dire, que quand ces signes communs se rencontrent, on peut dire en general qu’il y a des vers, sans sçavoir précisément quelle sorte de vers c’est ; & que quand il se trouve des signes particuliers, on peut dire non seulement qu’il y a des vers, mais que ces vers sont de telle espece. Nous parlerons premierement des signes des vers qui s’engendrent hors des intestins, & puis dans un autre Article des signes de ceux qui s’engendrent dans les intestins mêmes.


Article Premier.

Des signes des Vers engendrez hors des intestins.



LEs signes des Vers, engendrez hors des intestins, sont la plûpart particuliers, parce que la difference de ces vers ne se prend gueres que du lieu où ils naissent, & que les signes, qui les indiquent, marquent toûjours le lieu.

Ceux par lesquels on peut juger qu’il y a des vers dans la tête, sont de violentes douleurs de tête, & de violens élancemens dans cette partie ; ces maux arrivent souvent par d’autres causes que par celles-là, mais quand ils s’opiniâtrent extrémement, & qu’ils ne cedent à aucun remede, il se peut faire alors qu’ils viennent de quelque ver. Je dis, qu’il se peut faire, parce que ce signe n’est pas toûjours certain, & je me souviens que comme j’étois à Lyon il y a plusieurs années, un enfant de 4. ans, fils d’un riche Marchand, nommé M. Bon, étant mort d’une maladie qu’une étrange douleur de tête avoit fait croire venir de quelque ver dans la tête, on ouvrit la tête du mort, dans laquelle au lieu d’un ver on ne trouva qu’un amas d’eaux.

Ce que je dis des vers de la tête, je le dis de ceux du foie, des reins, & des autres parties, lesquels ne peuvent estre soupçonnez que par quelque douleur opiniâtre dans la partie même. Une longue douleur de reins, accompagnée d’un sentiment d’érosion & de picqueure, est quelquefois une marque de vers en cette partie, & un malade, que le celebre Jacques d’Alechamp traitoit un jour à Lyon d’une douleur semblable, sans qu’aucun remede le pût soûlager, rendit enfin par l’uretre un petit ver, qui avoit une tête pointuë avec des cornes, & un corps couvert d’une écaille comme une tortuë. Jacques d’Alechamp fit sécher ce ver, pour le conserver, & le montroit par curiosité à tous les Sçavans, il le fit voir entr’autres à Vidus Vidius le jeune, lequel en a fait la description comme d’une chose qu’il a vûë[1].

Il n’y a que les vers sanguins & les spermatiques, qui ne causent point de douleur, & qui par consequent sont plus difficiles à deviner, les premiers nageant dans les vaisseaux, comme nous avons dit, & les spermatiques ne se trouvant que dans les personnes qui se portent bien, & dont les parties destinées à la generation sont les plus saines.

Quant aux vers cutanés, comme les Crinons, les Bouviers, &c. on en peut connoître les signes par les effets que nous en avons rapportez au Chapitre troisiéme. J’ajoûteray seulement icy que les Crinons se manifestent par des marques sensibles, lorsque l’on met le corps de l’enfant dans de l’eau tiede ; car alors ils poussent leur tête à travers la peau, & sont faciles à discerner. Nous parlerons des remedes propres contre toutes ces sortes de vers dans le Chapitre neuviéme ; venons à present aux signes des vers intestinaux.

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Article II.

Des signes des Vers des intestins.



NOus commencerons par les signes communs, & puis nous viendrons aux signes particuliers, selon la division que nous avons établie.

Les signes communs de ces Vers sont des yeux allumez & étincelans, des jouës livides, des sueurs froides pendant la nuit, une abondance de salive, qui coule de la bouche pendant le sommeil, une grande soif pendant le jour, une sécheresse de langue & de lévres, qui se dissipe la nuit, une haleine puante tirant sur l’aigre, un visage bleuâtre comme s’il étoit éclairé par une lumiere de souphre, des grincemens de dents pendant la nuit, un continuel cours de ventre, des excremens blancheâtres, des urines écumeuses, blanches, quelquefois obscures, & presque toûjours troubles.

Parmy les effets que nous avons rapportez au Chapitre précedent, il y en a quelques-uns qui peuvent servir de signes par certaines circonstances qui les accompagnent ; nous avons dit, par exemple, que les effets des vers étoient souvent des vomissemens & des épilepsies ; mais pour connoître quand ces accidens arrivent par des vers, il n’y a qu’à examiner si ces vomissemens ne font rejetter que ce que l’on a mangé, & si ces épilepsies sont sans écumes à la bouche ; car lorsque cela est, c’est une marque de vers ; ceux qui ont des vers se levent quelquefois la nuit en dormant, crient, & remuent les lévres comme s’ils mangeoient, cet effet peut servir de signe étant bien consideré, il y a des enfans à qui cela arrive sans qu’ils ayent de vers, & d’autres à qui il n’arrive que par des vers ; le moyen de le distinguer est de voir si les malades se sentent soûlagez par l’abstinence ; car ceux à qui ce que nous venons de dire est causé par des vers, ne peuvent jeûner sans se sentir tourmentez, non par la faim, car souvent ils n’en ont point, mais par des tiraillemens que leur causent les divers mouvemens que font les vers, pour chercher de la nourriture. J’ay mis la toux séche au rang des effets des vers, mais quand elle est perseverante, cet effet devient un signe assez certain ; & ce fut par-là que Forestus[2] connut un jour qu’il y avoit des Vers dans une petite fille de neuf ans, malade d’une fiévre quarte depuis six mois, il la traita par rapport à cette cause, & lui donna un demi gros d’aloës mêlé avec quelques grains de corail rouge, il la délivra par le moyen de ce remede de cinq vers qu’elle rendit, aprés quoi la fiévre cessa.

Nous pouvons remarquer icy, en passant, que dans une fiévre continuë ce remede ne conviendroit pas, parce qu’il échauffe trop ; je ne voudrois pas même le donner dans le commencement d’une fiévre quarte.

Quant à la puanteur d’haleine, que j’ay rapportée au rang des signes, elle en est un si certain, pourveu qu’on s’y connoisse, (car toute haleine puante n’est pas un signe de ver,) que Brassavolus[3] traitant un vieillard de quatre-vingt-deux ans, lequel étoit sur le point de mourir, connut à son haleine qu’il estoit malade de vers : ce qui l’obligea à luy donner quelque chose contre les vers, par le moyen de quoy il luy fit rendre plus de cinq cens vers, & le guerit. Le vieillard étoit dans une si grande extrémité, dit Brassavolus, que le Comte Alphonse Trotte, parent du malade, & premier Maître d’Hôtel du Duc de Ferrare, avoit déja donné les ordres necessaires pour les obseques.

Au regard de la grande faim, que causent quelquefois les vers, elle devient souvent un signe quand elle est accompagnée de certaines circonstances, comme d’une maigreur extraordinaire quoique l’on mange bien. Un enfant de douze ans, fils d’un Fondeur, étoit, dit Forestus[4], depuis plusieurs mois à dessécher dans un lit, sans sentir d’autre mal qu’une legere douleur au ventre prés du nombril, comme cette douleur n’étoit pas considerable, & que l’enfant faisoit d’ailleurs toutes ses fonctions naturelles, le Pere negligea de consulter personne ; mais l’enfant devint si sec au bout de quelques jours, qu’on appella Forestus ; il admira d’abord le genre du mal qu’il avoit à traiter, dont la cause luy paroissoit tres-cachée, l’enfant mangeant fort bien quoiqu’il ne profitât point, ses urines étant d’une bonne substance & d’une bonne couleur, quoique un peu cruës & un peu claires : Mais cette douleur de ventre, dont je viens de parler, jointe à la faim extraordinaire de l’enfant, luy firent soupçonner qu’il y avoit des vers. Dans cette pensée il fit prendre à cet enfant plusieurs matins de suite, deux heures avant que de manger, & le soir à quatre heures, un verre d’une decoction d’Hyssope, de Marjolaine, de Fenoüil, de Fume-terre dessechez, car c’étoit au mois de Janvier, de petite centaurée & d’absynthe boüillis ensemble dans une pinte d’eau, le tout passé à travers un linge, & mêlé avec une once d’oxymel simple, autant de syrop de fume-terre, & autant de miel rosat. Ce remede fit rendre à cet enfant, toutes les fois qu’il en prit, un grand nombre de vers par le bas, & le guerit parfaitement.

Les temps de l’année & la difference des pays peuvent aussi servir de signes en plusieurs rencontres, pour nous aider à connoître quand il y a des vers dans le corps. En Automne, par exemple, on y est plus sujet que dans les autres saisons ; en sorte que si dans ces tems-là on void qu’une personne ait quelques signes de vers, on doit regarder ces signes comme moins équivoques que dans un autre tems. La difference des pays est aussi à considerer ; car l’Italie, par exemple, l’Allemagne, la France, l’Espagne, sont fort sujettes aux vers. L’âge, le temperament, la maniere de vivre, sont encore de grands indices, les enfans, par exemple, les personnes d’un temperamment pituiteux, ceux qui mangent beaucoup, ceux qui d’abord aprés le repas font un grand exercice, ceux qui dorment trop, ceux qui vivent dans un trop grand repos de corps, toutes ces personnes-là sont plus sujettes aux vers que les autres.

Quant aux signes particuliers, ils sont differens selon les especes des vers. Les signes des vers longs & ronds sont des tensions de ventre, accompagnées de bruit & de douleur, une démangeaison de nez, qui oblige à se le frotter sans cesse, une érosion des intestins, des hocquets, un sommeil palpitant, des reveils en sursaut sans aucune occasion extérieure, ces mêmes reveils accompagnez quelquefois de cris, & suivis d’un prompt retour de sommeil, un poulx inégal, des fiévres intermittentes, lesquelles ont quelquefois trois & quatre accés sans aucune regle, des yeux caves, & quelquefois rouges, des jouës tantôt rouges & tantôt livides. Quelques-uns ont les yeux de couleur de sang, le poulx inégal & recurrent, les autres disent en dormant des choses où il n’y a nulle raison et nulle suite ; quelquefois ceux qui ont des vers ronds manquent d’appetit, & s’ils ont mangé quelque chose, le vomissent ; ils ont des fiévres accompagnées de froid aux extrémitez du corps. Tous ces signes ne se rencontrent pas à la fois, mais on trouve tantôt les uns & tantôt les autres. J’ay dit dans le Chapitre précedent que les vers faisoient quelquefois tarir le lait aux nourrices, j’en ay cité deux exemples, dont les circonstances que j’ay rapportées, peuvent servir à faire connoître quand cela vient par des vers.

Les signes des Ascarides sont une démangeaison continuelle dans le fondement, laquelle cause quelquefois des défaillances & des syncopes : démangeaison qui vient du mouvement de ces vers, lesquels ne font que fourmiller, & du sentiment vif de la partie où ils se tiennent ; car il ne faut pas croire avec Mercurialis, & quelques autres Auteurs, que les gros intestins n’ayent qu’un sentiment grossier ; les tourmens de la colique, qui se font sentir dans le colon, & les douleurs causées à l’anus par des vents enfermez, sont une trop bonne preuve du contraire.

Les signes du Tænia sont des lassitudes, qui prennent d’abord aprés les repas, sans avoir ou marché, ou fait quelqu’autre exercice qui puisse fatiguer, ce sont des assoupissemens fréquens, qui prennent dans le jour, & causent des pesanteurs au dessus du nombril.

Ceux du Solium sont de petites portions faites en formes de graines de citroüille, ou de concombre, lesquelles se trouvent dans les excremens. Hippocrate[5] parle de ce signe comme d’un indice certain de ce ver. Aristote fait[6] la même chose, & dit que c’est la marque à quoy les Medecins connoissent quand ce ver est dans le corps.

J’ajoûte que l’experience confirme ce qu’ont écrit là dessus Hippocrate & Aristote, & que c’est à ce signe principalement que je connus que nôtre malade avoit le ver, dont je l’ay délivré.

Il y a encore d’autres signes du Solium, ce sont des douleurs de foye passagères, qui se font sentir à jeun de tems en tems, & qui sont quelquefois accompagnées d’un grand cours de salive dans la bouche, & d’une privation de parole, qui ne dure que peu de tems ; ce sont des douleurs d’estomach, lesquelles succedent à celles du foye, se renouvellent par intervales, & sont quelquefois suivies d’une douleur de dos qui persiste long-tems : voila quels sont les signes du Solium, signes que nôtre malade a eus sans en excepter un seul, & qui sont expressément marquez par Hippocrate dans le quatriéme Livre des Maladies ; cet Auteur prétend que la douleur, que l’on sent à jeun dans le foye, quand on a ce ver, vient de ce que le ver va dans ce viscere : ce qui paroît assez vray-semblable si l’on fait reflexion à la finesse du cou de cet animal, à la petitesse de sa tête, & à la situation du conduit qui porte dans les intestins la bile du foye ; car il est facile de comprendre que lorsque l’on est à jeun, ce ver ne trouvant plus de chyle dans l’estomach peut retirer sa tête de cet endroit, pour chercher ailleurs de la nourriture, & que la retirant dans le duodenum, qui est aussitôt aprés le pylore, & où il trouve l’ouverture du conduit qui vient du foye ; il peut bien aussi s’insinuer dans cette ouverture, & aller de-là jusques au foye, sans qu’il en soit empêché par la valvule, que Messieurs Higmorre & Marchette disent être à ce conduit au-dedans du duodenum, parce qu’en cas que cette valvule y soit, ce ver a la tête assez menuë & le cou assez delié, pour pouvoir se glisser sous cette valvule. Il n’y a qu’une difficulté à cela, qui est que le fiel du foye doit empêcher le ver de venir jusqu’à ce viscere, mais la faim, où nous supposons ce même ver, qui ne trouve point de nourriture, fournit aisément la réponse à cette objection : ce que je dis n’est point sans experience, & en 1572. le fils du fameux Vvierus dissequant le corps d’une fille morte d’hydropisie, y trouva deux vers longs d’une palme, dont l’un occupoit tout le meat cholidoque, qui va de la vessie du fiel dans le duodenum, & l’autre toute la partie gibbe du foye[7], où ces vers étoient montez sans doute, dit Wierus, faute d’alimens.

J’ay dit plus haut que le pays étoit souvent un indice, qui pouvoit nous marquer en general s’il y avoit des vers dans le corps. J’ajoûte icy que c’est souvent aussi un signe particulier pour les especes de vers, car si certains pays sont plus sujets aux vers que d’autres, il en est aussi qui sont plus sujets à tels & tels vers, comme les uns aux ascarides, les autres aux vers longs & ronds, les autres aux vers[8] plats ; & si des vers des intestins nous voulons passer à ceux qui s’engendrent dans d’autres parties du corps, nous verrons qu’il y a des Nations sujettes à des vers particuliers, qui ne se voyent point ailleurs : comme, par exemple dans cette partie de l’Amerique, qui est aux Indes Occidentales, où il y a des peuples sujets à ces vers, nommez Toms, dont nous avons parlé au Chapitre troisiéme ; & dans l’Afrique, où les Negres sont sujets à des vers, qui leur viennent ordinairement aux cuisses & aux jambes, dont quelques-uns sont longs d’une aulne, d’autres de deux, & quelquefois de trois ; nous en avons parlé au même Chapitre.

Pour revenir au Solium, je ne sçache point d’autres signes, ausquels on le puisse découvrir, que ceux que j’ay rapportez ; ce ver a cela de particulier, qu’étant engendré en nous dés le ventre de la mere, il est impossible de nous en garantir, mais nous pouvons quelquefois nous garantir des autres, parce qu’ils ne s’engendrent pas toujours en nous avant nôtre naissance. Nous en allons marquer les moyens.

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  1. Vidus Vidius junior, lib. 10. cap. 14. de curat. membratim.
  2. Forest. de sympt. Febr. lib. 7. observ. 36.
  3. Brassav. comment. ad aphor. 26. lib. 3. Hipp.
  4. Forest. de intest. affect. lib. 21. observ. 29.
  5. Hipp. lib. 4. de morb. art. 37.
  6. Arist. hist. anim. lib. 5. cap. 19.
  7. Joann. VVier. de præstig. Dæmon. lib. 4. cap. 16.
  8. Ceux-là sont communs en Hollande : voyez la Lettre de M. Hartsoéker à la fin de ce Traité.