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De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 06

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Chapitre VI.

Des moyens de se garantir des Vers.



On ne peut être préservé des Vers aprés sa mort, & celuy qui meurt au milieu de l’abondance, plein de force & de richesses, dont le corps est rempli du meilleur suc[1], & dont les os sont comme penetrez de la moëlle qui les a nourris, sera mangé de ces insectes dans le tombeau, comme le plus malheureux & le plus pauvre, tout ce que l’homme peut prétendre est de s’en garantir pendant sa vie ; c’est de quoy nous allons tâcher de donner quelques moyens.

Trois choses nous rendent sujets aux vers, le mauvais air, les mauvais alimens, & le mauvais usage des bons ; c’est-à-dire, que pour se préserver des vers, il faut respirer un bon air, éviter certains alimens, & user avec regle de ceux que l’on a choisis. La qualité que l’air doit avoir par rapport à ce que nous nous proposons icy, c’est d’être pur & subtil ; un air de cette sorte est moins rempli de semences de vers, il réveille la chaleur naturelle, favorise le cours du sang, empêche les humeurs de se corrompre par le repos, & ôte aux semences vermineuses, qui sont dans le corps, ce qui pourroit faire éclorre les vers qu’elles renferment. L’air épais & impur au contraire, outre qu’il est tout chargé de semences de vers, corrompt les humeurs en les arrêtant par sa grossiereté, & en les alterant par son impureté, & ainsi prépare aux vers, dont il introduit, ou dont il rencontre déja dans le corps les semences, toute la matiere necessaire à leur nourriture & à leur accroissement.

Les alimens qu’il faut éviter, pour se garantir des vers, sont les laitages, excepté le beurre, ce sont les choses sucrées, les viandes vinaigrées, le cidre, les pignons, les melons, les champignons, &c. je dis les viandes vinaigrées, rien ne réveillant plus les vers que le vinaigre, ainsi que l’expérience le fait voir ; d’ailleurs cette liqueur étant elle-même toute pleine de ces animaux, ne peut qu’introduire dans le corps une grande quantité de vers, & de semences à vers ; qu’elle soit remplie de vers, c’est un fait, dont tout le monde se peut convaincre par ses yeux : Et puisque nous en sommes là-dessus, il ne sera pas inutile de rapporter tout ce qui s’observe à ce sujet dans le vinaigre par le moyen du microscope. La premiere chose est, qu’il y a dans le vinaigre un tres-grand nombre de vers faits comme des anguilles, dont les uns sont vivans & les autres morts ; que les premiers vont & viennent, ainsi que des poissons, & que les autres demeurent au fond, où ils se corrompent peu à peu, & où ils forment comme une legere fange, d’où naissent ensuite d’autres Vers. La seconde, que plus le vinaigre est fort, & plus on y remarque de vers. La troisiéme, que quand le vinaigre est dans le tonneau, il y a plus de vers vivans, & que quand il est en bouteilles, il y en a plus de morts. La quatriéme, que si on passe le vinaigre par un couloir, on n’y remarque de trois jours aucun ver, après quoy il en vient d’autres. La cinquiéme, que quand on a jetté quatre ou cinq goutes de bon vin dans une pinte de vinaigre, tous les vers de ce vinaigre meurent presque sur le champ, mais se rengendrent trois ou quatre jours aprés. La sixiéme, qu’un gros de Theriaque, mêlé avec deux pintes de vinaigre, en tuë tous les vers. La septiéme, que si après avoir mêlé la Theriaque dans le vinaigre, on laisse pendant un mois au Soleil ce mêlange dans un vaisseau bien bouché, ayant soin d’agiter le vaisseau de tems en tems, & qu’au bout du mois on filtre la liqueur, en aura un vinaigre exempt de vers pour toûjours, & un excellent antidote contre la peste & contre les fiévres malignes. La huitiéme, que l’on observe plus de vers dans le vinaigre rosat, que dans aucun autre, toutes experiences certaines que chacun peut faire, & dont on peut tirer bien des consequences utiles pour sa santé.

Il faut éviter non seulement le vinaigre quand on veut se garantir des vers, mais encore la plûpart des choses aigres, excepté le citron, la grenade, & quelques autres de cette nature. Nous avons un grand nombre d’exemples de personnes que l’usage des choses aigres a rendu sujettes aux vers, & Spigelius raconte qu’ayant été appellé, pour voir cette Dame Allemande[2], dont nous avons parlé plus haut, laquelle rendit un morceau de ver plat, qui fit tant de mouvemens, & l’ayant interrogée sur l’état où elle s’étoit trouvée auparavant, & sur sa maniere de vivre, il apprit d’elle qu’étant fille elle étoit fort sujette aux vers ronds, qu’alors elle mangeoit souvent du lait caillé, aimoit sur tout le lait aigre, & toutes les choses aigres.

La plûpart des choses aigres engendrent des vers, & si on l’observe bien, on verra que tous les enfans, qui ont des vers, ont l’haleine aigre : ce qui ne doit point paroître étonnant, si l’on fait reflexion, que les vers naissant dans une matiere corrompuë, doivent necessairement naître dans une matiere aigre, rien ne se corrompant qu’il ne s’aigrisse.

Quant aux pignons, dont on assaisonne la plûpart des viandes en plusieurs Provinces ils engraissent, font une bonne nourriture, conviennent dans la phtisie, dans la strangurie, dans l’acreté de l’urine, mais cependant sont plus propres qu’aucunes choses à nourrir certaines sortes de vers, l’experience l’a fait voir, & je pourrois en citer plusieurs exemples. Panarolus en rapporte un assez digne de remarque : En 1652. à Rome au mois de Mars, une Religieuse Capucine, qui avoit été sujette à des syncopes & à plusieurs autres maladies, rendit par la bouche un ver vivant, qui avoit deux cornes comme un limaçon, & six pieds, il étoit rond & long, ne passant pas neanmoins la longueur de deux doigts, Panarolus voulut voir ce qui seroit contraire à ce ver, & fit dans ce dessein plusieurs essais, qui meritent bien d’être rapportez : Il chercha d’abord comment il le pourroit nourrir, il s’avisa de lui donner des pignons, ce qui réüssit si bien, qu’avec cela il le fit vivre treize jours ; pendant ce tems-là il recourut à divers remedes pour le tuer, il commença par la theriaque seule, puis la mêla dans du vin, ensuite dans du vinaigre ; il vint aprés cela à l’oignon, à l’ail, à l’eau theriacale, à l’esprit de vitriol mêlé dans l’eau de chardon benit, au mercure, au sel, mais tous ces remedes furent inutiles, & le ver mangeoit toujours les pignons, douze jours se passerent ainsi, & le treiziéme une Dame de qualité pria Panarolus[3] d’éprouver d’une huile qu’elle avoit, qu’elle disoit être extrémement bonne contre les vers. Panarolus en fit l’experience le même jour, & la seule odeur de cette huile tua le ver. C’étoit une huile qui sentoit la theriaque, & qui s’évaporoit aisément : ce qui fit juger à Panarolus que ce pouvoit être quelque extrait de theriaque bien préparé ; quoiqu’il en soit cette huile fit mourir le ver, & les pignons le conserverent vivant contre tous les autres remedes.

Pour les melons l’experience ne confirme que trop ce que dit Cardan, que c’est un fruit qui produit beaucoup de corruption, & qui renferme ensemble toutes les mauvaises qualitez qui se trouvent séparement dans les autres : qui nuit à l’estomach, au foye, à la ratte, aux intestins, aux poumons, aux reins, à la vessie : qui remplit le corps de venin, cause des fiévres pestilentielles : qui ne s’associe bien avec aucun breuvage : qui avec le vin, engendre des humeurs pernicieuses, produit des phlegmons, & plusieurs autres maladies : qui avec l’eau, cause des lienteries, & d’autres flux de ventre dangereux. Je voudrois pour la santé publique, dit Panarolus, que les Magistrats interdissent l’entrée de ces fruits dans les Villes ; car quelle plus grande peste, dit-il, a-t’on à craindre que celle de ces sortes de fruits, qui font mourir tous les ans plusieurs milliers d’hommes ? Ce que souhaitoit ce Medecin se pratique aujourd’huy à Paris, le sage Magistrat, par les ordres duquel la Police y est si bien entretenuë, voulant prévenir les maladies qui pourroient courir parmi le peuple, a soin tous les ans de défendre l’entrée des melons passé le mois de Septembre, qui est le temps aprés lequel ils sont plus dangereux. Je ne puis m’empêcher de rapporter icy ce que j’ay vû arriver depuis peu en la personne d’un jeune homme, qui ayant coûtume de manger beaucoup de melons, est mort tout rempli de vers. Ce jeune homme aimoit tellement les melons, qu’il en mangeoit presque toûjours, il s’en trouvoit incommodé tous les ans par des fiévres, que cette mauvaise nourriture luy causoit. Le douziéme de Septembre de l’année 1698. s’étant trouvé attaqué d’une fiévre intermittente erratique, il négligea son mal, & ne laissa pas de manger toûjours de ces fruits à son ordinaire pendant huit jours. Le neuviéme la fiévre augmenta considerablement, & fut suivie le lendemain d’un vomissement, dans lequel il rendit trois gros vers, & un grand nombre d’autres fort petits, les convulsions vinrent deux heures aprés, & il mourut d’une maniere assez triste, dont il est inutile de rapporter les circonstances.

Au regard des Champignons, c’est une regle générale qu’ils sont tres-indigestes ; or, tout ce qui est indigeste, à moins qu’il ne le soit par sa dureté, comme les noyaux de cerise & les pepins de raisins, produit beaucoup de corruption, & par consequent doit être évité quand on craint les vers.

Les Champignons font un sang grossier & épais, forment des obstructions, demeurent long-temps dans l’estomach, & empêchent la digestion des autres alimens par un mauvais suc qu’ils rendent, & dont l’estomach est toûjours fatigué, quelquefois même ils restent plusieurs jours dans le ventricule sans se digerer, & alors ils peuvent produire des maladies tres-dangereuses ; j’en ai vû arriver il y a quatre ans un triste exemple en la personne d’un Auditeur des Comptes, nommé M. Bonnet de Cuviers, lequel mourut subitement en revenant de la Foire S. Laurent vers la fin de Septembre. Il passoit en son Carosse à neuf heures du soir dans la ruë Briboucher, pour s’en retourner au Fauxbourg S. Germain, où il demeuroit. Comme il étoit à l’entrée de la ruë, il fut saisi d’un assoupissement profond, qui fit croire d’abord à deux de ses amis, qui étoient avec luy, qu’il faisoit semblant de dormir, mais ces Messieurs ayant peu aprés reconnu que leur ami se trouvoit mal, firent arrêter le Carosse au bout de la ruë devant la boutique d’un Chirurgien, nommé M. Dupati : on prit le Malade, qui n’avoit plus de force ni de connoissance, on le transporta chez le Chirurgien, qui luy donna aussitôt l’Emetique, lequel ne fit nul effet, parce que la gorge étoit tellement engagée, qu’il ne pût passer : Je fus appellé sur ces entrefaites, je fis saigner le malade aussitôt, le sang sortit fort épais, se figeant dans les palettes en même tems qu’il y tomboit. Quand la saignée fut faite, le malade s’agita beaucoup, & je m’appercûs d’un effort qu’il fit, pour rejetter quelque chose du fond de l’estomach, aussitôt je pris une serviette, que je trouvay sous ma main, & la luy presentant à la bouche, je reçûs dedans un quartier de champignon ; je demanday d’abord s’il n’avoit point mangé de champignons ce jour-là, & ses amis, qui avoient été avec luy depuis plusieurs jours, me dirent qu’il y avoit trois jours qu’il en avoit mangé dans un ragoût, & que depuis il n’en avoit point mangé, qu’au reste il n’avoit fait aucun excès ; ses laquais, que j’interrogeay, me répondirent la même chose. Enfin aprés bien des agitations, on manda M. de Fresquieres, qui étoit son Medecin, lequel fit réïtérer la saignée, mais tous ces secours furent inutiles, la connoissance ne revint point au malade, & il mourut sur les dix heures & demi du soir chez le Chirurgien.

Il est difficile de ne pas juger que les champignons furent la cause de cet accident, puisque le malade en rendit un quartier, qui s’étoit conservé trois jours dans son estomach sans s’y digerer. Je ne prétends pas conclure de-là que tous ceux qui mangent des champignons ayent à craindre un si triste sort ; mais du moins on peut connoître par cet exemple, combien cette nourriture est indigeste, & par consequent capable de cette corruption, qui peut produire des vers.

Il n’est pas toûjours en nôtre pouvoir de nous garantir des vers ; ces animaux se forment souvent en nous dans un âge, où l’on est incapable de veiller à ce qui nous peut nuire : C’est aux Meres & aux Nourrices d’avoir ce soin pour leurs enfans, & de prendre garde de ne leur rien donner qui puisse produire en eux de la corruption. Ce qui fait que la plûpart des enfans sont sujets aux vers, c’est le lait trop vieux qu’on leur presente dés qu’ils sont nez, & la bouillie dont on les nourrit trop tôt. Le premier lait, que doivent succer les enfans, est celuy qui se trouve aux mammelles des nouvelles accouchées, c’est un lait purgatif qui délivre l’enfant de toutes ses humeurs superfluës, & qui ne chargeant point l’estomach, n’y cause point ces cruditez, qu’un lait plus vieux & plus nourrissant, ne manque jamais d’y produire : On a recours, dit Spigelius[4], à des médicamens pour purger les enfans nouveau nez, & l’on neglige la meilleure de toutes les Medecines, qui est le lait que la nature prépare dans les mammelles des nouvelles accouchées ; ce lait est un aliment medicamenteux proportionné à la foiblesse des enfans, & qui devenant tous les jours moins purgatif, ne devient nourriture qu’autant que l’estomach a la force de le digerer, d’où il arrive que le ventricule n’est point surchargé, & qu’il est exempt de ces cruditez, qui tombent dans les intestins, & y font éclorre des vers.

Quant à la bouillie, cette nourriture grossiere donnée aux enfans avant qu’ils ayent atteint le second ou le troisiéme mois, fait beaucoup de cruditez en eux, sur tout lorsque la farine, dont on la fait, n’a pas été cuite dans le four ; car alors la bouillie en est plus pesante & plus indigeste : ce qui la rend propre à la generation des vers. La farine qu’on destine à la bouillie des petits enfans, doit être mise au four dans une terrine aprés que le pain en est tiré, & être alors remuée de tems en tems pour qu’elle cuise également. Quoique la bouillie faite de cette farine soit fort legere, il est bon neanmoins de n’en donner aux enfans qu’une ou deux fois par jour, & encore faut-il que la Nourrice ait soin de le faire tetter peu aprés, afin que cette même bouillie soit dilayée par le lait, & se digere plus facilement ; car ce n’est pas assez de prendre de bons alimens, pour se préserver des vers, il faut observer de certaines regles dans l’usage qu’on en fait. Cet usage consiste en trois choses : La premiere, à manger dans un tems qui soit favorable à la digestion ; la seconde, à observer dans les viandes un ordre, qui ne puisse point troubler la coction qui s’en doit faire ; car tout dépend de la bonne digestion, les cruditez faisant presque toute la corruption, qui rend nos corps sujets aux vers ; & la troisiéme à ne point trop manger, ou trop boire à chaque repas : ce qui empêcheroit encore plus la digestion que toutes les autres fautes qu’on pourroit commettre ; à quoy je puis ajoûter pour quatriéme précaution de ne point manger trop de viande seule.

Pour le tems, il y a trois choses à considerer ; la premiere, est l’appetit, j’entends un appetit sain, & non malade, un appetit qui vient du besoin de la nature, & qui fait que les viandes se mangent avec plus de goût, qu’elles sont plus étroitement retenuës dans l’estomach, & qu’elles s’y digerent plus parfaitement : ce qui a fait dire à Hippocrate, que lorsque l’appetit nous invite à une chose, il la faut préferer à toute autre[5], quand même elle ne seroit pas d’une si bonne qualité, parce qu’en effet cet appetit fait qu’elle se digere mieux.

La seconde, est la coction des alimens du dernier repas qu’on a fait ; car il ne faut jamais se mettre à manger qu’on n’ait lieu de croire que ces premieres viandes sont digerées, autrement la coction est troublée, il se fait des cruditez, & tout le corps se remplit d’humeurs corrompuës propres à nourrir des vers. Aussi voyons-nous par experience, que ceux qui mangent à toute heure, sans observer aucun tems, sont plus sujets aux vers que les autres.

La troisiéme, est d’avoir l’estomach dégagé avant que de manger ; car s’il est plein d’humeurs corrompuës, les viandes, au lieu de s’y bien digerer, y contracteront le vice de ces humeurs : ce qui a fait dire à Hippocrate que plus on nourrit un corps impur, & plus on l’endommage. Le moyen de chasser cette corruption, ou de la prévenir, est de prendre quelquefois avant le repas un peu de casse, ou quelque autre chose d’équivalent, pour vuider l’estomach.

Pour ce qui regarde l’ordre des viandes, il faut commencer par les plus faciles à digerer ; parce que celles-ci n’étant point retenuës par d’autres d’une digestion plus lente, sortent de l’estomach aussitôt qu’elles sont digerées, & ne s’y corrompent pas comme elles feroient si elles y séjournoient aprés la coction faite ; ainsi les choses molles se doivent prendre ordinairement avant les dures, les humides avant les séches, les liquides avant les solides ; celles d’une qualité chaude avant celles d’une qualité froide, prenant garde toutefois de ne point trop donner dans la variété des mets, cette diversité de viandes, qui fait la douceur des repas, ne produisant que la corruption[6] & les vers.

J’ajoûteray ici qu’il est bon de se tenir en repos quelque tems aprés le repas, parce que le prompt exercice, aprés qu’on a mangé, cause beaucoup de cruditez, & par consequent beaucoup de corruption.

La digestion ne se fait pas toute dans l’estomach, elle se perfectionne encore dans les intestins gresles, & cela par le moyen de la bile, qui y vient par le conduit cholidoque ; en sorte que lorsque le foye, ou que le conduit n’est point obstrué, cette bile entrant dans le duodénum, & de-là dans le reste des intestins, y acheve l’ouvrage de la digestion, & empêche par ce moyen qu’il ne s’y fasse de la corruption. Il s’ensuit de-là, que c’est une bonne précaution, pour se garantir des vers, de prendre de tems en tems des choses qui puissent prévenir, ou corriger les obstructions du foye.

On demandera peut-être comment il se peut faire que certaines choses soient meilleures au foye qu’aux autres visceres ; & si c’est qu’elles ayent de l’intelligence, pour s’attacher au foye plûtôt qu’aux poumons ou ailleurs.

Cette raillerie, qu’on fait plaisamment sur la vertu de certains remedes, est neanmoins mal fondée, & voicy une experience qui fait voir comment les remedes, sans avoir d’intelligence, ni de billet pour les conduire, vont porter leur effet à une partie plûtôt qu’à une autre.

Que l’on jette de l’eau forte sur un composé d’or & de fer, cette eau-forte s’attachera au fer, le dissoudra, & coulera sur l’or sans y faire impression. Jettez de l’eau regale sur ce même composé, cette eau ira porter son action sur l’or, & ne touchera point au fer ; d’où vient cette difference, est-ce que ces eaux ont de l’intelligence, pour aller dissoudre l’une le fer plûtôt que l’or, & l’autre l’or plûtôt que le fer, non sans doute : Mais c’est que les parties insensibles de ces eaux sont de differentes figures, & les pores de ces corps aussi ; en sorte que lorsque l’eau forte, par exemple, trouve un corps comme l’or, dont les pores ne sont pas proportionnez à la figure de ses pointes, elle coule dessus sans y faire d’impression, & sitôt qu’elle en trouve un, dont les pores sont figurez d’une maniere propre à recevoir ses pointes, comme est le fer, elle s’insinuë dedans, & en sépare les parties. Il faut raisonner ainsi de l’action des remedes sur des parties du corps, plûtôt que sur d’autres. Et pour mettre la chose dans un plus grand jour, imaginons un corps artificiel, fait de verre, dont les poûmons soient d’or & le foye de fer. Supposons dans les vaisseaux de ce corps de l’eau forte au lieu de sang, ne conçoît on pas que cette liqueur, étant portée aux poûmons, n’y mordra point, & que sitôt qu’elle rencontrera le foye, elle s’y attachera, & agira dessus ? Imaginons encore la chose autrement. Supposons les poûmons de verre, & le foye d’or, & en même tems les conduits de ce dernier embarrassez de petites parties de fer difficiles à ôter, comment s’y prendre, pour lever les obstacles que ces parties de fer feront dans le foye ? C’est de jetter de l’eau forte dans ce corps artificiel ; car alors nous concevons que cette eau, sans endommager les poûmons, ausquels je suppose qu’elle sera portée par une circulation qu’on peut imaginer, & sans endommager la substance du foye, dissoudra les parties de fer qui seront dans ce dernier viscere, & en rendra les passages libres : voila une image de ce qui se passe dans le corps animé, lorsque des remedes agissent sur certaines parties plûtôt que sur d’autres.

Si ces exemples ne suffisent pas, pour faire comprendre la chose ; en voicy un plus clair rapporté par M. Tournefort dans cette sçavante These, qu’il fit soûtenir le 14. de Novembre de l’année 1697.

Prenez deux couloirs de papier gris, dont l’un soit imbibé d’huile & l’autre d’eau ; versez dans chacun de l’eau & de l’huile mêlez ensemble, l’eau seule coulera au-travers de celuy qui sera[7] penetré d’eau, & l’huile seule au travers de l’autre. Supposons que ces couloirs communiquent ensemble par plusieurs tuyaux, qui portent à l’un le residu de l’autre, n’est-il pas vray que toute l’huile contenuë dans le couloir abreuvé d’eau passera au travers du couloir abreuvé d’huile, & que toute l’eau contenuë dans le couloir imbibé d’huile, passera à travers le couloir imbibé d’eau ? C’est ainsi qu’il faut raisonner de l’effet des remedes qu’on préscrit, les uns pour passer à travers les reins & les nettoyer, les autres, pour purger le foye, les autres, pour humecter & rafraîchir les poûmons : Ces remedes sont portés à toutes les parties ; mais ils pénétrent les unes plutôt que les autres, selon le rapport qu’ils y trouvent avec la matiere, dont ces parties sont abreuvées, ou composées.

Les excés de Venus sont une des choses les plus contraires à la bonne constitution du foye, & les plus propres à y produire des obstructions. Ces excés affoiblissent outre cela l’estomach, en dissipant la chaleur naturelle, & causent par ce moyen une corruption, qui peut produire beaucoup de vers : J’en ay vû des exemples en plusieurs malades, & entre autres en la personne d’un jeune homme, qui s’étant ainsi affoibli l’estomach par des excés de cette nature, jusqu’à ne pouvoir digerer les alimens les plus legers, tomba malade d’une fièvre, sur la fin de laquelle je luy fis rendre vingt six vers en un jour, après quoy il guerit.

La trop grande application d’esprit, & les grands efforts de l’Etude, font quelquefois plus de tort à la digestion, & causent plus de corruption que les excés, dont je viens de parler, sur tout quand on se met à des lectures longues & appliquantes d’abord aprés les repas. J’ay vû un jeune homme en Province, qui pour avoir étudié jour & nuit, tomba malade d’une fiévre lente, dont les Medecins attribuerent la cause à une grande chaleur produite par les efforts de l’étude ; en sorte qu’ils ne songerent qu’à le rafraîchir avec l’eau de poulet & les quatre semences froides, mais tout cela ne servant de rien, un certain Paysan donna au malade d’une racine que je sçay, & que je nommeray dans le Chapitre neuviéme, laquelle luy fit rendre par le bas une si grande quantité de vers, que les Medecins avoüerent qu’ils n’avoient pas connu la maladie : je ne fais pas difficulté de rapporter cet exemple, veu qu’il n’est pas nouveau de voir des gens sans lettre & sans science connoître quelquefois mieux les maladies & les remedes des maladies, que certains prétendus Sçavans, qui font consister tout l’Art de la Medecine à concerter des systemes ingenieux, à mépriser ce que les Anciens ont remarqué, & à préferer leurs propres imaginations à tout ce que l’experience de ceux qui nous ont devancez leur pourroit apprendre ; car si l’on se donnoit un peu la peine de lire les Anciens, & sur tout Hippocrate, on verroit dans leurs Livres tous ces remedes familiers, que la Tradition apprend aux plus simples, & dont l’ignorance est assûrement tres honteuse à ceux qui en doivent sçavoir là-dessus plus que le vulgaire.


  1. Iste moritur robustus, dives & felix, viscera ejus plena sunt adipe, & medullis ossa illius irrigantur, alius vero moritur in amaritudine animæ, alisque ullis opibus, & tamen simul in pulvere dormient, & vermes operient eos. Job cap. 21 v. 24.
  2. Spig. de lumbr. lat. cap. 15.
  3. Panarol. Iatrolog. pentecost. 4. observ. 29.
  4. Spigel. de formato fœtu parte secundâ cap. 3.
  5. Aphor. 38. sect. 2.
  6. Dulcedo illius Vermes. Job. 24. v. 24.
  7. Quest. medic. an morborum curatio ad leges mechanicæ referenda ?