De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Préface

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Occasion & dessein de l’Ouvrage.



CEt Ouvrage est dû à une occasion que je ne puis me dispenser de rapporter icy. Le quatriéme jour de Juin de l’année 1698. je fûs appellé dans la ruë S. Denis à Paris, en la maison M. Chaillou, Marchand, pour voir un jeune homme de vingt-neuf à trente ans, nommé M. Jacques Fréquet, attaqué depuis ce jour-là d’une forte fiévre, accompagnée d’une pressante douleur de côté, d’un crachement de sang, & d’une grande difficulté de respirer. Je commençay d’abord par la saignée, que je fis réïtérer le lendemain. Le troisiéme jour je procuray à mon malade une sueur, qui le soulagea confiderablement. Le quatriéme il parut beaucoup mieux ; mais la nuit du quatriéme au cinquiéme, il eut un transport au cerveau, qui finit sur les sept heures du matin. Je remarquay que ce transport n’avoit été précédé par aucun des signes qui ont coûtume d’annoncer ce symptome dans les autres maladies. Cela m’obligea à examiner s’il n’y avoit point en cette rencontre quelques signes de vers. J’en trouvay plusieurs dans les déjections : ce qui fut cause que le lendemain, qui étoit le sixiéme jour de l’accident, au lieu de recourir encore à la saignée, comme il sembloit qu’il le falloit, puisque c’étoit icy une pleurésie, & sans m’arrêter à la pratique dangereuse de ceux qui ne veulent jamais purger dans le commencement des maladies, j’ordonnay contre l’avis de quelques personnes, que je ne cherche point à censurer[1] icy, une potion purgative, avec laquelle j’avois déjà fait sortir plusieurs fois des vers extraordinaires.

Le malade, une heure aprés avoir pris la potion que j’ordonnay, sentit quelque chose s’agiter dans son corps. Cette agitation dura l’espace de deux heures, & se termina par la sortie d’un ver vivant, long de quatre aulnes trois pouces, sans être venu entier, extrêmement blanc, plat comme un ruban, distingué par plusieurs articles, ayant une tête, des yeux, tel enfin qu’on le voit représenté par la figure suivante.

Comme j’avois déjà guéry par des remedes contre les vers bien des maladies, dont on n’auroit pû croire aisément que la vermine eût esté la cause, & que parmy les vers que j’avois fait rendre à mes malades, il s’en étoit trouvé plusieurs de la nature de celuy-cy : Je crûs qu’un Traité sur les vers ne seroit pas une chose inutile, je formay le dessein de l’Ouvrage, que je donne aujourd’huy. Voilà quelle a été l’occasion de ce Livre.

Quelques personnes, habiles d’ailleurs, ayant vû cette Estampe qui court depuis plusieurs mois, ont traité la chose de fable ; d’autres, qui ont été témoins du fait, ont regardé ce ver comme un monstre, ont répandu le bruit, que j’avois fait sortir du corps d’un homme un animal qui ne s’étoit jamais vû. Les uns & les autres se sont également trompez. J’avertis les premiers que je conserve le ver chez moy, ainsi ils pourront s’éclaircir de la vérité quand ils souhaiteront ; d’ailleurs comme le malade, qui l’a rendu se porte bien à présent, & qu’il est en âge de répondre, je puis leur dire ce que les parens de cet aveugle de l’Evangile disoient aux Juifs : Interrogez-le, ce n’est pas un enfant, il vous répondra luy-même. Les derniers verront dans cet Ouvrage, que l’insecte donc il s’agit, n’est point si extraordinaire, & que cette espece de vers a esté connue aux anciens Medecins, entr’autres à Hippocrate & à Aristote, & que les Livres mêmes des Modernes en rapportent plusieurs exemples. Je leur ajoûte que M. Fagon, Premier Medecin de Sa Majesté, m’a dit avoir vu trois vers de cette sorte en diverses rencontres. Ils y apprendront de plus que c’est un ver commun en Hollande, où il s’en trouve, dont la longueur passe de beaucoup celle de celuy-cy, comme me l’a mandé d’Amsterdam M. Hartsoeker.

Au reste ce n’est pas la premiere fois qu’on a traité de monstres ces sortes de vers, & on void dans une Lettre de Guillaume Fabricius, rapportée en ce Livre, qu’à Payerne une femme ayant rendu un ver semblable, il courut aussitôt un bruit dans toute la Suisse, & dans toute la Bourgogne, qu’il étoit sorty un monstre épouventable du corps d’une femme. On parloit par tout de ce prétendu monstre, & on ne l’appelloit que le monstre de Payerne. Voilà comme les uns refusent de croire tout ce qui leur paroît extraordinaire, & comme les autres se plaisent à l’exagerer. Quand je fis sortir ce vers, j’en avois déjà fait sortir de semblables du corps de plusieurs malades, ainsi que je viens de l’observer ; mais ils m’étoient échapez par la negligence des Gardes, qui les avoient imprudemment jettez. Il en seroit arrivé autant de celuy-cy, sans le soin de M. Dupaty, Chirurgien dans la ruë Briboucher, lequel s’étant trouvé auprés du malade, empêcha qu’on ne jettât le ver, & me fit avertir. Je consideray cet insecte en présence de plusieurs personnes, & l’ayant mesuré avec l’aulne d’un Marchand, nous le trouvâmes de quatre aulnes trois poulces, sans y comprendre l’extrêmité, laquelle étoit restée dans le corps, à cause que le malade, trop impatient, voulut tirer le ver, & le cassa : ce qui ne pouvoit gueres manquer d’arriver ; car lorsqu’un ver sort de luy-même, & qu’on le touche, il rentre aussitôt en dedans : ce qui est cause qu’il se casse d’ordinaire quand on veut le tirer de force. Cela se void tous les jours dans les vers de terre.

Je réïteray le breuvage deux jours aprés, & cette extrêmité sortit, mais hors d’estat d’être mesurée, parce qu’étant séparée de la tête, elle ne pût demeurer longtems dans le corps, sans s’y corrompre.

Sitôt que je vis cet insecte, je crus que c’étoit celuy que l’on appelle Tænia, lequel ne remuë jamais[2], & où l’on ne discerne aucune forme de tête, lors même qu’il est entier. Mais celuy-cy fit de grands mouvemens sitôt qu’on le toucha, & je m’apperçûs d’une tête, où il y avoit quatre yeux. M. Mery, de l’Academie des Sciences, lequel a depuis examiné ce ver, prétend que ce que je prends pour des yeux sont des narines, c’est ce que nous examinerons ailleurs. Je vis un cou extrêmement mince & étroit, dont les articles vers le commencement se touchoient presque, & un corps long, qui alloit en élargissant vers le milieu de son étenduë, & dont les articles étoient distans d’un poulce : En un mot, au lieu de Tænia ordinaire, nous vîmes, comme nous le remarquerons dans la suite, une autre espèce de Tænia, nommé en Latin Solium, & en François le solitaire, dont parlent plusieurs Auteurs, lequel s’engendre dans le corps d’un grand nombre de personnes, & demeure si opiniâtrement dans ceux où il est, qu’à moins d’un remede particulier, pour le faire sortir ; il vieillit avec l’homme, dit Hippocrate, & l’accompagne jusqu’au tombeau. Il est rare de voir une tête à ces sortes de vers, parce que cette partie tenant à un cou fort mince, se sépare facilement, & reste dans le corps des malades. Ainsi la tête de celuy-cy le rend plus particulier.

Le ver fit de grands mouvemens pendant cinq heures, & vécut pendant plus de douze. Quant au malade, il se trouva mieux sitôt qu’il en fut délivré. Le lendemain, qui étoit le septiéme jour de sa maladie, il n’eut plus de fiévre, & le jour d’aprés, la guérison fut entiere. Il ne faut pas oublier de remarquer que le ver sortit noüé par le milieu du corps : ce qui doit faire juger qu’il fit bien des tours auparavant ; & qu’ainsi le malade, avant que de le rendre, ne pouvoit manquer de sentir les agitations, que nous avons dites.

Si quelques personnes ont traité ce ver de fable, comme nous l’avons observé, d’autres ont été à une extrémité opposée, & ont dit que c’étoit une chose qui ne meritoit pas seulement d’être remarquée. Comme je veux croire que ce langage est sincere, & que la malignité n’y a point de part, je prie ceux qui l’ont tenu de jetter les yeux sur ce traité, ils y verront comme les Medecins, qui nous ont devancez, ont pris soin de faire remarquer ces sortes de faits, lorsqu’il leur est arrivé d’en voir quelqu’un : comme Guillaume Fabricius, Philibert Sarrazenus, Amatus Lusitanus, Spigelius, Tulpius, &c. nous en décrivent jusqu’aux moindres circonstances ; & comme Fabricius, en parlant d’un ver semblable, dit qu’il le conserve dans son[3] Cabinet parmy ses raretez. Ils y apprendront, par l’exemple des plus Sçavans Medecins, qu’on ne sçauroit faire trop d’observations en Medecine, & que ce qui souvent ne paroît pas digne de curiosité aux yeux de certains esprits, est ce qui occupe le plus les personnes sçavantes. Je dis cecy, parce que je crois que quand on écrit pour tout le monde, on est autant obligé à corriger les erreurs de ceux qui n’ont pas assez de lumiere, qu’à satisfaire les personnes les plus éclairées[4].

Quelques-uns se sont étonnez, sur tout, que j’aye fait graver l’Estampe d’un aussi vil insecte qu’est un ver, & que j’aye marqué toutes les particularitez qui en regardoient la structure, mais ils ne considerent pas, sans doute, ce que dit Pline «[5]Que c’est souvent dans les plus vils animaux que la nature paroît plus entiere ; & que quand il s’agit de la contempler comme il faut, il n’est point de petite circonstance. » Je les exhorte donc, en me servant des paroles de ce même Auteur, « à ne pas tout-à-fait s’en fier à leur dégoût, sur ce qu’il leur déplaira dans les détails que je fais, n’y ayant jamais rien de susperflus dans ce qui sert à nous faire connoître la nature. » Pour ce qui est d’avoir fait graver le ver, j’ay suivy en cela l’exemple de Spigelius, de Sennert, de Fabricius, de Tulpius, &c. qui ont fait dessiner avec soin les vers plats qu’ils ont vûs, afin que s’ils étoient differens de quelques autres de ce genre, on pût aisément s’en instruire, en confrontant ces figures ; c’est ce qui arrive dans cette occasion, où l’on verra la figure de celuy-cy differente de celle qui est dans[6]Spigelius, & qu’on trouve icy à la fin du Livre fig. 9. de celle que donne Sennert, d’une autre que nous a laissé Fabricius, marquée icy fig. 15. & d’une autre qu’on trouve dans Tulpius, où la tête est faite comme le museau d’un poisson, & plus large que le reste du corps, aussi bien que le cou, ainsi qu’on la void representée fig. 16. ce qui est fort diffèrent de nôtre ver, dans lequel au contraire la tête & le cou sont moins larges que le reste du corps, & dont la même tête, regardée par le microscope, est semble à celle d’un doguin.

Comme le ver, dont nous parlons, est ordinaire dans le corps de l’homme, qu’il n’obéït à aucun des remedes communs qui chassent les autres, & qu’il est la cause d’un grand nombre de maladies, il importe à trop de personnes de sçavoir par quel moyen on peut s’en délivrer, pour que je doive faire un mystere du remede, dont je me suis servy avec tant de succés en cette rencontre, & qui m’a réüssi si heureusement en tant d’autres. J’avertis donc que je le declare de bonne foy dans un article exprés, où je parle des remedes contre les vers.

Ce que je me propose icy est de donner un Traité complet sur les vers, d’expliquer comment ils s’engendrent en nous, d’en exposer toutes les differentes especes, d’en declarer les signes, les effets, les prognostics, de marquer les meilleurs remedes contre ce mal, de faire voir que ces animaux causent, ou entretiennent dans le corps de l’homme plusieurs maladies, dans lesquelles on n’a pas coûtume de les soupçonner ; & qu’il y a des pleuresies, des phtisies, des jaunisses, &c. qui ne peuvent bien se guerir que par des remedes qui fassent rendre des vers. C’est un fait dont j’ay rapporté beaucoup d’exemples dans ce Livre. J’en pourrois citer icy un grand nombre d’autres, dont j’ay esté témoin depuis qu’il est imprimé ; & sans m’engager dans ce détail, on sçait de quelle maniere a esté guery depuis peu un Prince, dont la santé doit estre chere à tous ceux que la vertu & l’érudition, jointes à tous les agrémens de l’esprit, sont capables de toucher. Le 15. d’Octobre de l'année 1699. aprés de longues & de fréquentes veilles données à l'étude des Peres de l’Eglise, il tomba malade d’une bile répandue par tout le corps, accompagnée d’une fiévre considerable, & de grandes douleurs dans les intestins. Il negligea sa maladie jusqu’au 18. du même mois, qu’il fut contraint d’interrompre ses lectures, & de me demander par quel moyen je pourrois le rendre à ses Livres. La première chose à quoy je songeay fut de recourir à une eau, qu’Hippocrate, au[7] troisiéme Livre des maladies, recommande dans les occasions où il est besoin de déboucher & de rafraîchir[8], que Luc Tozzi dans ses Commentaires sur les Aphorismes de cet Auteur, regarde avec raison comme le meilleur de tous les secours contre toutes sortes d’épanchemens de bile de quelque nature qu’ils soient. Cette eau s’appelle ex albo albi, & est en effet si efficace contre la jaunisse, pourvû qu’on en use pendant quelques jours, que je ne crois pas, aprés l’experience que j’en ay depuis long-temps, qu’il y ait de remede plus infaillible. Quelques jours ensuite je vins à la purgation, mais la douleur des intestins continuant toûjours, je ne doutay point que ce que j’avois plusieurs fois remarqué dans ces sortes de maladies, ne se trouvât dans celle ci. Je veux dire, qu’il n’y eût des vers. J’en fis mon prognostic, & l’événement le justifia ; car ayant donné contre les vers, il est sortit plus de trente. Les uns étoient vivans, les autres morts ; les uns jaunes, les autres rouges, & les autres livides. J’en pris deux, que je mis dans un microscope, où je m’apperçûs qu’ils jetterent une liqueur blanche comme du lait, qui estoit sans doute le chyle dont ils s’estoient remplis. Ces vers ne furent pas plûtôt sortis que les douleurs des intestins cesserent. Le mal diminua ensuite de jour en jour ; & bientôt les fatigues d’une longue & celebre action publique, soûtenuës avec autant de force que d’éclat, furent les marques d’une parfaite guérison.

Je ne me borne pas dans cet Ouvrage aux vers des intestins, je parle de tous ceux ausquels les differentes parties du corps sont sujettes. J’ay soin d’éviter toutes les fables qu’on a coûtume de débiter sur cette matiere, & de ne rien rapporter qui ne soit digne de la créance des Lecteurs éclairez ; car, pour le remarquer en passant, on fait tous les jours sur les vers cent Histoires differentes, qui, examinées de prés, se trouvent tres-éloignées de la verité. J’en ay vû bien des exemples : En voicy un entr’autres, dont j’ay esté témoin il n’y a pas long-temps, & qu’il ne sera pas inutile de rapporter. Dans la ruë S. Denis, proche l’Eglise de Sainte Opportune, chez M. Perdrigeon, Marchand de Tapisserie, étoit une petite fille malade, que l’on croyoit qui avoit des vers. Cette petite fille, une heure aprés avoir rendu un lavement, fut portée auprés du feu. On ne l’y eut pas laissée un moment debout, qu’on vit à ses pieds un insecte assez extraordinaire, qui se traînoit sur le plancher. Il n’en fallut pas davantage, pour faire croire que cette petite fille venoit de le rendre, & que c’étoit un effet du remede. On appella du monde, on considera cet animal, que l’on trouva assez semblable à un écrevisse. Aussitôt tout le voisinage de dire qu’il étoit sorti une écrevisse du corps d’une petite fille. L’Apoticaire, qui avoit composé le lavement, m’avertit sur l’heure : je me disposois à aller chez les parens de l’enfant, pour sçavoir la vérité du fait, quand j’appris qu’on avoit jetté l’insecte dans le feu. Cela fut cause que je remis à m’informer de la chose à loisir. Quelques Semaines aprés (c’étoit le 30. de Juillet de l’année 1699.) je fus voir les parens, lesquels me dirent qu’ils avoient découvert depuis peu de jours dans du bois, qu’ils tenoient à la cave des bêtes toutes semblables à celle-là, & que lorsque cet animal fut trouvé dans la Chambre, on venoit d’y apporter du bois de la cave, pour faire du feu. Cela ne me laissa pas balancer sur ce qu’il falloit juger du bruit qui s’étoit répandu ; d’autant plus que de la maniere, dont on m’avoit déjà dépeint cet insecte, il m’avoit paru estre de ceux qu’on trouve souvent parmy le bois, lesquels ont deux cornes à la tête, deux picquans à la queuë, quatre pattes, assez grosses, & un corps écaillé.

Je ne me contente pas d’éviter les histoires suspectes. Mais comme je décris icy plusieurs remedes, je prends garde de n’en rapporter aucun de douteux, & que je n’aye éprouvé. Enfin je tâche de n’assûrer rien sans l’avoir bien examiné auparavant, & j’estime avec Pline le Jeune, qu’on ne sçauroit être trop exact quand il s’agit de donner quelque chose au Public[9]. Pour être plus en état d’observer cette exactitude dans tout ce qui concerne ce Livre, j’ay tâché de ne m’entester d’aucune opinion, & j’ay crû que je devois beaucoup me regler sur ce que dit Galien : « Que de son temps la Medecine ne pouvoit encore être montée à sa perfection, parce qu’elle n’y peut arriver que par un grand nombre d’observations faites de Siecle en Siecle. Que ceux qui sont venus les premiers n’ont pû tout ensemble, & commencer & achever ; & que c’est à la posterité d’accroître par de nouvelles découvertes le fonds de ses Peres[10]. »

Dans la page 37. j’ay dit, en parlant de la cochenille, que l’arbre où elle vient, nourrit en même tems dans cette coque de petits vermisseaux. Quelques personnes trouveront peut-être à redire que j’aye appelle la cochenille une coque, au lieu de l’appeller une graine, & m’accuseront d’avoir manqué en cela à cette même exactitude que je recherche ; mais j’avertis que ceux qui prennent la cochenille pour une graine se trompent, c’est une coque formée du suc de la plante par la piqueure d’un ver, comme il arrive au Kermes ; surquoy il ne sera pas inutile de remarquer qu’un ver de pareille nature, en piquant les feüilles de chesne, & s’enfermant dans le suc qui en sort, donne occasion aux fausses noix de galle qu’on y trouve : que ce qu’on appelle pommes de chesne se forme aussi du suc que jettent les petites branches, que des vers ont piquées : que la même chose produit le Bedeguar Arabum, ou l’éponge de l’Eglantier, & cette excrescence, qui vient aux chardons parmy les avoines, & qu’on porte sur soy comme un remede contre les hemorrhoides. Que le lierre terrestre est souvent chargé de tubercules semblables, dans lesquels, comme dans tous les précedens, on trouve des vers, ou les trous par lesquels ils sont sortis, quand l’endroit piqué, lequel se cicatrise à la fin, ne fournit plus à ces vers le suc qu’ils tiroient.

A la page 137. je n’ay pû m’empêcher de dire un mot sur l’abus que certaines gens font de la Doctrine des Acides & des Alcalis. Comme quelques-uns pourroient conclure de-là, quoique sans fondement, que je me déclare contre ce systeme ; ce qui me marqueroit pas que j’eusse autant d’envie que je le dis d’écrire sans préoccupation. J’avertis icy que ceux qui liront cet endroit avec attention, verront que je n’en veux qu’à certains demi-Sçavans, qui sans sçavoir ce que c’est que le systeme des Acides & des Alcalis, l’un des plus beaux & des plus certains de la Physique, quand il est bien entendu, l’appliquent à tout sans examen.

J’ay dit à la page 140. une chose qui pourroit donner occasion à quelques Lecteurs préoccupez, de croire que j’ay cherché à décrier la saignée. Pour ne rien omettre de tout ce que l’exactitude peut demander de moy, je suis bien aise de declarer que mon dessein n’est nullement de condamner ce remede, & que je le regarde au contraire comme un des meilleurs de la Medecine, pourveu qu’il soit ménagé avec la prudence & la sagesse que demande Galien. Car il ne faut pas s’imaginer que cet Auteur ait là dessus donné dans l’excès dont l’accusent si injustement ses ennemis. Et aprés ce qu’il dit sur ce sujet en tant d’endroits de ses Livres ; comme par exemple[11], 1. Qu’il ne faut saigner ni les enfans, ni les vieillards, quelque grandes maladies qu’ils ayent, etiamsi validis laborent ægritudinibus. 2[12]. Que si un enfant est attaqué d’une fiévre synoque putride avant l’âge de quatorze ans, la saignée ne luy convient pas ; que si c’est aprés, on doit examiner si son corps est maigre, ferme, d’une chair dure, & s’il abonde en sang ; qu’en cas que cela ne soit pas, il ne faut point non plus luy tirer de sang. 3. Que si celuy que l’on veut saigner a passé trente ans, mais qu’il ait le corps mol, flasque, gras & blanc, avec les vaisseaux petits, il est à propos de ne le point saigner, ou de le saigner tres-peu ; & que si c’est en Esté, on doit bien s’en donner de garde. 4. Que[13] ni la putrefaction des humeurs, ni les obstructions, ne se guérissent point par la saignée. 5. Que[14] lorsque le bon sang est en petite quantité, il faut s’abstenir de la saignée. 6[15]. Que l’effet de ce remede est quelquefois d’oster la couleur, d’affoiblir les forces, & d’empêcher qu’on ne puisse se rétablir. 7[16]. Que dans les Pays fort chauds la saignée est dangereuse, & ne convient pas même aux pleurétiques[17]. Que dans les Pays trop froids, il faut s’en abstenir encore. 8[18]. Que les Médecins ont presque toujours tué leurs malades, lorsque sans avoir aucun égard aux changemens des temps & des saisons, ils les ont saignez. 9[19]. Que dans une pestilence, qui courut de son tems, laquelle étoit causée par le vice des alimens, la plûpart de ceux qui furent saignez moururent. Aprés, dis-je, tous ces avertissemens, il me semble qu’on ne peut gueres accuser Galien d’avoir donné aveuglément dans la saignée.

Il y a dans les Livres de cet Auteur plusieurs autres endroits, qui le justifient entierement de tous les reproches qu’on luy fait sur cet article, mais ce n’est pas icy le lieu de les rapporter.

J’ay un scrupule sur le mot d’Aphorismes, qu’on verra au titre du dernier Chapitre de ce Traité. J’apprehende qu’on ne me trouve trop hardi d’avoir employé pour mon compte un terme qui semble appartenir uniquement à l’un des plus excellens Livres que nous ayions. J’avertis donc que si je m’en suis servy, ce n’est point pour me mettre à côté d’Hippocrate, mais parce que ce terme m’a paru mieux convenir qu’un autre à des maximes qui regardent la Medecine. Parmy ces maximes il y en a quelques-unes que je voulois retrancher comme assez connuës : je les ay laissées néanmoins à cause que j’ay crû qu’en les mêlant avec les autres, c’étoit donner lieu aux Lecteurs d’y faire plus d’attention. En effet, il arrive souvent que ce qu’on sçait, demeure inutile faute d’y refléchir ; en sorte qu’il n’est pas moins à propos quelquefois d’être averty de ce que l’on connoît déjà, que d’être instruit de ce qu’on ignore.

Ce Traité comprend douze Chapitres, qu’il est bon de lire de suite, parce qu’ils ont tous liaison les uns avec les autres. Dans le premier, j’expose ce que c’est que ver, & ce qu’on entend par ce mot. Dans le second, comment ces animaux s’engendrent en nous. J’en examine les especes dans le troisiéme, & les effets dans le quatriéme. Au cinquiéme, on trouve tous les signes de cette maladie ; & au sixiéme, les moyens de s’en garantir. Le septiéme, contient les circonstances qui sont à considerer dans la sortie de ces insectes, & les prognostics qu’on en peut tirer. Le huitiéme, est sur le danger de certains remedes ordinaires contre les vers, & qu’il faut éviter avec soin. Dans le neuviéme, on voit ce qu’il est à propos de pratiquer, pour les faire sortir, de quelque nature qu’ils soient. Le dixiéme, renferme les précautions qu’on doit observer quand on fait des remedes contre les vers. Je traite dans le onziéme de certains vers, nommez Spermatiques, desquels il est vrai-semblable que sont formez tous les animaux. Le douziéme, consiste en quelques Aphorismes, qui sont comme une récapitulation de l’Ouvrage, & qui y servent, en même tems de Supplément & d’Eclaircissement.

Voilà tout ce que c’est que ce Livre. Le Volume en paroîtra peut-être un peu gros, mais l’Ouvrage n’en est pas plus long pour cela ; car je ne m’y éloigne point de la matière que je traite. Or je crois que quand on se renferme dans son sujet, on n’est jamais long. C’est la remarque de Pline le jeune à la fin d’une Lettre[20], où il employe plusieurs pages à décrire sa maison de Campagne. « Pourveu, dit-il à son amy, que la description, que je viens de vous faire, ne contienne rien qui soit hors de mon sujet, ce n’est pas ma Lettre que vous devez trouver grande, c’est ma maison. » J’en dis autant de ce Livre : Pourveu que je n’y aye rien amené d’étranger, & que tout ce qui y est, convienne à ce que je me suis proposé d’écrire ; ce n’est point mon Traité qu’on doit accuser de longueur, c’est la matiere que je traite.



  1. Neminem nomino, quare irasci mihi nemo poterit, nisi qui antè de se voluerit confiteri. Cicer. Pro lege Manilia.
  2. Platerus duo Tæniæ intestinorum genera constituit, unum quod rectiùs Tænia intestinorum quàm lumbricus latus appelletur, cum nec vivat, nec loco moveatur, uti lumbricus. Sennert. lib. 3 p. 2. cap. 5.
  3. Ego lumbricum hunc exsiccatum inter rara meca reservo. Cent. 2. observ. 70.
  4. Sapientibus & insipientibus debitor sunt. Paul. Rom. Cap. I. v. 14.
  5. Turrigeros Elephantorum miramur humeros, Taurorumque colla, & truces in sublime jactus Tigrium rapinas, Leonum jubas, cum rerum natura nusquàm magis quam in minimis tota sit. Qua propter quæso ne hæc legentes, quoniam ex his spernunt multa, etiam relata fastidio damnent, cum in contemplatione naturæ nihil possit videri supervacuum. Plin. hist. nat. lib. II. cap. 2.
  6. Spigelius de lumb. lato.
  7. Ὠ ῶν τὸ λευκὸν τριῶν ἢ τεσσάρων κατακυκῶν ἐν ὕδατος χοῒ πινέτω· τοῦτο δὲ ψύχει σφόδρα, καὶ τὴν κοιλίην ὑπάγειν τὸν νοσέοντα προσκατακυκᾷ. Ἱπποκρ. περὶ νουσων. γ
  8. Hæc autem manè & vesperè, jejuno stomacho ad uncias quatuor pluries exhibita mirùm quàm tutò feliciterque icterum quemcumquè sanet, etiàm ubi cœtera non profecerint, quod sane millies expertum. Lucæ Tozzi Neapolit. in Hippoc. Aphor. comment. lib. 4. Aph. 62. in fine.
  9. Nihil curæ meæ satis est, cogito quàm sit magnum dare aliquid in manus hominum. Plin. lib. 7, Epist. 126.
  10. Et si nemo nostrum sufficiat ad Artem simul constituendam, & absolvendam, satis tamen videri debet, si quæ multorum annorum spatio priores invenerint, posteri accipientes, atque his addentes aliquid, illam aliquando compleant atque perficiant. Galen. in Commentario. Aphor.
  11. Galen. comm. 4. de rat. vict. 19. & 8. meth. cap. 4. de curandis febribus sermone habens, Ait, at siquidem vel puer, vel senex sit sanguinem detrahere non licet. Idem repetit 1. de art. curat. ad Glauc. c. 14. libr. de cur. rat. per sang. miss. cap. 6. 9. & 13.
  12. 11. Meth. cap. 14.
  13. Ibid.
  14. Galen. 4. de san. tuend. cap. 4.
  15. 12. meth. c. 1.
  16. 3. Epidem. & 15. meth. cap. 8. ubi id speciatim de Româ refert.
  17. 1. De arte cur. ad. Glauc. cap. 14.
  18. Ibid.
  19. Lib. de cibis boni & mali succi.
  20. Sciat scriptor, si materiæ immoretur non esse longum, longissimum si aliquid accersit, atque attrahit… similiter nos quum totam villam oculis tuis subjicere conamur, si nihil inductum & quasi devium loquimur, non Epistola quæ describit, sed villa quæ describitur magna est. Plin. Jun. lib. 5. Ep. 101. in fine.