De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 06

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Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome IIp. 397-420).


CHAPITRE SIXIÉME.

Des Moyens de se garantir des Vers.



On ne peut être préservé des Vers après sa mort ; & celui qui meurt au milieu de l’abondance, plein de force & de richesses, dont le corps est rempli du meilleur suc[1], & dont les os sont comme pénétrés de la moëlle qui les a nourris[2], sera mangé de ces Insectes dans le tombeau, comme le plus malheureux & le plus pauvre. Tout ce que l’homme peut prétendre, est de s’en garantir pendant sa vie ; c’est de quoi nous allons tâcher de donner quelques moyens.

Trois choses nous rendent sujets aux Vers ; le mauvais air, les mauvais alimens, & le mauvais usage des bons ; c’est-à-dire, que pour se préserver des Vers, il faut respirer un bon air, éviter certains alimens, & user avec règle de ceux qui conviennent.

La qualité que l’air doit avoir par rapport à ce que nous nous proposons ici, c’est d’être pur & subtil : un air de cette sorte est moins rempli de semences de Vers ; il réveille la chaleur naturelle, favorise le cours du sang, empêche les humeurs de se corrompre par le repos, & ôte aux semences vermineuses, qui sont dans le corps, ce qui pourroit faire éclorre les Vers qu’elles renferment. L’air épais & impur au contraire, outre qu’il est tout chargé de semences de Vers, corrompt les humeurs en les arrêtant par sa grossiereté, & en les altérant par son impureté ; & ainsi prépare aux Vers, dont il introduit, ou dont il rencontre déja dans le corps les semences, toute la matière nécessaire à leur nourriture & à leur accroissement.

Les alimens qu’il faut éviter, pour se garantir des Vers, sont les laitages, excepté le beurre ; ce sont les choses sucrées, les viandes vinaigrées, le cidre, les pignons, les melons, les champignons, &c. Je dis les viandes vinaigrées, rien ne réveillant plus les Vers que le vinaigre, ainsi que l’expérience le fait voir, d’ailleurs cette liqueur étant elle-même toute pleine de ces Animaux, ne peut qu’introduire dans le corps une grande quantité de Vers, & de semences à Vers. Qu’elle soit remplie de Vers, c’est un fait dont tout le monde se peut convaincre par ses yeux : Et puisque nous en sommes là-dessus, il ne sera pas inutile de rapporter tout ce qui s’observe à ce sujet dans le vinaigre par le moyen du microscope. La première chose est, qu’il y a dans le vinaigre un très-grand nombre de Vers faits comme des Anguilles, dont les uns sont vivans, & les autres morts ; que les premiers vont & viennent, ainsi que des Poissons, & que les autres demeurent au fond, où ils se corrompent peu à peu, & où ils forment comme une légére fange, d’où naissent ensuite d’autres Vers. La seconde, que plus le vinaigre est fort, & plus on y remarque de Vers. La troisiéme, que quand le vinaigre est dans le tonneau, il y a plus de Vers vivans, & que quand il est en bouteilles, il y en a plus de morts. La quatriéme, que si on passe le vinaigre par un couloir, on n’y remarque de trois jours aucun Ver, après quoi il en vient d’autres. La cinquiéme, qu’un gros de Thériaque, jetté dans deux pintes de vinaigre, en tue tous les Vers. La sixiéme, que si après avoir mêlé cette Thériaque dans le vinaigre, on laisse pendant un mois au Soleil ce mélange dans un vaisseau bien bouché, ayant soin d’agiter le vaisseau de temps en temps, & qu’au bout du mois on filtre la liqueur, en aura un vinaigre exempt de Vers pour toujours, & un excellent antidote contre la peste & contre les fiévres malignes. La septiéme, que l’on observe plus de Vers dans le vinaigre rosat, que dans aucun autre : toutes expériences que chacun peut faire, & dont on peut tirer bien des conséquences utiles pour sa santé.

Quoiqu’il faille éviter le vinaigre quand on veut se garantir des Vers, il ne s’ensuit pas que toutes les choses aigres doivent être évitées dans ce dessein ; l’esprit de nitre, par exemple, l’esprit de souffre, l’esprit de sel dulcifié, sont bons contre les Vers, aussi bien que le jus de citron & de grenade. Nous avons un grand nombre d’exemples de personnes que l’usage de certaines choses aigres a rendu sujettes aux Vers ; & Spigelius raconte qu’ayant été appellé, pour voir cette Dame Allemande[3], dont nous avons parlé dans le Tome I. laquelle rendit un morceau de Ver plat, qui fit tant de mouvemens, & l’ayant interrogée sur l’état où elle s’étoit trouvée auparavant, & sur sa maniere de vivre, il apprit d’elle qu’étant fille, elle étoit fort sujette aux Vers ronds ; qu’alors elle mangeoit souvent du lait caillé, aimoit sur-tout le lait aigre, & tous les alimens aigres.

La plûpart des aigres engendrent des Vers, & si on l’observe bien, on verra que tous les enfans, qui ont des Vers, ont l’haleine aigre.

Quant aux pignons, dont on assaisonne la plupart des viandes en plusieurs Provinces, ils engraissent, sont une bonne nourriture, conviennent dans la phthisie, dans la strangurie, dans l’âcreté de l’urine ; mais cependant sont plus propres qu’aucunes choses à nourrir certaines sortes de Vers ; l’expérience l’a fait voir, & je pourrois en citer plusieurs exemples. Panarolus en rapporte un, assez digne de remarque. En 1652. à Rome au mois de Mars, une Religieuse Capucine, qui avoit été sujette à des syncopes & à plusieurs autres maladies, rendit par la bouche un Ver vivant, qui avoit deux cornes comme un Limaçon, & six pieds ; il étoit rond & long, ne passant pas néanmoins la longueur de deux doigts. Panarolus voulut voir ce qui seroit contraire à ce Ver, & fit, dans ce dessein plusieurs essais, qui méritent bien d’être rapportés. Il chercha d’abord comment il le pourroit nourrir ; il s’avisa de lui donner des pignons, ce qui réussit si bien, qu’avec cela il le fit vivre treize jours ; pendant ce temps-là il recourut à divers remedes pour le tuer : il commença par la thériaque seule, puis la mêla dans du vin, ensuite dans du vinaigre ; il vint après cela à l’oignon, à l’ail, à l’eau thériacale, à l’esprit de vitriol mêlé dans l’eau de chardon bénit, au mercure, au sel ; mais tous ces remedes furent inutiles, & le Ver mangeoit toujours les pignons. Douze jours se passerent ainsi, & le treiziéme une Dame de qualité pria Panarolus[4] d’éprouver d’une huile qu’elle avoit, qu’elle disoit être extrêmement bonne contre les Vers. Panarolus en fit l’expérience le même jour, & la seule odeur de cette huile tua le Ver. C’étoit une huile qui sentoit la thériaque, & qui s’évaporoit aisément : ce qui fit juger à Panarolus que ce pouvoit être quelque extrait de thériaque bien préparé ; quoi qu’il en soit, cette huile fit mourir le Ver, & les pignons le conserverent vivant contre tous les autres remedes.

Pour les melons, l’expérience ne confirme que trop ce que dit Cardan, que c’est un fruit qui produit beaucoup de corruption, & qui renferme ensemble toutes les mauvaises qualités qui se trouvent séparément dans les autres : un fruit qui nuit à l’estomac, au foie, à la rate, aux intestins, aux poumons, aux reins, à la vessie : un fruit qui remplit le corps de venin, cause des fiévres pestilentielles ; qui ne s’associe bien avec aucun breuvage ; qui avec le vin, engendre des humeurs pernicieuses, produit des phlegmons, & plusieurs autres maladies : qui avec l’eau, cause des lienteries, & d’autres flux de ventre dangereux. Je voudrois pour la santé publique, dit Panarolus, que les Magistrats interdisissent l’entrée de ces fruits dans les Villes ; car quelle plus grande peste, dit-il, a-t’on à craindre que celle de ces sortes de fruits, qui font mourir tous les ans plusieurs milliers d’hommes ? Ce que souhaitoit ce Médecin, se pratique en partie aujourd’hui à Paris. Le sage Magistrat, par les ordres duquel la Police y est si bien entretenue, voulant prévenir les maladies qui pourroient courir parmi le peuple, a soin tous les ans de défendre l’entrée des melons passé le mois de Septembre, qui est le temps après lequel ils sont plus dangereux. Les melons ne sont point sujets à être mangés des Vers, mais ils ne laissent pas d’en produire beaucoup dans le corps par les crudités qu’ils y causent.

Au regard des Champignons, c’est une regle générale qu’ils sont très-indigestes ; or, tout ce qui est indigeste, à moins qu’il ne le soit par sa dureté, comme les noyaux de cerise & les pepins de raisins, fait beaucoup de corruption, & par conséquent doit être évité quand on craint les Vers.

Les Champignons font un sang grossier & épais, forment des obstructions, demeurent long temps dans l’estomac, & empêchent la digestion des autres alimens par un mauvais suc qu’ils rendent, & dont l’estomac est toujours fatigué ; quelquefois même ils restent plusieurs jours dans l’estomac sans se digérer, & alors ils peuvent produire des maladies très-dangereuses. J’en ai vu, il y a quelques années, un triste exemple en la personne d’un Auditeur des Comptes, nommé M. Bonnet de Cuviers, lequel mourut subitement en revenant de la Foire S. Laurent, vers la fin de Septembre de l’année 1699. Il passoit en son Carosse, à neuf heures du soir, dans la rue Briboucher, pour s’en retourner au Faubourg S. Germain, où il demeuroit. Comme il étoit à l’entrée de la rue, il fut saisi d’un assoupissement profond, qui fit croire d’abord à deux de ses amis, qui étoient avec lui, qu’il faisoit semblant de dormir ; mais ces Mrs ayant peu après reconnu que leur ami se trouvoit mal, firent arrêter le Carosse au bout de la rue, devant la boutique d’un Chirurgien, nommé M. Dupati : on prit le Malade qui n’avoit plus de force, ni de connoissance, on le transporta chez le Chirurgien, qui lui donna aussi-tôt l’émétique, lequel ne fit nul effet, parce que la gorge étoit tellement engagée, qu’il ne put passer. Je fus appellé sur ces entre-faites ; je fis d’abord saigner le Malade ; le sang sortit fort épais, se figeant dans les palettes en même temps qu’il y tomboit. Quand la saignée fut faite, le Malade s’agita beaucoup, & je m’appercus d’un effort qu’il fit, pour rejetter quelque chose du fond de l’estomac ; aussi-tôt je pris une serviette, que je trouvai sous ma main, & la lui présentant à la bouche, je reçus dedans, un quartier de champignon ; je demandai d’abord s’il n’avoit point mangé de champignons ce jour-là, & ses amis me dirent, qu’il y avoit trois jours qu’il en avoit mangé dans un ragoût, qu’au reste il n’avoit fait aucun excès ; ses laquais, que j’interrogeai, me répondirent la même chose. Enfin après bien des agitations, on manda M. de Fresquieres, qui étoit son Médecin, lequel fit réitérer la saignée. Mais tous ces secours furent inutiles ; la connoissance ne revint point au Malade, & il mourut sur les dix heures du soir chez le Chirurgien.

Il est difficile de ne pas juger que les champignons furent la cause de cet accident ; puisque le Malade en rendit un morceau qui s’étoit conservé trois jours dans son estomac sans s’y digérer. Je ne prétends pas conclure de-là, que tous ceux qui mangent des champignons ayent à craindre un si triste sort ; mais du moins on peut connoître par cet exemple, combien cette nourriture est indigeste, & par conséquent capable de cette corruption qui peut donner lieu à la génération des Vers. On trouve dans les Journaux de Bartholin[5], une histoire presque semblable, d’un homme, qui après avoir mangé des champignons à son souper, tomba en apopléxie, mais qu’on fit revenir heureusement en lui brûlant du souphre sous le nez. On en trouve un autre dans Pierre Gontier[6], au sujet d’un neveu qu’il avoit, lequel pensa périr au milieu de la nuit, d’un étranglement qui lui prit pour avoir mangé des champignons le soir.

Les truffes ne sont pas moins dangereuses que les champignons, & l’on peut voir là-dessus le Chapitre IV. de ce Traité, Observation huitiéme.

Il n’est pas toûjours en notre pouvoir de nous garantir des Vers ; ces Animaux se forment souvent en nous, dans un âge, où l’on est incapable de veiller à ce qui nous peut nuire. C’est aux meres & aux nourrices d’avoir ce soin pour leurs enfans, & de prendre garde de ne leur rien donner qui puisse produire en eux de la corruption. Ce qui fait que la plûpart des enfans sont sujets aux Vers, c’est le lait trop vieux qu’on leur présente dès qu’ils sont nés, & la bouillie dont on les nourrit trop tôt. Le premier lait, que doivent succer les enfans, est celui qui se trouve aux mammelles des nouvelles accouchées, c’est un lait purgatif qui délivre l’enfant de toutes ses humeurs superflues, & qui ne chargeant point l’estomac, n’y cause point ces crudités, qu’un lait plus vieux & plus nourrissant, ne manque jamais d’y produire. On a recours, dit Spigelius[7], à des médicamens pour purger les enfans nouveau nés, & l’on néglige la meilleure de toutes les médecines, qui est le lait que la nature prépare dans les mammelles des nouvelles accouchées. Ce lait est un aliment médicamenteux proportionné à la foiblesse des enfans nouveaux nés, & qui devenant tous les jours moins purgatif, ne devient nourriture qu’autant que l’estomac a la force de le digérer, d’où il arrive que le ventricule n’est point surchargé, & qu’il est exempt de ces crudités, qui tombent dans les intestins, & y font éclorre des Vers.

Quant à la bouillie, cette nourriture grossiére, donnée aux enfans avant qu’ils ayent atteint le troisiéme ou le quatriéme mois, cause beaucoup de crudités en eux, surtout lorsque la farine, dont on la fait, n’a pas été cuite dans le four ; car alors la bouillie en est plus pesante & plus indigeste : ce qui la rend propre à la génération des Vers. La farine qu’on destine à la bouillie des petits enfans, doit être mise au four dans une terrine après que le pain en est tiré, & être alors remuée de temps en temps pour qu’elle cuise également. Quoique la bouillie faite de cette farine soit fort légére, il est bon néanmoins de n’en donner aux enfans qu’une ou deux fois par jour, & encore faut-il que les Nourrices ayent soin de les faire tetter peu après ; afin que cette même bouillie soit délayée par le lait, & se digère plus facilement.

Ce n’est pas assez de prendre de bons alimens, pour se préserver des Vers ; il faut observer de certaines regles dans l’usage qu’on en fait. Cet usage consiste en trois choses ; la premiére, à manger dans un temps qui soit favorable à la digestion ; la seconde, à observer dans les viandes un ordre, qui ne puisse point troubler la coction qui s’en doit faire ; car tout dépend de la bonne digestion, les crudités faisant presque toute la corruption, qui rend nos corps sujets aux Vers ; & la troisiéme à ne point trop manger, ou trop boire à chaque repas ; ce qui empêcheroit encore plus la digestion que toutes les autres fautes qu’on pourroit commettre ; à quoi je puis ajoûter pour quatriéme précaution, de ne point manger trop de viande.

Pour le temps, il y a trois choses à observer ; la premiere, c’est l’appétit, j’entends un appétit sain & non malade ; un appétit qui vient du besoin de la nature, & qui fait que les viandes se mangent avec plus de goût, qu’elles sont plus étroitement retenues dans l’estomac, & qu’elles s’y digérent plus parfaitement : ce qui fait dire à Hippocrate, que lorsque l’appétit nous invite à une chose, il la faut préférer à toute autre[8], quand même elle ne seroit pas d’une si bonne qualité, parce qu’en effet cet appétit fait qu’elle se digère mieux.

La seconde, est la coction des alimens du dernier repas qu’on a fait ; car il ne faut jamais se mettre à manger qu’on n’ait lieu de croire que ces premières viandes sont digerées ; autrement la coction est troublée, il se fait des crudités, & tout le corps se remplit d’humeurs corrompues propres à nourrir des Vers. Aussi voyons-nous par expérience, que ceux qui mangent à toute heure, sans observer aucun temps, sont plus sujets aux Vers que les autres.

La troisiéme, est d’avoir l’estomac dégagé avant que de manger ; car s’il est plein d’humeurs corrompues, les viandes, au lieu de s’y bien digérer, y contracteront le vice de ces humeurs : ce qui a fait dire à Hippocrate, que plus on nourrit un corps impur, & plus on l’endommage[9]. Le moyen de chasser cette corruption, ou de la prévenir, est de prendre quelquefois avant le repas un peu de casse, ou quelque autre chose d’équivalent, pour vuider l’estomac.

Pour ce qui regarde l’ordre des viandes, il faut commencer par les plus faciles à digérer ; parce que celles-ci n’étant point retenues par d’autres d’une digestion plus lente, sortent de l’estomac aussi-tôt qu’elles sont digérées, & ne s’y corrompent pas comme elles feroient si elles y séjournoient après la coction faite. Ainsi les choses molles se doivent prendre ordinairement avant les dures, les humides avant les séches, les liquides avant les solides, celles d’une qualité chaude avant celles d’une qualité froide, prenant garde toutefois de ne point trop donner dans la variété des mets ; cette diversité de viandes, qui fait la douceur des repas, ne produisant que la corruption[10] & les Vers.

J’ajoûterai ici qu’il est bon de se tenir en repos quelque temps après le repas, parce que le prompt exercice, après qu’on a mangé, cause beaucoup de crudités, & par conséquent beaucoup de corruption.

La digestion ne se fait pas toute dans l’estomac, elle se perfectionne encore dans les intestins gresles, & cela par le moyen de la bile, qui y vient par le conduit & par le pore biliaire ; en sorte que lorsque le foie, ou que le conduit dont nous venons de parler, ne sont point obstrués, cette bile entrant dans le duodenum, & de-là dans le reste des intestins, y acheve l’ouvrage de la digestion, & empêche par ce moyen, qu’il ne s’y fasse de la corruption. Il s’ensuit de-là, que c’est une bonne précaution, pour se garantir des Vers, de prendre de temps en temps des choses qui puissent prévenir, ou corriger les obstructions du foie.

On demandera peut-être comment il se peut faire que certaines choses soient meilleures au foie qu’aux autres viscéres ; & si c’est qu’elles ayent de l’intelligence, pour s’attacher au foie plûtôt qu’aux poumons ou ailleurs ?

Cette raillerie, qu’on fait sur la vertu de certains remedes, est mal fondée, & voici une expérience qui montre comment les remedes, sans avoir une intelligence qui les conduise, vont porter leur effet à une partie plûtôt qu’à une autre.

Que l’on jette de l’eau-forte sur un composé d’or & d’argent, cette eau-forte s’attachera à l’argent, le dissoudra, & coulera sur l’or sans y faire impression. Jettez de l’eau regale sur ce même composé, cette eau ira porter son action sur l’or & ne touchera point à l’argent ; d’où vient cette différence ? Est-ce que ces eaux ont de l’instinct, pour aller dissoudre, l’une l’argent plûtôt que l’or, & l’autre l’or plûtôt que l’argent ? non sans doute : mais c’est que les parties insensibles de ces eaux sont de différentes figures, & les pores de ces corps aussi ; en-sorte que lorsque l’eau-forte, par exemple, trouve un corps comme l’or, dont les pores ne sont pas proportionnés à la figure de ses pointes, elle coule dessus sans y faire d’impression, & si-tôt qu’elle en trouve un, dont les pores sont figurés d’une maniere propre à recevoir ses pointes, comme est l’argent, elle s’insinue dedans, & en sépare les parties. Il faut raisonner ainsi de l’action des remedes sur des parties du corps, plûtôt que sur d’autres. Et pour mettre la chose dans un plus grand jour, imaginons un corps artificiel, fait de verre, dont les poûmons soient d’or & le foie de fer. Supposons dans les vaisseaux de ce corps, de l’eau-forte au lieu de sang, ne conçoit-on pas que cette liqueur, étant portée aux poûmons, n’y mordra point ; & que si-tôt qu’elle rencontrera le foie, elle s’y attachera, & agira dessus ? Imaginons encore la chose autrement. Supposons les poûmons de verre, & le foie d’or, & en même temps les conduits de ce dernier embarrassés de petites parties de fer difficiles à ôter, comment s’y prendre, pour lever les obstacles que ces parties de fer feront dans le foie ? C’est de jetter de l’eau-forte dans ce corps artificiel ; car alors nous concevons que cette eau, sans endommager les poûmons, (ausquels je suppose qu’elle sera portée par une circulation qu’on peut imaginer) & sans endommager la substance du foie, dissoudra les parties de fer qui seront dans ce dernier viscére, & en rendra les passages libres. Voilà une image de ce qui se passe dans le corps animé, lorsque les remedes agissent sur certaines parties plûtôt que sur d’autres.

Si ces exemples ne suffisent pas, pour faire comprendre la chose, en voici un plus clair, rapporté par M. Tournefort dans cette sçavante These, qu’il fit soûtenir le 14. de Novembre de l’année 1697. dans les Ecoles de Médecine de Paris.

Prenez deux couloirs de papier gris, dont l’un soit imbibé d’huile & l’autre d’eau ; versez dans chacun, de l’eau & de l’huile mêlés ensemble, l’eau seule coulera au-travers de celui qui sera[11] pénétré d’eau, & l’huile seule au-travers de l’autre. Supposons que ces couloirs communiquent ensemble par plusieurs tuyaux, qui portent à l’un, le résidu de l’autre, n’est-il pas vrai que toute l’huile contenue dans le couloir abreuvé d’eau, passera au-travers du couloir abreuvé d’huile, & que toute l’eau contenue dans le couloir imbibé d’huile, passera à travers le couloir imbibé d’eau. C’est ainsi qu’il faut raisonner de l’effet des remedes qu’on préscrit, les uns pour passer à travers les reins & les nettoyer, les autres pour purger le foie, les autres pour humecter & rafraîchir les poûmons. Ces remedes sont portés à toutes les parties ; mais ils pénétrent les unes plûtôt que les autres, selon le rapport qu’ils y trouvent avec la matiere, dont ces parties sont abreuvées, ou composées.

Les excès de Venus sont une des choses les plus contraires à la bonne constitution du foie, & les plus propres à y produire des obstructions. Ces excès affoiblissent outre cela l’estomac, en dissipant la chaleur naturelle, & causent par ce moyen une corruption, qui peut produire beaucoup de Vers.

La trop grande application d’esprit, & les grands efforts d’étude, font quelquefois plus de tort à la digestion, & causent plus de corruption que les excès, dont je viens de parler, sur-tout quand on se met à des lectures longues & appliquantes, d’abord après les repas.


  1. Iste moritur robustus, dives & felix ; viscera ejus plena sunt adipe, & medullis ossa illius irrigantur : alius vero moritur in amaritudine animæ, alisque ullis opibus ; & tamen simul in pulvere dormient, & Vermes operient eos. Job Cap. 21 v. 24.
  2. Voyez Chap. xiv. Art. 1 où j’explique en quel sens on peut dire que la moelle nourrit les os.
  3. Spigel. de Lumbr. lat. Cap. 13.
  4. Panarol. Iatrolog. Pentecost. 4. Observ. 29.
  5. Thom. Barth. Tom. III. Cap. CXVI.
  6. Petr. Gont. de Cibis ab olerib. Pet. Cap. XXV.
  7. Spigel. de formato fœtu parte secundâ. Cap. 3.
  8. Aphor. 38. sect. 2.
  9. Aphor. 11. 10.
  10. Dulcedo illius Vermes. Job. 24. v. 24.
  11. Quæst. medic. an morborum curatio ad leges Mechanicæ referenda ?