De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 14

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Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome IIp. 649-710).


CHAPITRE XIV.

Eclaircissement sur divers endroits de ce Livre.



Le sujet de cet éclaircissement, est une Lettre de M. Lémeri, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, imprimée dans les Mémoires de Trévoux au mois de Novembre 1703. contre la première Edition de ce Livre. Entre les Articles que mon Censeur reprend dans le Traité qu’il attaque, les uns y sont, les autres n’y sont pas ; & les autres y sont à la vérité, mais se trouvent en même temps corrigés dans l’Errata, où il les a pu voir.

Voilà tout l’ordre que nous suivrons dans cet éclaircissement, que nous ne donnerions point cependant au Public, sans l’occasion qu’il nous va fournir d’expliquer ici des matieres, dont l’examen ne peut être qu’utile.

Les Articles que l’Auteur de la Lettre censure dans le Livre de la Génération des Vers, & qu’on y lit effectivement, sont :

Premierement, Que peu de personnes, ou saines ou malades, sont exemptes de Vers. Le Censeur dit là-dessus, qu’on devine assez mon motif, & que c’est que je veux par ce petit préliminaire, autoriser mes explications touchant les maladies, dont je parlerai dans la suite. Je n’ai rien à dire sur cela, sinon que ce Censeur oublie de remarquer qu’après avoir avancé la proposition, j’ajoute que c’est ce qu’observe Platerus, & ce que l’expérience confirme lorsqu’on ouvre des corps morts.

Secondement : Que les Vers sanguins suivent le cours du sang, c’est-à-dire, que du cœur ils sont portés par les artéres dans les chairs, d’où ils sont repris par les veines ; mais que comme il arrive quelquefois qu’ils sont trop gros, pour être reçus avec le sang dans ces mêmes veines, ils restent dans les chairs, où ils produisent des furoncles, des élevures, & souvent de ces galles universelles qui affligent tout le corps.

L’Auteur de la Lettre dit, que cette explication paroît supposer deux faussetés évidentes. La premiere, que la capacité des veines, qui est beaucoup plus grande que celle des artéres, doit, suivant cette explication, être beaucoup plus petite, puisqu’il semble que les artéres ont bien pu contenir les Vers dont il s’agit, & que les veines qui leur répondent, sont trop étroites pour les pouvoir laisser passer. La seconde, c’est que les pores des chairs qui sont effectivement très-petits, répondent néanmoins, selon moi, à la capacité des artéres ; puisqu’ils peuvent contenir aussi-bien qu’elles, les gros Vers qui en viennent, & que cependant ces pores ont en même temps une capacité plus grande que celles des veines, qui ne permettent pas le passage à ces Vers.

L’Auteur de la Lettre n’auroit sans doute pas fait une telle objection, s’il eût considéré que ces Vers, quoique fort petits, sont néanmoins des corps solides ; & qu’ainsi il peut arriver facilement que plusieurs Vers sanguins demeurent engagés dans les fibres des chairs ; en sorte que ceux qui y séjourneront assez pour y pouvoir un peu grossir par la différente nourriture qui s’y trouve, ne pourront plus être repris si facilement par les veines, & seront obligés de rester dans les chairs. Il n’est pas besoin pour cela, de supposer que les entrées des veines soient plus étroites que les extrémités des artéres ; le seul accroissement du Ver dispense de recourir à des subtilités de cette nature, & il semble même qu’on pourroit ici, assez à propos, renvoyer notre Auteur à la Fable de la Belette, pour y trouver l’éclaircissement de sa difficulté.

Il y a une réfléxion à faire sur ce que l’Auteur dit touchant les artéres & les veines. Il soûtient que les entrées des veines qui répondent aux extrémités des artéres, sont plus grosses que les extrémités de ces artéres ; & il ajoute que cela est de l’aveu de tous les Anatomistes. Il auroit bien fait de dire comment on a pu sçavoir la chose si certainement, & de quels microscopes on s’est servi pour s’en convaincre.

Troisièmement : Que la pleurésie est très-souvent causée par les Vers. L’Auteur de la Lettre fait ici une réfléxion ; c’est que dans les maladies où il y a des Vers, on n’a pas plus de raison de juger que les Vers soient la cause, que le produit de la maladie. Ce que dit là notre Auteur, se trouve vrai quelquefois ; mais quelquefois aussi il y a des signes qui déterminent le Médecin à croire l’un plutôt que l’autre ; comme par exemple lorsqu’il voit qu’en certaines rencontres, on guérit une maladie en donnant des remedes contre les Vers, & qu’on ne la guérit pas si bien, en n’en donnant pas.

Quatrièmement : Que dans les fièvres malignes, je faisois rendre un grand nombre de Vers ; après quoi je guérissois mes Malades par l’usage des cordiaux. Que je ne trouvai point de meilleur moyen pour guérir ces maladies, que de les traitter par rapport aux Vers. L’Auteur de la Lettre dit ici, que mon observation n’est pas vraie. Pour en prouver la fausseté, il commence par dire, que si l’observation étoit telle que je la rapporte, tout Médecin auroit reconnu ce grand nombre de Vers. Et ensuite pour achever sa preuve, il dit que tout Médecin ne l’a pas reconnu. On ne contestera pas, je croi, cette derniere proposition ; car quand ce ne seroit que l’Auteur de la Lettre, qui n’auroit pas reconnu ce grand nombre de Vers, ce seul exemple suffiroit pour lui faire dire vrai. Pour ce qui est du premier point, sçavoir, que tout Médecin auroit reconnu ce grand nombre de Vers ; nous laissons au Lecteur à juger de la force d’un tel raisonnement. Après tout, mon Censeur prend ici mes paroles trop à la lettre : lorsque je dis que je faisois rendre un grand nombre de Vers. Ce mot de grand nombre ne doit pas se prendre à la rigueur ; & s’il ne faut qu’avouer que j’ai un peu exagéré, je l’avouerai volontiers, pour faire voir que j’aime l’exacte vérité.

Cinquiémement : Que je soûtiens que les Vers vénériens en rongeant & mordant tout ce qu’ils trouvent, causent tous les ravages qui arrivent dans les maladies vénériennes. On peut à la rigueur mettre cet Article au rang de ceux qui ne se trouvent pas dans le Livre de la Génération des Vers. Car je dis seulement que quant aux vénériens, Mr Hartsoeker est de sentiment qu’ils causent tous les ravages qui arrivent dans les maladies vénériennes ; qu’ils rongent & qu’ils mordent tout ce qu’ils trouvent ; & que si le mercure guérit cette maladie, c’est parce qu’il tue les Vers. Après quoi, j’ajoute que j’ai vu des personnes attaquées de ces sortes de maux, se sentir très-soulagées en prenant des remedes contre les Vers ; & un jeune homme entre autres, qui pour avoir usé pendant un mois d’une ptisanne faite avec la gentiane, & s’être purgé de temps en temps avec l’aloës, qui sont de bons remedes contre les Vers, s’en trouva si bien, qu’ayant pris ensuite, pendant quinze jours des ptisannes d’esquine & de salsepareille, il n’eut besoin d’aucun autre remede, & fut parfaitement guéri[1].

L’Auteur de la Lettre dit ici trois choses. La premiere, qu’il est assez difficile de concevoir que les nodus, les exostoses, & plusieurs autres symptômes vénériens, qui dénotent naturellement un acide fort corrosif & coagulant, soient les effets des Vers. La seconde, que les douleurs produites par ces Insectes, seroient bien différentes de celles que ressentent ceux qui ont cette maladie. La troisiéme, que peut-être je n’étois pas bien sur que ce jeune homme eût une maladie vénérienne.

Quant au premier point, sçavoir, qu’il est difficile de comprendre que les nodus, les exostoses, & plusieurs autres symptômes vénériens qui dénotent un acide corrosif & coagulant, soient les effets des Vers : il paroît par ces paroles, que l’Auteur de la Lettre ne croit pas qu’on puisse dire que les Vers causent ces ravages, & dire en même temps que ces mêmes ravages viennent aussi d’un acide corrosif & coagulant. Mais en expliquant comment la pleurésie peut quelquefois être causée par des Vers ; je dis que pour le comprendre, il n’y a qu’à considérer ce que peut produire cette matiere corrompue, qui accompagne toûjours les Vers ; parce qu’il n’est pas difficile de juger qu’elle peut aisément affecter la plevre, & l’enflammer ; pourquoi tout de même ne pourra-t’on pas dire, que pour comprendre comment les Vers peuvent causer tant de ravages dans les maladies vénériennes, il n’y a qu’à considérer dequoi est capable l’humeur acide, corrosive & coagulante, qui accompagne toûjours les Vers vénériens, & qui se met quelquefois avec eux de la partie ?

Au regard du second point, qui est que les douleurs que ces Insectes produiroient, seroient bien différentes de celles que ressentent ceux qui ont des maux vénériens ; l’Auteur de la Lettre pouvoit bien juger que comme dans la pleurésie causée par des Vers, j’attribue la douleur de côté à l’inflammation que l’humeur corrompue qui accompagne toujours les Vers, produit dans la plévre ; de même aussi dans les maux vénériens, lorsqu’il y a des Vers, je puis bien attribuer une bonne partie des douleurs de cette maladie aux humeurs corrosives qui accompagnent toûjours les Vers vénériens, comme nous venons de dire.

Enfin pour ce qui est du troisiéme, sçavoir, que peut-être je n’étois pas bien sur que ce jeune homme eût un mal vénérien ; on peut répondre que peut-être aussi en étois-je sur. Mais je ne suis point entêté : j’accorderai volontiers que je n’étois pas bien sur de la chose. C’est pourquoi j’ai retranché dans cette nouvelle Edition, l’Article dont il s’agit.

Le sixiéme Article que l’Auteur de la Lettre reprend, est que les grains de la petite vérole sont remplis de Vers ; que plus il y a de Vers dans ces grains, & plus les grains marquent. Que pour les empêcher de marquer, on n’a qu’à frotter le visage d’une eau qui tue ces Vers. Que quand au commencement de la petite vérole on se baigne les pieds dans du lait chaud, toute la petite Vérole se jette sur les pieds, parce que les Vers qui sont dans les pustules, courent au lait.

L’Auteur de la Lettre ne dit rien de particulier sur ces propositions, il les taxe seulement d’affectation. Cependant la derniere pourroit bien n’être pas seulement affectée, mais fausse & insoûtenable ; d’autant plus, que selon mon sentiment même, s’il y a quelquefois des Vers dans les grains de la petite vérole, il ne s’ensuit pas que les grains de la petite vérole viennent de Vers. Ainsi mon Censeur m’épargne plus que je ne mérite.

Le septiéme, Que le Ver plat, ou le Solium, contient dans toute son étendue un amas de petits corps globuleux, qui sont de véritables œufs. Que ces œufs après être sortis du ventre du Ver, grossissent insensiblement dans l’intestin de l’homme, & sortent quelquefois en abondance avec les excrémens de ceux qui ont ce Ver.

L’Auteur de la Lettre s’applique à combattre ce sentiment, & il soûtient que cela ne s’accorde pas avec ce que je dis ailleurs, après Spigélius, de Lumbrico lato, sçavoir, que le Solium est toujours seul de son espéce dans se corps de l’homme ; & que quand il en est une fois sorti, il ne s’y rengendre plus. Pour prouver que cette opinion est fausse, il dit que si les œufs dont je parle, sont en si grand nombre, rien ne peut empêcher que quelques Vers n’éclosent de ces œufs, ou pour parler son langage, rien ne peut empêcher quelques-uns de ces œufs de s’éclore : car seroit-ce, continue-t’il, comme le prétend l’Auteur de la Génération des Vers, parce que le Ver d’où viennent ces œufs, consume lui seul tout le chyle qui leur est nécessaire pour se déveloper entièrement, mais cette raison pourroit tout au plus avoir lieu pour expliquer comment les Vers éclos, ou pour parler encore avec l’Auteur de la Lettre, comment les œufs éclos & devenus Vers ne peuvent atteindre à la grandeur de celui dont ils viennent ; mais elle ne fait point sentir pourquoi ces œufs ne se dévelopent point du tout. Car pour se déveloper, reprend-il, ils n’ont proprement besoin que de chaleur. La raison dont l’Auteur de la Lettre se sert ici pour combattre mon sentiment, se réduit donc à supposer que les œufs de ce Ver n’ont proprement besoin que de chaleur pour se déveloper entierement. Il auroit été à propos que l’Auteur n’eût pas seulement supposé la proposition, mais qu’il l’eût prouvée. Quoi qu’il en soit, quand même il seroit vrai que les Vers contenus dans ces œufs n’auroient besoin que de chaleur pour éclore, il ne seroit pas vrai pour cela, que toute chaleur y fût propre. Or la chaleur étant différente, selon la nature des matieres où elle se rencontre, la chaleur du chyle, par exemple, étant autre que celle des autres sucs, & celle du chyle, différente de celle du chyle même, selon qu’il est plus ou moins mêlé de bile, il s’ensuit que le Solium dévorant une bonne partie du chyle avant que ce suc s’introduise dans les intestins, & qu’il s’y mêle avec la bile, ainsi que je l’ai remarqué, ne laisse à ses petits qu’un chyle plein de bile, & par conséquent un chyle, dont la chaleur différente de l’autre, n’est peut-être point propre à faire éclore les petits Vers dont nous parlons.

L’auteur de la Lettre revient un peu de son sentiment sur la chaleur ; il avoue ensuite qu’il faut quelque nourriture pour faire éclore ces Vers, mais il dit qu’il n’en faut point tant, & qu’il en reste toujours assez dans les intestins pour cela.

Ce qu’il dit, seroit vrai sans une circonstance. C’est que je remarque que le Solium se nourrit du chyle avant que ce suc soit mêlé de bile, & que c’est ce qui est cause que cet Insecte tient sa tête vers le pylore, c’est-à-dire, à l’orifice inférieur de l’estomac, où il trouve ce chyle tel qu’il le cherche. Car si cela est, il ne sert de rien d’opposer que le Solium n’est point assez gourmant pour consumer tout le chyle ; puisque la partie qu’il laisse, étant destituée de celle qu’il a dévorée, devient par conséquent trop amere par le mêlange de la bile, pour être propre à faire éclore ces Vers, ou à les nourrir dès qu’ils sont éclos.

Notre Censeur n’en demeure pas là ; il dit qu’au moins faut-il avouer que quand le Solium est une fois sorti du corps, les œufs dont il s’agit, peuvent se nourrir sans obstacle, & qu’ainsi rien n’empêche que cette espèce de Vers ne se rengendre.

Ce raisonnement seroit démonstratif, si par malheur je n’avois dit, ainsi qu’on le peut voir dans ma Préface, & ailleurs, que ce Ver ne sort point de lui-même, & que pour le chasser, il faut recourir à des remedes, ce qui est le sentiment d’Hippocrate ; car cela supposé, il est facile de juger que le remede qui chasse le Solium des intestins de l’homme, en chasse aussi les œufs, ou que s’il en reste quelques-uns, il les tue. L’Auteur de la Lettre, après des objections si foibles, conclut d’un air triomphant, que le raisonnement que j’ai fait pour accorder mon observation sur le Solium, avec ce que j’appelle les œufs de ce Ver, est tout-à-fait insoûtenable.

Au reste, après avoir proposé ce que j’ai avancé sur le Solium, je rapporterai ici un doute que j’ai sur ce sujet. Hippocrate dans le quatrième livre des Maladies, Art. 27. & Spigelius dans son Traité du Ver plat, Chapitre dixiéme, disent que ce Ver se produit dans l’homme dès le ventre de la mère ; qu’ensuite si on ne le fait sortir par quelque remède, il vieillit avec l’homme, & l’accompagne jusqu’au tombeau : ξυγκαταγηράσκει. Si la chose est ainsi, ne peut-on pas dire, que ce qui fait que le Solium est seul de son espéce dans le corps où il se trouve, & ne s’y rengendre pas même après en être sorti, c’est que les sucs dont le Solium déjà grand s’accommode dans le corps de l’homme fait, ne sont pas tels qu’il les lui faut avant que d’éclore, ou d’abord après qu’il est éclos ; parce qu’apparemment il a besoin alors d’une nourriture telle que le foetus est capable de la fournir ? Car on ne peut nier que les sucs qui se forment dans le foetus ne soient par leur qualité, très-différens de ceux qui se forment dans l’homme adulte. Cette explication est aussi vrai-semblable, pour le moins, que celle que nous avons donnée : elle s’accorde de plus, avec le sentiment d’Hippocrate, qui dit que le Ver plat s’engendre dans le fœtus, lorsque le lait & le sang de la mère viennent à se corrompre. Au reste, quoique nous soyions fort du sentiment d’Hippocrate & de Spigelius sur la solitude du Ver plat, nous remarquerons qu’il n’est point si nécessairement solitaire, qu’absolument parlant, il ne puisse avoir compagnie. En effet, ne se peut-il pas faire que de plusieurs œufs de Solium, qui se trouveront dans le corps d’un enfant encore au ventre de sa mère, il en réussisse deux : que les deux Vers qui seront éclos se nourrissent & croissent ensemble pendant plusieurs années, sans que l’un prévale assez sur l’autre pour lui voler sa nourriture & le faire mourir ; qu’ensuite en donnant à la personne qui les aura, quelques remedes contre les Vers, on lui fisse rendre deux Solium ; & c’est pour cela que dans cette nouvelle Edition, au lieu de mettre comme dans la premiere, que le Solium est seul de son espéce dans le corps où il le trouve, j’ai mis qu’il est ordinairement seul. Au reste, ce fait étant très-rare, sans doute, ne détruit point la vérité du sentiment d’Hippocrate & de Spigelius, que le Solium est seul de son espéce dans le corps de l’homme ; parce qu’il en est de cette proposition comme de plusieurs autres, dont la vérité se doit tirer du cours ordinaire de la nature, & non des exceptions qui y arrivent par des cas rares & singuliers.

Le huitiéme Article que l’Auteur de la Lettre juge digne de censure, est qu’on ne peut être préservé des Vers après sa mort : Que celui qui meurt au milieu de l’abondance ; plein de force & de richesses, dont le corps est rempli du meilleur suc, & dont les os sont comme pénétrés de la moelle qui les a nourris, sera mangé de ces Insectes dans le tombeau, comme le plus malheureux & le plus pauvre.

L’Auteur de la Lettre remarque ici que Job, que j’ai cité comme Auteur de ces paroles, ne dit point que la moëlle nourrit les os ; & à cette occasion, il demande pourquoi donc je m’avise de le dire : il ajoute que cela m’est bien moins pardonnable, qu’il ne l’auroit été à Job ; parce que je suis Professeur d’Anatomie au Collége Royal, & que je dois sçavoir que les os du corps se nourrissent par des vaisseaux sanguins.

Je remarquerai que si l’Auteur de la Lettre avoit assisté à mes Conférences dans le Collége Royal, il auroit sçû qu’encore que les os, ou pour parler avec lui, les os du corps se nourrissent par des vaisseaux sanguins ; je prétends qu’ils se nourrissent de moëlle ; que la matière de cette moëlle leur est portée par les vaisseaux sanguins ; que quand l’os est solide, comme sont, par exemple, les osselets de l’oreille, le bois des Cerfs & des Daims, les vaisseaux sanguins versent cette matiere seulement dans le corps de l’os ; & que quand il est creux, ils la versent aux uns dans le corps de l’os seulement, comme à ceux dont sont composées les pattes des Homars & des Ecrevisses, & aux autres dans le corps & dans le creux de l’os tout ensemble. Il auroit appris qu’au dedans de ceux dont la cavité est remplie de moëlle, il y a, selon mon sentiment, divers petits trous par où passent plusieurs vaisseaux qui viennent de la moëlle ; que comme dans les os des vieux Animaux, il ne laisse pas d’y avoir des vaisseaux sanguins distribués dans leur substance, quoique ces vaisseaux n’y paroissent pas ; de même dans les os où l’on ne remarque pas de moëlle, soit parce qu’ils ne sont pas creux, ou que l’étant, l’œil n’y en découvre point ; il ne s’ensuit pas que dans le corps même de ces os, il n’y en ait une véritable. En effet il n’est pas déraisonnable de penser que ce qui nourrit l’os, est un extrait de ce qu’il y a de plus délicat & de plus fin dans la portion huileuse du sang ; & que cette partie fine & délicate extraite de la portion huileuse du sang, en quelque lieu qu’on la suppose, ou dans le creux, ou dans le corps de l’os, n’est autre chose que la moëlle. Il est facile d’expliquer comment les vaisseaux sanguins portent le sang dans le corps & dans la cavité de l’os ; comment la partie la plus délicate & la plus fine de la portion huileuse de ce sang, se filtre dans la substance des os solides ; comment dans ceux qui sont creux, & dont la cavité est pleine de moëlle, elle se filtre & dans la substance de l’os, & dans un tissu spongieux & vésiculaire que la cavité de cet os renferme. Ces derniers se nourrissent comme les plumes des Oiseaux ; car le creux du tuyau de la plume n’est pas seulement formé pour accorder ensemble la souplesse, la force & la légèreté, mais encore pour servir comme de magasin à la nourriture qui doit être distribuée dans toute la plume ; en sorte qu’un même moyen, ainsi que l’observe un Auteur moderne, satisfait ici tout à la fois à plusieurs vues différentes. Je conclus de-là que mon Censeur au lieu de s’étonner qu’on puise dire que la moëlle nourrit les os, devroit regarder comme une erreur le sentiment opposé. Quoi qu’il en soit, puisque cet Auteur est si surpris qu’un Professeur d’Anatomie au Collège Royal, croye que la moëlle nourrit les os, nous remarquerons qu’il le seroit bien plus, s’il sçavoit que ce même Professeur enseigne que la moëlle n’a point de sentiment : car ceux qui ôtent à la moëlle l’avantage qu’elle a de nourrir les os, lui en donnent un autre qu’elle n’a pas, qui est d’être d’un sentiment très-exquis, & ils insistent beaucoup plus sur cet article que sur l’autre. Comme cette erreur n’est pas moins grande que la premiere, peut-être que les Lecteurs ne trouveront pas mauvais que nous en disions ici un mot par occasion.

La moëlle est une matière huileuse, coulante & liquide, renfermée en plusieurs vésicules membraneuses très-déliées, communiquant les unes aux autres, dans le tissu desquelles cette même matiere est filtrée. Quelques anatomistes la définissent un amas de plusieurs vésicules membraneuses très-déliées, ouvertes les unes dans les autres, & remplies d’une matiere huileuse, coulante & liquide. Mais cette définition confond le contenant avec le contenu, & n’est pas plus exacte que celle qu’on donneroit, du jus de citron, en disant que c’est un amas de plusieurs vésicules membraneuses remplies d’un suc acide & transparent. D’ailleurs elle ne s’accorde pas avec le langage de ces mêmes Anatomistes, lorsqu’ils disent que la moëlle transpire, qu’elle passe à travers le corps de l’os, que c’est ce qui rend les os jaunes après la mort de l’Animal ; que pour éviter cet inconvénient, les Ouvriers qui employent des os dans leurs ouvrages, ont la précaution de les scier en long pour en ôter toute la moelle, & même le tissu spongieux & vésiculaire, afin que la blancheur de l’os ne soit point altérée : que la moëlle est un suc d’une saveur douce & d’une consistance onctueuse, &c. Par où l’on voit qu’ils distinguent la moëlle d’avec le tissu membraneux & vésiculaire où elle est filtrée, & qui la renferme. Cela posé, il est facile de voir que la moëlle étant un suc, elle ne sçauroit avoir de sentiment, & qu’il n’y a pas moins d’absurdité à lui en attribuer, qu’il y en auroit à en attribuer au sang. Il est vrai qu’on allegue des expériences pour prouver que la moelle a du sentiment ; mais il suffit d’exposer ces expériences, pour faire connoître qu’elles ne prouvent nullement ce qu’on en conclut. On dit premierement, & on le dit avec vérité, qu’en voyant panser ceux qui ont perdu un bras ou une jambe, on s’apperçoit qu’aussi-tôt que la moëlle est rudement touchée, les Malades donnent des marques d’une nouvelle douleur. Secondement, que si on fait scier l’os de la cuisse d’un Animal vivant, qu’on mette le bout de l’os entierement à nud, & qu’ensuite après avoir attendu que l’Animal ne crie plus, on lui plonge un stilet dans la moëlle, alors l’Animal donne des signes d’une très-vive douleur. Cette derniere expérience a été faite dans l’Académie Royale des Sciences ; mais il est facile de voir que si l’Animal crie si fort quand on touche rudement la moëlle, ou qu’on y enfonce un stilet, c’est qu’en même temps on touche & on pique le tissu membraneux & vésiculaire qui renferme cette moëlle, & qui a un sentiment très-vif.

Mais pour revenir au propos que nous avons quitté, l’Auteur de la Lettre dira peut-être, que puisque Job, dans le passage que j’ai cité, n’est point entré dans la question de la nourriture des os, au moins pour cette raison, je n’y devais pas entrer non plus en traduisant comme j’ai fait & medullis ossa illius irrigantur, par, & dont les os sont comme pénétrés de la moëlle qui les a nourris. Il est vrai que j’aurois pu me dispenser de traduire de la sorte, & que si je me fusse contenté de mettre, dont les os sont tout pénétrés de moëlle, j’aurois traduit plus littéralement. Mais c’est tout l’avantage qui en seroit arrivé ; car à considérer le passage & l’occasion où il est placé, on ne sent nullement que ces mots, & dont les os sont comme pénétrés de la moëlle qui les a nourris, rappellent aucune question d’Anatomie. En effet, ces termes, qui les a nourris, ne paroissent point être mis là scholastiquement, mais seulement par rapport à un certain usage commun, qui fait qu’on dit qu’une chose en nourrit une autre, lorsqu’elle lui fournit une humeur qui l’entretient, & qui l’empêche de se dessécher. C’est ainsi qu’on dit que l’essence nourrit les cheveux ; que l’huile nourrit la corne ; que certaines pommades nourrissent la peau, &c. Or, personne ne niera qu’au moins en ce sens, la moëlle ne nourrisse les os. On voit par là, comme il ne faut pas toûjours prendre à la rigueur certaines expressions. Nous ajouterons même que si ces chicanes étoient admises, notre Auteur serait à reprendre de dire, comme il fait dans sa Lettre, qu’il a expérimenté plusieurs fois, qu’en touchant des bouteilles sur lesquelles il étoit tombé quelques gouttes d’un esprit acide minéral, sa main a ressenti des demangeaisons considérables ; puisqu’on pourroit répliquer, qu’un Physicien doit sçavoir que ce n’est ni la main, ni le pied, ni aucune autre partie qui sent, mais que c’est l’ame. À la vérité, cette expression ne seroit pas bonne : Ma main a ressenti de la demangeaison ; mon pied sent de la douleur ; ma tête sent de grands élancemens ; pour j’ai ressenti de la demangeaison à la main ; je sens du mal au pied ; je sens de grands élancemens à la tête. Mais ce n’est que par une raison qui regarde les regles du langage, & nullement parce que les sensations n’appartiennent qu’à l’ame, : car s’il falloit s’astreindre à parler toujours en Philosophe, on se rendroit ridicule. C’est pourquoi dans le sixiéme Journal des Sçavans de l’année 1702. on reprend le Traducteur du Traité de la Sobriété, de ce qu’il ne trouve pas à propos qu’on dise que le manger flatte la langue, & de ce qu’il se croit obligé d’avertir par une note exprès, que c’est plutôt l’ame qui est flattée par l’entremise de cette organe.

Nous voici arrivés au neuviéme des articles qui sont repris par l’Auteur de la Lettre, & qui se trouvent effectivement dans le Livre où il les reprend. Cet article, c’est que je me suis mis en tête, pour me servir de ses termes, de décrier dans un Chapitre exprès, les remedes que l’on employe le plus ordinairement contre les Vers. En effet, j’y condamne le tabac, le vinaigre, la poudre de Vers desséchés, le semen-contra, l’eau où ont trempé des écorces vertes de noix, celle où a trempé le mercure, & enfin le mercure doux donné tout seul, & sans être mêlé avec aucun purgatif. L’Auteur de la Lettre, pour prouver en général que ces remedes sont bons, dit que ceux que je substitue à la place, ne paroissent pas à beaucoup près si bons, & qu’ils ont du moins autant d’inconvéniens. Selon ce Censeur, je trouve le semen contra plus échauffant que l’oignon, que l’ail, que la moutarde ; & lui pour montrer le contraire, il dit que le semen contra n’est pas plus échauffant que l’oignon, que l’ail, que la moutarde. Je condamne l’eau de mercure, parce que les Malades étant obligés d’en user long-temps, il arrive qu’à la longue les parties subtiles du mercure offensent les nerfs, & causent des tremblemens ; & mon adversaire pour faire voir que je me trompe, dit : Que cette eau n’est pas si mauvaise, que je la veux faire passer ; que je ne dois pas m’imaginer qu’elle soit moins spécifique pour les Vers, & qu’elle produire plus de mauvais effets, toutes choses d’ailleurs égales, que l’eau à la glace que je mets au nombre des remedes excellens que j’ai éprouvés. Nous remarquerons ici en passant, qu’on verra plus bas que je ne mets point l’eau à la glace au rang des remedes que j’ai éprouvés contre les Vers. Au regard du mercure doux, l’Auteur de la Lettre dit que je le place aussi au rang des mauvais remedes contre les Vers, parce qu’à la longue il peut causer le flux de bouche. Cet Auteur pour prouver le contraire de ce sentiment qu’il m’attribue, dit que je lui ferois plaisir de lui citer dans tout mon Livre un seul remede aussi bon que celui-là. Il ajoûte que s’il falloit proscrire le mercure doux du nombre des remedes contre les Vers, parce qu’il cause quelquefois une légère salivation, il n’y auroit gueres de remedes dans mon Traité, que l’on ne proscrivît par de meilleurs raisons. Le Censeur auroit dû rapporter ces meilleures raisons, mais il garde cela par devers lui. Nous laissons à juger de force de toutes ces preuves.

Quant au vinaigre, notre Auteur me reprend d’avoir dit que rien ne réveille plus que le vinaigre, les Vers du corps : que cette liqueur étant elle-même toute pleine de Vers, ne peut qu’en introduire une grande quantité dans le corps. Il me reprend encore de ce que je rejette la plûpart des choses aigres, & qu’en les rejettant, j’excepte néanmoins les esprits de nitre, de souphre, & de sel. La raison qu’il allégue pour me reprendre de cette exception, c’est que ces esprits sont des aigres. Cependant de peur de me faire en cela un mauvais procès, il dit que je répondrai peut-être que ces esprits sont des acides minéraux, & que je ne rejette que les aigres végétaux. Là-dessus il remarque que néanmoins j’excepte le citron, la grenade, le verjus, & à ce sujet il s’étonne comment je les ai pu excepter. Il demande s’il y a deux acides plus semblables en nature, que ceux du vinaigre & du verjus ; & pour conclusion, il dit que pour peu qu’on soit versé en Chymie, on n’attribuera jamais à des corps d’une nature aussi semblable, des effets tout-à-fait contraires.

L’Auteur de la Lettre me prête ici une réponse que je ne ferai pas. Car comme l’acide du vinaigre est un acide de décomposition, ainsi que parlent les Chymistes, & que celui du verjus ne l’est pas, je trouve de la différence entre l’acide du vinaigre, & celui du Verjus. Mais sans recourir à cette raison, la seule différence des effets qui se remarquent dans le vinaigre & dans le verjus, doit suffire plus qu’aucune autre chose, pour faire juger que leur nature est différente. C’est une maxime trop sujette à erreur, que celle de croire que nous devions regler les effets des causes sur l’opinion que nous avons de la nature de ces causes. Il paroît bien plus sur de juger de la nature des causes par celles de leurs effets. On dira, par exemple, que l’eau des Gobelins est d’une nature différente de celle de la Seine, parce que l’eau des Gobelins est bonne à certaines teintures auxquelles l’autre n’est pas propre. On dira encore, que comme il y a des eaux où cuisent certaines légumes, d’autres où ces mêmes légumes ne cuisent pas, il faut que ces eaux ayent une nature différente. Mais si par le simple examen de leur nature, on vouloit deviner ces effets, on courroit grand risque de n’y jamais parvenir ; puisque ces eaux considérées en elles-mêmes doivent paroîtree encore plus semblables en nature, que ne le paroissent à l’Auteur de la Lettre, le vinaigre & le verjus, dont le premier étant un acide qui vient de la décomposition du corps, annonce par conséquent, qu’il est d’un différent caractere. L’Auteur de la Lettre ajoute, que si je considere avec le microscope, le verjus & le jus de citron, j’y remarquerai un grand nombre de Vers. Peut-être que lorsque le verjus commence à se décomposer, & qu’il est gâté, y découvre-t’on des Vers ; mais qu’il en renferme avant de se décomposer, c’est de quoi je doute ; l’expérience en est facile à faire.

Le dixiéme article est que j’ai dit dans la Préface, que j’ai éprouvé tous les remedes dont je parle, & qu’il n’y en a aucun de douteux. Je ne dis pas tout-à-fait cela ; je dis que je prends garde à n’en rapporter aucun de douteux, & que je n’aye éprouvé. Or, il semble qu’on peut bien prendre garde de ne rapporter aucun remede douteux, & cependant être contraint d’en rapporter quelques-uns qui le soient. Cela arrive lorsqu’entre les maladies contre lesquelles on propose des remedes, il s’en trouve qui ne sont pas assez fréquentes, pour qu’on puisse avoir là-dessus l’expérience nécessaire ; en sorte que tout ce qu’on peut faire alors, c’est de si bien prendre garde de ne rapporter aucun remede douteux, que lorsqu’on en rapporte de tels, cela vienne de ce qu’il n’est pas possible de faire autrement, ou de ce que cela est très-difficile. Ainsi de ce que je dis que je prends garde de ne rapporter aucun remede douteux, il ne s’ensuit pas que je dise qu’entre les remedes que je rapporte, il n’y en ait aucun que je n’aye éprouvé. L’Auteur de la Lettre auroit pu sur ce sujet m’attaquer dans un autre endroit, où je dis bien plus précisément ce qu’on me reproche d’avoir dit dans la Préface, c’est à la fin du Livre ; car j’y dis formellement, que les remèdes que j’ai rapportés sont surs, & que la connoissance que j’ai de leurs vertus, n’est point l’effet de mon raisonnement, mais de mes observations ; ce qui sans doute ne peut s’excuser, si l’on n’a l’indulgence de croire que j’ai seulement prétendu dire cela de la plus grande partie des remedes que je propose. Cette explication ne seroit pas toute de faveur, il y auroit même quelque justice ; car entre les remedes rapportés dans le Livre de la Génération des Vers, s’il y en a qui ne sont rapportés que sur la foi de quelques Auteurs, comme par exemple, les remedes qui regardent les Vers encéphales, & quelques autres : on peut dire qu’il paroît par la maniere dont je les rapporte, que je ne prétends nullement insinuer que je les aye éprouvés. Cependant tout bien considéré, il est certain que j’ai parlé ici trop universellement, & qu’au lieu de dire, les remedes que j’ai rapportés sont surs, j’aurois mieux fait entendre ma pensée, si j’avois dit, la plûpart des remedes que j’ai rapportés sont surs. On ne dit jamais moins, que lorsqu’on dit trop.

Le onziéme article est sur ce que j’ai dit de certaines gens que je traite de demi-sçavans, & que j’accuse de n’entendre pas la doctrine des acides & des alkalis, qu’ils mettent à toutes sortes d’usages. Il paroît par la maniere dont l’Auteur de la Lettre s’offense de ces paroles, qu’il a pris pour lui le terme de demi-sçavant ; cependant je certifie que je m’en suis servi sans penser à lui. Mais après tout, il faut avouer aussi, que je tourne un peu trop en ridicule ces demi-sçavans, & que l’Auteur de la Lettre n’a pas tout-à-fait tort de m’en reprendre : car après avoir rapporté l’abus qu’ils font de la doctrine des acides & des alkalis, je dis que si on leur demande pourquoi la Seine charie des glaçons en hyver, & rompt quelquefois les ponts, ils répondront bien-tôt que cela vient des acides & des alkalis ; car l’eau, continué-je, se figera par les acides de l’air qui fixeront les alkalis ; & les parties de pierre ou de bois que les glaces rompront, ne se seroient point rompues, si les acides insinués dans leurs pores, ne les avoient rendues cassantes : ainsi ajoûté-je, pourquoi le feu consume-t’il une maison, c’est que les acides & les alkalis sont mis en mouvement ? Pourquoi l’action des Maçons démolit-elle les bâtimens ? bien-tôt les acides & les alkalis en seront la cause. La plaisanterie est un peu outrée, & pour cette raison, je l’ai retranchée dans cette nouvelle Edition ; mais cependant toute excessive qu’elle est, l’Auteur de la Lettre ne l’a pas prise pour une plaisanterie ; car il avertit très-sérieusement, qu’on impute là aux demi-sçavans des absurdités qu’il ne croit pas qu’aucun d’eux ait jamais pu penser.

Le douziéme article est, que j’ai dit que si j’avois voulu m’arrêter à tous les raisonnemens qu’on me fit sur les acides & sur les alkalis, pour me prouver que le Malade que j’ai délivré du Solium, dont on voit la figure dans la premiere Planche, n’avoit aucun Ver ; qu’il le falloit encore saigner, & lui donner ensuite le petit lait, ce Malade aurait encore son Ver, ou seroit mort. L’Auteur de la Lettre prend de-là occasion de dire, que j’ai le malheur de trouver par-tout, dans la pratique de ma profession, de ces demi-sçavans ; mais que je ne m’arrête point à leurs raisonnemens sur les acides & sur les alkalis, pour prouver qu’il faut saigner & donner le petit lait. Que cependant on ne se seroit jamais imaginé que ces sortes de gens fussent tant attachés à la saignée & au petit lait, si je ne l’assurois, puisqu’il semble que leurs principes les induisent à bien d’autres remedes que ceux-là. Ce que dit là l’Auteur de la Lettre, ne fait rien contre mon observation particuliere ; puisque dans ce même endroit j’ajoûte, que ceux qui s’opposoient au dessein que j’avois de purger ce Malade, disoient que la coction des humeurs n’étoit pas achevée ; que les acides & les alkalis n’avoient pas encore fini leur combat dans le corps du Malade ; & qu’ainsi il valloit mieux en attendant, faire saigner le Malade, & le mettre au petit lait pour calmer ces grands troubles excités entre les acides & les alkalis, que de donner un remede purgatif, qui selon eux, n’étoit capable que d’augmenter ce grand combat. L’Auteur de la Lettre est un peu sujet à prendre ainsi pour des propositions universelles, des propositions particulieres. Au reste, j’avertis qu’au lieu de ces mots : Si j’avois voulu m’arrêter à tous les raisonnemens qu’on me fit sur les acides & les alkalis pour me prouver que le Malade que j’ai délivré du Solium dont on voit la figure, planche premiere, m’avoit aucun Ver, qu’il le falloit encore saigner, & lui donner ensuite le petit lait, ce Malade auroit encore son Ver, ou seroit mort ; j’avertis, dis-je, que je devois mettre les suivans : sçavoir, Si j’avois voulu m’arrêter à tous les raisonnemens que l’on fait sur les acides & sur les alkalis, & qui m’auroient prouvé que le Malade que j’ai délivré du Solium dont on voit la figure dans la planche premiere, n’avoit aucun Ver, & qu’il falloit le saigner & lui donner ensuite le petit lait, il auroit peut-être encore son Ver, ou seroit mort.

Le treiziéme article est, que je dis que l’huile de vitriol & celle de tartre mêlées ensemble, deviennent insipides. L’Auteur de la Lettre avertit, qu’à la vérité elles perdent beaucoup de leur acrimonie, mais qu’elles ne sont pas absolument insipides pour cela. Cet Auteur a raison, & je devois dire presque insipides.

Le quatorziéme est, que pour expliquer comment un remede pris intérieurement, peut agir sur une partie plûtôt que sur une autre, Je dis que si l’on jette de l’eau-forte sur un composé d’or & de fer, cette eau-forte s’attachera au fer, le dissoudra, & coulera sur l’or sans y faire impression : que c’est-là une image de ce qui se passe dans le corps humain ; lorsqu’un remede s’attache, par éxemple, au foie plutôt qu’aux poumons. L’article tombe sur ces mots, Un composé d’or & de fer. L’Auteur de la Lettre dit là dessus, que la grande connoissance que j’ai de la Chymie, m’a fait aviser depuis quelque temps, de distiller la fougère, au lieu que Dioscoride ne la donnoit qu’en poudre ; mais que cette grande découverte est un peu flétrie par une autre opération de Chymie, qui ne vange que trop les demi-sçavans du mépris que j’ai pour eux. Cette opération de Chymie au reste, dont l’Auteur de la Lettre parle ici, c’est le composé d’or & de fer, que nous venons de voir. Il ajoute que si mes ordonnances étoient toutes aussi difficiles à exécuter que ma prétendue opération, mes Malades seroient en grand danger de mourir ou de réchaper, avant que le remede fût préparé. L’Auteur de la Lettre veut dire sans doute, que je serois moi-même en grand danger de voir mourir ou réchapper mes Malades avant que mon remede fût prêt. Mais cela n’est rien. Il me demande ici que je lui apprenne donc la maniere de faire un composé d’or & de fer ; & ensuite il dit, qu’on mêlera bien ensemble tous les autres métaux, mais que pour le fer, on n’a point encore trouvé le secret de le mêler avec aucun autre métail. Après ces paroles, il admire comment donc j’ai pu apprendre à faire des composés si merveilleux.

On voit par-là que l’Auteur de la Lettre ne croit pas qu’il soit possible de faire aucun composé, quel qu’il soit, qu’on puisse appeller un composé d’or & de fer. Si cela est, j’ai eu sans doute grand tort de proposer, pour faire mon expérience, de jetter de l’eau forte sur un tel composé. Mais d’un autre côté, si pour faire un composé d’or de fer, sur lequel mon expérience puisse réussir, il suffisoit de mêler ensemble de la limaille d’or & de la limaille d’acier ; s’il suffisoit de faire un tout, dont quelques parties fussent d’or, & quelques autres de fer ; s’il suffisoit de souder de l’or & du fer, l’Auteur du Livre de la Génération des Vers pourroit bien n’avoir pas tant de tort, puisqu’il ne doit point s’embarrasser de quelle manière soit fait ce composé d’or & de fer, pourvu que c’en soit un sur lequel on puisse voir l’eau-forte s’attacher à une partie de ce composé, & épargner l’autre. Ce clou de Florence moitié or & moitié fer, qu’on montroit autrefois comme un exemple incontestable de la vérité du grand œuvre, & qu’on ne montre plus, aujourd’hui que les microscopes sont en usage, étoit un clou où l’on avoit soudé ou enté délicatement une pointe d’or ; & par conséquent ce clou étoit un composé d’or & de fer. Il faut être terriblement Chymiste, pour croire qu’on ne puisse demeurer d’accord de cela sans ignorer la Chymie. C’est pourtant là l’erreur que l’Auteur de la Lettre me reproche, c’est là, pour me servir de ses termes, ce qui flétrit la grande découverte que j’ai faite de distiller la fougere, au lieu que Dioscoride la donnoit en poudre. Il est facile de voir que la méprise de notre Chymiste vient de ce qu’il a confondu les composés d’alliage avec ceux de jonction, qui sont néanmoins bien différens. Une maison est un composé de pierre & de bois, sans que cette pierre & que ce bois soient incorporés ensemble. Peut-être que l’Auteur de la Lettre dira qu’il convient qu’en ce sens on peut dire un composé d’or & de fer, mais qu’aussi je devois donc m’expliquer. Une telle réponse ne mettroit guères à couvert notre Auteur ; car outre que je ne pouvois pas me croire obligé de m’expliquer sur un point où il étoit impossible de deviner que quelqu’un se pût méprendre, je dis un peu plus bas, que pour donner plus de jour à ma pensée, il n’y a qu’à imaginer un corps artificiel fait de verre, dont les poûmons soient d’or, & le foie de fer. Cela pouvoit ôter à l’Auteur de la Lettre tout lieu de se méprendre.

Le dernier article est sur un point où notre Censeur a bien plus de raison. Après avoir dit dans la première Edition, que si on jette de l’eau-forte sur un composé d’or & de fer, cette eau s’attachera au fer, & épargnera l’or. J’ajoûte que si au lieu d’eau-forte, on se sert d’eau régale, cette eau ira porter son action sur l’or, ne touchera point au fer ; car c’est-là une véritable inadvertance, en sorte que j’ai mérité qu’on me conseillât de choisir une autre fois l’argent comme plus propre à être respecté par l’eau régale.

Entre les articles que l’Auteur de la Lettre reprend dans le Livre de la Génération des Vers, voilà ceux qui s’y trouvent ; venons à ceux qui ne s’y trouvent pas. Ces articles se réduisent à douze, dont six seront compris dans le quatriéme.

Le premier, est que l’Auteur du Livre de la Génération des Vers, pour rendre raison des furoncles, des élevures, & de ces galles universelles qui affligent tout le corps, a recours aux Vers sanguins, & encore à des semences de Vers insinuées dans les pores des chairs. Mais la chose n’est nullement ainsi : j’explique comment les Vers peuvent causer des furoncles, des élevures & des galles universelles, quand il arrive que ces maladies sont produites par les Vers, & qu’elles ne viennent pas d’ailleurs. Or, est-ce-là recourir aux Vers pour expliquer ces maladies ? Dire, par exemple, comment l’homme perd la raison quand il a pris trop de vin, est-ce recourir au vin, pour expliquer comment l’homme perd la raison ? Décrire comment le fréquent usage du tabac abrege la vie, est-ce recourir au tabac, pour s’expliquer comment la vie s’abrege ? Faire voir comment les liqueurs qu’on boit aujourd’hui avec tant d’excès, alterent les parties nobles, est-ce recourir à ces liqueurs, pour expliquer l’altération des parties nobles ? Enfin, s’il m’est permis d’ajouter encore une comparaison, décrire comment une maison tombe quand les Mâçons la démolissent, est-ce recourir aux Mâçons, pour expliquer comment tombe une maison ?

Le second est, que parce qu’Appien Aléxandrin, en parlant d’une certaine maladie qui affligea un jour l’armée des Romains, dit que cette maladie fut incurable faute de vin ; j’infere de-là, qu’elle venoit de Vers engendrés dans la tête ; je n’infere point qu’elle en venoit, mais qu’elle en pouvoit venir, ce qui est bien différent. Appien Aléxandrin raconte que les Romains dans la guerre contre les Parthes, sous la conduite de Marc-Antoine, furent réduits, faute de vivres, à manger les herbes des champs, & se trouverent ensuite attaqués d’une maladie épidémique, consistant dans une fureur qui leur faisoit foüir la terre à belles mains, & rouler de grosses pierres, comme si c’eût été pour les faire servir à quelque grand dessein. L’Historien ajoute, que ce mal fut incurable faute de vin, qui étoit, dit-il, le seul remede à cette maladie. Après avoir rapporté le fait tel que le voilà, je dis que cette fureur pouvoit bien venir de quelques Vers engendrés dans la tête des Romains par le mauvais suc des herbes qu’ils avoient mangées. Je remarquerai ici à cette occasion, ce que j’ai remarqué ailleurs dans ce Livre, qu’encore que le vin soit un bon remede contre les Vers, ce n’est pas un remede universel contre ce mal, témoin la Lettre suivante qui m’a été écrite sur ce sujet.

De Bar-le-Duc le 18. Septembre 1703.


Depuis sept ou huit mois, des maladies causées par des Vers, ayant jusqu’à présent régné dans tout le Barois, les Malades ont reçu de grands soulagemens par les remedes marqués dans le Livre de la Génération des Vers, sur-tout aux environs de chez Madame la Comtesse de Nétancourt, laquelle s’étant employée elle-même au soulagement des pauvres, a fait par le moyen des remedes de ce Livre, beaucoup de cures, & entre autres celle d’un Boucher de Revigni à une lieue de chez elle, auquel elle a fait jetter un Ver plat long de huit aulnes & plus. Car avant que le tout sortît, le Malade commença à en rendre par bas des morceaux de la longueur d’un doigt, d’un poulce, de deux poulces, d’un demi poulce, & en une quantité extraordinaire, ce qui fit juger aux assistans que ce Ver étant entier, pouvoit avoir près de douze aulnes. Il étoit de même forme & blancheur que celui qui est décrit dans le Livre de la Génération des Vers, avec les mêmes séparations & petits boutons au milieu. Je fus mandé pour confesser le Malade & le disposer à la mort. Sa maladie le prit par une fièvre continue avec transport au cerveau, & il étoit abandonné. Ce qui nous surprit davantage, c’est que cet homme eût des Vers ; car il est à remarquer qu’il avoit son corps aviné, qu’en santé il buvoit du vin en très-grande quantité, & que nonobstant sa fiévre, toute violente & continue qu’elle étoit, il n’avoit jamais voulu quitter le vin, quoique défendu par tous ceux qui le voyoient, lesquels disoient que c’étoit le vin qui le réduisoit à cet état ; mais il a bien fait voir qu’on se trompoit, car dès le moment qu’il eut mis bas le Ver, il commença à dormir. La fiévre cessa au bout de vingt-quatre heures, & quelques jours après il se porta mieux que jamais. Je l’ai vu plusieurs fois depuis, & il est dans une parfaite santé, &c. Je suis, Monsieur, Votre. &c. Remy de Bar. Capucin.

Le troisiéme article, est que lorsque je dis que la pleurésie vient très-souvent de Vers, je n’avance cette proposition, qu’à l’occasion d’un seul pleurétique que j’achevai de guérir, en lui faisant sortir un grand Ver appellé Solium. Mon Censeur se trompe, je n’avance point cela sur le seul exemple de ce pleurétique ; car je dis formellement que plusieurs Auteurs font mention de pleurésies vermineuses ; que Gabucinus entre autres, assure avoir guéri une fille pleurétique en lui donnant un médicament contre les Vers, lequel lui en fit rendre une grande quantité, après quoi la pleurésie cessa. Il ajoûte de plus que Quercétan ayant fait ouvrir plusieurs vieillards morts de pleurésie, ce Médecin leur trouva les intestins remplis de Vers, & qu’il regarda ces Vers comme la vraie cause de leur mal : ainsi au lieu d’un pleurétique, en voilà plusieurs. Au reste, il est étonnant que notre Auteur ait ici pu se résoudre à confesser que j’ai fait sortir ce grand Ver, & qu’il n’ait pas sçu trouver quelque moyen ingénieux pour nier le fait. Il faut convenir que cet Adversaire est bien peu inventif quand il parle sur le papier.

Le quatriéme, s’il faut croire mon Censeur, c’est que parmi les Aphorismes du Chapitre précédent, j’ai mis ceux-ci.

1. La fistule lacrymale vient de Vers.

2. Les cancers viennent de Vers.

3. L’hydropisie vient de Vers.

4. Les tumeurs & les excroissances viennent de Vers.

5. Les maladies qu’on attribue à des sorts, sont causées par des Vers.

6. Les difformités qu’on apporte en naissant, viennent aussi de Vers qui ont rongé des parties tendres du fœtus.

Ces aphorismes ne sont point dans mon Livre. Au lieu du premier, La fistule lacrymale vient de Vers, j’ai mis, Dans la fistule lacrymale, l’eau qui sort des yeux est pleine de petits Vers qu’on discerne avec le microscope.

Au lieu du second, Les cancers viennent de Vers, j’ai mis, Les cancers sont tout pleins de petits Vers imperceptibles. Ces Vers rongent les fibres des parties, & tous les cribles des glandes ; en sorte que les glandes recevant presque tout ce qui se présente, grossissent d’abord outre mesure ; ensuite ces Vers s’augmentant & continuant de ronger ce qu’ils trouvent, ils ulcérent souvent la partie, & la consument. Ce n’est pas là dire que les cancers viennent de Vers, mais c’est dire seulement qu’il y a des Vers dans les cancers, & qu’ils y font de grands ravages ; sauf à examiner ensuite si ces Vers sont la cause, ou l’effet des cancers.

Au lieu du troisiéme, L’hydropisie vient de Vers, j’ai mis, L’hydropisie peut être quelquefois causée par des Vers.

Au lieu du quatriéme, Les tumeurs & les excroissances du corps viennent de Vers, j’ai mis, Les Vers peuvent causer des tumeurs au corps, & des excroissances, comme ils en causent aux feuilles de chêne, où par leur piquure, ils empêchent le suc de la feuille, de circuler à l’ordinaire, ce qui produit sur la feuille cette excroissance qu’on appelle noix de galle, & qu’on regarde mal-à-propos comme un fruit.

Au lieu du cinquiéme, Les maladies qu’on attribue à des sorts, sont causées par des Vers, j’ai mis, La plûpart des maladies qu’on attribue à des sorts, viennent de Vers.

Au lieu du sixiéme, Les difformités qu’on apporte en naissant, viennent aussi de Vers qui ont rongé les parties tendres du fœtus, j’ai mis, Les difformités qu’on apporte en naissant, peuvent venir quelquefois de Vers qui auront rongé les parties tendres du fœtus, & par ce moyen auront causé des tumeurs ou des tortuosités.

Que devient après cela, la réflexion de l’Auteur de la Lettre, lorsqu’il dit qu’on peut juger de la bonté des autres aphorismes de mon Livre, par cet échantillon ? Ne pourroit-on point dire avec plus de vérité, que cet échantillon suffit pour faire juger de la sincérité de mon Censeur ?

Le cinquiéme article est, que je place le mercure doux au rang des mauvais remedes contre les Vers, parce qu’étant souvent réitéré, il peut causer le flux de bouche, mais que je lui fais pourtant la grace de l’admettre quand il y a quelque soupçon de Vers Vénériens. Sur quoi l’Auteur de la Lettre dit, que je lui ferois plaisir de lui citer dans tout mon Livre, un seul remede aussi excellent que celui-là, contre toutes sortes de Vers.

Je ne condamne point le mercure doux contre les Vers ; je conseille seulement de le donner mêlé avec quelque purgatif, & je défends de le faire prendre seul, à moins qu’il n’y ait quelque soupçon de Vers Vénériens, parce qu’étant pris seul, il peut causer le flux de bouche : c’est page 204. première Edition. Or, conseiller par exemple, de ne point boire de vin sans y mettre de l’eau, est-ce défendre le vin, & le mettre au rang des mauvais breuvages ? Dire qu’on ne doit point manger de viande sans manger du pain, est-ce défendre la viande, & la mettre au rang des mauvaises nourritures ? Avertir tout de même, de ne point prendre de mercure doux contre les Vers, sans y mêler quelque purgatif, est-ce défendre le mercure doux, & le placer, comme conclud notre Auteur, au rang des mauvais remedes contre les Vers ?

Le sixiéme, est que j’avoue que le semen contra est contraire aux Vers, & cependant que je ne veux pas que l’on s’en serve, parce que je prétends qu’il échauffe beaucoup. L’Auteur de la Lettre demande là-dessus pourquoi donc j’approuve l’ail, l’oignon, la moutarde, & si c’est que je croye que ces drogues n’échauffent pas pour le moins autant ? Si je condamne le semen contra, ce n’est point par la seule raison qu’il échauffe beaucoup, je le condamne parce qu’avec cela il cause la fiévre ; car je dis en termes formels, que le semen contra, est à la vérité contraire aux Vers, mais qu’il est en même temps contraire aux Malades, parce qu’il échauffe considérablement, & qu’il cause souvent des fiévres violentes.

Cela étant, il est facile de répondre à la demande de notre Auteur, & de lui expliquer d’où vient qu’en condamnant le semen contra, je ne condamne pas aussi l’oignon & l’ail qui échauffent beaucoup. C’est que tout ce qui échauffe ne cause pas la fiévre, & que le semen contra non-seulement échauffe, mais qu’en même temps il cause la fièvre. Si l’Auteur de la Lettre s’étonnoit de cette proposition, que tout ce qui échauffe ne cause pas la fiévre, on pourroit lui alléguer l’exemple de la gentiane, du quinquina, & de quelques autres remedes échauffans, qui loin de causer la fiévre, la guérissent.

Le septiéme reproche qu’on me fait, c’est que je mets l’eau à la glace au nombre des remedes excellens, & que j’ai éprouvés contre les Vers. Quand j’aurois dit que l’eau à la glace est un excellent remede contre les Vers ; quand j’aurois ajoûté que je l’ai éprouvé ; pourvu que je ne l’eusse point conseillé pour toutes sortes d’âges & de tempéramens, je n’aurois rien dit en cela que de fort croyable ; mais comme je ne l’ai point dit, je mets cet article au rang de ceux qui ne se trouvent point dans mon Livre. Au reste dans le Chapitre des Prognostics qu’on peut former au sujet de la maniere dont les Vers sortent du corps, je dis entre autres choses, qu’il faut considérer s’ils sortent fondus ou entiers ; & afin qu’on ne doute point que les Vers ne se puissent fondre, je rapporte que feu Mr Perreau de l’Académie Royale des Sciences, raconta un jour dans l’Académie, qu’ayant emporté chez lui dans une boëte quelques Vers presque morts, qu’une fille venoit de jetter par le vomissement ; il trouva quand il fut arrivé chez lui, que la chaleur de sa poche les avoit réveillés : qu’alors il essaya divers remedes sur ces Insectes, pour voir ce qui les pourroit tuer plus promptement, & qu’ayant jetté de la glace sur quelques-uns, ceux-là coulerent tout en eau, & disparurent presque dans le moment : c’est page 198. A l’occasion de ce fait, je mets dans mes aphorismes, page 316. que de l’eau à la glace jettée sur des Vers nouvellement sortis du corps, les fait quelquefois tomber tout d’un coup en eau. Voilà tout ce que je remarque sur l’eau à la glace à l’égard des Vers.

Quoique ces articles ne soient point dans mon Livre, mon Censeur n’a pas laissé de les y voir, & de les y voir si bien, qu’il ne les excepte pas même du nombre de ceux qui lui ont, dit-il, sauté aux yeux.

Quant aux articles qu’il reprend, & que j’avois marqués dans l’Errata, il y en a deux. La mauvaise fortune de mon Censeur a voulu que ce fût sur ces deux articles qu’il s’applaudît le plus. Le premier, est vin de Mauve, pour vin de Malvoisie ; & le second, l’huile de vitriol & l’huile de tartre, qui sont chacune fort acides. Nous n’examinerons point s’il a eu besoin de l’Errata de mon Livre, pour connoître deux fautes d’ailleurs si visibles. La recherche est peu importante. Il suffit que je n’aye pas eu besoin ici des leçons de mon Censeur. Peut-être sera-t’on bien aise de sçavoir d’où sont venues ces fautes. Au lieu de mettre dans mon Manuscrit, vin de Malvoisie tout au long, je mis vin de Malv. en abrégé, selon la coûtume que j’ai de couper ainsi la plûpart des mots pour les écrire plus vîte. L’Imprimeur voyant Malv. crut qu’il y avoit Malve, & imprima ainsi. Un Correcteur qui examinoit les épreuves à ma place, car les empêchemens de ma Profession me détournerent alors de ce soin, crut bien faire de corriger Malve, par Mauve, parce qu’on dit des Mauves, & non de Malves, quoique en latin cette plante se nomme Malva. J’apperçus la faute quelques jours avant que l’ouvrage fût achevé d’imprimer, & je la marquai dans l’Errata. Voilà le fait comme il est arrivé. Au regard de l’huile de vitriol & de l’huile de tartre, qui sont chacune fort acides, l’Errata avertit qu’il faut lire : dont l’une est fort acide, & l’autre fort âcre. Il y avoit dans mon Manuscrit, qui sur la langue sont chacune fort actives. L’Imprimeur au lieu d’actives, mit acides, & le Correcteur d’Imprimerie ayant laissé passer la faute, je trouvai à propos de la corriger dans l’Errata, en mettant dont l’une est fort acide, & l’autre fort âcre. Comme ces huiles cependant ont toutes deux de l’acrimonie, nous pourrions trouver à redire à cette correction même, & montrer qu’elle n’est pas assez exacte ; mais il faut laisser cela à l’Auteur de la Lettre, qui a plus de loisir que nous. On avertit même que dans la suite, quelque soin que ce Censeur, ou quelques autres comme lui, prennent d’écrire, ou de déclamer contre le Livre de la Génération des Vers, on ne répondra point. Ce sont des Auteurs mécontens, il est juste de leur laisser passer un peu leur chagrin. On sçait bien que le Livre de la Génération des Vers, n’est pas ce qui les incommode le plus. Ce qui les blesse véritablement, sont les extraits que j’ai donnés sur leur sujet dans le Journal des Sçavans. Quelqu’un dira peut-être que la correction dont il s’agit, est défectueuse par un autre endroit que celui que nous venons d’indiquer ; puisque si je dis que l’huile de vitriol & l’huile de tartre, sont, l’une fort acide, & l’autre fort âcre, ce n’est que dans le dessein de montrer qu’elles ont une même qualité, ce qui est absurde, mais il est facile de voir que cette qualité que je prétends leur être commune, n’est que de faire une forte impression sur la langue ; puisque pour prouver ensuite que lorsqu’on les mêle ensemble, elles perdent cette qualité commune, j’avertis qu’elles deviennent insipide. Ce n’est donc qu’à n’être point insipides, & à faire au contraire une grande impression sur l’organe du goût, que consiste ici la qualité que je dis être commune à ces deux huiles.

Le Censeur finit sa Lettre, en disant qu’il seroit à souhaiter que je ne misse pas ainsi les Vers à toutes sortes d’usages : si cela est, il a lieu d’être content, puisque, comme nous venons de le voir, les reproches qu’il m’a faits là-dessus, sont sans fondement. Il ajoûte que c’est le défaut commun de tous les faiseurs de systêmes ; dès qu’ils voyent qu’une hypothese peut expliquer deux ou trois phénomènes, de l’appliquer à tout, & d’une bonne chose, d’en faire souvent une très mauvaise. Il dit que pour lui, il est convaincu que cet excès est la source la plus féconde & la plus ordinaire de nos erreurs, & il avertit qu’il travaille présentement à une Dissertation particuliere sur ce sujet, de laquelle il fera part au Public.

Ce que cet Auteur remarque sur les faiseurs de systêmes est très-véritable. Et de la manière que dans mon Traité, je déclame contre ceux qui mettent à toutes sortes d’usages, les acides & les alkalis ; il seroit bien difficile que je fusse d’un autre sentiment que notre Auteur.

Voilà une partie des réfléxions qui se sont offertes dans la lecture de cette Lettre. Il seroit à souhaiter pour celui qui l’a écrite, qu’il eût été un peu plus fidèle dans les citations, & qu’il ne fût pas, comme il est presque toûjours, le Censeur & l’Auteur de ce qu’il rapporte. Cet inconvénient étoit facile à éviter. Mon Livre est bien éloigné d’être assez parfait, pour réduire un Censeur à la nécessité ou de se taire, ou d’inventer. Mais c’est le défaut commun de presque tous les faiseurs de critiques : dès qu’ils lisent, ou qu’ils entendent quelques propositions qui leur déplaisent, & qu’ils ne peuvent reprendre dans les termes qu’elles sont, ils les changent, ou en fabriquent d’autres à la place, pour avoir lieu de critiquer ; & d’une bonne chose, ils en font à dessein une très-mauvaise. Nous sommes convaincus que cet excès est la source la plus féconde & la plus ordinaire des mauvaises critiques. Nous ne promettons cependant là-dessus aucune Dissertation ni générale, ni particuliere. C’est beaucoup que le peu de loisir que nous avons, nous ait permis de donner nos réfléxions sur cette Lettre.


  1. Dans cette nouvelle Edition, je combas le sentiment de ceux qui croyent que les maladies vénériennes viennent de Vers.