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De la métamorphose des fontaines (recueil)/Deuxième Ode à Jean Moréas

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De la métamorphose des fontainesBibliothèque artistique et littéraire (p. 25-29).

DEUXIÈME ODE
À JEAN MORÉAS

Neuf fois je frapperai la lyre :
Les Muses aiment notre voix :
Les accords que je veux produire
Seront dociles à leurs lois,
Si je célèbre la verdure
Entournée à ta chevelure
Et les neuf Muses à la fois.



Déjà sur la double colline
Où fleurissent toutes les fleurs,
Par cette puissance divine
Qui rend belles les nobles sœurs,
Aganippe t’ouvre ses rives,
Et du courant de ses eaux vives
Elle te verse les liqueurs.


Clio la grandeur héroïque
Souffle, Euterpe la joie aussi,
Thalie aimable au jeu rustique
Repousse l’effort du souci,
Et tu reçois de Melpomène
La gravité musicienne
Des rythmes honorés ici.



Le chœur qui les danses décore,
Tirant des cithares tantôt
Un doux bruit, un fredon encore,
Par une corde au son plus haut,
Ainsi que troupes vagabondes
Mène les fêtes sans secondes
De Terpsichore et d’Erato.


Mémoire auguste, Polymnie,
Tu es des âges le réveil ;
Secret des mondes, Uranie,
Tu es la flamme du soleil.
Calliope a livré sa grâce
À celui que nul ne surpasse,
Moréas, chanteur nonpareil.



Au doux parler des sœurs jumelles
Ma voix se joint pour le plaisir
Du laurier éloquent comme elles
Que ta force a fait reverdir :
À l’Isthme, à Delphes, tu le cueilles,
Le droit arbuste aux sombres feuilles,
Seule moisson de ton désir.


Promis au fouet des Euménides,
Cependant sifflant aux roseaux,
Qui vont multipliant leurs rides
Quelques-uns se disent nouveaux :
Ceux-là, comme errantes figures
D’ombres, par les landes obscures
N’auront de trêve à leurs travaux.



Race qui fait voir en ses ruses
La bassesse de ses efforts,
La Gorgone en place des Muses
De leur vie a tiré les sorts.
L’un l’autre ils se peuvent poursuivre.
Ils sont morts sitôt que de vivre,
Cendre et fumée entre les morts.


Il n’est point de nouvelles armes
Pour nous assurer d’un renom
Moins vain que leurs tristes alarmes.
Le même trait nous sera bon
Qui à Pindare fit service,
Car c’est toujours le même vice
Le but des flèches d’Apollon.