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De la manière de négocier avec les souverains/X

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Chapitre X
DES CEREMONIES
ET DES CIVILITEZ
QUI SE PRATIQUENT
ENTRE LES
MINISTRES ETRANGERS.



Chapitre X.[modifier]



QUand un Miniſtre eſt arrivé dans une Cour, & qu’il en a donné part au Prince, il doit en informer tous les Miniſtres Etrangers qui ſont en la même Cour, par un Gentilhomme, ou par un Secretaire, ils lui rendent enſuite la premiere viſite, qui eſt dûë au dernier venu ; s’il manque à faire avertir de ſon arrivée quelqu’un des Miniſtres Etrangers qui ſont dans la Cour où il arrive, ce Miniſtre ne lui doit point rendre de viſite, juſqu’à ce qu’il ait ſatisfait à cette civilité.

Lorſqu’il y a des Ambaſſadeurs de pluſieurs Rois, celui qui arrive doit rendre la premiere viſite à l’Ambaſſadeur de France, qui a par tout le premier rang, & qui ne l’a doit pas recevoir autrement.

Les Eſpagnols après avoir chicané vainement depuis le précedent ſiecle, pour ne plus reconnoitre la préſeance, dont la France eſt en poſſeſſion immemorialle ſur toutes les autres Couronnes de la Chrêtienté, l’ont enfin reconnuë par la Declaration publique que le Roi d’Eſpagne Philippe IV. en fit faire au Roi en 1662. par le Marquis de la Fuente, ſon Ambaſſadeur en France, enſuite du démêlé arrivé à Londres entre le Comte d’Eſtrades & le Baron de Vatteville, & les Ambaſſadeurs d’Eſpagne s’abſentent de toutes les Ceremonies où il y a un Ambaſſadeur de France.

Quelques autres Couronnes commencerent durant la negociation de la paix de Munſter à vouloir introduire une prêtenduë égalité entre tous les Rois de l’Europe, mais nonobſtant cette nouveauté mal-fondée, & inconnuë juſqu’alors ; la France eſt demeurée en poſſeſſion de ſon ancien droit de primauté que tous ſes Ambaſſadeurs ſoûtiennent avec éclat dans toutes les Cours où ils font quitter la place aux Ambaſſadeurs de toutes les autres Couronnes qui leur cedent en s’abſentant.

Le Cardinal Savelli Romain, ayant été fait Cardinal en 1647. le Comte d’Ognate, Ambaſſadeur d’Eſpagne lui rendit la premiere viſite avant celle qu’il reçût du Marquis de Fontenai Mareuil Ambaſſadeur de France ; ce Cardinal rendit a l’Ambaſſadeur d’Eſpagne ſa viſite, & alla enſuite chez l’Ambaſſadeur de France, qui le laiſſa entrer dans ſa Cour, & comme il ſortoit du caroſſe, on lui vint dire de la part de l’Ambaſſadeur, qu’il ne vouloit pas le recevoir, parce qu’il avoit manqué à ce qu’il devoit a la Couronne de France, le Cardinal ſe plaignit de l’affront que l’Ambaſſadeur lui faiſoit, à quoi on lui répondit qu’il ne devoit s’en prendre qu’a lui-même, qu’il ne pouvoit pas ignorer ce qui étoit dû à l’Ambaſſadeur du premier Roi de la Chrétienté, & qu’il n’avoit qu’à feuilleter les Regiſtres de la Cour de Rome, s’il en étoit mal-inſtruit : Ce Cardinal fit faire enſuite de grandes excuſes à l’Ambaſſadeur de France, & dit qu’il n’avoit manqué que par le mauvais conſeil de quelques Prelats qui lui avoient dit qu’il falloit rendre les viſites dans l’ordre qu’il les avoir reçûës.

Cet exemple ſert à faire connoître que quand l’Ambaſſadeur de France auroit été le dernier à rendre la premiere viſite à un Ambaſſadeur nouvellement arrivé, ou à un Cardinal nouvellement créé, il n’en doit pas moins être viſité le premier parce qu’il n’admet point de concurrence pour le premier rang avec les Ambaſſadeurs des autres Rois pour quelque cauſe que ce ſoit.

Quand il y a pluſieurs Ambaſſadeurs de la même Couronne dans un même lieu, comme il arrive d’ordinaire aux conferences de la Paix, les Ambaſſadeurs de France ne permettent point qu’on faſſe aucune différence entre le premier, le ſecond & le troiſiéme Ambaſſadeur, & ainſi des autres s’ils y étoient en plus grand nombre, & ſi après avoir viſité le premier Ambaſſadeur de France, on viſitoit le premier Ambaſſadeur d’Eſpagne avant que de rendre viſite aux auttres Ambaſſadeurs du Roi, ils ne la recevroient pas & ne la doivent point recevoir, parce qu’ils ſont égaux en titres & compoſent le même corps d’ambaſſade qui ne ſe peut ſéparer.

Monſieur d’Avaux & Monſieur Servien étant Ambaſſadeurs Plenipotentiaires de France pour la paix à Munſter, les Deputez des Villes Anſeatiques leur firent demander audiance à l’Hôtel de Monſieur d’Avaux premier Ambaſſadeur où ils furent reçûs en 1645, & on leur fit dire qu’après cette audiance ils pourraient voir le même jour ou le lendemain Monſieur Servien chez lui, Monſieur ervien ſe trouva à cette premiere audiance, ils adreſſerent leurs complimens à tous les deux, & il crurent avoir ſatiſfait à ce qu’ils devoient aux Ambaſſadeurs de France, & allerent enſuite rendre viſite aux Ambaſſadeurs d’Eſpagne qui les reçurent de la même maniere, le lendemain ils demanderent audiance à Monſieur servien en particulier, il la leur aſſigna & les ſit recevoir par ſes domeſtiques qui les conduiſirent dans une chambre, où après avoir attendu long-temps ſeuls, on leur vint dire que Monſieur Servien ne les pouvoit voir parce qu’il avoit appris qu’ils avoient manquè à ce qu’il devoient en viſitant les Ambaſſadeurs d’Eſpagne enſuite de la viſite qu’ils avoient renduë à Monſieur d’Avaux avant que de venit chez lui qui avoit la même qualité que Monſieur d’Avaux, qu’ils avoient manqué en cela à ce qu’ils devoient au Roi ſon Maître & qu’il ne doutoit pas qu’ils n’en fuſſent déſavoüez par leurs Superieurs.

Ces Deputez voulurent ſe juſtifier en diſant qu’ils n’avoient qu’une ſeule Lettre pour les deux Ambaſſadeurs de France & qu’ils avoient ſatiſfait à leur commiſſion en la rendant à tous les deux &: les viſitant avant les Ambaſſadeurs d’Eſpagne, que Monſieur d’Avaux leur avoit répondu pour l’un & pour l’autre & que cette ſeconde viſite n’étoit qu’une civilité qu’ils rendoient à la perſonne de Monſieur Servien, mais ils ne furent pas écoutez & Monſieur Servien étant depuis allé à Oſnabruk d’autres Députez des mêmes Villes reparerent la faute de leurs Collegues en rendant à Monſieur Servien ce qui lui était dû.

Le Duc d’Angoulême, le Comted de Bethune & Monſieur de Chateauneuf étant Ambaſſadeurs extraordinaires de France en Allemagne, le Lord Voton Ambaſſadeur d’Angleterre à Vienne rendit la premiere viſite au Duc d’Angoulême, chef de l’Ambaſſade, & voulut rendre la ſeconde à l’Ambaſſadeur d’Eſpagne, les deux autres Ambaſſadeurs de France lui firent dire que s’il le voyoit avant eux, ils ne recevroient point ſa viſite & ne traitteroient point avec lui, ſur cela l’Ambaſſadeur d’Angleterre offrit encore de voir le Comte de Bethune ſecond Ambaſſadeur, mais ils rejetterent cette propoſition, de ſorte qu’il fut obligé de les venir voir tous trois ſéparement avant que d’aller chez l’Ambaſſadeur d’Eſpagne.

Les Ambaſſadeurs des Couronnes ſe reçoivent & ſe reconduiſent reciproquement juſqu’au caroſſe & ils rendent la premiere viſite aux Ambaſſadeurs des autres Puiſſances inferieures lorſqu’ils ſont arrivez les derniers.

Les Envoyez ſe rendent entr’eux les mêmes civilitez que les Ambaſſadeurs à leur arrivé à l’égard des complimens & des viſites, les Envoyez de France & des autres Couronnes donnent la main chez eux dans toutes les Cours à tous les Envoyez des autres Souverains.

Les Envoyez des Princes d’Italie diſputent le rang à ceux des Electeurs à la Cour de France & dans toutes les autres Cours, hors de l’Allemagne.

Les Miniſtres des Princes qui ſont en guerre & qui ſe trouvent dans une même Cour ne ſe viſitent point tant que la guerre dure, mais ils ſe font des civilitez reciproques en lieu tiers lorſqu’ils ſe rencontrent, la guerre ne détruit point les regles de l’honnêteté ni celles de la generoſité, elle donne même ſouvent occaſion de les pratiquer avec plus de gloire pour le Miniſtre qui les met en uſage, & pour le Prince qui les approuve.

Le Sieur de Gramonville étant Envoyé du Roi à Rome durant la guerre entre la France & l’Eſpagne, un Moine Portugais lui découvrit la recolution qu’il avoit priſe de faire aſſaſſine le Marquis de la Fuente Ambaſſadeur d’Eſpagne parce qu’il prétendoit réüſſir par ce moyen à délivrer Dom Duarte, frere du Roi de Portugal qui étoit priſonnier entre les mains des Eſpagnols, le Sieur de Gremonville en avertit le Marquis de la Fuente & en fut fort loüé à la Cour de France & ailleurs comme le meritoit cette bonne action.