De la morale naturelle/XXXIV

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chez Volland, Gattey, Bailly (p. 172-174).


CHAPITRE XXXIV.

Modestie.



Ne pas trop présumer de ses forces, c’est être modeste pour soi ; ne point trop chercher à se faire valoir, c’est être modeste pour les autres. Se bien juger soi-même est sans doute une règle indispensable pour se bien conduire, mais montrer avec plus ou moins de retenue l’opinion qu’on est en droit d’avoir de son mérite, c’est plutôt, ce me semble, un acte de prudence que de vertu.

J’ai vu des hommes du plus rare mérite l’allier à la plus touchante modestie, d’autres au plus noble orgueil, et je n’ai pas moins pu croire à la vertu des uns qu’à la vertu des autres. La modestie pourrait donc bien n’être qu’un résultat du caractère, de l’habitude, de l’éducation, assez indifférente dans le fond au mérite réel.

Je ne dirai point comme M. de Belloy : Tout le monde sait que je suis modeste ; mais je conviendrai que, fausse ou vraie, ma modestie m’a souvent été fort nuisible.

À la conscience éclairée de ses bonnes ou de ses mauvaises qualités, il est souvent essentiel de réunir le courage de les montrer aux autres, et de leur apprendre ainsi jusqu’à quel point ils pourroient tirer parti de celles qui sont faites pour être utiles.