De la sagesse/Livre I/Chapitre IV

La bibliothèque libre.
Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. 22-29).
____________________________________________________

CHAPITRE IV [1].

Du corps, et premierement de toutes ses parties et asssiette d'icelles.


SOMMAIRE. — Division du corps en ses parties internes, plurielles et singulières, c'est-à-dire uniques, en ses quatre régions ; en ses parties externes singulières, doubles et pareilles.
______

LE corps[2] humain est basti d'un très grand nombre de pièces internes et externes, lesquelles sont presque toutes rondes et orbiculaires, ou approchantes de cette figure.

Les internes sont de deux sortes : les unes en nombre et quantité respandues par tout le corps, sçavoir : les os qui sont comme la bastiment : dedans iceux, pour leur nourriture la mouelle : les muscles pour le mouvement et la forme : les venes sortans du foye, canaulx du sang premier et naturel : arteres venans du cœur, conduicts du second sang plus subtil et vital, ces deux allans plus haut que le foye et le cœur, leurs sources sont plus estroittes que celles qui vont en bas, pour ayder a monter le sang, car le destroit plus serré sert a faire monter les liqueurs : les nerfs, procédans par couples, instrumens du sentiment, mouvement et force du corps, et conduicts des esprits animaux, dont les uns sont mois, et y en a sept paires, qui servent au sentiment delà teste, vuue, ouye, goust, parole ; les autres durs en 30 paires, procédans par l’espine du dos aux muscles : les tendons, ligamens, cartilages : les quatre humeurs, le sang, la bile jaulne ou cholere, qui ouvre, pousse, penetre, empesche les obstructions ; jette les excremens, apporte allegresse : la bile noire et aspre, ou melancolie qui provoque l'appétit à toutes choses, modere les mouvemens subits : la pituite douçe, qui adoucit la force des deux biles et toutes ardeurs : les esprits, qui sont les fumées sortans de la chaleur naturelle et de l’humeur radicale, et sont en trois degrés d’excellence, le naturel, vital, animal : la gresse, qui est la partie plus espesse et grasse du sang.

Les autres sont singulières (sauf les roignons et touillons qui sont doubles) et assignées en certain lieu. Or il y a quatre lieux ou régions, comme degrés au corps, officines et atteliers de nature, où elle exerce ses facultés et puissances. La première et plus basse est pour la génération en laquelle sont les par-par par-ties génitales servans à icelle. La seconde d’après, en laquelle sont les entrailles, viscera, sçavoir l'estomach, tirant plus au costé gauche, rond, plus estroit au fond qu’en haut, ayant deux orifices ou bouches, l’un en haut, pour recevoir, l’autre en bas qui respond aux boyaux pour jetter et se descharger. Il reçoit, assemble, mesle et cuit les viandes, et en fait chyle, c’est a dire suc blanc propre pour la nourriture du corps, et lequel encores s’élaboure dedans les venes meseraiques, par où il passe pour aller au foye. Le foye chaud et humide, plus au costé droit, officine du sang, principe des venes, le siege de la faculté naturelle, nourricière ou ame végétative, fait et engendre le sang du chyle, qu’il attire des venes meseraiques, et reçoit en son sein par la vene porte, qui entre en son creux, et puis l’envoyé, et distribue par tout le corps, par le moyen de la grande vene cave qui sort de sa bosse et des branches d’icelle, qui sont en grand nombre, comme les ruisseaux d’une fontaine : la ratte à main gauche, qui reçoit la descharge et les excremens du foye ; les reins, les boyaux, qui se tenans tous en un, mais distingués par six différences et six noms, égalent sept fois la longueur de l’homme, comme la longueur de l’homme égalé sept fois la longueur du pied. En ces deux premières parties qu’aucuns prennent pour une (combien qu’il y aye deux facultés bien différentes, l’une générative à pour l’espece, l’autre nutritive de l’individu), et la font respondre à la partie plus basse et élémentaire de l’univers, lieu de génération et corruption, est l’ame concupiscible.

La troisiesme comparée à la région ætheréc, séparée des precedentes par le diaphragme, et de celle d’en haut par le destroit de la gorge, en laquelle est l’ame irascible, et les parties pectorales, prœcordia, sçavoir le cœur, très chaud, situé environ la cinquiesme coste, ayant sa pointe soubs la mammelle gauche, origine des arteres, qui tousjours se mouvent et font le pouls, par lesquelles comme canaulx il envoye et distribue par tout le corps le sang vital qu’il a cuit, et par iceluy l’esprit et la vertu vitale. Les poulmons de substance fort mole, rare et spongieuse, soupple à attirer et pousser comme soufflets, instrumens de la respiration, par laquelle le cœur se rafraichit, attirant le sang, l’esprit et l’air, et se deschargeant des fumées et excremens qui le pressent, et de la voix, par le moyen de l'aspre artere [3].

La quatriesme et plus haute qui respond à la région celeste, est la teste, qui contient le cerveau, froid et spongieux, enveloppé de deux membranes, l’une plus dure et espesse, qui touche au test, dura mater ; l’autre plus douce et deliée, qui luy est contiguë, pia mater. D’iceluy sortent et dérivent tous les nerfs et la mouelle qui descend et découlé au long de l’espine du dos. Ce cerveau est le siege de l'ame raisonnable, la source de sentiment et mouvement, et des très nobles esprits animaux, faits des esprits vitaux, lesquels montés du cœur par les arteres au cerveau, sont cuits, recuits, elabourés et subtilisés par le moyen d’une multiplicité de petites et subtiles arteres, comme filets diversement tissues [4], repliées, entrelassées par plusieurs tours et retours, comme un labyrinthe et double retz, rete mirabile, dedans lequel cet esprit vital estant retenu, sejournant, passant et repassant souvent, s’affine, subtilise et perfectionne, et devient animal, spirituel en souverain et dernier degré.

Les externes et patentes. Si elles sont singulières, sont au milieu, comme le nez, qui sert à la respiration, odorat et consolation du cerveau, et à la descharge d’iceluy, tellement que par luy l’air entre et sort, et en bas aux poulinons, et en haut au cerveau. La bouche qui sert au manger et au parler, dont elle est de plusieurs pièces, qui servent à ces deux : au dehors des levres, au dedans de la langue extrêmement soupple, qui juge des saveurs : des dens pour mouldre et briser les morceaux le nombril, les deux sentines et voyes de descharge.

Si elles sont doubles et pareilles, sont collatérales et esgales, comme les deux yeux, plantés au plus haut estage, comme sentinelles, composes de plusieurs et diverses pièces, trois humeurs, sept tuniques, sept muscles [5], diverses couleurs avec beaucoup de façon et d’artifice. Ce sont les premières et plus nobles pièces externes du corps, en beauté, utilité, mobilité, activité, mesmes au fait d’amour, (...) [6], sont au visage ce que le visage est au corps, sont la face de la face, et pource qu’ils sont tendres, délicats et pretieux, ils sont munis et remparés de toutes parts, de pellicules, paulpieres, sourcils, cils et poils. Les oreilles en mesme hauteur que les yeux, comme les escoutçs du corps, portières de l’esprit, receveurs et juges des sons qui montent tousjours : elles ont leurs advenues et entrées obliques et tortueuses, affin que l’air et le son n’entrassent tout à coup, dont le sens de l’ouye en pourroit estre blessé, et n’en pourroit si bien juger. Les bras et mains, ou-ouou-vrieres de toutes choses, instruments universels. Les jambes et pieds, soubstiens et colomnes de tout le bastiment.

  1. Ce chapitre et le suivant formaient le dixième de la première édition.
  2. Variantes. Ayant à parler de toutes les pieces de l’homme, faut commencer par le corps comme par le plus facile et apparent, et qu’il est aussi l’aisné de l’ame, comme le domicile doit estre fait et dressé avant qu’y demeurer, et l’attelier avant que l’ouvrier y entre pour y ouvrer.

    Le corps humain est formé avec le temps, et de tel ordre que premierement sont basties les trois plus nobles et heroïques parties, le foye, le cœur, le cerveau, distantes en long, et se tenans par joinctures desliées, qui puis se remplissent tout à la façon d’un formy (a), où y a trois parties plus grosses et enflées, joinctes par entre-deux desliées. Selon ces trois parties principales viennent à considerer trois estages en l’homme (image raccourcie du monde) qui respondent aux trois estages et regions de l’univers. La basse du foye, racine des veines, officine des esprits naturels, et le lieu de l’ame concupiscible ; en laquelle sont contenus le ventricule, ou l’estomach, les boyaux, les reins, la ratte, et toutes les parties genitales, respond à la region elementaire, où se font toutes les generations et corruptions. Celle du milieu, où maistrise le cœur, la tige des arteres et des esprits vitaux, et le siege de l’ame irascible, separée de celle d’en-bas par la toile tendue du diaphragme, et de celle d’en-haut par le destroit de la gorge, en laquelle sont aussi les poulmons, respond à la region ætherée. Celle d’en-haut, où loge le cerveau spongieux, source des nerfs et esprits animaux, du mouvement et sentiment, et le throsne de l’ame raisonnable, ubi sedet pro tribunali, respond à la region celeste et intellectuelle.

    (a) D'une fourmi.

  3. La trachée artère, comme on l’appelle aujourd’hui : aspre ou âpre est la traduction de l’adjectif grec τραχεια (...) dont nous ayons depuis franpisé la forme féminine en trachée.
  4. Tissues diversement comme filets.
  5. Ce nombre sept tient à des allégories anciennes, plutôt qu’à la réalité. Il en est de même de ce que l’auteur dit, d’après les croyances populaires de son tems, des boyaux distingués par six différences et six noms, égalant sept fois la longueur de l'homme, et de, la longueur de l'homme qui égale sept fois la longueur du pied. — On sent bien que tout cela n’est pas rigoureusement vrai, et que ce sont des approximations en nombres ronds et symboliques.
  6. « Dès que je le vis, quel trouble s’éleva dans mon ame ! » Théoc. Idyl. II, V. 82.