De la sagesse/Livre III/Chapitre XXXV

La bibliothèque libre.
LIVRE 3 CHAPITRE 34 De la sagesse LIVRE 3 CHAPITRE 36


LIVRE 3 CHAPITRE 35


contre la jalousie.

le seul moyen de l’esviter est de se rendre digne de ce que l’on desire : car la jalousie n’est qu’une deffiance de soy-mesme, et un tesmoignage de nostre peu de merite. L’empereur Aurele, à qui Faustine sa femme demandoit ce qu’il feroit si son ennemy Cassius gaignoit contre luy la bataille, dict : je ne sers poinct si mal les dieux, qu’ils me veulent envoyer une telle fortune. Ainsi ceux qui ont part en l’affection d’autruy, s’il leur advient quelque craincte de la perdre, disent : je n’honore pas si peu son amitié, qu’il m’en veuille priver. La confiance de nostre merite est un grand gage de la volonté d’autruy. Qui poursuyt quelque chose avec la vertu, est aise d’avoir un compagnon à la poursuite, car il sert de relief et d’esclat à son merite. L’imbecillité seule crainct la rencontre, pource qu’elle pense qu’estant comparée avec un autre, son imperfection paroistra incontinent. Ostez l’emulation, vous ostez la gloire et l’esperon à la vertu. Le conseil aux hommes contre ceste maladie, quand elle leur vient de leurs femmes, c’est que la pluspart des grands et galands hommes sont tombez en ce malheur, sans qu’ils en ayent faict aucun bruict : Lucullus, Caesar, Pompée, Caton, Auguste, Antonius, et tant d’autres. Mais, diras-tu, le monde le sçait et en parle : et de qui ne parle-on en ce sens du plus grand au plus petit ? On engage tous les jours tant d’honnestes hommes en ce reproche en ta presence ! Si tu t’en remues, les dames mesmes s’en mocqueront : la frequence de cest accident doibt meshuy en avoir moderé l’aigreur. Au reste sois tel que l’on te plaigne, que ta vertu estouffe ce malheur, affin que les gens de bien ne t’en estiment rien moins, mais en maudissent l’occasion. Quant aux femmes, il n’y a poinct de conseil contre ce mal ; car leur nature est toute confite en soupçon, vanité, curiosité. Il est vray qu’elles-mesmes se guarissent aux despens de leurs maris, versant leur mal sur eux, et guarissent leur mal par un plus grand. Mais si elles estoient capables de conseil, l’on leur diroit de ne s’en soucier ny faire semblant de s’en appercevoir, qui est une douce mediocrité entre ceste folle jalousie, et ceste autre façon opposite qui se practique aux Indes et autres nations, où les femmes travaillent d’acquerir des amis et des femmes à leurs maris, cherchant sur-tout leur honneur (or c’est un tesmoignage de la vertu, valeur et reputation aux hommes en ces pays-là d’avoir plusieurs femmes) et plaisir : ainsi Livia à Auguste, Stratonique au roy Dejotarus ; ou bien multiplication de lignée, comme Sara, Lia, Rachel, à Abraham et Jacob.