De la vie à la mort/Chapitre I

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Maisonneuve (p. 1-13).


CHAPITRE PREMIER


La Naissance, le Baptême, les Relevailles, les Nourrices

Lorsqu’une femme ressent les douleurs de l’enfantement, on va aussitôt chercher, avant de prévenir le médecin, une vieille matrone qui a l’habitude de soigner les femmes en couches. Il y en a généralement une dans chaque village. C’est à elle que le médecin remet l’enfant. Elle lui fait sa première toilette et l’enveloppe dans ses langes.

C’est aussi cette femme qui est chargée de soigner la malade et de porter l’enfant à l’église pour le baptême. Elle est alors suivie du compère et de la commère qui se donnent le bras comme pour une noce.

Le père et quelques proches parents suivent par derrière.

La cérémonie religieuse achevée, tout le monde se rend dans les divers cabarets du bourg, et dans ceux situés le long de la route. Ils y restent fort longtemps et ne rentrent souvent que très tard au milieu de la nuit, même par les plus grands froids de l’hiver.

Hommes et femmes sont presque toujours en état d’ivresse et alors les accidents ne sont pas rares.

Un jour, la porteuse d’un enfant nouveau-né posa ce dernier sur la table d’un cabaret pour boire plus à son aise. Près de l’enfant était un pain de six livres enveloppé dans une serviette.

Après de nombreuses tournées de café et de petits verres, lorsque la matrone se leva pour partir, elle crut prendre l’enfant et s’empara du pain.

De retour au village, la mère inquiète leur cria, lorsqu’ils entrèrent dans la maison :

— Donnez-moi donc bien vite ma petite fille que je la réchauffe, elle doit être morte de froid.

— Non, non, dit la vieille, elle est bien tranquille et dort profondément. Et elle passa le pain de six livres à la malade.

— Que me donnez-vous-là ? dit la mère en pleurant ; mais ce n’est pas ma fille.

L’ivrognesse s’aperçut seulement de sa distraction et l’on courut chercher la petite que l’on trouva sur la table où elle avait été laissée.

L’enfant est quelquefois porté à l’église sur un oreiller recouvert d’un châle appelé tartan qui ne sert qu’à cet usage. Quand la matrone est ivre le poupon glisse par terre.

On raconte, dans le canton de Bain, qu’un soir d’hiver, une femme qui portait un bébé sur un oreiller, le perdit en passant un échalier. Elle ne s’en aperçut qu’une fois rendue au village. Lorsqu’elle revint le chercher, le pauvre petit avait été congestionné par le froid et il fut impossible de le rappeler à la vie.

Une autre fois, une matrone ivre rapportait un nouveau-né, après le baptême, du bourg de Pléchâtel au village du Val-du-Himboul. Elle avait à traverser un ruisseau sur une planche assez étroite. Elle fit un faux pas et l’enfant glissa de son oreiller dans l’eau. On put le retirer du ruisseau, mais il mourut dans la nuit.

Un nommé Jean Rihet, de la commune de Pléchâtel, encore vivant aujourd’hui, glissa de dessus l’oreiller, le jour de son baptême et ne fut retrouvé, près du village de Saint-Saunis, que quelques heures après.

À Vitré, aussitôt qu’un enfant est né, on prévient le bedeau de cette naissance et on lui donne la pièce. Immédiatement, — et cela bien avant le carillon du baptême, — il sonne la cloche de l’église, 9 coups pour les garçons, 11 coups pour les filles. Pourquoi ce privilège dont jouissent les filles ? Mystère !

Dans une petite ville comme Vitré, tout le monde se connaît ; on sait quelles sont les femmes enceintes et celles qui doivent bientôt accoucher. Ce sont les grands événements ! Et sans sortir de chez soi, la cloche vous apprend que Madame une telle vient d’être mère et de plus vous savez si c’est d’un garçon ou d’une fille.

Dans les communes du canton sud-ouest de Rennes on ne sonne jamais les cloches pour le baptême d’un enfant naturel.

Les frais du baptême sont à peu près nuls pour les parents : Le parrain, la marraine et les invités achètent et offrent à la mère du pain blanc, de la farine, du vin, du café, du sucre, du chocolat, de l’eau-de-vie et des épingles.

À l’église, le prêtre et les choristes sont également payés par moitié entre le parrain et la marraine.

Ils paient de la même façon le sonneur de cloches ; et plus ils sont généreux, plus le carillon se prolonge.

Dans le bourg, quand on entend sonner longtemps un baptême, on ne manque pas de dire : « Il y a gras aujourd’hui pour le sonnou ! »

À la porte de l’église, des enfants attendent avec impatience la sortie du baptême, parce qu’on leur jette des dragées. S’il s’agit du baptême d’un enfant riche, des sous accompagnent les bonbons.

Le parrain et la marraine ont un grand cornet rempli de dragées, un peu plus fines que celles jetées aux enfants, et ils en offrent, dans le bourg et le long de leur chemin, aux amis et connaissances.

On donne à manger aux enfants dès le lendemain de leur naissance. C’est généralement une bouillie épaisse qui les rend fort malades. Il n’y a à résister à ce régime que ceux qui sont vraiment vigoureux.

Les mères mangent et boivent avec les parents et amis, aussitôt après leur accouchement.

Je me souviens qu’un été, ma mère avait parmi ses journalières, pour faner son foin, une femme enceinte. La malheureuse se sentit souffrante et le dit à son mari qui travaillait avec elle. « Couche-toi sur un mulon[1] de foin, lui répondit-il, ça va te reposer. »

Elle s’y coucha en effet, mais un quart d’heure après elle mettait un enfant au monde.

— Je ne pas capable de continuer mon travail, dit-elle et je vas rentrer à la maison.

Elle s’en alla à une assez grande distance, emportant son enfant dans son tablier. Deux jours après, elle recommençait à faner le foin.

C’est la marraine qui offre à son filleul sa première robe ; mais il ne doit l’étrenner qu’un samedi, sans doute parce que le samedi est consacré à la Vierge et que c’est ce jour-là seulement que l’enfant doit revêtir sa robe blanche.

Lorsque l’accouchée se rend à l’église pour les relevailles, si la première personne qu’elle rencontre est un homme, le prochain enfant qu’elle aura sera un garçon ; si au contraire c’est une femme, c’est qu’elle aura une fille.

Elle emmène ordinairement avec elle la matrone. Elle conduit celle-ci, en sortant de l’église, dans un cabaret, où elle lui offre toutes sortes de consommations (vin chaud, café, liqueurs), afin que cette femme ne dise pas, dans les autres maisons où elle ira exercer son métier, qu’elle a été mal soignée.

Le mari est, lui, resté à la maison pour préparer un festin destiné aux deux femmes absentes et à quelques invités. Ce repas dure tout le restant du jour.

Les infortunées nourrices qui n’ont pas suffisamment de lait vont en pèlerinage à certaines saintes qui ont le pouvoir de leur en donner.

La plus en renom, dans le département d’Ille-et-Vilaine, est sainte Agathe que l’on invoque dans deux chapelles, à Langon et à Sixt.


1o Sainte Agathe de Langon.

Au dire des archéologues, la petite chapelle de Langon est une curiosité de notre Bretagne.

On suppose que cet édicule fut d’abord un temple mythologique dédié à Vénus, et ce qui le fait supposer c’est que la fresque qui décore la voûte absidiale représente une femme nue sortant de l’onde, entourée de poissons et d’un dauphin. Cette femme est coiffée à la romaine et tient dans les mains une banderole flottante.

Plus tard, lorsque les chrétiens affectèrent la chapelle de Langon à leur culte, ils la dédièrent à sainte Agathe, martyre, dont les mamelles coupées furent miraculeusement guéries.

C’est en souvenir de ce miracle que les nourrices qui ont les seins malades, ou qui n’ont pas de lait, vont demander à sainte Agathe, soit leur guérison, soit du lait pour sustenter leurs nourrissons.

Elles font pour cela, en priant la sainte, sept fois le tour de la chapelle.

Un gars de Langon voulut, par dérision, faire, lui aussi, sept fois le tour de la chapelle. Son voyage était à peine achevé que ses seins se gonflèrent, se remplirent de lait et le firent atrocement souffrir. Ce ne fut qu’en faisant amende honorable à sainte Agathe qu’il parvint à se débarrasser de son lait.


2o Sainte Agathe de Sixt.

On voit dans l’église de Sixt une statue représentant sainte Agathe qui tient l’une de ses mamelles dans ses mains.

Comme à Langon, beaucoup de pauvres femmes, qui voient leurs petits enfants souffrir parce qu’elles n’ont pas de lait en assez grande abondance, vont invoquer sainte Agathe, et presque toujours elles s’en retournent les seins gonflés.


3o Sainte Émerance, à Bain.

Lorsque l’on quitte la petite ville de Bain, par la route de Châteaubriant, on rencontre d’abord un bel étang, puis le village de la Chapelle. Ce hameau dont le nom rappelle l’existence d’une chapelle détruite, a seulement conservé comme dernier vestige de l’ancien édifice religieux une grossière statue de bois vermoulu qui représente, dit-on, sainte Émerance.

Cette statue se trouve sur le bord de la route, dans une cavité de mur, et le voyageur qui passe en ces lieux est très intrigué de voir sur la tête de la sainte une quantité de petits bonnets.

Sainte Émerance a le pouvoir, elle aussi, de donner du lait aux nourrices qui n’en ont pas, et il en vient de tous côtés et de très loin, qui offrent à la sainte un bonnet qu’elles lui posent sur la tête.


4o Le père Laitu de Saint-Gondran.

Il y avait autrefois dans la paroisse de Saint-Gondran une fontaine miraculeuse à laquelle les nourrices allaient boire pour avoir du lait.

On raconte qu’un jour deux faucheurs étaient à travailler dans un pré voisin de la source. En juin, la chaleur est grande, et quand ils eurent vidé leur pot de cidre, ils eurent encore soif et se rendirent à la fontaine.

L’un dit à son camarade :

Cré-tu, ta, que cette iau donne du lait ?

— Je n’savons point, mais on le dit.

Ma, j’n’y cré guère, et je défie ben, à cette iau de faire de ma ta femme et de me donner du lait.

Puis il se baissa et prit de l’eau avec la main pour calmer sa soif.

De retour dans la prairie, il sentit, en fauchant, de grandes douleurs à la poitrine et ne tarda pas à être inquiet en voyant ses seins s’arrondir et répandre du lait.

Les douleurs devinrent tellement insupportables qu’il dut cesser son travail et s’en aller chez lui, où il ne put obtenir de soulagement qu’en allaitant des enfants.

C’est à partir de ce jour qu’on l’appela le père Laitu.

Lorsque l’enfant est sevré, la nourrice pour faire disparaître le lait qui la gêne, se met des brins de persil entre les deux seins. D’autres fois elle fait pâmer (ce qui veut dire flétrir) sur la tournette à galettes, chauffée au feu, des feuilles de petites pervenches (Vinca minor) qu’elle s’applique également sur la poitrine.


  1. Petite meule de foin.