De la vie heureuse (juxtalinéaire) - 8

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Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 26-32).
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VIII. N’est-il pas vrai aussi que le plaisir est commun aux bons et aux méchants ? L’homme dépravé trouve dans son infamie des plaisirs non moins intenses que l’honnête homme dans sa belle conduite. C’est pour cela que les anciens prescrivent d’avoir pour but, non pas une vie agréable, mais une vie honnête : de telle sorte que le plaisir soit pour la volonté droite et bonne, non pas un principe directeur, mais un accompagnement. La nature, en effet, est le guide qu’il faut suivre ; c’est elle qu’observe, elle que consulte la raison. C’est donc une même chose que vivre heureux et vivre selon la nature. Or voici comment il faut l’entendre : nous devons conserver les qualités physiques et les avantages naturels avec soin et sans inquiétude, comme des objets prêtés pour un jour et fugitifs ; nous ne devons pas nous mettre sous leur dépendance, ni nous assujettir à ce qui nous est étranger, et il faut que les biens corporels et adventices soient placés dans notre vie au rang que tiennent dans les camps les auxiliaires et les troupes légères. Que tout cela serve et ne commande point ; à ce titre seulement l’âme en tirera profit. Que l’homme de cœur soit incorruptible aux choses extérieures, touché d’admiration seulement pour son bien propre, plein de confiance, également prêt à l’une et l’autre fortune, et artisan de sa vie. Que l’assurance chez lui n’aille pas sans la science, ni la science sans la fermeté ; que ses résolutions tiennent, une fois prises, et que dans ses décrets il ne se glisse pas de rature. On conçoit, sans que je l’ajoute, quelle paix, quelle concordance régnera dans un tel esprit, et que tous ses actes seront empreints d’une dignité bienveillante. Chez lui la véritable raison sera greffée sur les sens, et y prendra ses éléments : car il n’a pas d’autre point d’appui pour faire effort ou prendre son élan vers le vrai, puis se replier sur lui-même. Le monde aussi, qui embrasse tout, et ce Dieu qui régit l’univers, malgré leur tendance vers le dehors, rentrent néanmoins de toutes parts dans le grand tout et en eux-mêmes. Qu’ainsi fasse l’esprit humain : lorsque, en suivant les sens dont il dispose, il se sera porté par eux à l’extérieur, qu’il soit maître d’eux et de lui-même. C’est seulement à cette condition que sera réalisée l’unité d’une force et d’une puissance toujours d’accord avec elle-même, une raison mûre, sans contradiction ni hésitation dans les opinions, les compréhensions et l’assentiment. Quand elle a mis cet ordre, ce plein accord entre toutes ses parties ; quand elle s’est, pour ainsi dire, harmonisée, le souverain bien est conquis. Il ne reste plus de fausse voie, de passage où l’on glisse, où l’on se heurte, où l’on chancelle. Tout se fait par sa libre autorité, rien n’arrive contre son attente ; chacun de ses actes tourne à bien et s’exécute avec cette facilité prompte et cette allure qui ne tergiversent jamais. La lenteur, l’incertitude, trahissent la lutte et l’inconsistance des pensées. Oui, prononce-le hardiment : le souverain bien, c’est l’harmonie de l’âme ; car les vertus doivent être où se trouvent l’accord et l’unité : le désaccord est le propre des vices.

VIII. Quid, quod tam bonis, quam malis, voluptas inest, nec minus turpes dedecus suum, quam honestos egregia delectant. Ideoque præceperunt veteres, optimam sequi vitam, non jucundissimam : ut rectæ ac bonæ voluntatis non dux, sed comes voluptas sit. Natura enim duce utendum est : hanc ratio observat, hanc consulit. Idem est ergo beate vivere, et secundum naturam. Hoc quid sit, jam aperiam : si corporis dotes et apta naturæ conservabimus diligenter et impavide, tanquam in diem data et fugacia ; si non subierimus eorum servitutem, nec nos aliena possederint ; si corpori grata et adventitia eo nobis loco fuerint, quo sunt in castris auxilia, et armaturæ leves. Serviant ista, non imperent : ita demum utilia sunt menti. Incorruptus vir sit externis, et insuperabilis, miratorque tantum sui ; fidens animi, atque in utrumque paratus, artifex vitæ. Fiducia ejus non sine scientia sit, scientia non sine constantia : maneant illi semel placita, nec ulla in decretis ejus litura sit. Intelligitur, etiamsi non adjecero, compositum ordinatumque fore talem virum, et in his quæ aget, cum comitate magnificum. Erit vera ratio sensibus insita, et capiens inde principia : nec enim habet aliud unde conetur, aut unde ad verum impetum capiat ; in se revertatur. Nam mundus quoque cuncta complectens, rectorque universi Deus, in exteriora quidem tendit, sed tamen in totum undique in se redit. Idem nostra mens faciat : quum secuta sensus suos, per illos se ad externa porrexerit, et illorum et sui potens sit. Hoc modo una efficietur vis ac potestas, concors sibi : et ratio illa certa nascetur, non dissidens nec hæsitans in opinionibus comprehensionibusque, nec in sua persuasione. Quæ quum se disposuit, et partibus suis consensit, et (ut ita dicam)concinuit, summum bonum tetigit. Nihil enim pravi, nihil lubrici superest ; nihil in quo arietet, aut labet. Omnia faciet ex imperio suo, nihilque inopinatum accidet : sed quidquid aget, in bonum exibit, facile et parate, et sine tergiversatione agentis. Nam pigritia et hæsitatio pugnam et inconstantiam ostendit. Quare audacter licet profitearis, summum bonum esse animi concordiam. Virtutes enim ibi esse debebunt, ubi consensus atque unitas erit : dissident vitia.