De la vie heureuse (juxtalinéaire) - 9

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Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 32-34).
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IX. « Mais vous aussi, me dira-t-on, vous ne cultivez la vertu qu’en vue d’une jouissance quelconque que vous en espérez. » D’abord, si la vertu doit procurer le plaisir, il ne s’ensuit pas que ce soit pour cela qu’on la cherche ; ce n’est pas le plaisir seul qu’elle apporte, mais elle l’apporte en plus ; et, sans y travailler, ses efforts, quoique ayant un autre but, arrivent en outre à celui-là. Comme en un champ labouré pour la moisson quelques fleurs naissent par intervalles, bien que ce ne soit pas pour de minces bluets, qui pourtant réjouissent les yeux, qu’on a dépensé tant de travail ; l’objet du semeur était autre : la fleur est venue par surcroît ; de même le plaisir n’est ni le salaire, ni le mobile de la vertu, il en est l’accessoire ; ce n’est pas parce qu’elle donne du plaisir qu’on l’aime ; c’est parce qu’on l’aime qu’elle donne du plaisir. Le souverain bien est dans le jugement même et la disposition d’un esprit excellent ; quand celui-ci a rempli le cercle de son développement et s’est retranché dans ses limites propres, le souverain bien est complet, il ne veut rien de plus. Car il n’y a rien en dehors du tout, non plus qu’au delà du dernier terme. Vous vous méprenez donc quand vous demandez pour quel motif j’aspire à la vertu ; c’est chercher quelque chose au-dessus du sommet des choses. Vous demandez ce que je cherche dans la vertu ? elle-même : elle n’a rien de meilleur, elle est à elle-même son salaire. Trouvez-vous que ce soit trop peu ? Si je vous dis : Le souverain bien, c’est une inflexible rigidité, c’est une prévoyance judicieuse ; c’est la sagesse, l’indépendance, l’harmonie, la dignité, exigerez-vous encore un principe plus élevé pour y rattacher tous ces attributs ? Pourquoi me parler du plaisir ? Je cherche le bien de l’homme, non pas le bien du ventre qui, chez les bêtes et les brutes, a plus de capacité.

IX. « Sed tu quoque, inquit, virtutem non ob aliud colis, quam quia aliquam ex illa speras voluptatem. » Primum, non, si voluptatem præstatura virtus est, ideo propter hanc petitur ; non anim hanc pæœstat, sed et hanc : nec huic laborat, sed labor ejus, quamvis aliud petat, hoc quoque assequetur. Sicut in arvo, quod segeti proscissum est, aliqui flores internascuntur, non tamen huic herbulæ, quamvis delectet oculos, tantum operis insumptum est : aliud fuit serenti propositum, hoc supervenit: sic et voluptas non est merces, nec causa virtutis, sed accessio : nec quia delectat, placet ; sed si placet, et delectat. Summum bonum in ipso judicio est et habitu optimæ mentis : quæ quum suum ambitum implevit et finibus se suis cinxit, consummatum est summum bonum, nec quidquam amplius desiderat. Nihil enim extra totum est, non magis quam ultra finem. Itaque erras, quum interrogas quid sit illud propter quod virtutem petam ? quaeris enim aliquid supra summum. lnterrogas quid petam ex virtute ? ipsam ; nihil enim habet melius, ipsa pretium sui. An hoc parum magnum est, quum tibi dicam : Summum bonum est infragilis animi rigor et providentia, et subtilitas, et sanitas, et libertas, et concordia, et decor ? Aliquid et jam hunc exigis majus, ad quod ista referantur ? Quid mihi voluptatem nominas ? Hominis bonum quæro, non ventris, qui pecudibus ac belluis laxior est.