De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/24

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 62-68).


CHAPITRE XXIV.
Du jugement, & des peines des pecheurs.

REgardez à quoi toutes choses se termineront un jour ; & voyez en quel état vous paroîtrez devant un Juge inflexible, qui sçait tout, qui ne le laisse jamais gagner par presens, qui ne reçoit point de fausses excuses ; qui garde dans ses jugemens toute la rigueur de la justice.

Pecheur malheureux & insensé, que les regards d’un homme en colere font souvent trembler, que repondrez-vous, & que pourrez-vous répondre à un Dieu vengeur, à qui tout le mal que vous avez jamais fait ne sçauroit être caché ?

Comment songez-vous à toute autre chose qu’à vous preparer pour le jour du Jugement, pour ce jour terrible, dans lequel vous ne trouverez ni avocat ni intercesseur, & où chacun sera à soi-même un pesant fardeau ?

Quelque bonne œuvre que vous fassiez maintenant, Dieu veut bien vous en tenir compte ; il agrée votre travail, il reçoit vos larmes, il écoute vos soûpirs, il accepte vôtre douleur comme une juste satisfaction que vous lui faites ; & le prix de vôtre penitence est l’abolition de vos crimes.

Il y a en cette vie une espece de Purgatoire, bien utile à un homme doux & patient, qui se voyant outragé, ressent moins l’injure qu’on lui fait, que le peché de celui qui la lui fait ; qui prie pour ses ennemis, & qui leur pardonne de bon cœur ; qui se reconcilie promptement avec ceux qu’il a offensez ; qui est toûjours plus porté à faire misericorde, qu’à se fâcher & à se vanger ; qui se fait beaucoup de violence, pour assujettir en lui-même la chair à l’esprit.

Il vaut bien mieux présentement expier ses fautes, & se défaire de ses vices que de remettre à un autre tems à s’en corriger.

Certainement le trop grand amour que vous avez pour votre chair, vous aveugle & vous trouble étrangement la raison.

De quoi le feu éternel s’entretiendra-t-il de vos pechez ?

Plus vous êtes délicat & facile à tout accorder à vos sens, plus vous serez tourmenté ; puisqu’en multipliant vos crimes, vous amassez de la matiere pour les flâmes de l’enfer.

Songez qu’en ce lieu de tourmens, on sera très severement puni : dans les choses même en quoi l’on aura peché. Les paresseux y seront piquez d’aiguillons ardens. Les yvrognes & les gens de bonne chere y endureront une cruelle soif, & une faim insupportable.

Les voluptueux & les impudiques y seront plongez dans le soulphe & la poix boüillante. Les envieux outrez de douleur, y feront tout retentir de leurs hurlemens.

Chaque vice y trouvera son tourment particulier.

Les superbes y serons couverts d’ignominie ; les avares y manqueront de toutes choses.

En un mot cent ans d’une rigoureuse penitence sur la terre, ne sont que douceur en comparaison de ce qu’on souffre dans l’enfer, en une seule heure.

Ici l’on n’est pas toûjours dans le travail, & l’on s’y réjoüit quelquefois avec ses amis : mais là, il n’y a pour les damnez, ni consolation ni repos.

Ne pensez donc maintenant qu’à expier vos pechez, afin qu’au jour du Jugement vous soyez en assurance avec tous les bienheureux.

En ce jour fatal les justes insulteront hardiment à ceux qui les auront opprimez, & humiliez[1].

Ceux qui se seront humblement soumis au jugement d’autrui, jugeront les autres.

L’humble & le pauvre paroîtront avec un visage assuré, tandis que l’orgueilleux tremblera de peur.

On loüera la sagesse de ceux qui pour l’amour de Jesus-Christ, auront pris plaisir en ce monde à être traitez comme des fous & des gens de rien.

Chacun se sçaura bon gré d’avoir souffert patiemment de grandes tribulations : & l’iniquité confonduë n’osera ouvrir la bouche[2].

Les gens de bien seront pleins de joye, & les impies gemiront.

La chair domptée par les rigueurs de la penitence sera beaucoup plus heureuse que si elle avoit été nourrie délicatement.

Ceux qui auront aimé à être vêtus simplement, seront dans l’éclat ; & ceux qui auront voulu paroître magnifiquement vêtus, seront dans l’obscurité.

On recevra plus d’honneur pour avoir passé toute sa vie dans une pauvre cabanne, que si on avoit logé dans de superbes palais.

Toute la puissance du monde ne sera pour lors d’aucun secours, & l’on ne considerera que le mérite d’une invincible patience.

Une obéïssance simple & aveugle sera préférée à la politique du siécle.

Une conscience bien nette donnera plus de satisfaction, que n’en peut donner la connoissance de tous les secrets de la Philosophie.

On se trouvera beaucoup mieux d’avoir méprise les richesses, que d’en avoir amassé.

On se réjoüira davantage d’avoir bien prié, que d’avoir fait bonne chere.

On sera plus aise d’avoir bien gardé le silence, que d’avoir beaucoup parlé.

Les bonnes œuvres seront sans comparaison plus utiles que les beaux discours.

Enfin les austéritez passées donneront beaucoup plus de joye, que ne peuvent faire les plaisirs & les divertissemens du monde.

Apprenez donc à supporter doucement les petites peines de cette vie pour éviter d’autres peines plus insupportables en l’autre.

Eprouvez maintenant vos forces, & voyez jusqu’où elles peuvent aller.

Si vous êtes si sensible aux moindres souffrances, comment pourrez-vous souffrir durant une éternité, des tourmens épouvantables ?

Si une legere douleur vous cause tant d’impatience, que ne doit pas faire le feu de l’enfer ?

Considerez qu’il est impossible que vous soyez doublement heureux ; que vous vous réjouissiez maintenant avec le monde, & qu’après cela vous regniez avec Jesus-Christ.

Si vous aviez toûjours vécu dans les délices & dans l’honneur, & que ce fût ici vôtre dernier jour, qu’en ce moment même vous deussiez mourir, que vous serviroit d’avoir eu tant de plaisir & tant de gloire ?

Tout n’est donc que vanité, & il n’y a rien de solide que d’aimer Dieu, de le servir, & de ne servir que lui.

Car qui aime Dieu de tout son cœur, n’appréhende ni la douleur, ni la mort ; ni le jugement, ni l’enfer ; parce que l’amour quand il est parfait chasse la crainte[3], & que c’est lui qui nous donne accès auprès de Dieu.

Il ne faut pas s’étonner que celui qui prend encore plaisir à pecher, redoute la mort & le jugement.

Mais si l’amour n’est pas encore assez fort pour vous retirer du vice, il faut du moins que la crainte de l’enfer vous en détourne.

Que si on neglige d’acquerir cette crainte salutaire, on est en danger de quitter bien-tôt le chemin de la vertu, & de tomber dans les piéges du demon.

  1. Sap. 5. 1.
  2. Psal. 42.
  3. 1. Joa. 4. 18.