De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/30

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 197-201).


CHAPITRE XXX.
Qu’il faut implorer le secours de Dieu, & esperer de recouvrer sa grace.
Le Maistre.

MOn fils, je suis le Seigneur, qui fortifie les foibles, dans le tems de la tribulation[1]. Venez à moi, quand vous serez affligé.

Ce qui est cause que vous perdez les consolations du Ciel, c’est que vous êtes trop lent à recourir à l’Oraison.

Car avant que d’avoir recours à moi, vous allez chercher ailleurs à vous divertir, & à soulager votre ennui.

Mais tout cela vous est inutile ; & il faut enfin que vous confessiez que je suis capable de consoler ceux qui esperent en moi[2], & que hors de moi on ne peut trouver ni de secours puissant, ni de conseil salutaire, ni de remede durable.

Respirez un peu après la tempête, & maintenant que ma bonté ramene le jour, & dissipe les ténébres, commencez à vous réjoüir : car je suis proche de vous, prêt à rétablir toutes choses, & non-seulement à vous rendre ce que vous avez perdu, mais à vous combler de nouvelles graces.

Y a-t-il quelque chose au monde qui me soit difficile ?[3] Suis-je comme ceux qui promettent beaucoup, & ne donnent rien ?

Ou est vôtre foi ? demeurez ferme, & perseverez jusques à la fin.

Soyez constant, & ne perdez point courage ; la consolation viendra en son tems.

Attendez encore un peu, attendez ; vous me reverrez bien-tôt, & ma presence sera vôtre guérison.

Ce qui vous donne de la peine, n’est qu’une pure tentation ; & ce qui vous fait trembler, n’est qu’un vain phantôme.

Que vous sert de vous figurer dans un avenir incertain des évenemens chimeriques, qui ne peuvent qu’entretenir vos inquiétudes, & augmenter vos chagrins. A chaque jour sa propre peine suffit[4], & on n’a que faire d’y rien ajoûter.

Il est inutile de s’affliger, ou de se réjouir des choses que l’on s’imagine devoir arriver, & qui n’arriveront peut-être jamais.

Cependant l’homme est assez foible pour se laisser occuper de ces vaines imaginations ;  : & le peu de resistance qu’il fait aux suggestions de l’ennemi montre clairement quelle est la foiblesse.

Pour ce qui est du demon, il ne cherche qu’à perdre les ames, & il lui est indifferent de quelle maniere il les trompe ; que ce soit par de vrayes raisons, ou par des raisons apparentes ; par l’amour des biens presens, ou par l’apprehension des maux à venir.

Ne vous troublez point, n’ayez point de peur[5].

Croyez seulement, confiez-vous en moi.

Souvent il arrive que je suis tout proche de vous, lorsque vous pensez. être loin de moi.

Et quand il vous semble que tout est perdu, c’est alors qu’il y a le plus à gagner pour vous.

Ne croyez pas que tout soit désesperé, dés qu’il vous arrive quelque affliction.

Si vous êtes dans la souffrance, vous ne devez pas pour cela vous estimer malheureux, ni vous attacher tellement à penser à vôtre misere, quelle qu’elle soit, & de quelque part qu’elle vienne, que vous vous imaginiez n’en devoir jamais sortir.

Gardez-vous bien de vous croire tout-à-fait abandonné, quand je vous envoye des croix, ou que je vous prive pour un tems des consolations qui vous paroissent si douces : car c’est là cette porte étroite[6] par où il faut que vous entriez dans le Royaume du Ciel.

Certainement il est plus utile, & à vous, & à tous mes serviteurs, d’être éprouvez par de grandes tribulations, que d’avoir tout à souhait.

Je connois l’interieur de l’homme : je sçai qu’il importe pour vôtre salut, que vous soyez quelquefois sans aucun goût spirituel. L’humiliation vous est nécessaire, de peur que vous ne veniez à vous enfler des bons succés, ou à vous croire meilleur que vous n’êtes.

Ce que je vous ai une fois donné ; je puis vous l’ôter, & vous le rendre, quand il me plaira.

Si je vous fais quelque don, j’en demeure toûjours le maître ; & si je vous l’ôte, je ne vous dérobe rien, puisqu’il est toûjours à moi. Car il n’y a rien de bon & d’excellent dans le monde, qui ne m’appartienne.

Si je permets qu’on vous persecute & qu’on vous maltraite, ne vous fâchez pas, ne perdez pas cœur pour cela. Car en un moment il m’est aisé de vous soulager ; de dissiper vôtre tristesse, & de vous remplir de joye.

Songez toûjours que je suis juste, & digne d’être beni, lors même que je vous traite avec le plus de rigueur.

Si vous êtes sage, & que vous jugiez sainement des choses, vous ne devez point vous laisser abbattre à l’adversité : vous devez plutôt vous en faire un sujet de joye & d’action de graces.

Car vôtre unique consolation doit être, que je vous afflige sans vous épargner[7].

Je vous aime de la maniere que mon Pere m’a aimé[8]. C’est ce que je disois autrefois à mes Disciples, en les envoyant, non pour amasser des richesses, mais pour soûtenir de rųdes combats : non pour acquérir de la gloire, mais pour vivre dans le mépris ; non pour ne rien faire, mais pour endurer de grands travaux ; non pour se reposer, mais pour produire beaucoup de fruit par leur longue & genereuse patience.

Mettez-vous bien ces paroles dans l’esprit, & ne les oubliez jamais.

  1. Nahum. 1. 17.
  2. Psal. 16. 7.
  3. Jer. 32. 27.
  4. Matt. 6. 34.
  5. Joan. 14. 1. & 17.
  6. Matt. 7. 14.
  7. Joa. 6. 10.
  8. Joan. 15. 9.