De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/45

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 231-235).


CHAPITRE XLV.
Qu’il ne faut pas croire tout le monde, & qu’on fait beaucoup de fautes, en parlant beaucoup.
Le Disciple.

SEigneur, secourez-nous dans notre affliction : car c’est en vain que l’on attend son salut des hommes[1].

Combien de fois ai-je trouvé peu de fidelité, où je pensois en trouver beaucoup ?

Combien de fois au contraire en ai-je trouvé beaucoup, où je croyois en trouver peu ?

C’est par consequent s’exposer à être trompé, que de mettre son esperance dans l’homme.

Il n’y a que vous, ô mon Dieu, qui sauviez les Justes. Soyez donc beni pour toutes les choses qui nous arrivent.

Nous sommes foibles & legers sujets à l’erreur & au changement.

Où trouvera-t-on ici-bas un homme capable de se conduire avec tant de circonspection, qu’il ne puisse quelquefois tomber dans l’illusion & dans le trouble ?

Mais, Seigneur, on y tombe rarement, quand on se confie en vous & qu’on vous cherche avec un cœur droit.

Que s’il arrive quelque affliction, ou quelque embarras, vous en tirez ceux qui vous reclament, ou du moins vous les consolez dans leur peine, parce que jamais vous n’abandonnez ceux qui esperent en vôtre miséricorde.

Il est rare de trouver un ami fidéle & constant dans l’adversité.

Il n’y a que vous, mon Dieu, il n’y a que vous qui soyez toûjours fidéle ; & en cela nul ne vous égale, nul ne peut entrer en comparaison avec vous.

O que c’est parler sagement, que de dire, comme cette Sainte : Mon ame est fondée solidement en Jesus-Christ[2] !

Si la mienne étoit soûtenuë & appuyée de la sorte, elle n’auroit rien à craindre du côté des hommes : les paroles les plus picquantes ne la toucheroient point.

Qui est-ce qui peut tout prévoir ? qui peut se précautionner contre tous les maux de cette vie ? si les traits qu’on voit venir, ne laissent pas de blesser, quelle playe ne doivent pas faire ceux ausquels on ne s’attend point ?

Mais malheur à moi ! pourquoi n’ai-je pas eu soin de mieux prendre mes sûrerez ? pourquoi ai-je ajoûté foi si legerement à de vains discours ?

Hélas ! nous sommes tous hommes, & des hommes foibles & fragiles, quoique plusieurs nous croyent des Anges.

Qui croirai-je donc, ô Dieu de mon ame, qui croirai-je que vous seul ? vous êtes la verité même ; vous ne pouvez ni tromper, ni être trompé.

Au contraire, tout homme est menteur[3] ; tout homme est changeant ; & il n’y a guéres d’assurance à ce qu’il dit ; il fait bien des fautes, sur tout en parlant ; & il n’est pas de la prudence de le croire aveuglement, lors même qu’il semble le plus droit & le plus sincere.

O que vous aviez raison de nous avertir qu’il faut compter peu sur la bonne foi des hommes ; qu’il faut nous défier de nos domestiques, comme de nos ennemis[4], & ne pas croire des imposteurs qui nous viendront dire : Le Christ est ici, ou, il est là[5].

J’ai enfin ouvert les yeux, après qu’on m’a mille fois trompé : heureux si par mes égaremens je puis me rendre désormais plus sage, & plus circonspect !

Quelqu’un me dit à l’oreille : gardez-vous bien de divulguer ce que je vous dis ; & cependant lorsque je crois la chose secrecte, il est le premier à en parler : il ne peut garder le silence qu’il m’a tant recommandé ; il me trahit, & il se trahit lui-même ; puis il me quitte & ne paroît plus.

Ne permettez pas, Seigneur, que je rencontre de ces gens sans jugement & sans retenuë, ni que j’imite leur mauvais exemple.

Apprenez-moi à ne rien dire que de vrai, & éloignez de ma bouche tout ce qui ressent la duplicité & le mensonge.

Je dois éviter soigneusement ce qui dans un autre me paroît blâmable.

O qu’il est utile, qu’il est necessaire pour vivre en paix, de ne point parler mal d’autrui, de ne pas croire indifferemment & sans discussion tout ce qu’on entend, & de ne le pas rapporter à d’autres :

De ne s’ouvrir qu’à peu de personnes ; de vous chercher en toutes choses, ô mon Dieu, qui sondez les cœurs ; de demeurer toûjours ferme & inébranlable, quoique le monde puisse dire, & de souhaiter que rien ne le fasse, ni au dedans ni au dehors que selon votre bon plaisir !

Qu’il est important pour bien conserver votre grace, de fuïr l’éclat, de ne point chercher ce qui donne de l’admiration & fait du bruit dans le monde, mais d’embrasser volontiers tous les moyens de s’amender & d’augmenter en ferveur ?

Combien de personnes sont tombées dans de grands désordres, pour avoir reçû des louanges avant le tems ?

Combien d’autres se sont soutenuës, en cachant aux yeux des hommes les graces dont le Ciel les avoit favorisées en cette vie, où l’on est toûjours exposé aux tentations, & qu’on peut nommer une guerre continuelle.

  1. Psal. 59. 13.
  2. S. Agathe.
  3. Psal. 115. 2.
  4. Mich. 7. 6.
  5. Matt. 10. 36. ; Matt. 24. 23.