Depuis l’Exil Tome VI Le Seize Mai

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J Hetzel (p. 25-49).

II

LE SEIZE MAI


I

LA PROROGATION

Le 16 mai 1877, un essai préliminaire de coup d’état fut tenté par M. le maréchal de Mac-Mahon, président de la République. Brusquement il congédia, sur les plus futiles prétextes, le ministère républicain de M. Jules Simon, qui réunissait dans la chambre une majorité de deux cents voix. Le nouveau cabinet, sous la présidence de M. de Broglie, ne fut composé que de monarchistes.

Deux jours après, un décret du président de la République prorogeait le parlement pour un mois.

Aussitôt les gauches des deux chambres tinrent chacune leur réunion plénière et rédigèrent des déclarations collectives adressées au pays.

Dans la réunion des gauches du Sénat, Victor Hugo prit la parole :

Dans quelles circonstances l’événement qui nous préoccupe se produit-il ?

Laissez-moi vous le dire. Deux choses me frappent.

Voici la première :

La France était en pleine paix, en pleine convalescence de ses derniers malheurs, en pleine possession d’elle-même ; la France donnait au monde tous les grands exemples, l’exemple du travail, de l’industrie, du progrès sous toutes les formes ; elle était superbe de tranquillité et d’activité ; elle se préparait à convier tous les peuples chez elle ; elle prenait l’initiative de l’Exposition universelle, et, meurtrie, mutilée, mais toujours grande, elle allait donner une fête à la civilisation. En ce moment-là, dans ce calme fécond et auguste, quelqu’un la trouble. Qui ? Son gouvernement. Une sorte de déclaration de guerre est faite. À qui ? À la France en paix. Par qui ? Par le pouvoir. (Oui ! oui ! — Adhésion unanime.)

La seconde chose qui me frappe, la voici :

Si la France est en paix, l’Europe ne l’est pas. Si au dedans nous sommes tranquilles, au dehors nous sommes inquiets. Le continent prend feu. Deux empires se heurtent en orient ; au nord, un autre empire guette ; à côté du nord, une puissante nation voisine fait son branle-bas de combat. Plus que jamais, il importe que la France, pour rester forte, reste paisible. Eh bien ! c’est le moment qu’on choisit pour l’agiter ! C’est pour le pays l’heure de la prudence ; c’est pour le gouvernement l’heure des imprudences.

Ces deux grands faits, la paix en France, la guerre en Europe, exigeaient tous les deux un gouvernement sage. C’est l’instant que prend le gouvernement pour devenir un gouvernement d’aventure.

Une étincelle suffirait pour tout embraser ; le gouvernement secoue la torche. (Sensation profonde.)

Oui, gouvernement d’aventure. Je ne veux pas, pour l’instant, le qualifier plus sévèrement, espérant toujours que le pouvoir se sentira averti par l’énormité de certains souvenirs, et qu’il s’arrêtera. Je recommande au pouvoir personnel la lecture attentive de la constitution. (Mouvement.)

Il y a là sur la responsabilité plusieurs articles sérieux.

J’en pourrais dire davantage. Mais je me borne à ces quelques paroles. J’ai une fonction comme sénateur et une mission comme citoyen ; je ne faillirai ni à l’une ni à l’autre.

Vous, mes collègues, vous résisterez vaillamment, je le sais et je le déclare, aux empiétements illégaux et aux usurpations inconstitutionnelles. Surveillons plus que jamais le pouvoir. Dans la situation où nous sommes, souvenez-vous de ceci : toute la défiance que vous montrerez au nouveau ministère, vous sera rendue en confiance par la nation.

Messieurs, rassurons la France, rassurons-la dans le présent, rassurons-la dans l’avenir.

La république est une délivrance définitive. Espérance est un des noms de la liberté. Aucun piège ne réussira. La vérité et la raison prévaudront. La justice triomphera de la magistrature. La conscience humaine triomphera du clergé. La souveraineté nationale triomphera des dictatures, cléricales ou soldatesques.

La France peut compter sur nous, et nous pouvons compter sur elle.

Soyons fidèles à tous nos devoirs, et à tous nos droits. (Adhésion unanime. — Applaudissements prolongés.)

II

LA DISSOLUTION

La prorogation d’un mois expirée, le maréchal de Mac-Mahon adresse, le 17 juin, un message au sénat, lui demandant, aux termes de la constitution, de prononcer avec le président de la République, la dissolution de la chambre des députés.

La chambre des députés réplique aussitôt par un ordre du jour déclarant que « le ministère n’a pas la confiance de la nation ». Cet ordre du jour est voté par 363 voix contre 158.

Le 21 juin, les bureaux du sénat se réunissent pour nommer la commission chargée du rapport sur la demande de dissolution.

Dans le quatrième bureau, dont Victor Hugo fait partie, se passe l’incident suivant, rapporté ainsi par le Rappel.

Réunion dans les bureaux du Sénat.

« Il s’est produit, au 4e bureau, un incident qui a causé une vive émotion.

« M. Victor Hugo fait partie de ce bureau. M. le vicomte de Meaux, ministre du commerce, en fait également partie.

« La discussion s’est ouverte sur le projet de dissolution.

« Après des discours de MM. Bertauld et de Lasteyrie contre le projet et de MM. de Meaux et Depeyre pour, la séance semblait terminée, lorsque M. Victor Hugo a demandé la parole.

« Il a dit :

J’ai gardé le silence jusqu’à ce moment, et j’étais résolu à ne point intervenir dans le débat, espérant qu’une question essentielle serait posée, et aimant mieux qu’elle le fût par d’autres que par moi.

Cette question n’a pas été posée. Je vois que la séance va se clore, et je crois de mon devoir de parler. Je désire n’être point nommé commissaire, et je prie mes amis de voter, comme je le ferai moi-même, pour notre honorable collègue, M. Bertauld.

Cela dit, et absolument désintéressé dans le vote qui va suivre, j’entre dans ce qui est pour moi la question nécessaire et immédiate.

Un ministre est ici présent. Je profite de sa présence, c’est à lui que je parle, et voici ce que j’ai à dire à M. le ministre du commerce.

Il est impossible que le président de la République et les membres du cabinet nouveau n’aient point examiné entre eux une éventualité, qui est pour nous une certitude : le cas où, dans trois mois, la chambre, dissoute aujourd’hui, reviendrait augmentée en nombre dans le sens républicain, et, ce qui est une augmentation plus grande encore, accrue en autorité et en puissance par son mandat renouvelé et par le vote décisif de la France souveraine.

En présence de cette chambre, qui sera à la fois la chambre ancienne, répudiée par le pouvoir personnel, et la chambre nouvelle, voulue par la souveraineté nationale, que fera le gouvernement ? quels plans a-t-il arrêtés ? quelle conduite compte-t-il suivre ? Le président fera-t-il simplement son devoir, qui est de se retirer et d’obéir à la nation, et les ministres disparaîtront-ils avec lui ? En un mot, quelle est la résolution du président et de son cabinet, dans le cas grave que je viens d’indiquer ?

Je pose cette question au membre du cabinet ici présent. Je la pose catégoriquement et absolument. Aucun faux-fuyant n’est possible : ou le ministre me répondra, et j’enregistrerai sa réponse ; ou il refusera de répondre, et je constaterai son silence. Dans les deux cas, mon but sera atteint ; et, que le ministre parle ou qu’il se taise, l’espèce de clarté que je désire, je l’aurai.

« Sur ces paroles, au milieu du profond silence et de l’attente unanime des sénateurs, M. de Meaux s’est levé. Voici sa réponse :

« La question posée par M. Victor Hugo ne pourrait être posée qu’au président de la République, et excède la compétence des ministres. »

« Une certaine agitation a suivi cette réponse. MM. Valentin, Ribière, Lepetit et d’autres encore se sont vivement récriés.

« M. Victor Hugo a repris la parole en ces termes :

Vous venez d’entendre la réponse de M. le ministre. Eh bien ! je vais répliquer à l’honorable M. de Meaux par un fait qui est presque pour lui un fait personnel.

Un homme qui lui touche de très près, orateur considérable de la droite, dont j’avais été l’ami à la chambre des pairs et dont j’étais l’adversaire à l’assemblée législative, M. de Montalembert, après la crise de juillet 1851, s’émut, bien qu’allié momentané de l’Élysée, des intentions qu’on prêtait au président, M. Louis Bonaparte, lequel protestait du reste de sa loyauté.

M. de Montalembert, alors, se souvenant de notre ancienne amitié, me pria de faire, en mon nom et au sien, au ministre Baroche, la question que je viens de faire tout à l’heure à M. de Meaux… (Profond mouvement d’attention.) Et le ministre d’alors fit à cette question identiquement la même réponse que le ministre d’aujourd’hui.

Trois mois après, éclatait ce crime qui s’appellera dans l’histoire le 2 décembre.

« Une vive émotion succède à ces paroles.

« Aucune réplique de M. de Meaux. Exclamations des sénateurs présents.

« Le président du bureau, M. Batbie, fait, tardivement, remarquer que les interpellations aux ministres ne sont d’usage qu’en séance publique ; dans les bureaux, il n’y a pas de ministre ; un membre parle à un membre, un collègue à un collègue ; et M. Victor Hugo ne peut pas exiger de M. de Meaux une autre réponse que celle qui lui a été faite.

« — Je m’en contente ! s’écrie M. Victor Hugo.

« Et les quinze membres de la gauche applaudissent. »
Séance publique du sénat.
12 juin 1877.
Messieurs,

Un conflit éclate entre deux pouvoirs. Il appartient au sénat de les départager. C’est aujourd’hui que le sénat va être juge.

Et c’est aujourd’hui que le sénat va être jugé. (Applaudissements à gauche.)

Car si au-dessus du gouvernement il y a le sénat, au-dessus du sénat il y a la nation.

Jamais situation n’a été plus grave.

Il dépend aujourd’hui du sénat de pacifier la France ou de la troubler.

Et pacifier la France, c’est rassurer l’Europe ; et troubler la France, c’est alarmer le monde.

Cette délivrance ou cette catastrophe dépendent du sénat.

Messieurs, le sénat va aujourd’hui faire sa preuve. Le sénat aujourd’hui peut être fondé par le sénat. (Bruit à droite. — Approbation à gauche.)

L’occasion est unique, vous ne la laisserez pas échapper.

Quelques publicistes doutent que le sénat soit utile ; montrez que le sénat est nécessaire.

La France est en péril, venez au secours de la France. (Bravos à gauche.)

Messieurs, le passé donne quelquefois des renseignements. De certains crimes, que l’histoire n’oublie pas, ont des reflets sinistres, et l’on dirait qu’ils éclairent confusément les événements possibles.

Ces crimes sont derrière nous, et par moments nous croyons les revoir devant nous.

Il y a parmi vous, messieurs, des hommes qui se souviennent. Quelquefois se souvenir, c’est prévoir. (Applaudissements à gauche.)

Ces hommes ont vu, il y a vingt-six ans, ce phénomène :

Une grande nation qui ne demande que la paix, une nation qui sait ce qu’elle veut, qui sait d’où elle vient et qui a droit de savoir où elle va, une nation qui ne ment pas, qui ne cache rien, qui n’élude rien, qui ne sous-entend rien, et qui marche dans la voie du progrès droit devant elle et à visage découvert, la France, qui a donné à l’Europe quatre illustres siècles de philosophie et de civilisation, qui a proclamé par Voltaire la liberté religieuse (protestations à droite, vive approbation à gauche) et par Mirabeau la liberté politique ; la France qui travaille, qui enseigne, qui fraternise, qui a un but, le bien et qui le dit, qui a un moyen, le juste, et qui le déclare, et, derrière cet immense pays en pleine activité, en pleine bonne volonté, en pleine lumière, un gouvernement masqué. (Applaudissements prolongés à gauche. Réclamations à droite.)

Messieurs, nous qui avons vu cela, nous sommes pensifs aujourd’hui, nous regardons avec une attention profonde ce qui semble être devant nous : une audace qui hésite, des sabres qu’on entend traîner, des protestations de loyauté qui ont un certain son de voix ; nous reconnaissons le masque. (Sensation.)

Messieurs, les vieillards sont des avertisseurs. Ils ont pour fonction de décourager les choses mauvaises et de déconseiller les choses périlleuses. Dire des paroles utiles, dussent-elles paraître inutiles, c’est là leur dignité et leur tristesse. (Très bien ! à gauche.)

Je ne demande pas mieux que de croire à la loyauté, mais je me souviens qu’on y a déjà cru. (C’est vrai ! à gauche.) Ce n’est pas ma faute si je me souviens. Je vois des ressemblances qui m’inquiètent, non pour moi qui n’ai rien à perdre dans la vie et qui ai tout à gagner dans la mort, mais pour mon pays. Messieurs, vous écouterez l’homme en cheveux blancs qui a vu ce que vous allez revoir peut-être, qui n’a plus d’autre intérêt sur la terre que le vôtre, qui vous conseille tous avec droiture, amis et ennemis, et qui ne peut ni haïr ni mentir, étant si près de la vérité éternelle. (Profonde sensation. Applaudissements prolongés.)

Vous allez entrer dans une aventure. Eh bien, écoutez celui qui en revient. (Mouvement.) Vous allez affronter l’inconnu, écoutez celui qui vous dit : l’inconnu, je le connais. Vous allez vous embarquer sur un navire dont la voile frissonne au vent, et qui va bientôt partir pour un grand voyage plein de promesses, écoutez celui qui vous dit : Arrêtez, j’ai fait ce naufrage-là. (Applaudissements.)

Je crois être dans le vrai. Puissé-je me tromper, et Dieu veuille qu’il n’y ait rien de cet affreux passé dans l’avenir !

Ces réserves faites, — et c’était mon devoir de les faire, — j’aborde le moment présent, tel qu’il apparaît et tel qu’il se montre, et je tâcherai de ne rien dire qui puisse être contesté.

Personne ne niera, je suppose, que l’acte du 16 mai ait été inattendu.

Cela a été quelque chose comme le commencement d’une préméditation qui se dévoile.

L’effet a été terrible.

Remontons à quelques semaines en arrière. La France était en plein travail, c’est-à-dire en pleine fête. Elle se préparait à l’Exposition universelle de 1878 avec la fierté joyeuse des grandes nations civilisatrices. Elle déclarait au monde l’hospitalité. Paris, convalescent, glorieux et superbe, élevait un palais à la fraternité des nations ; la France, en dépit des convulsions continentales, était confiante et tranquille, et sentait s’approcher l’heure du suprême triomphe, du triomphe de la paix. Tout à coup, dans ce ciel bleu un coup de foudre éclate, et au lieu d’une victoire on apporte à la France une catastrophe. (Vive émotion. — Bravos à gauche.)

Le 15 mai, tout prospérait ; le 16, tout s’est arrêté. On a assisté au spectacle étrange d’un malheur public, fait exprès. (Sensation.) Subitement, le crédit se déconcerte ; la confiance disparaît ; les commandes cessent ; les usines s’éteignent ; les manufactures se ferment ; les plus puissantes renvoient la moitié de leurs ouvriers ; lisez les remontrances des chambres de commerce ; le chômage, cette peste du travail, se répand et s’accroît, et une sorte d’agonie commence. Ce que cette calamité, le 16 mai, coûte à notre industrie, à notre commerce, à notre travail national, ne peut se chiffrer que par des centaines de millions. (Allons donc ! à droite. — Oui ! oui ! à gauche.)

Eh bien, messieurs, aujourd’hui que vous demande-t-on ? De la continuer. Le 16 mai désire se compléter. Un mois d’agonie, c’est peu ; il en demande quatre. Dissolvez la chambre. On verra où la France en sera au bout de quatre mois. La durée du 16 mai, c’est la durée de la catastrophe. Aggravation funeste. Partout la stagnation commerciale, partout la fièvre politique. Trois mois de querelle et de haine. L’angoisse ajoutée à l’angoisse. Ce qui n’était que le chômage sera la faillite ; ruine pour les riches, famine pour les pauvres ; l’électeur acculé à son droit ; l’ouvrier sans pain armé du vote. La colère mêlée à la justice. Tel est le lendemain de la dissolution. (Mouvement.)

Si vous l’accordiez, messieurs, le service que le 16 mai aurait rendu à la France équivaudrait au service vice que rend une rupture de rails à un train lancé à toute vapeur. (C’est vrai !)

Et j’hésite à achever ma pensée, mais il faut, sinon tout dire, au moins tout indiquer.

Messieurs, réfléchissez. L’Europe est en guerre. La France a des ennemis. Si, en l’absence des chambres, dans l’éclipse de la souveraineté nationale, si l’étranger…

(Bruit et protestations à droite. — À gauche : N’interrompez pas ! — M. le président : Faites silence ! — À gauche : C’est à la droite qu’il faut dire cela !)

… Si l’étranger profitait de cette paralysie de la France, si… je m’arrête.

Ici, messieurs, la situation apparaît tellement grave, que nous avons pu voir dans les bureaux du sénat des membres du cabinet faire appel à notre patriotisme et nous demander de ne pas insister.

Nous n’insistons pas.

Mais nous nous retournons vers le pouvoir personnel, et nous lui disons :

La guerre extérieure actuelle ajoutée à la crise intérieure faite par vous crée une situation telle que, de votre aveu, l’on ne peut pas même sonder ce qui est possible. Pourquoi alors faire cette crise ? Puisque vous avez le choix du moment, pourquoi choisir ce moment-ci ? Vous n’avez aucun reproche sérieux à faire à la chambre des députés ; le mot radical appliqué à ses tendances ou à ses actes est vide de sens. La chambre a eu le très grand tort, à mes yeux, de ne pas voter l’amnistie ; mais je ne suppose pas que ce soit là votre grief contre elle. (Sourires à gauche.) La chambre des députés a poussé l’esprit de conciliation et de consentement jusqu’à partager avec le sénat son privilége en matière d’impôts, c’est-à-dire qu’elle a fait en France plus de concessions au sénat que la chambre des communes n’en fait en Angleterre à la chambre des lords. (À gauche : C’est vrai !) La chambre des députés, à part les turbulences de la droite, est modérée, parlementaire et patriote ; seulement il y a entre elle, chambre nationale, et vous, pouvoir personnel, incompatibilité d’humeur ; vous avez, à ce qu’il parait, des théories politiques qui font mauvais ménage avec les théories politiques de la chambre des députés, et vous voulez divorcer. Soit. Mais il n’y a là aucune urgence. Pourquoi prendre l’heure la plus périlleuse ? Dissoudre la chambre en ce moment, c’est désarmer la France. (Mouvement.) Pourquoi ne pas attendre que le conflit européen soit apaisé ? Quand la situation sera redevenue calme, si votre incompatibilité d’humeur ne s’est pas dissipée, si vous persistez dans votre fantaisie théorique, vous nous en reparlerez, et, puisque nous sommes ce qu’en Angleterre on appelle la cour des divorces, nous aviserons. Nous choisirons entre la chambre et vous. Mais rien ne presse, attendez. En ce moment, soyons prudents, et n’ajoutons pas, de gaieté de cœur, à la complication extérieure, déjà très redoutable, une complication intérieure plus redoutable encore. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Nous disons cela, qui est sage.

Messieurs, une chose me frappe, et je dois la dire : c’est qu’en ce moment, dans l’heure critique où nous sommes, l’esprit de gouvernement est de ce côté (montrant la gauche), et l’esprit de révolution est du côté opposé (montrant la droite). (C’est vrai ! c’est vrai ! à gauche).

En effet, que veut-on de ce côté, du côté républicain ?

Le maintien de ce qui est, l’amélioration lente et sage des institutions, le progrès pas à pas, aucune secousse, aucune violence, le suffrage universel, c’est-à-dire la paix entre les opinions, et l’Exposition universelle, c’est-à-dire la paix entre les nations. Et qu’est-ce que cet ensemble de bonnes volontés tournées vers le bien ? Messieurs, c’est l’esprit de gouvernement. (Applaudissements à gauche.)

Et du côté opposé, du côté monarchique, que veut-on ?

Le renversement de la république, la paix publique livrée à la compétition de trois monarchies, le parti pris pour le pape contre notre alliée l’Italie, la partialité pour un culte allant jusqu’à l’acceptation d’une guerre religieuse éventuelle (Dénégations à droite. — À gauche : Oui ! oui !), et cela à une époque où la France ne peut et ne doit faire que des guerres patriotiques, le suffrage universel discuté, la force rompant l’équilibre de la loi et du droit, la négation de notre législation civile par la revendication catholique ; en un mot, une effrayante remise en question de toutes les solutions sur lesquelles repose la société moderne. (Applaudissements répétés à gauche.) Qu’est-ce que tout cela, messieurs ? c’est l’esprit de révolution. (Oui ! oui ! — Applaudissements.)

J’avais donc raison de le dire : oui, à cette heure, l’esprit de gouvernement est dans l’opposition, et l’esprit de révolution est dans le gouvernement !

Qu’est-ce que la dissolution ?

C’est une révolution possible. Quelle révolution ? La pire de toutes. La révolution inconnue. (Sensation. — Murmures à droite. — Vive adhésion, à gauche.)

Messieurs les sénateurs, croyez-moi. Oui, soyez le gouvernement. Coupez court à cette tentative. Arrêtez net cette étrange insurrection du 16 mai…

(Réclamations à droite ; cris : À l’ordre ! à l’ordre ! — Applaudissements prolongés à gauche. — M. le président : Les applaudissements par lesquels on soutient l’orateur n’empêcheront pas le président de faire son devoir : ce n’est pas assez d’avoir porté contre une partie de cette chambre des accusations d’opinions factieuses, vous appelez un acte qui n’est pas sorti de la légalité un acte révolutionnaire ; le président s’en étonne. — À gauche : Ce sont des préliminaires de révolution ! — M. Valentin : L’avertissement était nécessaire ! — M. le président : Monsieur Valentin, vous n’avez pas la parole ! — À gauche, à M. Victor Hugo : Continuez ! — À droite : Que l’orateur retire le mot « insurrection » ! — À gauche, unanimement : Non ! ne retirez rien ! — L’orateur ne retire rien et continue :)

Ayez, messieurs, une volonté, une grande volonté, et signifiez-la. La France veut être rassurée. Rassurez-la. On l’ébranle. Raffermissez-la. Vous êtes le seul pouvoir que ne domine aucun autre. Ces pouvoirs-là finissent par avoir toute la responsabilité. La chambre relève, de vous, vous pouvez la dissoudre ; le président relève de vous, vous pouvez le juger. Ayez le respect, je dis plus, l’effroi de votre toute-puissance, et usez-en pour le bien. Redoutez-vous vous-mêmes, et prenez garde à ce que vous allez faire. Des corps tels que celui-ci sauvent ou perdent les nations.

Sauvez votre pays. (Sensation. — Vifs applaudissements à gauche.)

Messieurs, la logique de la situation qui nous est faite me ramène à ce que je vous disais en commençant :

C’est aujourd’hui que la grave question des deux chambres, posée par la constitution, va être résolue.

Deux chambres sont-elles utiles ? Une seule chambre est-elle préférable ? En d’autres termes, faut-il un sénat ?

Chose étrange ! le gouvernement, en croyant poser la question de la chambre des députés, a posé la question du sénat. (Mouvement.)

Et, chose non moins remarquable, c’est le sénat qui va la résoudre. (Approbation à gauche.)

On vous propose de dissoudre une chambre. Vous pouvez vous faire cette demande : laquelle ! (Très bien ! à gauche.)

Messieurs, j’y insiste. Il dépend aujourd’hui du sénat de pacifier la France ou de troubler le monde.

La France est aujourd’hui désarmée en face de toutes les coalitions du passé. Le sénat est son bouclier. La France, livrée aux aventures, n’a plus qu’un point d’appui, un seul, le sénat. Ce point d’appui lui manquera-t-il ?

Le sénat, en votant la dissolution, compromet la tranquillité publique et prouve qu’il est dangereux.

Le sénat, en rejetant la dissolution, rassure la patrie et prouve qu’il est nécessaire.

Sénateurs, prouvez que vous êtes nécessaires. (Adhésion à gauche.)

Je me tourne vers les hommes qui en ce moment gouvernent, et je leur dis :

Si vous obtenez la dissolution, dans trois mois le suffrage universel vous renverra cette chambre.

La même.

Pour vous pire. Pourquoi ?

Parce qu’elle sera la même. (Sensation profonde.)

Souvenez-vous des 221. Ce chiffre sonne comme un écho de précipice. C’est là que Charles X est tombé. (Sensation.)

Le gouvernement fait cette imprudence, l’ouverture de l’inconnu.

Messieurs les sénateurs, vous refuserez la dissolution. Et ainsi vous rassurerez la France et vous fonderez le sénat. (Très bien ! à gauche.)

Deux grands résultats obtenus par un seul vote.

Ce vote, la France l’attend de vous.

Messieurs, le péril de la dissolution, ce pourrait être, ou de nous jeter avant l’heure, d’un mouvement éperdu et désordonné, dans le progrès sans transition, et dans ces conditions-là le progrès peut être un précipice ; ou de nous ramener à ce gouffre bien autrement redoutable, le passé. Dans le premier cas, on tombe la tête la première ; dans le second cas, on tombe à reculons. (Applaudissements à gauche, rires à droite.) Ne pas tomber vaut mieux. Vous aurez la sagesse que les ministres n’ont pas. Mais n’est-il pas étrange que le gouvernement en soit là de nous offrir le choix entre deux abîmes ! (Vive émotion.)

Nous ne tomberons ni dans l’un ni dans l’autre. Votre prudence préservera la patrie. On peut dire de la France qu’elle est insubmersible. S’il y avait un déluge, elle serait l’arche. Oui, dans un temps donné, la France triomphera de l’ennemi du dedans comme de l’ennemi du dehors. Ce n’est pas une espérance que j’exprime ici, c’est une certitude. Qu’est-ce qu’une coalition des partis contre la souveraine réalité ? Quand même un de ces partis voudrait mettre le droit divin au-dessus du droit public, et l’autre le sabre au-dessus du vote, et l’autre le dogme au-dessus de la raison, non, une arrestation de civilisation en plein dix-neuvième siècle n’est pas possible ; une constitution n’est pas une gorge de montagnes où peuvent s’embusquer des trabucaires ; on ne dévalise pas la révolution française ; on ne détrousse pas le progrès humain comme on détrousse une diligence. Nos ennemis peuvent se liguer. Soit. Leur ligue est vaine. Au milieu de nos fluctuations et de nos orages, dans l’obscurité de la lutte profonde, quelqu’un qu’on ne terrasse pas est dès à présent visible et debout, c’est la loi, l’éternelle loi honnête et juste qui sort de la conscience publique, et derrière la brume épaisse où nous combattons il y a un victorieux, l’avenir. (Vive sensation. — Applaudissements à gauche.)

Nos enfants auront cet éblouissement. Et, nous aussi, et avec plus d’assurance que les anciens croisés, nous pouvons dire : Dieu le veut ! Non, le passé ne prévaudra pas. Eût-il la force, nous avons la justice, et la justice est plus forte que la force. Nous sommes la philosophie et la liberté. Non, tout le moyen âge condensé dans le Syllabus n’aura pas raison de Voltaire ; non, toute la monarchie, fût-elle triple, et eût-elle, comme l’hydre, trois têtes, n’aura pas raison de la république. (Non ! non ! non ! à gauche.) Le peuple, appuyé sur le droit, c’est Hercule appuyé sur la massue.

Et maintenant que la France reste en paix. Que le peuple demeure tranquille. Pour rassurer la civilisation, Hercule au repos suffit.

Je vote contre la catastrophe.

Je refuse la dissolution.

(Acclamation unanime et prolongée à gauche. — Les sénateurs de gauche se lèvent, et M. Victor Hugo, en regagnant sa place, est chaleureusement félicité par tous ses collègues. — La séance est suspendue.)

RÉPONSE AUX OUVRIERS LYONNAIS

La dissolution est prononcée par 349 voix contre 130.

La nation est résolue, le pouvoir est agressif. Le maréchal de Mac-Mahon, après une revue passée le 1er juillet, adresse à l’armée un ordre du jour, qui se termine ainsi :

« … Vous m’aiderez, j’en suis certain, à maintenir le respect de l’autorité et des lois dans l’exercice de la mission qui m’a été confiée, et que je remplirai jusqu’au bout. »

Une adresse de remerciement à Victor Hugo pour le discours sur les ouvriers lyonnais avait été votée par le comité d’initiative de Perrache, et envoyée, le 14 juillet, dans un album splendidement relié, contenant les noms de tous les signataires et portant sur la couverture : La Démocratie lyonnaise à Victor Hugo.

Victor Hugo répond :

Paris, 19 juillet 1877.
Mes chers et vaillants concitoyens,

Je reçois avec émotion votre envoi magnifique. J’avais déjà eu un bonheur, faire mon devoir, et le faire pour vous. Ce bonheur, vous le complétez. Je vous remercie.

Je continuerai ; vous vous appuierez sur moi et je m’appuierai sur vous.

L’heure actuelle est menaçante ; le temps des épreuves va recommencer peut-être. Ce que nous avons déjà fait, nous le ferons encore. Nous aussi, nous irons jusqu’au bout.

On nous fait, bien malgré nous, hélas ! une situation périlleuse. Puisqu’il le faut, nous l’acceptons. Quant à moi, je ne reculerai devant aucune des conséquences du devoir. Sortir de l’exil donne le droit d’y rentrer. Quant au sacrifice de la vie, il est peu de chose à côté du sacrifice de la patrie.

Mais ne craignons rien. Nous avons pour nous, citoyens libres de la France libre, la force des choses à laquelle s’ajoute la force des idées. Ce sont là les deux courants suprêmes de la civilisation.

Aucun doute sur l’avenir n’est possible. La vérité, la raison et la justice vaincront, et du misérable conflit actuel sortira, par la toute-puissance du suffrage universel, sans secousse et sans lutte peut-être, la république prospère, douce et forte.

Le peuple français est l’armée humaine, et la démocratie lyonnaise en est l’avant-garde. Où va cette armée ? à la paix. Où va cette avant-garde ? à la liberté.

Hommes de Lyon, mes frères, je vous salue.
LA PUBLICATION
de
L’HISTOIRE D’UN CRIME
1er octobre 1877 —

Entre les « actes » de Victor Hugo, il faut noter à cette place un de ceux qui furent le plus efficaces et le plus salutaires, — la publication de l’Histoire d’un crime.

Les élections générales avaient été fixées par le gouvernement du 16 mai à la date du 14 octobre.

Le 1er octobre, l’Histoire d’un crime parut, précédée de ces deux simples lignes :

Ce livre est plus qu’actuel, il est urgent.

Je le publie.

III

LES ÉLECTIONS

Discours pour la candidature de M. Jules Grévy.

Le pouvoir personnel s’était affirmé, dans les discours et manifestes du président de la république, par des paroles imprudentes : « Mon nom… ma pensée… ma politique… ma volonté. »

Le 12 octobre, avant-veille des élections, une réunion électorale eut lieu au gymnase Paz, pour soutenir, dans le neuvième arrondissement de Paris, la candidature de M. Jules Grévy, qui fut élu, le surlendemain, à l’immense majorité de 12,372 voix.

Victor Hugo prit la parole dans cette réunion, et dit :

Messieurs,

Un homme éminent se présente à vos suffrages. Nous appuyons sa candidature.

Vous le nommerez ; car le nommer c’est réélire en lui la chambre dont il fut le président.

Le pays va rappeler cette chambre si étrangement congédiée. Il va la réélire, avec sévérité pour ceux qui l’ont dissoute.

Nommer Jules Grévy, c’est faire réparation au passé et donner un gage à l’avenir.

Je n’ajouterai rien à tout ce qui vient de vous être dit sur cet homme qui réalise la définition de Cicéron : éloquent et honnête.

Je me bornerai à exposer devant vous, avec une brièveté et une réserve que vous apprécierez, quelques idées, utiles peut-être en ce moment.

Électeurs,

Vous allez exercer le grand droit et remplir le grand devoir du citoyen.

Vous allez nommer un législateur.

C’est-à-dire incarner dans un homme votre souveraineté.

C’est là, citoyens, un choix considérable.

Le législateur est la plus haute expression de la volonté nationale.

Sa fonction domine toutes les autres fonctions. Pourquoi ? C’est que c’est de sa conscience que sort la loi. La conscience est la loi intérieure ; la loi est la conscience extérieure. De là le religieux respect qui lui est dû. Le respect de la loi, c’est le devoir de la magistrature, l’obligation du clergé, l’honneur de l’armée. La loi est le dogme du juge, la limite du prêtre, la consigne du soldat. Le mot hors la loi exprime à la fois le plus grand des crimes et le plus terrible des châtiments. D’où vient cette suprématie de la loi ? C’est, je le répète, que la loi est pour le peuple ce qu’est pour l’homme la conscience. Rien en dehors d’elle, rien au-dessus d’elle. De là, dans les états bien réglés, la subordination du pouvoir exécutif au pouvoir législatif. (Vive adhésion.)

Cette subordination est étroite, absolue, nécessaire.

Toute résistance du pouvoir exécutif au pouvoir législatif est un empiétement ; toute violation du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif est un crime. La force contre le droit, c’est là un tel forfait que le Dix-huit-Brumaire suffit pour effacer la gloire d’Austerlitz, et que le Deux-Décembre suffit pour engloutir le nom de Bonaparte. Dans le Dix-huit-Brumaire et dans le Deux-Décembre, ce qui a naufragé, ce n’est pas la France, c’est Napoléon.

Si je prononce en ce moment ce nom, Napoléon, c’est uniquement parce qu’il est toujours utile de rappeler les faits et d’invoquer les principes ; mais il va sans dire que ce nom tient trop de place dans l’histoire pour que je songe à le rapprocher des noms de nos gouvernants actuels. Je ne veux blesser aucune modestie. (Bravos et rires.)

Ce que je veux affirmer, et affirmer inflexiblement, c’est le profond respect dû par le pouvoir à la loi, et au législateur qui fait la loi, et au suffrage universel qui fait le législateur.

Vous le voyez, messieurs, d’échelon en échelon, c’est au suffrage universel qu’il faut remonter. Il est le point de départ et le point d’arrivée ; il a le premier et le dernier mot.

Messieurs, le suffrage universel va parler, et ce qu’il dira sera souverain et définitif. La parole suprême que va prononcer l’auguste voix de la France sera à la fois un décret et un arrêt, décret pour la république, arrêt contre la monarchie. (Oui ! oui ! — Applaudissements.)

Quelquefois, messieurs, cela se voit dans l’histoire, les factions s’emparent du gouvernement. Elles créent ce qu’on pourrait appeler des crises de fantaisie, qui sont les plus fatales de toutes. Ces crises sont d’autant plus redoutables qu’elles sont vaines ; la raison leur manque ; elles ont l’inconscience de l’ignorance et l’irascibilité du caprice. Brusquement, violemment, sans motif, car tel est leur bon plaisir, elles arrêtent le travail, l’industrie, le commerce, les échanges, les idées, déconcertent les intérêts, entravent la circulation, bâillonnent la pensée, inquiètent jusqu’à la liberté d’aller et de venir. Elles ont la hardiesse de s’annoncer elles-mêmes comme ne voulant pas finir, et posent leurs conditions. Leur persistance frappe de stupeur le pays amoindri et appauvri. On peut dire de certains gouvernements qu’ils font un nœud à la prospérité publique. Ce nœud peut être tranché ou dénoué : il est tranché par les révolutions ; il est dénoué par le suffrage universel. (Applaudissements.)

Tout dénouer, ne rien trancher, telle est, citoyens, l’excellence du suffrage universel.

Le peuple gouverne par le vote, c’est l’ordre, et règne par le scrutin, c’est la paix.

Il faut donc que le suffrage universel soit obéi. Il le sera. Ce qu’il veut est voulu d’en haut. Le peuple, c’est la souveraineté ; la France, c’est la lumière. On ne parle en maître ni au peuple, ni à la France. Il arrive quelquefois qu’un gouvernement, peu éclairé, semble oublier les proportions ; le suffrage universel les lui rappelle. La France est majeure ; elle sait qui elle est, elle fait ce qui convient ; elle régit la civilisation par sa raison, par sa philosophie, par sa logique, par ses chefs-d’œuvre, par ses héroïsmes ; elle a la majesté des choses nécessaires, elle est l’objet d’une sorte de contemplation des peuples et il lui suffit de marcher pour se montrer déesse. Qui que nous soyons, mesurons nos paroles quand nous avons l’immense honneur de lui parler. Cette France est si illustre que les plus hautes statures s’inclinent devant elle. Devant sa grandeur, les plus grands demeurent interdits. Montesquieu hésiterait à lui dire : « Ma politique », et, certes, Washington n’oserait pas lui dire : « Ma volonté ». (Rires approbatifs.)

Citoyens, le suffrage universel vaincra. Le nuage actuel s’évanouira. La France donnera ses ordres, et n’importe qui obéira. Je ne fais à personne l’injure de douter de cette obéissance. La victoire sera complète. Dès à présent nous sommes pleins de pensées de paix, et nous sentons quelque pitié. Nous ne pousserons pas notre victoire jusqu’à ses limites logiques, mais le triomphe du droit et de la loi est certain. L’avenir vaincra le passé ! (Assentiment unanime.)

Citoyens, ayons foi dans la patrie. Ne désespérons jamais. La France est une prédestinée. Elle a charge de peuples, elle est la nation utile, elle ne peut ni décliner ni décroître, elle couvre ses mutilations de son rayonnement. À l’heure qu’il est, sanglante, démembrée, rançonnée, livrée aux factions du passé, contestée, discutée, mise en question, elle sourit superbement, et le monde l’admire. C’est qu’elle a la conscience de sa nécessité. Comment craindrait-elle les pygmées, elle qui a eu raison des géants ? Elle fait des miracles dans l’ordre des idées, elle fait des prodiges dans l’ordre des événements ; elle emploie, dans sa toute-puissance, même les cataclysmes à fonder l’avenir ; et — ce sera mon dernier mot — oui, citoyens, on peut tout attendre de cette France qui a su faire sortir du plus formidable des orages, la révolution, le plus stable des gouvernements, la république. (Applaudissements prolongés.)