Derniers vers (Anna de Noailles)/Il n’est rien qui n’ait plu

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IL N’EST RIEN QUI N’AIT PLU…


Il n’est rien qui n’ait plu à mon cœur téméraire.
La nature m’offrait des éblouissements,
Et nul confus amour n’eut une ardeur plus fière
Que cette enfant si sage avec un cœur dément.

Mais quand soudain la mort aux traînantes disgrâces
Eut recouvert mes jours de ses maux lents et vains,
Je sentis un orgueil métallique et divin
M’isoler dans un monde ineffable et sans trace.
Martyre de l’esprit, de la chair et du sang,
Qui peut vaincre le trop, s’offre un puissant encens !


— Où sont les jours couleur de blé ? Où rit la joie
Des fins coquelicots, dont la coupante soie
Paraissait contenir le cri d’un rouge oiseau ?
— Je revois gravement, dans mon âme surprise,
L’univers se mouvoir en la solide prise
D’un cerveau de cristal aussi brillant que l’eau.
Je ne peux pas mourir, si dur est mon étau !
Ô Monde où florissaient le désir et l’étude,
Quand la vie et la mort ont un cruel écho,
Laissez l’esprit blessé louer son altitude !…