Derrière les vieux murs en ruines/21

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 76-77).

4 février.

El Mâati, le mokhazni, envoie sa fille passer la journée avec Yasmine et Kenza. Sans doute dans l’espoir qu’apitoyés par le dénuement de Rabha, nous donnerons de l’argent ou des vêtements. La petite grelotte, un mince caftan plaqué sur son corps d’oiseau. Des traces de coups, longues et bleuâtres, rayent ses jambes et ses reins.

— Qui t’a fait cela ?

— Mon père. Il m’a battue l’autre jour, répond-elle.

Rabha n’a pas peur de nous. Elle aimerait à demeurer ici, comme ces petites filles bien habillées, qui mangent à leur contentement et boivent du thé très sucré. Leurs maîtres sont généreux, ils ne ménagent rien !

S’il plaît à Dieu nous l’élèverons, elle aussi, dans notre maison.

Toute confiante, Rabha me raconte son histoire :

— Tu sais, ma mère était du Sous. Elle fut répudiée et partit. Mon père prit une autre femme, une veuve qui avait une fille. Celle qui n’a plus sa mère s’écrie : « Je suis orpheline ! » Arrive une belle-mère, elle pleure des larmes de sang… El Mâati n’est pas méchant, mais, quand il se met en colère, il ne mesure pas les coups. On le craint ! L’autre jour, la fille de cette femme a cassé la théière. Mon père rentre : « Qui l’a brisée ? » dit-il.

» Elle répondit : « C’est Rabha. »

» J’étais innocente, mais la femme dit aussi : « C’est Rabha », et j’ai mangé du bâton… Je me tus et cherchai en ma tête. Ce matin, quand mon père revint, je lui appris : « Écoute, ces femmes se moquent de toi ! En ton absence, elles font venir des hommes et se réjouissent avec eux. Il en reste toujours un, à la porte, pour signaler ton retour, c’est pourquoi tu ne les surprends jamais. » À ces mots, l’œil de mon père devint rouge. Il a battu la femme et la fille jusqu’à ce que son bras fût fatigué… Alors, j’ai dit : « C’est bien ! Vous m’aviez fait battre pour une faute que je n’avais pas commise, je vous ai fait battre pour ce que vous n’aviez pas fait. » Mon père a ri extrêmement !…

— Mais ces femmes, ô pauvrette, ne pensais-tu pas à leur rancune ?

— Qu’importe ! Maintenant elles me craignent, et, si je reste ici, qu’ai-je à faire avec elles ?

Rabha jubile encore de sa ruse !… C’est une toute petite fille, frêle et douce, qui paraît six ans à peine.