Derrière les vieux murs en ruines/32

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 109-110).

12 avril.

Le printemps se réveille tout à coup, trop longtemps engourdi par les pluies tardives. Le soleil surgit, brûlant, et l’air vibre devant les montagnes, les terrasses, couvertes d’une étrange végétation, semblent les jardins suspendus de quelque cité asiatique.

Les fleurs ensevelissent le bled. Il y a des champs de soucis oranges, ardents comme un ciel d’été à l’heure du moghreb, et d’autres, dont les liserons bleu pâle étendent une eau paisible, que le vent moire de légers frissons.

Au sortir de Bab Berdaine, le vallon boisé se creuse, se déroule, s’étale voluptueusement entre les collines. Les vignes, enlacées aux grands micocouliers, les arbres fruitiers, les peupliers qui fusent, sveltes et verts, tels les minarets au-dessus de la ville, mettent la fraîcheur de leurs jeunes feuillages parmi les masses rousses des grenadiers bourgeonnants, celles des oliviers gris et des aloès très bleus aux pointes aiguës.

Puis les montagnes s’étagent, imposantes, estompées de brume, sur divers plans, et les plus lointaines s’évanouissent, presque transparentes dans l’atmosphère.

Une végétation sauvage, follement exubérante, envahit le cimetière, effaçant les sentiers et les tombes. Seuls les dômes de quelques marabouts émergent au-dessus de la verdure, dorés par les derniers rayons.

Moments d’un calme divin dans la splendeur. Éloignement de tout… À quelle époque, en quel lieu vivons-nous ?…

Il ne faut plus penser, plus savoir… mais se faire une âme simple comme celle de ces Marocains accroupis le long du chemin, qui viennent, chaque soir, contempler silencieusement l’ineffable beauté des choses, qu’ils sentent et ne raisonnent point…