Derrière les vieux murs en ruines/31

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 108-109).

11 avril.

Kaddour erre dans la maison, les sourcils contractés d’un tourment persistant. Il ne rit plus, il ne bondit plus, il se traîne… Yasmine et Kenza ne parviennent pas à le distraire. Il reste sombre et va s’accroupir sous les arcades. Son grand corps maigre ne forme plus qu’un petit tas lamentable.

Il a reconduit Zeïneb et Mina chez leur mère.

Le premier jour, Kaddour éprouvait un joyeux sentiment de délivrance dans sa demeure apaisée. Maintenant il la trouve bien vide, et les saucisses de mouton achetées au souk, les beignets que l’on mange seul sont loin de valoir les plats savoureux préparés par Zeïneb… Même les courtisanes de Sidi Nojjar perdent beaucoup d’attrait, lorsqu’on n’a plus le repos d’une épouse légitime.

Kaddour croyait convoler avec telle fille ou telle veuve du quartier ; il s’en réjouissait fort, dans l’excitation de sa colère. Cela lui semble aujourd’hui peu plaisant de dépenser tout l’argent de la dot[1] et des noces, pour se procurer une femme qui ne vaudra pas mieux que les autres.

— Car leurs ruses sont inouïes ! Allah les a créées pour notre épreuve !… J’en ai eu cinq, me dit-il. Je n’avais pas quatorze ans, lorsque mon père me donna la première, malgré mes pleurs. Je me suis sauvé le soir même, sans approcher la jeune fille. La seconde est morte, un an après notre mariage. La troisième m’a volé, je la répudiai. Je surpris la quatrième avec un homme… Zeïneb est la cinquième. Quelle démonne ! Sa langue ne sait point se contenir… Mais je ne puis rien dire quant à sa conduite. Elle a de l’entendement et son père était notaire.

Kaddour commence à regretter une si belle alliance.

  1. La dot, en droit coranique, est versée par le mari.